Chapitre 24

Le lendemain de son arrivée, Erwan a déjà été envoyé en mission. Je ne sais pas exactement ce qu'il doit faire, mais je sais que c'est en rapport avec Altalie. Je trouve évidemment absurde le fait qu'il ait été envoyé dans une telle mission alors que je suis censée être celle qui connaît le mieux cet endroit de malheur. Et personne n'a fait appel à moi.

J'ai déjà croisé le frère d'Erwan, Maël, mais il ne m'a pas adressé la parole. J'étais surprise de voir à quel point il est différent de son frère. Ils ne se ressemblent absolument pas, et si je n'étais pas au courant, je n'aurais jamais deviné que ces deux-là sont frères. L'un est blond, l'autre brun, l'un a de profonds yeux verts, l'autre, de mystérieuses pupilles marrons, presque noirs.

Ils sont complètement opposés.

D'ailleurs, je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer qu'il a le même prénom que mon ami, Maël.

Des centaines de souvenirs me reviennent automatiquement en tête en y repensant. Des moments passés avec Romain, Shylay, Maël et Mila. Ils étaient si différents de mes amis ici.

— Toi !

Je sursaute et me détourne de mon repas pour voir qui vient de m'agresser oralement. Je me détends en croisant le regard d'Enzo.

— On doit parler.

— Pas besoin de m'agresser !

— Ça fait une heure que je te cherche, donc si.

— Qu'est-ce que tu veux ?

— Comme je l'ai dit, parler.

— C'est pas ce qu'on est en train de faire là ?

— Sérieusement Vic ! dit-il en levant les yeux au ciel.

Je me renfrogne et attends qu'il me dise enfin ce qu'il a à me dire.

— Bref, tu sais, je ne suis pas idiot. On pourrait le croire parfois – je te l'accorde – mais ce n'est pas le cas. D'ailleurs, faudrait vraiment l'être pour ne pas voir ça, mais bon. Dis-moi, qu'est-ce que tu veux avec Erwan ?

J'avale de travers en entendant cette question et il faut plusieurs secondes pour retrouver mon calme. Mais il reprend rapidement :

— Je commence à te connaître assez bien. Je ne doute pas de ta sincérité, mais je veux être sûr. Je sais que tu es quelqu'un de bien, et Erwan a besoin de quelqu'un comme toi. Il a beaucoup souffert, trop. Mais je veux que tu me dise si je me trompe complètement, qu'est-ce que tu attends de lui ?

Je ne réponds pas tout de suite, je ne veux pas. Je n'en sais rien moi-même, mais une chose est sûre désormais, ce que je ressens pour lui dépasse la simple attraction. Sauf qu'il s'agit de mes sentiments, et je n'ai pas envie de les partager avec qui que ce soit. Je les ai à peine acceptés, alors je ne suis surtout pas prête à en parler. Mes sentiments ont le droit de rester privés.

— Je ne vois pas de quoi tu parles.

— Oh, s'il te plaît Victoire, pas à moi. Je sais quand une personne est amoureuse d'une autre. Et toi, tu es amoureuse d'Erwan.

C'est un choc. Me dire que, peut-être, je ressens quelque chose de plus pour lui est une chose. Entendre quelqu'un formuler de vive voix ce que j'essaie vainement de refouler en est une autre. Aimer quelqu'un est une chose, être amoureux en est une autre.

— Je comprend qu'il peut agir comme un con parfois, mais il n'est pas devenu comme ça tout seul. Le monde l'a déçu, ne le fait pas toi aussi. On sait tous les deux que ce que tu ressens pour Erwan est bien plus fort que ta relation avec Isack. Ne me demande pas comment je sais ça, je lis les gens, et avec toi c'est encore plus facile. Je lis en toi comme dans un livre ouvert.

Je rougis brutalement. Je ne sais même pas quoi répondre. Ce moment est tout ce dont je ne voudrais jamais avoir à faire face. Et le fait que ce soit juste Enzo qui ai tout remarqué est encore plus troublant. Si lui a remarqué, alors peut-être qu'Erwan lui-même sait !

— Erwan ne sait rien, dit-il comme s'il avait lu dans mes pensées. Mais je pense que tu devrais lui parler, il a l'air de bien t'aimer lui aussi. Je le connais depuis petit tu sais, et je ne l'ai jamais vu se comporter avec une autre fille comme il se comporte avec toi. Tu as réussi à briser sa carapace, toi. Chose que même moi je n'ai pas réussi à faire. Si je le connais si bien c'est simplement qu'avec le temps j'ai appris à le connaître. Chapeau Victoire.

Tout se bouscule dans ma tête. Je ne sais pas ce que je dois faire, ce que je dois dire. Le pire c'est qu'il a raison sur toute la ligne. Rah ce qu'il m'énerve à tout percevoir !

— Bref, j'ai eu ma dose de sérieux pour aujourd'hui ! s'exclame-t-il en se levant. Tu sais ce qu'il te reste à faire, à toi de faire le bon choix.

Sur ce, il se retourne et quitte le réfectoire. Alors que moi, je reste là, à triturer ma nourriture, complètement bouleversée par cette discussion.

Est-ce que je dois vraiment parler à Erwan ? Et Isack ? Enzo a raison. Je le sais.

De toute façon, Erwan n'est pas là, et j'ignore quand il rentrera. Mais je sais que lorsqu'il reviendra, quelque chose changera. Maintenant que j'ai réalisé ce qu'il se passe dans mon cœur, je ne pourrais plus faire semblant.

Je fini par débarrasser mon assiette. J'avais tellement trituré mes petits pois que c'était devenue de la purée. Puis, je quitte le réfectoire pour aller m'enfermer dans ma chambre et repasser cette discussion en boucle dans ma tête.

***

Trois jours sont passés depuis ma discussion avec Enzo. Trois jours que je suis enfermée à l'Immeuble et que je n'ai de nouveau rien à faire. Pas de mission, pas de tâche ménagère ou d'action contribuant à l'Immeuble. Rien. Et ne rien faire me rend encore plus folle.

Alors que je suis tranquillement allongée sur mon lit, perdue dans mes pensées, – ce que je fais toute la journée – Laurie ouvre brusquement la porte de la chambre. Elle a l'air essoufflée et surtout paniquée. Après avoir légèrement repris son souffle elle lâche :

— Erwan s'est fait tirer dessus.

Mon sang ne fait qu'un tour. Mon cerveau prend un moment à assimiler l'information et Laurie me ramène à la réalité en me secouant. Je n'ai même pas remarqué que des larmes ont coulé sur mes joues qui sont déjà humides.

Elle s'apprête à me parler, mais je ne l'écoute déjà plus. Je fonce vers les escaliers.

J'arrive à l'infirmerie à la vitesse de l'éclair, bousculant une dizaine de personnes sur mon passage. On tente de me retenir, mais je suis hystérique, personne ne peut m'empêcher de le voir.

Lorsque j'ouvre la porte du cabinet, mon regard se pose automatiquement sur lui. Il est allongé sur le dos, les yeux clos, le visage pâle. Sa respiration est irrégulière. La pièce grouille d'infirmiers qui s'agitent autour de lui. L'un d'eux tient une compresse ensanglantée sur l'abdomen de Erwan. Et je panique.

— Non !

Mon cri vient du plus profond de ma gorge et se brise dans un silence. Les médecins qui ne m'avaient pas remarquée se retournent tous vers moi, les yeux écarquillés, se demandant sûrement qui est cette folle.

Je me jette sur Erwan, en pleurs. Je caresse doucement ses cheveux en murmurant avec difficulté :

— Non, ne me laisses pas...

— Enlevez cette fille de là !

Je ne sais pas qui a crié, mais sûrement un des médecins. Bientôt, je sens qu'on me tire à l'extérieur de la pièce et je me retrouve dans la salle d'attente. Je pense reconnaître les deux silhouettes qui m'ont sortie de là, mais ma vue flou à cause des larmes m'empêche de voir correctement.

Quelqu'un me prend dans ses bras et je reconnais l'odeur particulière d'Enzo. Je me laisse faire et agrippe son tee-shirt en sanglotant contre son torse. Il me caresse doucement les cheveux, tentant de me calmer. Lorsqu'il m'écarte de lui, je perçois la tristesse dans son regard. Pour la première fois, il n'a pas cette expression joueuse sur le visage qui le définit si bien. Ses yeux sont légèrement rougis et son sourire enfantin a disparu.

Théo – sûrement celui qui a aidé Enzo à me sortir de la salle – me prend à son tour dans ses bras. Je suis surprise de le voir là, il n'est même pas proche d'Erwan.

Après quelques minutes de lutte acharnée, les garçons ont finalement réussi à me calmer un petit peu. Nous nous sommes assis – enfin, ils se sont assis pendant que je fais les cents pas dans la pièce – attendant au moins un signe de vie de la part des docteurs.

La porte de la salle d'attente s'ouvre brusquement et je reconnais le visage de Maël déformé par l'inquiétude. Il s'installe timidement sur une chaise plus loin. Il ne s'attendait sûrement pas à ce que d'autres personnes se trouvent ici.

Théo se lève en prévenant qu'il va chercher quelque chose à boire.

En y repensant, Enzo ne m'a jamais raconté quoi que ce soit sur Maël. J'imagine qu'il ne l'a jamais connu.

L'ambiance est pesante. Sans que je m'y attende, une main se referme sur mon poignet, m'arrêtant dans ma rotation.

— Tu peux arrêter s'il te plaît ?

Ce n'est pas la voix d'Enzo. Je devine donc que c'est Maël qui a parlé. Sa voix est à la fois douce et intimidante, mais son ton est ferme.

Je ne me tourne même pas vers lui et m'assois à côté d'Enzo, qui se triture nerveusement les doigts. Il s'arrête lui aussi en entendant la voix de Maël, surpris. Je sais qu'il tente de cacher son inquiétude, mais au fond il est aussi en panique que moi. Il faut bien qu'au moins un de nous deux garde son bon sens.

La nuit est tombée et je n'ai toujours pas bougé de là. Théo est parti se coucher et Enzo a fait de même. Bien sûr ils m'ont dit d'aller dormir moi aussi. Ils ont insisté pendant de longues minutes, mais se sont résignés quand ils ont compris que je ne changerais pas d'avis.

Maël a disparu il y a quelques heures déjà. Il n'est plus revenu.

Lorsque les médecins sont sortis pour aller se coucher, eux aussi, je me suis cachée derrière le fauteuil de la salle d'attente. L'infirmière de nuit est partie à l'accueil et j'ai discrètement ouvert la porte de la salle d'opération pour m'y faufiler.

Les lumières sont éteintes, seule une faible lueur provenant du cardiogramme qui bip régulièrement éclaire la pièce.

Il est torse nu, un bandage recouvre son abdomen. Il est si beau, c'en est bouleversant.

Je caresse doucement les mèches de cheveux qui retombent sur son front et pose une main sur son torse musclé pour le sentir s'élever au rythme de sa respiration. Je ne devrais pas être là, j'ai tellement peur de faire une seule chose de travers et que ça fasse tout foirer. Alors je ne m'attarde pas, bien que j'aurais aimé passer la nuit à ses côtés. Je dépose un baiser sur son front et retourne dans la salle d'attente. Je me couche sur le petit canapé, mais ne ferme pas pour autant l'œil de la nuit.

Vers cinq heures du matin, je parviens finalement à m'endormir. Mais mon sommeil fut de courte durée.

Vingt minutes plus tard, l'infirmière débarque dans la salle d'attente. Je la reconnais, c'est celle qui s'était occupée de moi il y a quelques jours.

— Salut Victoire, qu'est-ce que tu fais là ?

Je me frotte doucement les yeux, comme si cela allait me redonner la pêche.

— J'attends quelqu'un.

Elle acquiesce et s'engouffre dans une salle. La salle d'opération.

Après de longues minutes, elle en ressort.

— Si tu es là pour le jeune homme, il est réveillé. Tu peux aller le voir si tu veux, seulement, ne le brusque pas trop, il est encore faible.

Faible. Un mot qui ne va tellement pas à Erwan.

J'hoche la tête et me lève précipitamment. Mon cœur s'apaise à cette annonce et tout mon corps semble se détendre. Je souffle un bon coup et entre.

Quand j'ouvre la porte, son regard se pose automatiquement sur moi et il me sourit tendrement. Ses yeux sont tout petits, à moitié fermés et ses cheveux sont en bataille.

Je m'assois à côté de lui.

— Tu m'as fait une de ces peurs.

— Tu croyais quand même pas qu'une simple balle allait me tuer ?

Tiens il s'essaie à l'humour maintenant.

Je souris bêtement. Je crois que c'est ça d'être amoureuse. Cet accident m'a définitivement fait prendre une décision. Je dois lui parler, maintenant.

— Erwan... J-je...

— Ne dit rien.

Mon cœur rate un battement. Il ne me lâche pas des yeux et je crois que je vais bientôt faire un malaise s'il continue de me regarder comme ça. Sa main se referme sur la mienne et je suis surprise par ce contact soudain.

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