Chapitre 19
Cela fait plusieurs jours déjà que nous nous trouvons dans la forêt. Nous n'avons pas beaucoup avancé. J'ai insisté auprès d'Erwan en lui disant que nous pourrions faire au moins quelques kilomètres par jours, mais il n'a rien voulu entendre. Ma jambe va bien mieux, j'arrive à marcher correctement et presque à courir.
Erwan se tourne vers moi.
— Écoute-moi bien. Tu vas rentrer à Phandrès.
— Erwan je...
— Si Victoire. Je vais partir de mon côté et je reviendrai... plus tard.
Erwan frissonne encore, mais il semble presque rasséréné. Les mains sur mes épaules, les yeux dans mes yeux, il cherche à me communiquer la force de sa volonté.
Je ne peux retenir les sanglots qui m'entourent. Je tombe dans ses bras et pleure longtemps. Je crois même que je l'ai entendu ravaler un sanglot. Mais il finit par se séparer de moi, posant ses mains tendres sur mes joues.
— Fais attention à toi et rentre saine et sauve, je sais que tu en es capable. Je suis désolé de t'avoir embarquée là-dedans, je n'aurais pas dû, c'était purement égoïste.
— Dit pas n'importe quoi, dis-je en lui assénant une petite frappe sur l'épaule.
Il dépose un bisous sur mon front et se tourne, prêt à partir. Mais je le retiens.
— Erwan !
Il se retourne et attend que je poursuive.
— Je... Fais attention à toi.
Il me sourit et, dans un dernier regard, se détourne brusquement et s'éloigne. Je le suis longtemps du regard, jusqu'à qu'il disparaisse au détour du petit chemin de terre.
***
Cela fait environ trois heures que je marche, et la vérité, c'est que je ne sais absolument pas où je suis. Certes, Erwan a pris soin de me laisser une carte, mais je n'y comprend rien. Il y a des points noirs un peu partout avec des numéros à côté.
Je pose la carte par terre et observe les alentours. C'est alors que je remarque enfin. Il y a le numéro mille-cinq-cents écrit en blanc sur le tronc d'un arbre. Je reprend ma carte et marche en direction de l'arbre. Un mètre plus tard, il y a un autre numéro. Mille-quatre-cent-quatre-vingt-dix-neuf. J'ai donc finalement compris cette foutue carte ! Je dois avouer que c'est bien plus facile que ça en a l'air.
Après quelques minutes de marche, la nuit commence déjà à tomber et j'aperçois une maisonnette au beau milieu des arbres. Je m'en approche et toque à la porte pour voir s'il y a quelqu'un. Une assez jeune femme ouvre la porte et me fait un charmant sourire.
— Entre ma pauvre fille ! Qui que tu sois, tu es la bienvenue ici. Mes parents sont des êtres bienveillants.
Cette femme est assez bizarre, mais je suis tout de même soulagée de ne pas avoir à dormir seule dans la forêt cette nuit. Je peux enfin me reposer des émotions et de la fatigue de la journée.
La femme me conduit à une chambre et me dit de m'installer tranquillement. Après avoir pris un bain pour enlever les taches de boue et de sang sur mon visage et tout mon corps, je me sens comme une nouvelle personne. J'en ai aussi profité pour laver mes cheveux qui en avaient bien besoin.
Je rejoins la petite famille pour dîner. Prisme et sa femme Joïlia m'ont posé mille questions, j'y ai répondu avec plaisir, tout en omettant évidemment le fait que je viens d'Altalie.
De ce que j'ai pu comprendre, ils vivaient autrefois avec un groupe comme celui d'Andrew, sauf que leur lieu de vie n'était pas un immeuble mais un bunker souterrain. Les ressources étaient très limitées et les gens commençaient à mourir de faim. Alors, quand leur dirigeant a appris que Joïlia était enceinte, il l'a bannie elle et son mari. Selon eux « nous ne pouvions pas nous permettre d'avoir d'enfants, les provisions étaient déjà comptées alors si nous devions en plus de ça nourrir des enfants, il n'y aurais plus rien en quelques mois. Les règles étaient claires, interdiction d'avoir d'enfants ». Prisme et Joïlia sont alors parties et ont découvert qu'il était possible de survivre sur terre. Après quelques années d'errance, ils ont décidé de construire leur vie, indépendamment. Ils ont construit leur propre maison et depuis, vivent une vie paisible.
Une fois couchée, je peine à m'endormir. Joïlia, par sa douceur maternelle, me fait irrésistiblement penser à ma mère et cette pensée est bien douloureuse. Est-ce que je la reverrai un jour ?
Je pense aussi à Erwan. Je me demande où il est à cette heure-ci. Si j'étais à l'Immeuble, je lui aurais sûrement rendu une petite visite.
Tard la nuit, dans un demi-sommeil, je vois ma mère se dresser devant moi. Elle semble triste et pleure à chaudes larmes. Je me jette dans ses bras et la serre fort contre moi. J'humes son odeur, cette odeur qui m'a tant manqué. Elle me serre doucement contre elle, me berce tendrement, comme lorsque je n'étais encore qu'une enfant.
Plus jamais je ne te laisserai maman.
Je m'écarte d'elle pour lui demander comment elle va, mais me rend compte que ce n'est pas elle. Enfin si, c'est elle, mais c'est comme si elle était en train de se transformer sous mes yeux. Elle affiche un grand sourire sadique et ses yeux sont entièrement blancs, alors que ses cheveux volent au-dessus de sa tête. Elle disparaît soudainement et c'est mon père qui apparaît à sa place. Il me regarde tendrement. Il prend ma main et je me sens automatiquement rassurée. Je le serre fort dans mes bras, il m'a tellement manqué. Mais je sens quelque chose s'écraser contre mon front. Je relève la tête. Du sang coule le long de sa bouche. Dans un cri d'effroi, je repousse brutalement le corps que je tiens dans mes bras. Mon père s'écroule à terre, noyé dans son sang.
Je me réveille en hurlant.
— Non ! Papa ! Maman ! Ce n'est pas vrai, pas vous !
Assise sur mon lit, trempée de sueur, je tremble et claque des dents. Lentement, je me ressaisie. Je retire mes vêtements qui me collent à la peau et en enfile des propres. Mais la crainte de retrouver mon cauchemar me tient éveillée jusqu'au lendemain.
Au petit matin, je dis adieu à Joïlia, Prisme et Gemma, leur fille, avant de reprendre ma route. Je ne veux rien montrer de ma nuit blanche et de mon désarroi.
***
Depuis plusieurs jours déjà, je chemine à travers la forêt verdoyante. La route est agréable au soleil du printemps. Au loin, se dessine une grande arche en bois.
Inconsciemment, j'ai ralenti le pas. Mais ces derniers jours, à force de vivre seule et de ne compter que sur moi-même, j'ai pris de l'assurance. Je reprends ma marche, plus ferme et plus volontaire qu'auparavant.
Arrivée à la porte de ce qui ressemble à une ville, je ne suis pas au bout de mes surprises. Il n'y a personne. Une vraie ville fantôme. J'hésite. Dois-je continuer mon chemin ou m'enfoncer dans la cité ?
J'avance un peu, quand je vois à terre un cadavre, celui d'un jeune homme pas beaucoup plus vieux que moi et pas beau à voir. Lacéré, mutilé. J'en ai un haut le cœur. J'observe les alentours et aperçois un second cadavre un peu plus loin. Il gît près de l'arche, dans le même état que le premier. Cette vision ne laisse plus aucun doute sur ma décision.
Je m'apprête à partir en courant, mais une porte se claque soudainement, me faisant sursauter. Je me dirige vers le bruit. S'il y a de la vie ici, je dois le savoir, ils pourront m'aider. Cela fait des jours que je n'ai rien avalé et je suis affamée.
Pire idée du siècle ? Peut-être. Mais peut-être vais-je enfin trouver un être vivant ?
Il y a à nouveau un bruit. Cette fois c'est une voix, à peine un murmure. Je tends l'oreille.
— Sauve toi étrangère, sauve toi vite !
— Qui parle ? Où êtes-vous ? Que se passe-t-il ?
— Pharan, attention au Pharan ! Il va te tuer !
J'ai juste le temps d'entrevoir dans l'ombre le visage enfantin, crispé par l'effroi, d'une toute petite fille, quand un bruit fracassant me fait lever la tête. J'entends à peine la fille refermer la porte en sanglotant. Assis maintenant face à moi, un homme qui vient de sauter d'un arbre range tranquillement son épée en me fixant avec un sourire ironique.
— Salut, étrangère ! Je t'attendais avec impatience.
Je considère avec stupeur l'homme qui me fait face. Enfin, il n'a rien d'un humain.
Il est immense, j'ai l'impression qu'il fait littéralement trois fois ma taille. Son torse nu me laisse entrevoir une multitude d'abdos et de long cheveux blonds retombent en cascade sur ses épaules. Il me fait étrangement penser aux hommes croisés dans la forêt avec Erwan. Sauf qu'il est encore plus terrifiant et impressionnant. Un porte épée dans lequel sont rangées de grandes épées à double tranchant est accrochée à sa ceinture. Ses mains sont pleines de sang, son torse, mais surtout, son visage. Sa voix est chaude et profonde, mais plus menaçante que séduisante.
— Allons, étrangère, je m'ennuie ! Tu joues avec moi ?
Je reprends mon sang froid et tente de ne laisser paraître aucune émotion dans ma voix.
— À quoi joue-t-on ?
Cette poussée de courage m'impressionne moi-même.
— Comme avec les autres, dit-il en désignant d'un geste du menton les cadavres gisant près de nous. Aux énigmes. La règle est simple : c'est moi qui propose l'énigme, c'est toi qui réponds. Si tu ne trouves pas la bonne réponse... Je te tue.
Mon sang se glace à l'entente de ces mots, prononcés avec tant de facilité. Je n'ai clairement pas intérêt à me rater.
— Et si je trouve la bonne réponse ? je demande, peu sûre.
L'homme éclate d'un rire sauvage.
— Attend d'avoir entendue ma question.
— D'accord. Je suis prête.
— Écoute bien. Il existe un animal qui, le matin, marche à quatre pattes, à midi sur deux pattes, et sur trois pattes le soir. Quel est-il ?
Une réponse me vient immédiatement en tête. J'avais étudié cette énigme en histoire à Altalie. Encore un cours pendant lequel j'avais dû lutter contre l'envie de dormir, mais visiblement, ces informations avaient tout de même atteint mon cerveau. Mais en même temps, cela paraît si facile que je commence à douter de ma réponse. Pourquoi tous ces gens sont morts si la réponse est si simple ? Le risque est trop grand...
— Alors, tu ne trouves pas ?
Le sourire de l'homme s'est accentué, découvrant des crocs acérés. Je me décide à répondre, au pied du mur.
— L'homme. Cet animal, c'est l'homme. Le matin, au début de sa vie quand il n'est qu'un bébé, il se déplace à quatre pattes, le midi, dans la plénitude de son âge, il se tient debout sur ses deux pieds, enfin, au soir de sa vie, quand il est vieux, il a besoin d'une canne pour marcher, c'est sa troisième jambe.
Je n'ai pas fini de parler que son sourire disparaît, tandis qu'il pousse un gémissement à glacer le sang.
— Tu viens d'Altalie ! s'écrie-t-il.
Sous mes yeux incrédules, un éclair déchire le ciel et fini sa trajectoire sur l'homme qui hurle de douleur. Il finit par tomber à terre, mort, alors que le ciel reprend sa couleur aussi vite que la foudre a atteint sa cible
Après quelques secondes d'un silence presque palpable, c'est une véritable explosion. Des maisons voisines sortent des femmes, des hommes, des enfants qui sautent et hurlent de joie. Et ce cri unanime se propage à travers la ville, gagnant les quartiers éloignés. Les habitants les plus proches m'entourent. Sans me laisser le temps de réagir. Un homme me prend par le bras et me guide jusqu'à ce qui ressemble à un Palais Royal.
Je ne comprends rien à ce qui est en train de m'arriver. Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer, heureuse et fière d'avoir résolu l'énigme meurtrière, mais pleine de pitié pour les victimes de l'homme qui jonchent les rues, mortes.
En haut des marches du « palais », une femme m'attend. L'homme me lâche face à celle qui semble être la dirigeante. Le silence se fait petit à petit autour de nous.
— Salut à toi étrangère. Tu viens de sauver notre cité et ses citoyens. Sois en remerciée au nom de tous les Terrilanéeins. Je suis Lexa, fille de Allessane, dirigeante de Terrilan et j'ai hâte de te remettre ta récompense. Quel est ton nom ?
— Je te remercie de ton accueil. Je suis heureuse d'avoir sauvé Terrilan en sauvant ma vie, mais j'ignorais qu'il eut une récompense. Je m'appelle Victoire et je viens de Phandrès.
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