Chapitre 11

Cela doit faire plus de 36h que nous sommes dans cette forêt. Et pourtant, j'ai l'impression que cela fait des mois. Peut-être que le temps passerait plus vite si j'étais avec quelqu'un que j'apprécie, quelqu'un comme Isack.

Erwan qui marche devant moi s'arrête soudainement.

— Quoi ?

— Chut.

J'entends un bruit étrange qui se fait de plus en plus proche. On dirait que ça vient de...

Nous regardons en même temps vers le ciel et, au sommet des arbres, un engin vol au-dessus de nos têtes.

— C'est quoi ? demandé-je.

— Un drone.

Il sort un pistolet de sa poche et tire dessus, le ratant intentionnellement, et l'objet volant s'éloigne.

— D'où tu sors cette arme ?

— Arrête de poser des questions.

Et voilà. C'est impossible d'avoir une discussion de plus de trente secondes avec Erwan. Il est obligé d'être désagréable et égoïste.

Mais alors que nous continuons à marcher, je sens un poids lourd s'écraser sur moi. Je tombe à terre et un homme roule au sol. Je tente de me redresser, mais il m'attrape par le cou, me maintenant au sol. Il resserre de plus en plus sa poigne, j'ai du mal à respirer. J'atteins difficilement la poche de mon jean et attrape mon arme. Il est trop occupé à bloquer ma respiration pour remarquer. Je sens celle-ci ralentir petit à petit, ma main tremble quand je pointe mon arme vers lui. Ma tête tourne. Je sens que je perds le contrôle. Ma vision se fait flou, je n'y vois plus rien.

La balle traverse son épaule dans un bruit assourdissant. Son corps s'écroule lourdement à côté de moi et j'arrive enfin à me relever. Je toussote en prenant de grandes inspirations pour retrouver un rythme régulier.

L'homme, au sol, gémit de douleur. Sans que je m'y attende, une nouvelle balle traverse sa tête, faisant gicler du sang et finissant de l'abattre.

Je devine que c'est Erwan qui a tiré.

Je vois un autre corps qui gît à côté de lui. Je comprends qu'il a dû se battre lui aussi. Cette scène me dégoûte. J'ai l'impression que je vais vomir.

— Sortons d'ici, des renforts peuvent arriver d'une minute à l'autre, dit Erwan, me sortant de ma torpeur.

Je le suis en me demandant comment j'ai eu le courage de presser la gâchette. Cette scène rode dans ma tête, je n'arrive pas à oublier, son corps tombant sur le côté, le trou parfait dans son épaule...

***

La nuit est vite tombée. Erwan a fait un feu. C'est le seul réconfort que je peux trouver et pourtant, je m'en suis éloignée. J'ai besoin de penser, de réfléchir à tout ce qu'il s'est passé.

Grâce aux cours d'escalade au collège quand je vivais à Altalie, j'ai réussi à grimper facilement au sommet d'un arbre. Je me suis hissée sur une branche qui m'avait l'air plutôt solide.

Je me demande encore comment j'ai fait. Tout est allé si vite. J'en fais sûrement trop, mais je n'aurais jamais pensé que je me retrouverais dans une telle situation un jour. J'avais une vie paisible à Altalie. Aussi absurde que cela puisse paraître, ma vie me manque. Je devrais détester Altalie, pour me mentir depuis ma naissance, pour mentir à tous ces gens, mais je n'arrive pas à ressentir de la haine envers le premier secteur. En revanche j'en ressens contre Geoffrey, et je sais qu'elle ne cessera de s'accroître. Ma haine envers lui ne fera qu'évoluer. Je le détesterai un peu plus chaque jour et ce jusqu'à ce que justice soit faite. Jusqu'à ce que ma famille soit en sécurité, avec moi, que je puisse les prendre dans mes bras.

Alors que mes pensées fusent, je sens une présence dans mon dos.

Oh non. Je n'ai vraiment pas envie de recommencer à me battre...

C'est vrai que je m'en suis plutôt bien sortie par rapport aux autres fois, mais ça m'a épuisée. Je pense que je ne suis pas encore au point.

Mais au lieu de m'attaquer, je sens un torse dur se glisser contre mon dos et un souffle chaud dans mon cou. Je ne prends même pas la peine de regarder derrière moi, je sais déjà de qui il s'agit.

Il pose ses mains sur mes cuisses dans un contact doux et je me laisse aller contre son torse chaud.

Je sais que ce contact est super bizarre venant de lui mais je ne cherche plus à le comprendre. Erwan est incompréhensible. Je ne veux pas me disputer à nouveau avec lui, alors je le laisse faire.

Tant pis s'il profite de moi, de ma faiblesse pour être doux et ensuite me détester, de toute façon j'ai autant besoin de ce contact que lui.

Il dépose un baiser dans mon cou et tout mon corps frissonne.

— À quoi tu joues Erwan ? demandé-je faiblement.

— Je suis désolé Victoire... Je ne contrôle rien, j'ai besoin de toi, besoin de te sentir contre moi...

Je suis si troublée par cette révélation que j'en garde le silence pendant quelques secondes.

— Pourquoi tu me détestes ?

— Je ne te déteste pas. J'ai juste... du mal. Je ne veux pas m'attacher à toi.

— Pourquoi ?

Je me tourne légèrement pour le fixer.

Ses yeux brillent et je sens son odeur si masculine m'envelopper. Sa proximité me perturbe vraiment. Il s'approche encore plus de moi et sa voix devient un murmure, presque cassant. Erwan soupire, il semble mener une bataille intérieure et je vois passer dans ses yeux si captivants diverses émotions. Soudain, il me regarde et le doute qui l'habitait semble avoir disparu. Il se penche vers moi. Son visage vient se loger à la base de mon cou. Mon cœur bat la chamade, j'ai chaud, je n'ose même plus le regarder. Son corps est au-dessus du mien, grand et élancé. Il est tellement beau que c'en est bouleversant.

— Tu sens si bon... Tu ne sais pas ce que ça me fait ta présence...

Qu'est-ce qu'il veut dire ? Il murmure comme s'il ne maîtrisait pas lui-même ses paroles. Je sens son souffle chaud contre mon cou. Sa voix est comme du velours à mes oreilles. Je frissonne. Je sens la douceur de ses lèvres sur la base de mon cou, la délicatesse de ses cheveux qui frôlent mon visage... Je suis ensorcelée, incapable du moindre mouvement. Sa main libre descend sur ma joue, la caresse, puis passe délicatement dans mes cheveux. Il respire profondément, son beau visage toujours caché dans le creux de mon cou. Je frissonne de plaisir, subjuguée par ses gestes doux et charmeurs. J'ai l'impression qu'il cherche à se rapprocher de moi, sans vraiment oser. Il s'éloigne juste un peu et ses yeux rencontrent les miens. Je sais alors que j'ai perdu la partie, qu'à cet instant je le laisserai faire ce qu'il veut de moi. Ses yeux sont à la fois durs et tendres, se mêlent l'amertume et la passion. Ils m'hypnotisent.

— Tu es si rayonnante, si pleine de vie... Pourquoi voudrais-tu connaître une personne aussi terne que moi ?

Il ne semble pas vraiment me poser la question, comme si la réponse ne pouvait que lui échapper, toujours, quoi que je dise. Ses yeux regardent tout au fond de mon âme. Il essaie de trouver en elle la réponse à toutes les questions qu'il se pose. Il replace son visage dans mon cou et pose son front contre mon épaule, ses cheveux bruns caressants mes omoplates.

— Tu ignores tout de moi Victoire, tout en moi est si sombre, et toi tu es rayonnante, tu es éclatante, pleine de joie de vivre. J'essaie de te protéger de moi-même, il n'y a rien de bon en moi. Isack est bien mieux pour toi. Mais je n'arrive pas, je n'arrive pas à rester loin de toi, tu m'attires, et je ne comprends pas pourquoi. Pourquoi je n'arrive pas à résister. J'essaie de te détester, mais c'est impossible...

Mon cœur rate un battement, Erwan est-il en train de me dévoiler ses sentiments ? Est-il en train de détruire sa carapace ?

Il m'idéalise un peu trop, moi aussi j'ai des défauts... Erwan est certes un peu sombre mais, pour moi, il possède sa propre lumière, cachée à l'intérieur de ses yeux.

— Oublie tout ça, laisse-moi seulement faire, je t'en prie.

Sa voix est presque suppliante. Je ne réponds pas et me contente de me retourner à nouveau.

Il passe ses mains froides sur mon ventre, me ramenant un peu plus vers lui. Il dégage mes cheveux, se donnant accès à ma nuque et y dépose une multitude de baisers. Je penche ma tête en arrière, lui laissant accès à mon cou. Il continue ses baisers, resserrant ses mains sur mes cuisses et octroyant l'envie qui naît en moi.

Au bout d'un certain temps, il s'arrête et pose son menton sur mon épaule.

Je ne sais pas quel sera son comportement demain. Je ne sais pas si ses révélations vont changer quelque chose à notre relation. Je ne sais même pas quoi penser de ce qu'il m'a dit. Je n'ai juste pas envie de penser. J'en ai marre de penser.

Alors au lieu de réfléchir à ce qu'il arrivera demain, je me laisse réconforter par Erwan. Je ne me suis même pas rendu compte qu'il a essuyé des larmes qui ont commencé à couler le long de mes joues.

Je me laisse faire sans broncher et m'appuie à nouveau contre lui. Je sens que je peux lui faire confiance, qu'il me veut du bien, en tout cas en cet instant.

***

Après la scène plus qu'étrange, nous sommes descendus de l'arbre pour dormir. J'ai l'impression de ne pas avoir fermé l'œil de la nuit. J'étais bien trop occupée à me torturer avec mes propres pensées.

Quand le soleil se lève enfin, je me mets à appréhender cette journée.

Je vois Erwan qui fini d'éteindre le feu de la veille. Je vais m'asseoir à côté de lui. Il a l'air préoccupé, l'air de ne pas savoir comment agir avec moi.

— Désolé pour hier, je n'aurais pas dû...

— Pas dû quoi ? le coupé-je. Erwan, j'en ai marre que tu te serves de moi ! Pourquoi tu te comportes comme ça ? Merde !

— Victo...

— Arrête ! Tout ce que tu m'as dit hier, je n'y crois pas une seconde, tu voulais juste profiter de moi. Je suis si faible après tout !

Ses yeux s'assombrissent soudainement, je sens que j'ai été trop loin, mais ça m'énerve ! Qu'est-ce qu'il y a de si compliqué à arrêter de se comporter comme un gros con ? Et pourquoi se comporte-t-il comme ça avec moi à la fin ? L'ai-je vraiment mérité ?

Je suis en train de bouillir de l'intérieur. Je ne supporte plus son comportement, il n'en a rien à faire des autres, il est si égoïste.

C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Il ne s'est jamais excusé auprès de moi et, quand il le fait, c'est parce qu'il m'a dévoilé ses sentiments ! Ses sentiments tout aussi faux que lui au passage.

Je ne veux plus le voir sous peine de dire des choses que je pourrais regretter plus tard. Je pourrais lui cracher à la figure tout ce que je pense de lui puisque rien ne l'atteint, mais je préfères garder mon sang froid.

Je me lève pour m'éloigner au plus vite, mais il agrippe mon poignet, se redressant à son tour.

Je me débat, mais il resserre sa prise. Il commence à me faire peur. Son regard sombre est posé sur moi, je n'ose même pas le regarder dans les yeux.

— Arrête de me fuir Victoire.

Non mais je rêve ? Je suis en plein délire.

Sa remarque a le don de me mettre hors de moi, je me débats de plus belle.

Il m'attrape par la taille pour me coller fermement contre son torse. Je suis bloquée, il a bien plus de force que moi. Je le fixe avec haine. Ses yeux sont plantés dans les miens, il ne flanche pas.

Puis sans crier gare, il pose ses lèvres contre les miennes dans une douceur que je ne lui connais pas.

Il lâche ma taille pour poser ses mains sur mes joues et avoir un meilleur contrôle sur mes lèvres.

J'ai l'impression que ma tête va exploser. Des frissons me parcourent et pourtant, je ne veux pas le laisser profiter encore une fois. Ces sentiments si contradictoires me rendent folle. J'ai envie de le laisser continuer, je ne veux pas qu'il s'arrête et en même temps je le déteste car je sais qu'il me prend encore pour une idiote.

Malgré tout, c'est mon cœur qui l'emporte. Je le laisse faire et profite même de la douceur de ses lèvres.

Quand il s'écarte de moi, ses yeux ont retrouvés leur couleur habituelle.

Mais mon corps l'appelle. Il ne veut pas qu'il s'arrête.

Il ramasse son sac à dos et commence à marcher, me laissant plantée là. Je prends un moment avant de me rendre compte de ce qu'il vient de se passer. Puis, je récupère mon sac moi aussi et le suis en silence, totalement déboussolée.

***

Nous ne sommes plus qu'à quelques kilomètres de la base et, alors que nous marchons toujours dans ce silence de plomb, nous croisons un autre groupe de l'Immeuble.

Isack et Laurie.

Isack m'adresse un grand sourire et Laurie se jette dans mes bras.

— Trop bien que vous soyez là ! On peut continuer tous les quatre ! s'exclame-t-elle.

Isack et Erwan se jaugent. On dirait que les deux mènent un combat silencieux.

— Pourquoi pas, dit Isack sans lâcher Erwan du regard.

— Hors de question. Victoire on y va, s'oppose Erwan.

Et c'est repartie pour un tour...

— Depuis quand tu donnes les ordres ?

— Depuis toujours espèce de connard.

J'attrape le bras d'Erwan avant que ça ne dégénère.

— C'est bon on y va, viens, dis-je calmement.

— Et toi tu lui obéis en plus ? Bravo Victoire, t'es devenue le nouveau p'tit chien de...

Isack n'a pas le temps de finir sa phrase qu'Erwan se jette sur lui.

— Eh, les gars ! s'exclame Laurie.

Nous tentons tant bien que mal de les séparer, mais c'est impossible, ils sont beaucoup trop forts pour nous. Ces deux-là vont finir par s'entretuer si personne ne les séparent, et en plus, on va se faire repérer.

Laurie sort son talkie-walkie.

— Nous avons besoin de renforts, Isack et Erwan se battent encore, explique-t-elle dans le boîtier.

— Ok, j'envoie des renforts, je vais repérer les groupes qui sont à-côtés de vous.

C'est une voix familière qui a répondu. Je crois que c'est celle d'Andrew. Laurie range son talkie-walkie dans sa poche et bientôt, quatre hommes accourent vers nous. On dirait qu'ils ont déjà fait face à cette situation. Alors Isack et Erwan se battent souvent ? Pas étonnant...

Ils sont obligés de se mettre à quatre pour les séparer et, Laurie et moi, restons impuissantes devant la scène.

24/01/20

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