Chapitre 16
Chaque pas qu'il faisait pour arriver au bout de cet interminable couloir participait à le rendre encore plus nerveux. A l'extrémité de ce long rectangle à peine éclairé, se trouvait le bureau de son supérieur hiérarchique que les Rebelles, entre eux, surnommaient ironiquement Méduse car le bonhomme, qui à prime abord ne transpirait pas l'autorité, avait la capacité à vous pétrifier sur place d'un seul regard. Cette appellation dérivait, bien entendu, du récit mythologique grec dans lequel cette Gorgone a le pouvoir de transformer en pierre tout homme osant la regarder.
En vérité, Méduse avait pour nom Charles Churchill, colonel Charles Churchill. Quand il donnait des ordres, on répondait sans trop réfléchir « Oui, colonel Churchill ! » à la manière d'un automate et cela faisait apparaître sur le visage rougeaud du bonhomme un sourire de fierté qu'il avait bien du mal à contenir. Une fois le dos de Méduse tourné, on riait sous cape de cet énergumène qui n'avait absolument pas le profil de dirigeant tandis qu'il repartait vers son bureau, la mine contente.
Il disait à tout ceux qui voulaient l'entendre, et même à ceux qui ne le désiraient pas, qu'il avait pour ancêtre le fameux Winston Churchill qui fut un jour le premier ministre d'une glorieuse Angleterre et qui avait fait remporter une victoire sans équivoque aux Alliés durant la guerre qu'on nommait la seconde guerre mondiale. Et bien que tout le monde soit au courant que ce nom qu'il portait n'était dû qu'au hasard de la nature, personne n'osait le contredire, même sa femme qui avait eu un jour l'idée de lui démontrer le contraire, en vain. De toute façon, il connaissait si bien l'histoire du véritable Churchill que c'était presque comme s'il était un de ses descendants directs.
Devant la porte du colonel, un homme tenait la garde. A son air ennuyé, il aurait préféré suivre l'entraînement avec son groupe que de devoir surveiller Charles Churchill qui était en mesure de se défendre : il maniait le sabre comme personne et quelquefois, il descendait de son étage, rejoignait les soldats et se livrait à un combat contre un rebelle qui tremblait de peur d'être transpercé ou d'être raccourci d'une main ou d'un bras.
─ Halte, qui êtes-vous ? Demanda le jeune soldat, apparemment nouveau dans le groupe puisqu'il n'avait pas reconnu le commandant Alan.
─ Commandant Alan, le colonel m'a demandé, lui apprit-il et il aurait ri de la tête déconfite du novice s'il n'était pas aussi sur les nerfs et fatigué.
─ Je... Toutes mes excuses, mon commandant !
Il fit même un garde-à-vous mais Alan se fichait bien de toutes ces convenances. Certes, il était gradé mais il se serait volontiers passé de tout ce protocole.
─ Rompez, ordonna Alan avant de taper contre le bois de la porte. Une voix rocailleuse le pria d'entrer et il laissa le jeune soldat se maudire à sa guise dans le couloir.
─ Ah Alan, vous voilà ! S'enchanta Churchill sans lever les yeux du papier qu'il était en train de lire et cela allait très bien au jeune homme qui ne voulait en aucun cas croiser le regard tétanisant du colonel, ses yeux noirs comme l'ébène qui vous faisait penser que pupille et iris ne faisaient qu'une. Alan profita de l'inattention de son supérieur pour observer le bureau. Un endroit en dit souvent plus sur le personnage que le personnage lui-même.
De toute évidence, Méduse était un homme organisé et minutieux. Il avait pris soin de ranger ses piles de dossiers certainement par couleur puisque les couvertures jaunes ne se mélangeaient à celles qui étaient vertes, les stylos étaient tous dans un pot à crayon et non pas à l'extérieur comme ils l'étaient dans le bureau d'Alan. Une immense affiche de Churchill, qu'il avait dénichée on ne savait où, donnait le ton à la pièce et côtoyait le portrait de son propriétaire. Quelle ressemblance pouvait-il y avoir entre ces hommes venant de deux époques différentes ? A part le visage rond et chauve comme une boule de billard, aucune.
Un coup d'œil jeté à la bibliothèque lui apprit que le colonel venait de faire une nouvelle acquisition : le sixième et dernier volume de The Second World War, écrit par Churchill, avait trouvé sa place parmi les autres.
─ Comme vous voyez, après beaucoup de recherches, j'ai enfin trouvé le tout dernier tome de la collection ! Dit Méduse quand il vit Alan scanner sa bibliothèque avec attention.
─ Vous m'en voyez ravi, lui répondit le jeune commandant sans pourtant ressentir le ravissement. Il était seulement curieux de savoir où Charles Churchill se procurait de tels ouvrages. Depuis que le Gouvernement était au pouvoir, il avait fait main basse sur les livres de l'Avant Gouvernement qui avaient brûlé dans de grands autodafés. Comment des bouquins, comme ceux qui lui faisaient face, avaient-ils pu être conservés ?
─ J'ai longtemps cru que celui-ci avait brûlé avec les autres mais il n'en était rien. Il pria Alan de s'asseoir sur le fauteuil devant son bureau, lui proposa un cigare qu'Alan refusa comme à son habitude et en vint à la discussion sérieuse.
─ J'ai appris que vous aviez mené à bien l'opération dont on vous avait chargé. Vous êtes un élément indispensable à notre organisation, commandant Alan, j'espère que vous en avez conscience.
C'était ça, il n'était qu'un élément, rien de plus. Et il en avait marre d'être considéré comme tel. Il voulait être un individu, quelqu'un, mais on ne discutait pas les mots des supérieurs ici. On se taisait, on opinait du chef et c'est ce qu'il fit. Ce qu'il faisait si bien.
─ Si seulement nos hommes avaient le tiers de votre cerveau, on la gagnerait cette foutue guerre contre le Gouvernement. Heureusement qu'on ne leur demande que de faire fonctionner leurs muscles...
Le colonel essuya son front en sueur de son mouchoir brodé, confectionné par sa femme avant de continuer :
─ Ah ! Si ce bon et courageux Winston pouvait voir cela de ses propres yeux, que dirait-il ?
Et d'Alan de penser : mais laissez donc ce pauvre Churchill là où il est !
─ Vous êtes un bon tacticien et un excellent homme de terrain. Le Gouvernement, lui, ne forme que des gens qui en ont l'apparence. Je suis content que vous soyez de notre côté et non du leur.
De ces mains, il réarrangeait ses dossiers pour qu'ils soient parfaitement bien parallèles.
Depuis le début de l'entretien, il n'avait pas regardé Alan une seule fois. Ce dernier savait bien que ces compliments n'étaient prononcés que parce qu'ils devaient être dit. Le jeune homme était comme un chien, qui après avoir obéi aux ordres de son maître, se voit récompenser par une multitude de caresses.
Aussi avait-il envie de répondre à ces éloges par un « Ne vous faîtes pas d'illusion, je sais parfaitement bien ce que vous êtes en train de faire. Vous suivez les ordres, comme on le fait tous ici »
Il ne voulait plus vivre sous les ordres pourtant, il voulait vivre librement mais ni sous le jonc du Gouvernement, ni sous celui de l'organisation, il ne trouverait cette liberté à laquelle il aspirait. Non, Alan vivait la vie d'un autre.
─ Je ne fais qu'exécuter les ordres, colonel Churchill, répondit-il à la place de sa pensée première.
─ Il faut savoir accepter les compliments, Alan, quand ils sont véritables. Et appelez-moi Charles, je vous prie, nous sommes de vieux amis, vous et moi.
Cette connivence que Méduse créait n'avait jamais existée. Ils n'étaient aucunement amis, ils le faisaient croire ce qui était bien différent.
─ Vous êtes un brillant jeune homme, je ne doute pas que vous irez loin, continua-t-il alors que le commandant ne souhaitait qu'une chose : que cette conversation grotesque se termine.
─ Je vous remercie.
Ils échangèrent encore quelques mots, plus par politesse que par amitié.
Avant de congédier son subordonné, le colonel lui demanda s'il pouvait se libérer jeudi soir afin qu'il vienne à la soirée que programmait le chef de l'organisation.
Mais ce n'était aucunement une question, Alan le savait. C'était bel et bien un ordre plus qu'un conseil. Il devrait se rendre à cet évènement même si l'envie n'y était pas alors il répondit qu'il serait enchanté d'y assister.
─ Ce sera l'occasion de vous présenter ma fille, furent les derniers mots prononcés entre eux.
Alan traversa à nouveau le couloir qui lui parut beaucoup plus sombre qu'à l'aller. L'idée même de se rendre à cette soirée et d'y rencontrer une fille qu'il savait qu'il n'aimerait pas lui minait le moral. Comme s'il n'était pas assez énervé pour aujourd'hui...
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