LE DENI
Qu'est ce que je fais la ?
Que s'est il passé ?
Ces questions tournent en boucle dans ma tête. La petite chambre d'une blancheur immaculée, semble se refermer sur moi, comme les mur d'une prison.
Je ne comprends pas ce que je fais là.
Je me trouvais dans ma chambre, je revisais, assise sur mon lit et cette douleur insupportable, m'a déchirée le ventre, comme une vague de souffrance.
Sur le coup, j'ai pas compris. J'ai cru à une colique. Qu'est ce que ça pouvait être d'autre ?
Et puis ça a recommencé.
C'est devenu plus fort, de plus en plus rapproché.
Et un liquide a coulé, innondant ma couette
J'ai pensé que je venais de me faire pipi dessus.
Après tout, sous la douleur, c'est possible non ? Ça doit sûrement arriver !
J'ai crie, et ma tante est entrée.
Elle m'a conduite à l'hôpital, aux urgences.
Ni elle ni moi ne savions ce qui m'arrivait.
Et tout est devenu bizarre. A travers le brouillard, j'ai entendu des bribes de conversation.
Les mots enceinte, accouchement, déni de grossesse...Mais de qui et de quoi parlaient ils ?
Pas de moi, en.tout cas ! Je ne vois pas comment j'aurais pu tomber enceinte. Ils parlent de quelqu'un d'autre. Moi, j'ai juste des coliques ! Un calcul, ou un truc du genre.
J'ai tellement mal ! Voilà que je me retrouve avec une ideuse chemise d'hôpital, et on me demande de pousser.
Pourquoi est ce qu'on me demande ça ? Je comprends rien. Tout est flou, dans ma mémoire.
Je me souviens de l'odeur éthérée du bloc, de la femme penchée sur moi de ma tante près de moi,
J'entends vaguement leurs paroles, je me souviens de ma sueur qui innonde mon corps, mon visage, mes cheveux, de mes traits crispés et cette atroce souffrance, qui semble ne jamais s'apaiser. Je me souviens de l'expulsion comme une délivrance.
Je suis épuisée, physiquement et moralement.
Et puis, les pleurs d'un bébé.
Je ne comprends toujours pas ce qui se passe. On me met quelque chose sur la poitrine.
J'entends une voix de femme.
- C'est un beau petit garçon.
Le corps du bébé mouillé, ensanglanté, contre ma peau est comme une brûlure.
Qu'est ce qu'elles font ? Pourquoi mettent elles ça sur moi ?
L'horreur, le dégoût montent en moi, je hurle.
- ENLEVEZ LE ! ENLEVEZ MOI CA !
Elle retire aussitôt la chose. Je ne me suis pas rendu compte que je n'ai pas cessé de pleurer et à présent, je suis hystérique.
Je les entends me dire de me calmer, mais rien y fait. Je ne me contrôle plus. En depis de l'immense fatigue je tente de me lever, des mains me tiennent, je me débats.
Je sens une aiguille s'enfoncer dans mon bras, je me détends et plonge dans un sommeil sans rêve.
Je me réveille, l'esprit confus. J'essaie de rassembler les morceaux du puzzle. Je me souviens que j'avais mal, de l'hôpital, de cette douleur insupportable, de cette chose qu'on m'a mis sur la poitrine.
Non, je n'ai pas accouché ! Non, je n'étais pas enceinte, c'est un cauchemar. Tout ça n'est pas réel, je vais me réveiller, dans mon lit, dans ma chambre.
C'est le stress, c'est ça. Ça ne peut être que ça.
J'ai seize ans, je n'ai pas de petit copain, pas d'amis non plus, d'ailleurs. Comment j'aurais pu tomber enceinte ? Et puis, je l'aurais su, si j'attendais un enfant.
Mon ventre se serait arrondi, j'aurais des nausées. Là mon ventre était plat ! J'avais même mes règles. J'ai juste un peu grossi, à peine, mais étant donné la cuisine de ma tante, ça n'a rien d'étonnant !
Et puis, on ne tombe pas enceinte comme ça, il faut coucher avec un mec.
Je frissonne. Je refuse d'y penser.
J'ai refoulé tout au fond de ma mémoire, le souvenir de ses étreintes dégoutantes.
Son haleine fétide, mélange de tabac froid et d'alcool. L'odeur de sa sueur, de son after shave de mauvaise qualité, le poids de son corps dur moi.
Je ferme les yeux. Une nausée, monte en moi, j'ai juste le temps de vomir par terre.
Une infirmière entre, elle râle, à cause des vomissures.
Quelqu'un vient nettoyer, pendant qu'elle prend ma tension. Elle m'aide à faire ma toilette.
Je suis étrangement détachée, comme si ce n'était pas à moi que ça arrivait. D'ailleurs c'est le cas. Je suis toujours dans cet affreux cauchemar.
- Votre bébé va bien. Il est un peu petit, alors on l'a mis en couveuse. On pourra vous emmener le voir, si vous voulez.
- Je n'ai pas de bébé ! Qu'est ce que vous racontez ?
- Voyons, mademoiselle, ce petit à besoin de vous. Il a besoin de sa maman.
Je la fusille du regard.
Elle est bouchée ou quoi ?
- Je n'ai pas de bébé ! C'est pas à moi !
Devant mon agitation, elle n'insiste pas.
Je me roule en boule, dans mon lit et ferme les yeux.
J'ai perdu la notion du temps. Depuis combien de temps, suis je là ? Un jour, deux ? Je sais plus.
Je veux rentrer chez moi, oublier tout ça.
Oublier mon beau père, ne plus penser à la peur que je ressentais, en voyant les ombres s'allonger.
Tout me revient d'un coup, tout ce que j'ai tenté d'oublier, d'enfouir au plus profond de ma mémoire, tout ce qui m'amène ici, aujourd'hui.
Je me souviens de son regard lubrique, posé sur moi, de ses mains moites, sur mon bras, mes épaules, pétrissant ma poitrine naissante. J'avais treize ans, lorsqu'il m'a cassé le bras, parce que je tentais d'échapper à son emprise.
Je le revois, se glisser dans ma chambre, lorsque ma mère, ivre morte a sombré dans un sommeil proche du coma.
Je l'entends menacer de lui faire du mal, si je crie, ou si j'en parle à qui que ce soit.
Sa voix pâteuse, chargée de vinasse bon marché, me hante encore.
Tout a commencé après le départ de mon père.
Au début, il était gentil, et puis il est devenu violent, et lorsque je suis devenue adolescente, son regard sur moi à changé.
Je ferme les yeux, tandis que déferle sur moi, les souvenirs de ces années.
L'appartement sale, dans lequel s'entasse la vaisselle, l'odeur douçatre du tabac froid, dont les mégots débordent dans le cendrier, les bouteilles de vin, vides, et les cannettes de bierre traînent, un peu partout.
Ils boivent tous les deux ! Le RSA, passe en grande partie dans l'alcool.
Ils s'engueulent à longueur de temps, et il finit par la frapper. Avant, je m'interposais, et c'est moi qu'il frappait.
Alors j'ai arreté.
Je me réfugie dans ma chambre, et attends que ça se passe, en espérant qu'il sera trop fatigué, ou trop soul, pour entrer dans ma chambre.
Si je devais écrire la dessus, ça commencerait sûrement comme ça, moi, Manon, seize ans, victime de violence et d'abus sexuel par adulte ayant autorité.
Mais la vérité, c'est que j'ai trop honte, pour en parler ! Trop peur des conséquences. De ce que les gens vont penser.
Ils diront que c'est de ma faute, que je l'ai allumé, que je devais forcément être consentante.
Et ma mère ? Que pensera t'elle de moi ?
Je n'ai pas d'amis. Comment je pourrais en avoir ? Comment inviter quelqu'un chez moi ?
Au fond j'ai espèré que quelqu'un s'aperçoive de ma détresse, mais il n'est de pire aveugle, que celui qui ne veut pas voir.
J'ai regardé mon reflet dans mon miroir, et j'ai détesté, ce que j'y ai vu.
Il me dit que je suis belle.
Moi, je veux être laide !
J'ai coupé mes cheveux, pour ressembler à un garçon. Je suis grande pour mon âge, je me hais ! Je déteste ce corps qu'il désire et s'approprie. La honte me submerge.
La lame sur mes poignets, entaille ma peau et avec le sang qui goutte dans le lavabo, ma douleur s'estompe, emportée par celle plus sourde de ma chair meurtrie.
Je me prends à rêver de l'enfoncer plus profondément, d'enfin en finir. M'endormir, et ne plus jamais me réveiller, pourtant, quelque chose me retient. La peur ? La culpabilité ? Je l'ignore.
Je voudrais ressembler à ces filles dont les garçons se moquent. Trop grosses, trop laides. Je cache ce corps maudit sous des vêtements trop larges, trop moches.
Mais lui, il s'en fiche de ce que je porte.
Et puis ce soir là, c'est le soir de trop.
J'ai tenté de me barricader, j'ai poussé ma commode devant ma porte mais ça l'a pas arrêter.
Il me semble encore entendre mon coeur cogner dans ma poitrine ! Blottie contre le mur, assise sur mon lit recroquevillée, je tente de résister. Je ne me suis pas déshabillée. Ça le met en rage. Il me frappe.
Il est tellement plus fort que moi.
Alors, après ça, quand il est retourné vautrer sa puanteur dans le lit de ma mère, je reste prostrée, un long moment.
Il m'a cassé le nez. Mon visage est barbouillé de sang.
La douleur lancinante, brouille mes pensées, confuses.
La honte, la rage et l'impuissance se partagent mon esprit enfievré. J'imagine des scénarios improbables, je l'assomme ? Je le tue ? Ma mère découvre la vérité et le tue ?
Elle est censé me protéger non ?
Mais celui que je retiens, c'est la fuite. Je ne veux plus rester ici une minute de plus.
Je me force à me lever à m'habiller, et dans un sac à dos je fourre tout ce que je peux.
Puis, je quitte l'appartement, en silence.
J'ai fui mon calvaire et je me suis réfugiée chez ma tante. La soeur jumelle de ma mère est stérile, elle m'accueille à bras ouverts. Me conduit à l'hôpital et obtient ainsi la preuve irréfutable des violences que j'ai subi.
Moi je suis sur le lit de la chambre d'amis, lorsqu'ils viennent me chercher.
Le ton monte. J'entends ma tante parler de plainte, de prison, puis la porte se referme.
Elle entre dans ma chambre.
- Ils vont te laisser tranquille.
J'ai du mal à y croire, et pourtant c'est vrai. Ils me fichent la paix.
Je vis chez ma tante et mon oncle, et ma vie prend un nouveau tournant, mais le traumatisme demeure.
Je ne supporte pas qu'on me touche, qu'on m'approche. Ma tante veut que je consulte un psy, je refuse.
Les mois passent, je m'apaise.
Et c'est là que tout bascule. Je fais le calcul.
Ça fait sept mois ! C'est trop tôt. Une grossesse c'est neuf mois, non ? Donc, ça peut pas être ça ?
Je tente de me rassurer.
Je ne veux pas d'un bébé, encore moins de SON bébé.
Je ne veux même pas en parler ! Ni qu'on m'en parle. Je veux sortir d'ici de cette chambre d'hôpital qui me rappelle ce qui s'est passé. Je veux reprendre le cours de ma vie, oublier, non effacer ce qui vient de se passer.
Il ne s'est rien passer.
Rien du tout !
L'assistante sociale est passée avec ma tante. Elles veulent savoir ce que je compte faire du bébé. J'en ai rien à foutre, moi, de ce bébé !
Je vois bien, que ma tante est triste. Mais je vais pas m'apitoyer sur cet enfant que je n'ai pas désirer.
Et puis, c'est mieux pour lui, qu'ils lui trouve un foyer, des parents qui l'aimeront. Moi, j'en suis incapable. Je suis trop jeune, j'ai mes études. Je veux devenir psychologue, c'est long le cursus, alors avec un enfant à élever ? Et puis le problème ne se pose même pas. J'en veux pas point barre !
Les jours passent et je m'enferme dans la solitude. Je ne veux voir personne. Prostrée, je m'enfonce lentement dans la dépression.
Même lorsque je peux enfin rentrer chez ma tante, je ne quitte plus ma chambre.
Je mange peu, tout à un goût de cendre dans ma bouche. Je me sens vide. Mes pensées sont confuses. Je ne parviens pas à reprendre le dessus. Je reste dans mon lit, le moral en berne. Je ne veux plus penser à rien.
Je dors mal, mes nuits sont peuplées de cauchemars. J'entends pleurer ce bébé, j'essaie de lui expliquer que je ne peux pas m'occuper de lui qu'il sera plus heureux avec des parents qui l'aimeront. Mais il continue de pleurer.
Je me bouche les oreilles.
Je ne veux plus l'entendre.
Mais lorsque je me penche sur lui c'est le visage du gros porc, que je vois, dans un corps de bébé.
Je hurle et me réveille en sursaut, en sueur.
Peu à peu, cependant, je sors de ma léthargie, je recommence à manger.
Ma tante dit que ça fait trois semaines que je n'ai pas quitté ma chambre.
Je n'arrive pas à y croire.
Elle tente de me parler du bébé. Pour le moment il est à la pouponnière de l'hopital, j'ai deux mois pour décider si je veux être sa mère, ou le laisser à l'adoption.
- Qu'ils l'adoptent ! Moi, je n'en veux pas.
Ma tante ne comprend pas. Elle a tellement voulu un enfant..
Je reprends peu à peu goût à la vie, et à mes études.
Et puis, ce jour là, ma tante est rentrée. Elle était à l'hôpital.
Je sens bien qu'elle va encore me parler du bébé. Pourquoi elle me fiche pas la paix avec ça ? Dans quelle langue faut il lui parler pour qu'elle comprenne ?
- Le bébé va mal, me dit elle. Il a une petite malformation cardiaque, ils vont l'opérer en urgence.
Je ne devrais pas me sentir concernée. Ça devrait m'être égal. Au contraire, s'il mourrait, le problème serait réglé.
Au lieu de ça, je culpabilise. Je m'inquiète
- Quand doit avoir lieu l'opération ?
- Cet après midi.
- Je veux y aller.
Quoi ? C'est bien moi qui vient de dire ça ? J'arrive pas à y croire. Et pourtant.
Elle me regarde, surprise
Et l'attente commence. Interminable.
Une heure, deux heures.
Enfin, un medecin approche.
- Vous êtes là mère ?
- Oui !
Ça m'est venu spontanément aux lèvres.
- Oui, je suis sa mère, c'est mon bébé.
Je respire un grand coup.
Je ne suis pas encore très sûre de moi.
- Il est tiré d'affaire. On va le garder en observation.
Je ne veux plus le quitter.
Je regarde son petit visage, détendu. Je ne parviens pas à savoir ce que je ressens. De l'inquiétude, bien sûr, mais quelque chose de plus profond.
Timidement en tremblant, je touche le dos de sa main.
Elle est si minuscule, si chaude, si douce.
Je reste près de lui. Jusqu'à son réveil.
Le lendemain, après la visite du médecin, et le passage des infirmières, l'une d'elle me demande si je veux le tenir dans mes bras.
J'ai peur ! Une peur atroce.
Et si je le lâchais ? Si je m'y prenais mal ? Il est si petit, si fragile. Et ses tuyaux qui le relient à ses machines. Ça me donne des frissons.
Elle me le donne.
Et je plonge mon regard dans le sien.
Je serais bien incapable d'expliquer ce que je ressens, au cours de cet échange. Ce petit être, si fragile, si vulnérable, remue en moi des sentiments que je n'aurais jamais cru ressentir un jour. Une larme roule sur ma joue.
Je réalise alors, combien cet enfant est précieux, mon enfant !
En quelques secondes, j'ai créé le lien indéfectible, qui me relie à lui.
Bien sûr, on a du chemin à parcourir. J'ai tout à apprendre de lui. On ne devient pas mère, sur un claquement de doigts.
Il y aura du découragement, des errances, de la colère, et des erreurs, mais peu importe, je me sens rempli d'une force immense, d'une volonté et d'un courage, que je ne soupçonnais même pas.
Peu importe, son géniteur, peu importe ce qu'il est, Ethan est mon fils. Mon enfant, et je lui offrirais l'enfance que je n'ai pas eu.
Ensemble on avancera pas à pas.
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