Compagnon en Introversion
Je me lève à la première sonnerie de mon réveil et quitte ma chambre à pas de loup. Les cours ne commencent que dans une semaine. Personne n'est assez fou pour se lever à huit heure trente lors des derniers jours des vacances. Sauf moi bien évidemment. Tous les moyens sont bons pour croiser le moins de personnes possibles, surtout le matin, quand mon humeur est loin d'être à mon avantage.
Je vais prendre ma douche, me préparer, puis sortir me balader un peu dans la ville pour prendre mes repères et tuer le temps. Je sais qu'ils comptent tous sortir cet après-midi, donc je vais faire attention à rentrer quand eux ne seront pas là, et ainsi on se croisera uniquement au dîner. Je suis un génie.
J'entre dans la salle de bain après avoir bu un verre d'eau. Elle est grande, avec quatre toilettes, quatre douches et cinq lavabos.
Je me passe de l'eau sur le visage avant de mettre mes lunettes. Dans mon esprit, les enlever impactait ma personnalité presque. Je devenais plus courageuse, plus impulsive, plus attirée par le risque. En contre partie, quand je me cachais derrière les verres épais, c'est comme si tout mon être couvrait. Je me sentais instantanément moins confiante, plus rationnelle, plus prudente. Le tas de remarques que je m'étais prise en grandissant y était probablement pour quelque chose.
Une fois ma toilette faite, mes affaires rangées et ma routine matinale finie, je m'habillais et attrpais mon sac à dos dans lequel je fourrais mon porte feuille, un livre, une boutique d'eau et une barre chocolatée pour grignoter.
En sortant, je tombais sur Livaï qui semblait tout aussi prêt que moi à foutre le camp d'ici. En passant outre cette impression de le connaître qui ne cesse de me hanter, je lis dans son regard la même chose qui doit se refléter dans le mien : L'envie d'être seule et surtout celle de ne pas parler. Alors d'un commun accord muet, on s'ignore et je quitte l'appartement en premier. Pendant que je dévale les marches jusqu'au rez-de-chaussée, j'entends la porte claquer à nouveau et quand je tourne au coin de la rue où se trouve le campus, je l'aperçois du coin de l'œil sortir aussi.
Je m'en vais alors à ma petite expédition pour découvrir la ville dont tant de recoins demeurent inexplorés pour moi. Je commence par localiser les endroits essentiels comme le supermarché et la pharmacie les plus proches, puis j'active le mode touriste et me balade en m'en donnant à cœur joie.
C'est fou de se sentir autant à sa place si vite quelque part. Moi qui avait passé ma vie à galérer avec cette sensation étouffante d'être de trop partout où j'allais, je savourais chaque seconde de mon escapade dans Sinford.
Quand la nuit commence à tomber, je prends la direction de la résidence universitaire et insulte de tous les noms la personne qui a décidé de ne construire que des escaliers et de nous installer au deuxième étage, puis me rappelle qu'il y'en a qui habitent au cinquième niveau et me tait.
D'après ce que j'ai compris de la répartition de la résidence, tous les appartements sont nommés d'une lettre indiquant le batiment où elle se trouve et un chiffre signalant le nombre de l'aile avec un total de deux par étages. Je suis donc dans le dortoir E et dans l'aile 4, la seconde du second.
À peine ai-je franchi le seuil que Sasha me saute dessus, le regard fixé sur le sachet que je tiens dans ma main.
-"J'ai... euh... apportée quelques pâtisseries. J'ai trouvé une boulangerie sympa dans le coin et je me suis dit qu'on pourrait tous essayé ensemble."
Étape un pour qu'on me foute la paix : leur faire croire que je n'ai pas envie qu'on me foute la paix. Avec ses soudaines tentatives de sociabiliser, ils croiront qu'il ne faut pas me forcer et que je finis par sortir de mon cocon de temps en temps. Ce qui est faux, mais ça, ils n'ont pas besoin de le savoir.
-"Sayora, où étais-tu toutes ces années ? Pourquoi ne t'ai-je pas proposé de déménager avec nous plus tôt ?!"s'exclame Sasha en me secouant comme un palmier.
Je confie le sachet à Armin pour que les pauvres mets ne souffrent pas du séisme ambulant qu'est la brune et cinq minutes plus tard, nous sommes tous installés dans le salon à déguster en discutant. J'ai prétexté devoir passer un appel important pour m'éclipser quelques minutes et ainsi, à mon retour, tout le monde était installé et il ne restait plus qu'une place en retrait. C'est fou ce que je peux être intelligente quand il s'agit de trouver ce genre de plans sournois.
Je me retrouve donc près de Livaï et avec à ma droite un tabouret sur lequel Jean a pris place. Mon compagnon en introversion reste dans son coin, ses iris ne quittant pas une seule seconde l'écran de son téléphone. Il n'essaie même pas de faire semblant que la grande conversation dans laquelle tout le monde participe l'intéresse.
-"Tu ne veux pas en goûter toi aussi ? C'est vraiment délicieux."
Je ne sais même pas pourquoi je le lui ai proposé. Sasha se serait fait un plaisir d'engloutir sa patisserie. Quand il relève les yeux vers moi, je suis entrain de m'administrer un serment intérieurement.
Je m'attends à un vent, un regard noir, un non sec. Je suis limite déjà entrain de préparer une réplique cinglante à lui lancer pour garder un peu de dignité.
-"J'ai pas faim là, mais je vais la garder pour plus tard."
Et pour quelques secondes, le reste de la pièce s'évapore.
Je ne permets même pas à mon esprit de recréer cette scène de mon passé, mais ses mots sont si familiers que quelques bribes de ce décor ancien s'immiscent à mon insu dans mon cerveau.
Il revient à son téléphone, et moi je reviens à mon rôle de jeune fille amicale, avec cette fois un voile de nostalgie devant les yeux.
~Caporal Neko
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