Segment 6 : Hospitalisation


De son fauteuil, Francine écoute tout cela se développer, placide. Elle n'est pas déçue. Elle s'y attendait. Elle n'est pas surprise non plus. C'est cela qui la déçoit le plus d'ailleurs : l'absence d'inattendu. Les mêmes tensions qui se réchauffent et se développent, des postures arborées comme des pantoufles, les mêmes mots déclinés en variant le ton d'un jour sur l'autre. Elle aurait souhaité quelque chose de neuf, quelque chose qui diffère, une décision éventuelle, un geste imprévu, une quelconque réaction, mais qui prête à conséquence. Quelqu'un qui s'en aille en claquant la porte pour ne plus jamais revenir, par exemple. Ou même, pourquoi pas, quelqu'un qui sorte un fusil, un couteau ou un bidon d'essence. Rien. Décidément, elle préférait ses romans à sa famille.

La nouvelle du cancer et l'hospitalisation qui a suivi ont pris tout le monde à froid. Le château est en Sologne, sur la commune de La Motte Beuvron. Cinquante kilomètres au sud d'Orléans, par la nationale, pour éviter le péage, alors que les réservoirs de la Mercédès, de la Clio, de la Scénic et de la Picasso sont à sec depuis que le chauffeur, qui s'occupait gracieusement de les remplir, a profité de l'indisponibilité de Francine pour prendre ses congés.

Cette question de l'essence est rapidement devenue cruciale. Qui voulait aller rendre visite à la malade, que ce soit pour prendre de ses nouvelles, lui apporter du réconfort ou bien solliciter une aide exceptionnelle, devait faire le plein, ce qui restreignait les ardeurs. Rapidement le plein a diminué de moitié, puis de moitié encore, et ceux qui entreprenaient le déplacement ramenaient tout juste de quoi faire un aller simple jusqu'à la pompe à essence la plus proche, à quinze kilomètres de là. Jusqu'à l'incident inévitable. Un après-midi que l'état de Francine empirait, avec l'aplasie consécutive à une chimio, la panne d'essence. Cinq kilomètres à faire, à pied, sur le bord de la route, pour aller chercher un bidon, puis cinq kilomètres à nouveau pour le ramener à la voiture. Sous la pluie et dans le froid. L'enfer.

La mésaventure est survenue à Martine, qui ne s'en est pas remise. Evidemment, en plus, elle est tombée malade. Une grippe sans doute, ou un début de pneumonie. Mais le médecin de famille refusait de se déplacer pour si peu. Pour se rendre à son cabinet, encore et toujours de l'essence, sans compter la pharmacie, tout aussi lointaine. Elle a donc préféré garder la chambre à son tour, comme Francine, si ce n'est que personne ne s'est déplacé pour prendre de ses nouvelles et qu'elle n'avait pas de femme de chambre pour dire à la cantonade : « elle se repose... pas maintenant... elle n'a pas du tout la tête à ça ». Et c'est Stessie, sa nièce qui, du haut de ses huit ans, a mis trois jours pour se rendre compte que sa tante gardait la chambre, et encore, grâce à Patapouf Junior N°3 qui, par inadvertance, l'a conduite au pied du lit.

Il y avait urgence. Il fallait mettre Francine Dupontet sous tutelle, au moins le temps qu'elle se rétablisse. Restait à déterminer qui se chargerait de cette lourde tâche. Jean-Marie ou Anne-Laure ? Anne-Laure ou Jean-Marie ? Jean-Marie et Anne-Laure, la signature de l'un étant suffisante ou la signature des deux étant requise ? Mais Edouard et Martine ne l'entendaient pas de cette oreille, ni Monsieur Dupontet père, qui prétendait se prévaloir d'un statut de patriarche, aussi incontestable que ses inaptitudes notoires. En attendant de trancher cette question délicate, d'une seule voix ils se sont adressés au docteur Martineau, seul capable de déclarer Francine temporairement inapte à la gestion de ses affaires, avec mise sous tutelle à la clé.

Le brave docteur Martineau était au fait de la question : il fallait consulter le notaire, au cas où la malade aurait prévu par anticipation des dispositions ante-mortem et pré-testamentaires. Ces dispositions étaient prévues, effectivement, non seulement en ce qui concerne la Fondation Dupontet, qui possède désormais le domaine, mais également en ce qui concerne la gestion des actifs et la direction de la maison d'édition, notamment en cas d'inaptitude temporelle du testateur.

Cette inaptitude ayant été constatée en bonne et due forme, le notaire a activé ladite clause. Et toute la famille éberluée a vu débarquer Jean Michemain, directeur délégué des Editions du Frisson, Président par intérim de la Fondation Dupontet, et gestionnaire exclusif des actifs de Francine.

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