Segment 26 : Lundi 1er août
Aujourd'hui, sur le coup de 9h, après cette nuit agitée, j'aurais presque sauté au cou du commandant Appleton lorsqu'il m'a fait entrer dans son bureau. "Sorry" qu'il articule. J'ai pas le temps de dire "Mais..." qu'il se fend d'une demi phrase : "You spoke spanish : they thought you were illegal". Du coup, tout désolé qu'il est, il se voit contraint de m'ouvrir un casier judiciaire. Bon prince, il accepte de me libérer sans caution, avec interdiction de quitter le Comté néanmoins, en attendant de passer devant le juge. Pure formalité, qu'il m'assure.
Néanmoins, ils ont perquisitionné ma chambre, dans le motel, et ils ont saisi mon ordinateur.
Pas le temps d'ouvrir le bec et de faire remarquer que, pour un Auteur, piquer son ordi, c'est pire que lui couper les couilles, qu'il me refile à Hector.
Sans me laisser le temps de souffler, celui-ci me déclare :
– T'es attendu comme le Messie par Dylan ; direction Carmen Castle.
Le portail est ouvert. Les gardes, l'œil mauvais, nous laissent passer. Le majordome a disparu. Sur le perron, Chubby nous attend, assis. Il nous précède à travers la salle à manger luxueuse et le salon somptueux, jusqu'au boudoir cosy. Il se frotte affectueusement contre les jambes de Dylan, debout, les bras croisés, qui se baisse pour le caresser, avant de le laisser sortir faire sa promenade matinale dans le jardin.
Stacy de Valera, effondrée sur un divan, nous regarde hébétée, les traits sillonnés par un maquillage qui se défait. Pour agrémenter le décor, l'urne avec les cendres de Stessie trône sur la table basse, non loin d'une boîte de calissons et de quelques bouteilles vides.
Comment s'est passée la nuit ? Mystère.
Dylan, impassible, installe son KAAD et met Stacy de Valera face au buste de Francine Dupontet, mine rayonnante, sur l'écran lumineux de la tablette, qui s'écrie d'un air dégoûté : "62 ans passés, mon Dieu, quelle horreur ! ".
L'autre, saisie d'un soubresaut, bondit, des éclairs dans les yeux : "Avec tes 50 balais, t'es déjà bien entamée... plus rien sous ton bustier, sans parler du reste... 12 ans que tu n'as plus mis un seul garçon dans ton lit, hein, l'avatar qui se pomponne ! ".
Incontestable, évidemment, mais Francine ne se laisse pas démonter aussi facilement : "Ça m'évite au moins d'y retrouver mon petit-fils, et de virer grand-mère incestueuse ; hein, salope !"
Stacy, les dents serrées lui demande : "Ça serait pas toi la grand-mère indigne qui me l'a envoyé ? ". Dans le mille, indéniablement. Mais Francine lui rétorque : "Le drame avec toi, c'est que c'était la seule solution pour que tu lui ouvres les bras...".
Deux sœurs qui se fritent, ça fait mal ; deux jumelles, ça se corse ; là, ça craint !
Francine, bien décidée à conserver son avantage, attaque à nouveau :
– Finalement, c'est à la vraie Stacy, ce caniche pleurnichard, que tu me fais penser aujourd'hui.
– Celle que t'as...
– Pourquoi moi ? C'est toi qui l'as...
– Ah non, c'était avant !
– Sauf qu'un avatar n'est pas juridiquement responsable, alors que toi...
– Tu peux toujours essayer de me dénoncer : même ton témoignage n'a pas la moindre valeur légale !
Un avatar qui avoue un meurtre, effectivement, c'est complexe. Côté meurtrier, ça laisse un vide. Mais si l'original est toujours vivant, ça laisse un assassin à confondre. A moins qu'il ne faille distinguer les périodes. Si l'assassinat a eu lieu du vivant de l'avatar, c'est lui qui endosse ; s'il a été exécuté après, c'est le survivant qui trinque. Une sacrée schizophrénie juridique !
Une plainte d'avatar, de toutes façons, c'est compliqué, parce que, pour qu'il puisse se porter partie civile, il faudrait que l'avatar en question soit doté par la loi d'une personnalité juridique... Si, en outre, il compte porter plainte contre lui-même, le terrain devient sérieusement glissant... Même comme témoin, ça fait problème : une dénonciation d'avatar, ça donne un témoignage difficilement recevable. Même un simple indice, glissé aux enquêteurs, pourrait avoir de funestes conséquences : l'avocat de la défense aurait beau jeu de dénoncer le procédé comme fallacieux...
Je ne sais pas pourquoi je suis intervenu à ce moment-là pour dire qu'avec son ADN comparé à celui de Dylan, avatar ou pas avatar, Stacy est bonne au minimum pour le pénitencier.
Mais elle se tourne vers moi, un rictus de mépris à la bouche : "Le Loustic, je présume, le plus parfait crétin que je connaisse, l'Auteur qui n'est pas fichu de raconter tranquillement sa petite histoire et qui perd le contrôle de ses propres personnages ! Pauvre type, soit je te réduis en bouillie, soit ils te transforment en pâté pour Chubby... ".
Quoi ? Comment ? J'ai pas le temps d'y réfléchir qu'elle réattaque immédiatement sa benjamine :
– Parce que toi, le KAAD qui a rendu fou ton fils, ta fille, ta sœur et ton frère et qui, en passant, a suicidé à la fois ta mère et ta petite fille, tu voudrais jouer les puritaines effarouchées ?
Pour le coup, c'est Francine qui fait la déstabilisée et qui reprend sur un autre ton :
– J'ai fait ce que j'ai pu pour te permettre de recommencer une nouvelle vie...
– Et le remord, tu y avais songé, au remord ?
– Dylan, ton remords, il n'en a guère vu la couleur !
– Ça se voit que c'est pas toi qui es à ma place !
– Heureusement quand même que je suis encore là pour m'occuper de mon petit-fils...
– Ton petit fils, le mien tu veux dire !
– Ah bon ! Il n'est même pas ton héritier, et tu prétends être sa grand-mère ?
Ce nouvel argument claque comme un coup de fouet. Stacy garde un silence gêné, qu'elle interrompt par une décision :
– De toutes façons, c'était mon intention.
– Ton intention, demande Dylan ?
– De faire de toi mon héritier.
Mais Francine observe, légaliste :
– Encore faudrait-il qu'il soit légalement ton petit-fils et que tu déshérites formellement tes propres enfants !
– Légataire universel, ça pourrait marcher, suggère Hector.
Stacy saisit la perche au vol et appelle son notaire. Il sera là en début d'après-midi, le temps de préparer le testament.
Ensuite ?
Ben c'est le problème : je peux rien vous dire, parce qu'ensuite, après le déjeuner, c'est le grand trou noir.
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