Chapitre trois

Accoudée sur le bastingage d'un bateau, une jeune fille observait la côte se rapprocher lentement. Le vent marin faisait danser ses longs cheveux noirs attachés en une queue de cheval, et son regard azur se perdait dans le large.

Elle était vêtue d'un sweat rouge foncé et d'une jupe patineuse bleue marine, et portait à ses pieds des baskets blanches ainsi que des chaussettes de la même couleur qui lui arrivaient mi-mollet. Une petite cicatrice brune, de forme assez ronde, ornait sa pommette, juste en dessous de son œil droit. Un sourire se dessinait sur ses lèvres fines; visiblement, le voyage lui plaisait. Elle rejeta soudainement la tête en arrière, les yeux fermés, inspirant l'air marin à pleins poumons.

"-Fais gaffe, si tu t'éloignes pas du bord, tu risques de tomber."

La voix, légèrement tremblotante, avait retenti derrière elle, et lui fit l'effet d'un électrochoc. Elle ouvrit grand les yeux. Un sourire ravi s'épanouit sur ses lèvres, et elle se redressa immédiatement avant de courir vers le garçon qui venait de lui adresser la parole.

"-Victor! s'exclama-t-elle. Je croyais que tu étais dans ta cabine!

-Ouais, et maintenant je regrette vachement d'être sorti, rétorqua le dénommé Victor, qui s'accrochait à une rampe comme si sa vie en dépendait."

À ces mots, la jeune fille se mit à pouffer de rire sous le regard noir du jeune homme, dont le teint était beaucoup trop pâle pour être naturel.

"-C'est bon, t'as fini?

-Désolée, désolée, répondit la brune en essuyant une larme au coin de son œil, c'est juste que tu es tellement drôle quand t'as le mal de mer!

-C'est ça, fous toi de ma gueule tant que tu y es, maugréa l'autre, de très mauvaise humeur. On est bientôt arrivés, au moins?

-Ça dépend de ce que tu appelles bientôt. Si pour toi, deux heures c'est bientôt, alors oui."

Victor jura dans sa barbe inexistante, et la jeune fille se remit à rire. D'habitude, le garçon était froid, autoritaire, presque hautain, donc elle appréciait beaucoup de le voir paniquer à cause d'une simple étendue d'eau. Enfin, paniquer était un bien grand mot. Excepté ses mains qui tremblaient imperceptiblement et son teint cireux, personne n'aurait pu deviner son trouble. Mais pour elle qui le connaissait depuis longtemps, il était facile de remarquer à quel point il se sentait mal.

Son regard passa sur sa pomme d'Adam proéminente, son menton pointu et son visage fin, glissant sur ses lèvres perpétuellement pincées, son nez légèrement en trompette, ses yeux verts surplombés de deux sourcils constamment froncés pour finir par se perdre dans la tignasse ébouriffée de ses courts cheveux bruns.

"-Eh oh, tu m'écoutes quand je te parle?! Éponine!"

Elle sursauta brusquement, avant de rougir, légèrement embarrassée.

"-Non, avoua-t-elle avec toute la franchise qui la caractérisait, tu disais?"

Victor soupira bruyamment, avant de répéter sa question:

"-Où est ta sœur? Je suis passé voir dans sa cabine tout à l'heure mais elle n'y était pas.

-Azelma? Pourquoi tu la cherches?

-Pour faire cuire des pâtes, répliqua-t-il en levant les yeux au ciel, à ton avis?

-Okay, j'ai compris, je suis pas invitée à vos réunions de petits génies. Et moi qui pensais que tu étais sorti de ta cabine pour venir me voir...

-Si tu essaies de me faire culpabiliser, c'est inutile. Où est-elle?

-Au moins, j'aurais essayé, soupira Éponine. Elle est dans la salle des machines."

Le brun leva un sourcil interrogateur.

"-On a le droit d'y accéder?

-Depuis quand l'un comme l'autre vous vous souciez de ce qui est autorisé ou non? fit-elle remarquer en souriant.

-C'est vrai, lui concéda-t-il, un rictus naissant à son tour sur ses lèvres. J'y vais, vas pas essayer de rejoindre Yokohama à la nage en mon absence.

-Je peux venir?"

Azelma et Victor était tout les deux des phénomènes lorsqu'ils parlaient de stratégie, et elle ne se lassait pas de les observer quand elle voyait cette petite étincelle de défi briller dans leurs yeux.

"-Désolé, rétorqua le garçon en souriant d'un air moqueur, mais c'est réservé aux "petits génies"."

Et il lui tourna le dos.

"-Méchant, cria-t-elle tandis qu'il s'éloignait, avant de lui tirer la langue."

Il ne pouvait pas la voir, mais ça restait tout de même sacrément jouissif. Éponine retourna s'accouder au bastingage, les yeux rivés sur le large. Bientôt, ils seraient arrivés. Et bientôt, le but, le souhait le plus cher de Victor s'accomplirait. Et le sien par la même occasion. Et sans qu'elle s'en rende compte, tandis que la Léopoldine continuait sa course inexorable vers la ville de Yokohama, une plume tombée du ciel vînt se déposer sur ses cheveux.

<•>

La légère brise apportée par la mer soufflait doucement, remuant mollement les fleurs ainsi que les feuilles des arbres qui ornaient le petit cimetière dans un mouvement régulier. Tout en profitant de l'atmosphère calme et paisible du lieu, Atsushi se fit la réflexion qu'il ne s'était jusqu'alors jamais rendu dans cet endroit. Son œil fut attiré par un grand arbre à sa gauche surplombant une tombe, sur laquelle une personne était adossée. Il s'avança jusqu'à cette dernière, mais ne dit rien, attendant qu'elle prenne la parole en première.

"-Nakajima Atsushi?

-Oui?

-Sais-tu à qui appartient cette tombe?

-Non, répondit-il honnêtement."

Il baissa les yeux vers la pierre tombale, cherchant machinalement le nom de son propriétaire. Oda S.

"-Mais ce devait être quelqu'un d'important à vos yeux.

-Et pourquoi ça?

-Je ne vous ai jamais vu vous recueillir sur une tombe."

Dazai, qui, depuis le début de la conversation, parlait d'une voix bien plus sérieuse que d'ordinaire, pencha la tête en arrière, les traits de son visage détendus dans une expression insouciante, et reprit de son habituel ton enfantin:

"-C'est l'impression que je donne?

-Eh bien, oui..."

Le brun écarquilla, puis cligna des yeux à plusieurs reprises, comme s'il était en train de redémarrer. Puis il se mit à sourire presque gentiment.

"-Ah, est-ce que quelqu'un avait capturé votre cœur? supposa le jeune homme aux cheveux argentés."

Pour que Dazai ait une expression pareille, il fallait que ce soit quelqu'un de vraiment important pour lui, c'était donc la première idée qui lui était venue en tête. Néanmoins, le suicidaire le contredit tout en se levant:

"-Si c'était ma bien-aimée, j'aurais péri avec elle.

-C'est vrai, vous connaissant... admit le tigre-garou.

-Pardon?

-Non, rien."

Le brun s'avança de quelques pas, jusqu'à dépasser le jeune homme.

"-C'était mon ami. Il m'a permis de devenir détective et de quitter la mafia portuaire. S'il n'avait pas été là, je serais encore là-bas..."

Il marqua une légère pause, avant de reprendre.

"-...à tuer de gens, probablement.

-Huh...?"

Comment ça, à tuer des gens? Pourquoi Dazai ferait-il une chose pareille?

"-Je plaisante."

Eh bien, il méritait la palme de la blague la plus drôle, avec un humour pareil.

"-Je parie que Kunikida-kun t'a dit de venir me chercher, non? demanda Dazai d'une voix traînante et nasillarde.

-Oui, on a une réunion importante.

-Ce sera sans moi! rétorqua le suicidaire dans toute sa joyeuseté insouciante si dazaiesque.

-Huuuh?!

-J'ai envie d'essayer une nouvelle méthode de suicide, expliqua le brun en s'éloignant.

-Encore? Décidément... Kunikida-san va me hurler dessus."

Atsushi soupira en regardant son mentor s'éloigner. Il savait qu'il aurait dû insister un peu, ne serait-ce que pour la forme, mais il ne se sentait pas le courage de le faire. À la place, il préféra se dépêcher vers l'Agence, où la réunion risquait de débuter d'une minute à l'autre. Kunikida allait définitivement le tuer.

<•>

En réalité, Dazai n'avait aucune intention de se suicider ce jour-là. Non, ce qu'il planifiait était de tout autre envergure, même si le détail variait en fonction du point de vue. Du sien, il allait venir en aide à une personne. De celui de n'importe quelle autre personne normalement constituée, il allait risquer sa vie et celle de chaque détenteur de pouvoir de la ville, et si son plan tournait mal, Yokohama ou même le Japon tout entier pouvaient être rayés de la carte. Cette perspective semblait le rendre particulièrement joyeux.

Il vagabonda en sifflotant d'un air léger, jusqu'à ce que ses pas le mènent devant l'enseigne grésillante d'un minuscule bar, encastré dans une ruelle sombre malgré l'ensoleillement. Il poussa la porte, descendit quelques marches, et eût l'impression d'avoir été projeté quatre ans auparavant. L'endroit n'avait vraiment pas changé, de l'ambiance jazz au chat couché sur un siège. Il ne dormait visiblement que d'un œil, car il libéra la place pour permettre à Dazai de s'assoir.

"-Désolé, boss, murmura-t-il en s'installant."

Le patron le servit silencieusement avant de disparaître, le laissant seul. Il leva son verre.

"-On trinque à quoi? demanda-t-il dans le vide.

-On attend pas Ango?"

Odasaku s'était tourné vers lui.

"-Parlons un peu pour patienter, alors. On m'a raconté un truc intéressant. Tu connais la "pomme du suicide"?

-La pomme du suicide? répéta l'homme, en l'observant d'un air interrogateur.

-Oui, tu as bien entendu."

Odasaku retourna à son verre, aussi blasé qu'à son habitude.

"-Ah, Cendrillon..."

Il y eu un blanc, durant lequel Dazai se mit à jouer avec un mèche de ses cheveux bruns.

"-Cendrillon... Même moi, je n'ai pas vu cette réponse venir, admit-il. Je ne me lasserai jamais de discuter avec toi. À vrai dire, c'est Blanche-Neige qui a mangé une pomme empoisonnée, et elle ne s'est pas suicidée.

-Ah bon? Je me suis planté, alors."

Odasaku prit à nouveau une gorgée, tandis que le jeune mafieux s'immobilisait, l'air soudainement inspiré.

-Une minute... Elle voulait peut-être mettre fin à ses jours, en fait. Elle a peut-être croqué dans la pomme en connaissance de cause...

-Pourquoi? demanda Odasaku de son habituel ton détaché.

-Par désespoir. Recevoir du poison de sa mère a dû l'anéantir. Ou alors... un désespoir mystérieux en rapport avec le monde lui-même. Ce serait bien plus intéressant."

Dazai esquissa un sourire, avant de poursuivre.

"-J'ai rencontré un détenteur de pouvoir fascinant. Il pousse les gens au suicide avec une pomme. Ça se répandra peut-être jusqu'à Yokohama.

-Les suicides?

-Oui. C'est merveilleux, après tout."

Odasaku posa son verre avant de se tourner complètement vers Dazai.

"-Ça me fascine de t'écouter réfléchir  à voix haute.

-Pas autant que toi."

Odasaku se retourna vers les escaliers.

"-Ango en met, du temps, commenta-t-il".

"-Ango ne viendra pas."

La voix de Dazai avait claqué dans la pièce déserte.

"-Odasaku... Tu étais dans le vrai. Aider mon prochain est bien plus merveilleux. Du moment qu'on est en vie..."

En disant cela, il se mit à jouer avec une pilule blanche et rouge, avant de finalement la faire glisser sur sa langue. Il se releva en raclant sa chaise sur le sol.

"-Je m'en vais à présent, Odasaku."

Il sortit alors de la pièce, ne laissant comme trace de sa présence qu'une pomme rouge transpercée d'un petit couteau joliment ouvragé. Une pomme du suicide.

<•>

"-Tu sais ce que le Boss m'a dit tout à l'heure? Qu'il souhaitait que Dazai revienne dans la Mafia! s'exclama rageusement un Chuuya assez remonté."

À ses côtés, Takaoka, un de ses hommes, laissa échapper un soupir discret. Il ne se passait pas une journée sans que son supérieur se plaigne à propos de son ancien partenaire. Il n'osait imaginer comment était le temps où ils faisaient tous deux partie de la pègre.

"-Peut-être voulait-il parler de ce qu'il s'était passé avec la Guilde... se risqua le jeune mafieux."

Malheureusement pour lui, cela ne fit qu'aggraver l'énervement du capitaine.

"-Parlons-en, du combat contre la Guilde! éructa-t-il. Tu sais que ce crevard m'a laissé en plein milieu de cette foutue clairière une fois la bataille terminée?!"

Le jeune homme haussa les épaules en signe de capitulation, et suivit sans un mot son supérieur qui ne cessait de se plaindre à propos de Dazai et d'à quel point il était insupportable, même si vu de l'extérieur on aurait pu croire qu'il était en train de cracher sur son ex plutôt que de relater les habituels coups tordus de son ancien partenaire. Ils traversèrent une série de couloirs qui résonnaient sous les pas rageurs du rouquin.

"-Au fait, tu ne m'avais pas parlé d'un bar qui avait ouvert récemment près du..."

La phrase de Chuuya fut coupée net quand celui-ci pila devant une fenêtre. À l'extérieur, une espèce couche de brume avait envahi toute la ville, lui conférant une atmosphère surnaturelle.

"-Qu'est-ce que c'est que cette merde encore... marmonna le mafieux pour lui-même avant de se retourner vers Takaoka. Hey, t'as..."

Une fois encore, sa question resta en suspens. Le jeune homme avait disparu.

<•>

Akutagawa était sans conteste l'un des mafieux les plus sanguinaire que la pègre ai compté dans ses rangs. Il était craint et respecté de tous, et tout le monde reconnaissait sa force. Mais quand il dormait, n'importe qui passant par là l'aurait prit pour un petit garçon tout innocent. Ce qui était tout de même sacrément ironique quand on voyait la quantité de sang qu'il avait versé. De plus, on pourrait croire que ses souvenirs hantés par les horreurs qu'il avait commises l'auraient empêché de dormir mais là encore ça aurait été se tromper. Son sommeil était si lourd qu'une fanfare passant à une dizaine de mètres de lui n'aurait absolument aucun effet.

Ce fut donc pour lui une expérience nouvelle et assez désagréable que de se réveiller en pleine nuit. Encore groggy, il se demanda où était passée Higuchi. D'habitude, elle l'appelait pour le réveiller et comme c'était rarement suffisant, elle venait devant chez lui et sonnait pendant parfois plus d'une demi-heure en attendant qu'il daigne se lever. Son absence était donc particulièrement étonnante, étant donné que dès lors que ça touchait de près ou de loin son "senpai", elle ne connaissait pas la définition du mot mesure.

Puis Akutagawa tourna la tête et put remarquer qu'il était normal qu'elle ne soit pas là, vu qu'il faisait nuit. La question était désormais: pourquoi s'était-il réveillé en pleine nuit? Il se leva avec difficultés et entreprit de se diriger vers sa cuisine histoire de boire un verre d'eau, mais se cogna le pied contre un meuble sur le chemin. Sur le petit orteil. L'endroit où ça faisait bien mal. Heureusement pour lui qu'il n'y avait pas de voisins pour admirer son gracieux sautillement à cloche-pied.

Akutagawa but son verre d'eau, en fronçant ses sourcils inexistants tout en essayant de se rappeler pourquoi il s'était réveillé. Il avait l'impression que quelque chose d'important lui échappait. Des souvenirs de son rêve lui revinrent peu à peu. Il avait rêvé... d'une sorte de brume. Pris d'une idée soudaine, il lâcha son pauvre verre qui de fracassa au sol et se précipita vers sa fenêtre pour observer la rue. Et merde.

<•>

Si on lui avait dit au début de la journée qu'il allait devoir affronter son propre pouvoir, se rendre dans un bâtiment du gouvernement puis attendre dans un hélicoptère d'être lâché au-dessus d'un dragon contenant l'éternel trouduc, Chuuya l'aurait très difficilement cru. Et il se serait sérieusement interrogé sur la quantité de drogue/alcool/champignons consommée par son interlocuteur. Et pourtant...

Et pourtant le voilà qui poireautait dans un hélicoptère où personne n'avait jugé bon d'ajouter deux ou trois sources de lumière, à écouter malgré lui la voix paniquée d'Ango crier des ordres dans son oreillette. Sa situation actuelle l'avait tellement blasé qu'il ne se serait même pas étonné de voir Akutagawa débarquer de nulle part dans une robe rose. De nouveau la voix horrifiée d'Ango lui vrilla les oreilles.

"-Où se trouve A5158?"

Toujours agréable de se faire appeler par un numéro. C'est pas comme s'il était en train de se préparer pour aller affronter un dragon de beaucoup trop de mètres de long et sauver la ville, non, pas besoin d'être un minimum poli.

"-T'affole pas, le lampiste!"

Alors qu'il parlait, la trappe s'ouvrit devant lui, laissant enfin entrer un peu de lumière. Il put admirer sa ville vue de haut, et recouverte d'un épais brouillard tout sauf naturel.

"-Chuuya... Dazai a sans doute déjà été éliminé. Tu sais ce que ça signifie?"

Comme s'il était aussi facile à tuer. Il répondit néanmoins.

"-Ça me dérange pas.

-Tu es sûr de toi? Tu n'as pas encore pris ma vie en échange de tes services.

-Prends pas la grosse tête non plus. T'étais qu'un agent infiltré sans aucune autorité, il y a six ans. Tu étais contre l'emploi de Shibusawa, mais on t'a pas écouté. C'est une de ses plaisanteries. Ce débile de Dazai est sans doute à l'intérieur de cette chose. Je dois lui coller une droite pour me soulager. Je raccroche."

Sans même attendre de réponse, il ôta son oreillette et la laissa s'échapper en même temps que ses gants. Ils tourbillonnèrent un instant près de lui avant de se faire emporter.

"-Nous serons bientôt au-dessus de la cible."

La personne qui venait de parler était une jeune femme, aux cheveux bleus attachés en un chignon.

"-T'es la gamine de cette fois-là?

-Je m'appelle Tsujimura. Vous y allez vraiment?

-Ouais.

-C'est de la folie! Vous restez un être humain. Ce monstre dépasse l'entendement... Si vous foncez tête baissée... vous y resterez!"

Le rouquin sourit de manière imperceptible. Dans son cas, "être humain" était plutôt relatif.

"-Je vais pas non plus me faire dessus et m'enfuir. Tu sais à quel moment je pourrais me le permettre?

-Non...

-À aucun moment, tout simplement."

Sans attendre de réponse de sa part, il s'élança hors de l'hélicoptère, et, le vent fouettant son visage entraînant son manteau derrière lui, il entonna sa litanie.

"-Ô tolérance de corruption noire, permets moi de fermer les yeux à tout jamais."

<•>

Un petit attroupement de personnes attendait sur le port, à côté d'un bateau. Parmi eux se trouvait une jeune fille aux longs cheveux noirs, assise par terre, ses jambes pendantes et ses pieds frôlant l'eau. À côté d'elle, un jeune homme blond d'une trentaine d'année, un tatouage motif tribal sur l'épaule et les mains dans les poches, donnait des petits coups de pieds rageurs sur le sol.

"-Bon, ça y est, on est de retour, on peut savoir ce qu'il attend ce con?!"

À ces mots, Éponine redressa la tête et adressa un regard noir à celui qui venait de parler.

"-Tu ferais mieux de fermer ta grande gueule, Lucca, cracha-t-elle, ou tu risques de perdre l'unique neurone qu'il te reste.

-Oh, j'ai touché une corde sensible on dirait."

La jeune fille fit mine de se lever.

"-Il veut se battre, le gnome?

-Calmez-vous, intervint une jeune femme d'environ vingt-cinq ans aux cheveux verts et aux yeux tombants. J'ai pas envie d'avoir à enterrer deux cadavres aussi tôt le matin."

Le blond leva les deux mains en signe de capitulation avant de s'avachir par terre. Éponine tourna la tête d'un mouvement dédaigneux, et se remit à contempler la surface de l'eau qui ondulait dans un doux clapotis, lui renvoyant l'image troublée de son propre reflet. Le soleil levant inondait le port, réchauffant l'air glacial qui les entourait, et plus le temps passait, plus elle s'inquiétait. Le pouvoir de l'homme aux cheveux blancs était dangereux, d'autant plus pour une capacité comme la sienne.

La jeune fille resserra son poing jusqu'à faire blanchir ses phalanges. Elle détestait ça, ce sentiment d'être inutile. Les gens comme elle, ceux qui n'étaient pas des détenteurs de pouvoirs, disparaissaient au moindre contact avec le "Soupir du Dragon", ce qui faisait qu'elle n'avait pu lui être d'aucune aide, à lui qui était le seul de l'organisation à disposer d'une capacité. Il pouvait très bien être déjà mort, ou en train d'agoniser dans le caniveau, et elle ne pouvait rien y faire. Ça la rendait malade. Elle sursauta quand une main se posa sur son épaule, et jeta un regard noir à Lucrèce.

"-Me regarde pas comme ça, soupira la jeune femme, avant de lui désigner l'entrée du port où une silhouette se détachait dans l'ombre. C'est bon, il est là."

Éponine la remercia d'un signe de tête, avant de bondir sur ses pieds pour foncer à la rencontre du garçon.

"-Oh mon Dieu, tu vas bien?!"

Éponine s'affairait autour du garçon, un peu à la manière d'une mère éplorée venant de retrouver son enfant en train de jouer dans un endroit dangereux.

"-Tout s'est bien passé? Tu n'es pas blessé? Est-ce que...?

-Oui, oui, non et oui, répondit Victor d'un air blasé. Tu me laisses respirer, maintenant?"

La jeune fille s'exécuta à contre-coeur, et tout deux rejoignirent les autres devant la Léopoldine. Lucca se leva et se planta devant le brun.

"-Alors?"

Les lèvres du garçon s'étirèrent dans un léger sourire, et, fouillant dans sa poche, il exhiba fièrement un fragment de cristal rouge.

"-Voilà ce qu'il reste de Shibuzawa Tatsuhiko.

-Bon boulot, apprécia le blond.

-Hugo, tu saignes, fit remarquer sèchement Lucrèce.

Le jeune homme soupira tandis qu'une Éponine à la limite de l'hystérie poussait des grands cris.

"-Ça va, calme toi, c'est qu'une éraflure. Et tu as une plume sur la tête, ça te donne l'air encore plus ridicule que d'habitude."

La jeune fille passa la main dans ses cheveux d'un geste énervé, dégageant la plume coincée dans ses cheveux qui tomba dans la petite flaque de sang qui se formait sous Victor.

"-N'essaie pas de changer de sujet! Tu dois faire plus attention, tu n'avais pas de renforts cette fois-ci..."

Sans lui payer plus attention, le jeune homme s'avança jusqu'à Lucrèce et lui remit le cristal. Sans un mot, la jeune femme prit la direction du bateau et leur fit signe de la suivre.

Éponine s'approcha de Victor, un sourire moqueur sur le visage.

"-Alors, pressé de reprendre le bateau? railla-t-elle.

-Putain de bordel de merde, je vais t'étriper, siffla-t-il entre ses dents."

La brune éclata de rire et ils s'éloignèrent lentement, laissant derrière eux la plume auparavant blanche s'imbiber du liquide écarlate.

Prochain chapitre à la prochaine décennie lol-

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