demain.
Depuis la nuit des temps (tout du moins, depuis qu'ils ont commencé à laisser des traces pour les générations futures), les hommes ont toujours été fascinés par la mort. Ils l'ont adorée, ils l'ont crainte, certains diront même qu'ils l'ont acceptée comme partie intégrante de la vie. Alors pourquoi s'obstinent-ils toujours à vivre un peu plus longtemps, me direz-vous ? Eh bien, parce que malgré la connaissance même que la mort est inéluctable, ils sont persuadés de pouvoir jouer avec les règles de l'univers comme bon leur semble. Et peut-être aussi parce que malgré leur prétendue conscience, leur statut d'êtres évolués pseudo-supérieurs, ils n'en restent pas moins des animaux, dominés par l'instinct de survie dont est doté n'importe quel être vivant.
Ainsi, les hommes se sont approprié la Terre. Ils l'ont volée, presque violée, quasi assassinée, tout ça pour s'assurer de vivre quelques années supplémentaires. Ils y ont supprimé tout ce qui représentait un danger pour eux, convaincus d'être à l'ultime sommet de la chaîne alimentaire. Ils ont repoussé les limites du corps humain avec leur médecine expérimentale, s'acharnant parfois sur certains de leurs semblables afin de les maintenir vivants un peu plus longtemps (quitte à les transformer en véritables légumes humains ; pauvres gens). Ils ont même choisi de s'entre-tuer, pour avoir un peu plus de pouvoir, un peu plus de terres, un peu plus d'argent. Ils ont exploité les ressources de leur planète à l'extrême, afin de construire des armes de destruction massive qui, à leur tour, ravageront la Terre.
Et voilà où ils en sont aujourd'hui.
Le monde est pratiquement sans danger pour l'être humain, victorieux de tous ses ennemis. La seule chose qu'il craint est son semblable, puisque seul ce dernier semble être encore en mesure de l'éradiquer. Si seulement !
Alors, maintenant, ils s'ennuient.
Et comme le dit le dicton : quand les hommes s'ennuient, ils deviennent si bêtes...
La seule chose qui les inquiète à présent, est probablement l'extinction de l'humanité. L'événement semble si improbable, que ses circonstances ne peuvent que l'être encore plus. Elles ont été nommées... L'Apocalypse.
Alors, quand on demande aux gens ce qu'est l'Apocalypse pour eux, les premières réponses sont « la fin du monde, » « les zombies, » « les extra-terrestres, » ou encore, « la volonté de Dieu. » Comprenez bien, certains sont convaincus que l'homosexualité est la véritable responsable de la fin de l'humanité. Parfois, on évoque la maladie, un virus secret créé par un gouvernement du Proche-Orient (parce que l'on sait tous que maintenant, ce sont toujours les grands méchants arabes les responsables de tout, de vrais terroristes ; après tout, les Russes, c'est passé de mode), dont ils auraient perdu le contrôle, et qui aurait fini par ravager une grande partie de l'humanité. Ce qui est assez drôle dans cette histoire, c'est que cette idée va souvent de paire avec les zombies, quand on cherche à leur donner une explication rationnelle. Parfois également, on évoque les Mayas. Même si tout le monde sait qu'ils ont tort puisque la fin du monde n'est pas survenue en deux-mille-douze comme ils l'auraient soit-disant prédit.
Après les théories du complot, les cultes religieux et les fantaisies sf, si l'on interroge des hommes plus sages, on pourra entendre parler de risques systémiques, comme une mauvaise gouvernance globale (bien que, comme vous le savez, les hommes se gèrent si mal depuis leur arrivée sur terre, si les conflits étaient responsables de l'Apocalypse, nous l'aurions su depuis longtemps) ; on entendra aussi parler des risques émergents, comme l'intelligence artificielle qui parviendrait à prendre le pouvoir, ou encore, la nanotechnologie, permettant l'apparition de matériaux dits « intelligents. » On pourrait également évoquer le génie génétique, la médecine de l'homme se retournant contre lui-même : le bio-terrorisme en est déjà un excellent exemple. Le plus drôle parmi tous ces risques émergents est sans doute la grande inconnue. L'humanité pourrait disparaître, à cause de quelque chose d'encore non identifié. Si ce n'est pas de la paranoïa...
Il y a aussi les fameux risques exogènes, comme la collision avec un astéroïde, ou encore un super volcan qui serait responsable d'un hiver nucléaire. La vérité, avec les risques exogènes, c'est que l'homme est en réalité capable de les prédire, avec quelques dizaines d'années d'avance au minimum. Mais certains ignorants restent encore convaincus qu'un astéroïde sorti de nulle part viendra percuter la Terre un beau matin, pile au-dessus de leur tête. Alors bon, même s'il était réellement possible que l'homme loupe un objet aussi gros, fonçant droit vers lui avec un besoin sanguinaire d'éradiquer l'humanité, la Terre a tout de même une superficie supérieure à cinq-cent-dix-millions de kilomètres carrés. Ce qui donne une probabilité d'environ zéro virgule zéro zéro zéro zéro zéro zéro zéro zéro deux pour cent que la comète s'écrase précisément sur le kilomètre carré où l'on se trouve au moment de l'impact.
Enfin, il y a les risques actuels. Le plus connu d'entre eux est bien évidemment la bombe nucléaire. Avec les dirigeants en place, rien de bien surprenant ; ils se plaisent à jouer à qui aura la plus grosse (bombe, la plus grosse bombe) avec tant de ferveur, à se demander si cela ne cache pas un quelconque autre complexe. L'effondrement de notre société et de l'économie en fait également partie, mais somme toute, il s'agirait plus de la fin d'une nouvelle civilisation, un peu comme les Romains autrefois, plutôt qu'une véritable fin du monde. En revanche, l'extinction de masse que nous traversons actuellement pourrait entraîner la décomposition de l'écosystème, et même si peu de gens se rendent compte de ce que cela signifie véritablement, tous font semblant d'être concernés quand on leur dit que le panda est en voie de disparition. La pandémie mondiale fait aussi partie de la liste ; un virus fatal pourrait ainsi venir à bout de l'humanité, à condition qu'il soit incurable, presque toujours mortel, très infectieux, et qu'il dispose de longues périodes d'incubation (ce qui demande, au final, beaucoup de conditions). Mais les quelques hommes avisés qui ont « tryhardé » PlagueInc® savent tous qu'il faut se réfugier en vitesse au Groenland et immédiatement fermer les frontières.
La dernière des douze causes probables de l'Apocalypse, bien connue mais très souvent négligée, ou mal comprise, ou encore, mal prise en charge, est le bouleversement climatique. Malheureusement, tant que l'on laissera des climato-sceptiques passer au 20h, pour expliquer à monsieur moyen qui de toute façon va y croire simplement parce que « c'est passé à la télé », que « regardez, il a fait plus froid que les années précédentes cet hiver, alors pourquoi parler de réchauffement climatique ? » (alors que les canicules se multiplient et que l'on atteint des records de chaleur partout dans le monde, des températures qui n'étaient pas prévues avant 2050 à l'origine), nous n'irons pas bien loin.
Dommage pour les hommes, car, dans ce scénario eschatologique digne des films catastrophes tels que Le Jour d'Après, c'est bien cette dernière cause qui entraînera l'Apocalypse, et pourquoi pas, l'extinction de l'espèce humaine.
Ainsi, tout commence lors d'un lundi des plus banal (à part peut-être qu'il s'agit du premier jour d'orage après une longue canicule). Pourquoi un lundi ? Parce que c'est un jour maudit, comme le dirait Han Jisung, lycéen « problématique » de dix-sept ans à peine (et accessoirement, agitateur de renom et provocateur local) qui espère plus que tout arriver au bout de sa dernière année avant de pouvoir partir faire ce qu'il aime vraiment, loin, loin de cette ville débile dans laquelle il a passé la majeure partie de son existence. Jisung fait ainsi parti de cette nouvelle génération, bien plus consciente que les précédentes de ce que représentent les dangers du changement climatique et de tous les excès de leur société de consommation pourrie jusqu'à la moelle, et qui vote majoritairement pour des représentants portés sur l'écologie, parce qu'ils n'ont pas encore véritablement conscience du fait que la carrière d'un politicien repose sur des mensonges, et non pas sur des actions concrètes et véritables (surtout si celles-ci ne sont pas en faveur des plus grandes richesses mondiales ou de leur petite personne). À vrai dire, Jisung fait même partie de ceux qui militent pour un monde meilleur, et la protection de l'environnement est l'une de ses priorités absolues.
Et s'il y a une chose que Han Jisung déteste encore plus que les gens stupides qui se complaisent dans leur ignorance, c'est bien le lundi.
***
LUNDI, PREMIER JOUR.
- Putain !
Lundi midi. Quelque part, un garçon referme un micro-ondes d'un geste rageur, l'expression de son visage laissant trahir un fort agacement. Plusieurs paires d'yeux se posent instantanément sur sa personne. Ledit garçon se retourne, et dévisage les autres lycéens présents ; son regard est si noir qu'il a rapidement fait de les encourager à se remettre à leurs activités au plus vite.
Han Jisung, c'est pas un gars très violent. En fait, il est même plutôt loin de l'image de la grosse brute terrifiante. Tout le monde sait, à vrai dire, que s'il devait faire usage de ses poings face à n'importe qui, il serait sans doute perdant. Non, définitivement, Han Jisung, c'est pas un gars très violent. Pourtant, Han Jisung, personne ne vient jamais le chercher, personne n'essaye de lui causer d'ennuis volontairement. Pas qu'ils ont jamais essayé, c'est surtout qu'ils ont déjà pu constater, plus d'une fois par le passé, à quelles conséquences ils étaient susceptibles de s'exposer. Le jeu n'en vaut pas la chandelle, qu'ils ont tous déclaré. C'est que, Han Jisung, il a des amis bien particuliers, à qui personne n'a envie de se confronter. Des amis forts déjà, de ceux qui savent se battre, pour de vrai. Des amis haut placés aussi, en tout cas plus haut que n'importe quel élève lambda ; des fils de profs en passant par les surveillants, le carnet d'adresses d'Han Jisung est bien fourni, ça, c'est une chose que personne n'irait jamais remettre en question. Et puis, Han Jisung, c'est une vraie vipère. Une vraie vipère, et un sacré fouineur, mine de rien. C'est ce qu'ils pensent tous. Han Jisung, le gars aux mots plus tranchants qu'un rasoir, aux paroles aiguisées comme un couteau. Ce qui n'est pas fondamentalement faux. Han Jisung a une répartie légendaire, et sait appuyer là où ça fait mal. C'est son special talent, comme il le dit si bien.
Mais ce qui différencie Han Jisung de n'importe quel autre lycéen un peu gonflé, provocateur sur les bords, n'importe quel gamin fort pour discourir ou doué pour manipuler la langue à sa guise, c'est qu'il sait tout. Sur tout le monde.
Le gardien des secrets.
Personne n'a jamais su comment il faisait, pour connaître chaque secret de chaque élève de l'établissement. Bien sûr, on lui a déjà posé la question ; toute tentative s'est systématiquement soldée par un sourire énigmatique, et un rapide changement de sujet.
Un fait qui a le don de particulièrement irriter ses détracteurs, qui, en toute honnêteté, sont assez nombreux au sein du lycée.
Han Jisung, c'est pas un gars très violent, mais avec pareille réputation, il a de quoi terroriser avec la plus grande des aisances tous les premières années présents dans la salle ; et son regard est si noir (si noir !), ça donne vraiment pas envie de le contrarier.
Il soupire finalement pour s'emparer du récipient qu'il avait posé l'espace d'un instant, et quitte le foyer d'un pas résolu, son sac sur l'épaule gauche et sa veste au bras droit.
Depuis son entrée au lycée, Jisung, il mange pratiquement tous les midis au foyer ; il amène ses propres repas, qu'il fait réchauffer au micro-ondes, celui mis à disposition des élèves, et il s'installe dans un coin de la salle. Souvent, il lit un livre, regarde un film, parfois écrit, en attendant que ses amis viennent le rejoindre. La plupart du temps, ils jouent aux cartes, tarot principalement. Ah ça, qu'est-ce qu'ils ont pu en faire des parties de tarot. Jamais ils ne s'en sont lassés, jamais ils n'en ont eu marre. De temps à autre, ils révisent, aussi. Un cours difficile ou mal compris, il y en a toujours un pour expliquer aux autres, tout remettre au clair. La plupart du temps, c'est Jisung lui-même qui s'en charge. Il est intelligent, Jisung, vraiment intelligent. Un garçon brillant, qui ira loin, d'après ses nombreux professeurs. Un garçon qui ira loin.
Et puis, il y a des jours où le micro-ondes n'en fait qu'à sa tête. Des jours où Han Jisung est obligé de manger froid. Ou d'utiliser celui du dernier étage. Le problème avec le micro-ondes du dernier étage, c'est qu'il est exclusivement réservé aux professeurs de sciences.
Et ce n'est pas que Jisung s'en fout, mais au fond un peu quand même.
Alors, une fois arrivé à destination, il s'empresse de faire chauffer son repas de la journée, profitant de l'absence de tout adulte à proximité. Au-dehors, la tempête fait rage. Depuis son réveil ce matin, il n'a fait que pleuvoir en continue, et le vent souffle si fort à présent, il peut voir depuis la fenêtre les arbres ployer sous sa force. Depuis une petite heure déjà, le tonnerre gronde au loin, les éclairs lumineux qui l'accompagnent viennent zébrer le ciel, et ils se rapprochent, ils se rapprochent... Définitivement, le temps d'aujourd'hui est affreux, mais après plus d'une semaine de pénible canicule, il n'est pas malvenu pour autant.
L'orage le fait légèrement sourire, mais son attention se reporte sur son plat lorsque de petits bips aigus se font entendre. C'est donc avec délicatesse que Jisung s'empare du récipient (parce que Jisung, il a beau être doué avec les mots, qu'est-ce qu'il est maladroit comme garçon, toujours à devoir faire attention à tout pour ne rien casser par accident), puis il part à la recherche d'une salle où déguster son repas. Il ouvre la porte de la trois-cent-neuf, s'installe au fond, ne manque pas de laisser traîner son sac sur la table avec négligence. Les écouteurs vissés dans les oreilles, il regarde des vidéos pour faire passer le temps, alors que le temps avance lentement.
Il est un peu plus d'une heure lorsque le blond termine de manger, et qu'il commence à ranger ses affaires. Il finit par se lever, pose son sac par terre mais le laisse tout de même dans la classe (faudrait pas qu'un prof qui passe par-là puisse voir qu'un élève traîne au dernier étage alors qu'il est formellement interdit de se balader dans les couloirs et les salles de cours sans adulte pour les accompagner, tout de même), et se dirige vers les sanitaires. À mesure qu'il avance, Jisung est convaincu d'entendre un semblant de bruit, sans qu'il ne puisse en déterminer la nature. Il entre dans les toilettes tout en tâchant d'être le plus discret possible ; la seule cabine occupée est bien évidemment celle du fond, d'où s'échappent manifestement quelques sanglots qui se veulent inaudibles. Alors, Jisung, il s'approche doucement, toque légèrement à la porte. Les pleurs se taisent immédiatement et l'individu présent à l'intérieur se fait silencieux.
- Ça va...?
Jisung regrette instantanément d'avoir posé la question ; bien sûr que non ça ne va pas, quel imbécile il fait ! Si ça allait bien, il ou elle ne serait pas en train de chialer dans les toilettes du troisième étage à la pause déjeuner. L'élève demeure planqué derrière sans un mot, sans doute non-content d'avoir été surpris dans pareil moment de faiblesse. Jisung se sent un peu stupide, mais il a beau avoir une sacrée langue de pute comme le disent certains de leurs camarades, il n'est pas non plus sans cœur. Alors, malgré le manque de coopération de l'inconnu, Jisung n'en démord pas et reste là à attendre. Un coup de tonnerre grogne soudainement au-dehors, et un faible glapissement s'échappe de derrière la paroi. Le garçon hausse un sourcil, surpris, avant de comprendre de quoi il en retourne.
- T'as peur de l'orage ?
Toujours pas de réponse.
- Y a pas de honte à ça, tu sais ? On a tous peur de quelque chose, des trucs débiles, moi l'premier. J'vais pas te juger pour ça. Mais reste pas tout seul dans cet état, s'te plaît... Essaye... Essaye de penser à des trucs positifs. T'es en sécurité ici, il va rien t'arriver d'mal, crois-m...
- Casse-toi Han, t'es vraiment la dernière personne à qui j'ai envie d'parler en c'moment.
Jisung écarquille les yeux, pris de cours. La surprise se lit sur son visage, mais plus les secondes passent, et plus son expression devient amusée, presque moqueuse.
- Le grand Hwang Hyunjin, en train de chialer dans les toilettes parce qu'il a peur de l'orage.
Il peut entendre du mouvement de l'autre côté de la porte ; finalement, le fameux Hyunjin tourne le loquet et ouvre la cabine, fusillant son acolyte de ses yeux bouffis.
- J't'ai dit, casse-toi Han. J'ai pas envie d'te voir.
Nouvel éclair, nouveau gémissement.
- Tu déconnes j'espère ? s'amuse le blond. Et rater une occasion d'me foutre de ta gueule ?
- « J'vais pas te juger pour ça » mon cul.
- J'peux toujours faire une exception pour toi, Hyunjinnie.
- T'es vraiment le pire connard que j'ai jamais rencontré, il s'exaspère tout en se réinstallant sur la lunette rabattue.
- C'est pas c'que tu disais quand on sortait ensemble, tiens.
Hyunjin le fusille du regard.
- Bah j'étais vraiment con à l'époque, pour pas m'rendre compte que j'sortais avec la pire des ordures.
- T'abuses quand même. J'ai toujours été gentil avec toi.
- Wouah, et j'devrais t'en remercier ?
- Bah ouais attend, t'étais déjà une putain de garce à ce moment-là toi aussi. J'aurais pu te traiter comme tu traitais tous mes amis, ça t'aurait peut-être remis les idées en place.
- Tu parles, tout ce qui t'intéressait c'était mon cul.
- Parle pour toi, monsieur ça reste secret j'ai une réputation à entretenir.
- Tu sais très bien pourquoi j'ai fait ça.
- C'est c'que tu dis à tous les gars qu'tu baises en douce ?
Le visage de Hyunjin devient rouge, ses traits se tirent dans une expression de colère assez flagrante. Hyunjin, il est assez sensible à ce qu'on peut dire de lui. Il a toujours tout fait pour avoir une image parfaite, une réputation enviable ; Hyunjin, c'est un gars populaire, qui n'hésitera pas à descendre quiconque se met sur son chemin. À première vue, il y a vraiment de quoi le détester ; beau et riche, il en joue sans scrupule afin de se maintenir en haut de l'échelle sociale, quitte à trahir et blesser ceux qu'il appelle ses amis, sans en penser un seul mot : la synthèse de tout ce qui peut insupporter Jisung somme toute. Pourtant, Jisung le sait, Jisung le connaît bien ; Hyunjin, c'est un petit garçon apeuré, à qui ses parents mettent une trop grande pression, et puis, une chose en entraînant une autre, ses camarades aussi, attendent de lui d'être parfait, parce qu'il est jeune et physiquement attrayant, parce qu'il a une bonne situation familiale et toutes les clefs en main pour réussir. Hyunjin, c'est un petit garçon apeuré qui se laisse malmener par une société hypocrite et superficielle, et qui, en guise de réponse, n'a pas eu vraiment d'autres choix que d'être le bourreau par peur de devenir le condamné.
Ça, Jisung le sait très bien, parce que Hyunjin, avant d'être son ex-copain, avant d'être la première personne qu'il a aimé aussi fort, c'est son ami d'enfance, son voisin d'en face, avec qui il a fait les quatre-cents coups, avant de s'éloigner une fois arrivés au collège. Parce qu'une fois là-bas, la vie a confronté deux enfants, leur a dit qu'il était à présent temps de grandir, et qu'ils ont choisi des chemins trop différents pour être compatibles. Ils avaient des amis qui ne pouvaient pas se blairer, ils avaient des statuts sociaux opposés ; ils ont essayé, pourtant, de surmonter tout ça, de rester soudés malgré tout. Ils ont espéré si fort être l'exception, mais pourtant, ils ont lentement cessé de se parler, sans vraiment s'en rendre compte. Bientôt, ils n'étaient plus que des étrangers.
Jusqu'au jour où Hyunjin est venu voir Jisung, en larmes, parce qu'en dépit de tout, il était encore la seule personne à qui il pouvait se confier ; la seule en qui il avait assez confiance pour parler d'un truc pareil, sans avoir peur que ça se sache, sans avoir peur d'être jugé. Hyunjin est gay. C'est un fait avéré, les filles, ça ne l'intéresse pas du tout. Lui, il aime les garçons. Il aime les garçons, mais c'est interdit, enfin, ça l'est pas vraiment, mais c'est mal vu quand même. Et tout ce qui est mal vu, ça lui fait peur, à Hyunjin. Mais Jisung, il l'a rassuré. Il l'a rassuré, lui a promis que tout allait bien se passer. Cet évènement les a de nouveau rapprochés, et même si leur amitié ne se composait plus que de regards entendus et de sourires discrets, de messages secrets et de rencontres clandestines, elle était sincère. Terriblement sincère.
Puis, ils sont entrés au lycée. Jisung consolait Hyunjin après chacune de ses ruptures, et Hyunjin remerciait Jisung maladroitement, reconnaissant que ce dernier soit toujours là pour lui malgré tout. Jisung aussi en a enchaîné, des relations, mais jamais il n'était pleinement satisfait, jamais il ne se sentait sincèrement comblé, avec qui que ce soit. De fil en aiguille, les deux garçons ont commencé à ressentir du désir l'un pour l'autre, et ont fini par faire l'amour, avant d'enfin, sortir ensemble. Mais l'obsession de Hyunjin pour tout garder secret, sa peur du jugement et du regard des autres, et la grande gueule de Jisung, qui prône la fierté et l'acceptation, ont finalement eu raison de leur amour, lentement remplacé par quelque chose de plus dur, plus amer. Les câlins sont devenus des disputes, les baisers des regards emplis de déception ; c'est sur une ultime engueulade qu'ils se sont séparés, pour ne jamais plus se reparler. Du moins, pas directement. Jisung a recommencé à gratifier les amis de Hyunjin de ses remarques blessantes, et Hyunjin s'est de nouveau mis à mépriser ceux de Jisung. Sans jamais s'en prendre directement l'un à l'autre, il leur était pourtant impossible de faire disparaître les ressentiments, au point que chaque élève de ce foutu lycée sait que les deux garçons se vouent une haine mutuelle sans précédent.
Mais aucun d'entre eux n'a été capable jusqu'ici de remarquer que jamais Hyunjin n'est allé humilier foncièrement Jisung, et que Jisung n'est jamais allé balancer quoi que ce soit de trop intime sur Hyunjin. Comme si, malgré tout, ils n'étaient pas capables de se faire réellement du mal.
Une relation intense qui s'est terminée douloureusement, laissant derrière elle deux garçons perdus et esseulés.
- J'te jure, Han, j'vais...
Une porte qui claque vient troubler le silence à l'extérieur, et les deux garçons se figent. En entendant la voix de leur professeur de physique chimie demander s'il y a quelqu'un, le regard des deux adolescents change du tout au tout en comprenant qu'ils risquent de se faire prendre, et ni l'un ni l'autre n'a envie de recevoir une sanction pour s'être fait bêtement surprendre à traîner là où ils n'ont pas le droit.
- Pousse-toi, chuchote Jisung en entrant à son tour dans la cabine.
- Ferme la porte alors ! réplique Hyunjin sur le même ton.
Jisung fait non de la tête.
- T'es con, si la porte est fermée ça veut dire qu'il y a quelqu'un dans les toilettes, faut la laisser entrouverte. Maintenant, grimpe là-dessus, faut pas qu'on puisse voir tes pieds sous la porte. Et mets ta main devant ta bouche aussi, pour pas qu'on entende ta respiration.
Hyunjin obéit et s'exécute, l'air incrédule. Jisung s'est déjà installé sur la lunette, l'oreille à l'affût, tout en observant son camarade avec fermeté, lui intimant de ne faire aucun bruit. Ils peuvent entendre les pas de leur professeur dans le couloir s'approcher lentement ; il s'arrête un instant devant chaque salle, sans doute pour déterminer s'il y a quelqu'un à l'intérieur, puis reprend finalement son chemin en constatant qu'il n'y a effectivement personne. Jisung prie secrètement pour que son sac soit bien caché derrière la paillasse, et il s'approche, il s'approche...
Il marque un nouvel arrêt au niveau des toilettes, devant lesquelles il semble s'attarder plus que de raison. Hyunjin tente comme il peut d'étouffer le son de sa respiration, Jisung lui lance le regard le plus menaçant qu'il n'ait jamais donné. Un nouvel éclair illumine la pièce plongée dans le noir, et Hyunjin tente comme il peut de réfréner un sanglot ; par chance, le tonnerre retentissant avec une seconde de retard, il couvre la voix du noiraud, et enfin, l'adulte s'éloigne, quittant l'étage par la cage d'escalier située juste à côté.
Ils attendent encore un instant, de peur de se faire entendre malgré tout, mais une fois certains d'être tranquille, ils relâchent leur souffle, réalisant simultanément qu'ils ont cessé de respirer afin de ne pas se faire prendre. Jisung rit légèrement, à la fois par nervosité et par amusement, et Hyunjin sourit à son tour. Ils réalisent alors leur proximité physique actuelle, et Jisung s'éloigne d'un seul coup, comme s'il s'était brûlé.
- Merci, finit par lâcher Hyunjin après un long silence.
- Pardon ?
- J'le r'dirai pas deux fois, Han.
- Dommage, parce que j'aurais sincèrement dû t'enregistrer.
Jisung sourit toujours, mais Hyunjin, plus vraiment. Il ne trouve pas ça drôle, lui. Vraiment pas, à vrai dire.
- Si jamais ça se sait qu'j'ai peur de l'orage, je saurais que ça vient d'toi, alors fais gaffe à ton cul, Han.
- D'après mes souvenirs, j'le pense pas vraiment en danger face à toi Hyunjinnie. Mais c'est gentil de t'en soucier.
De nouveau, le visage entier de Hyunjin tourne au rouge, alors que Jisung se dirige vers la sortie des sanitaires, afin de rejoindre la trois-cent-neuf. Cependant, juste avant de quitter les lieux, il se retourne une dernière fois, et toise Hyunjin l'air moqueur.
- Ça fait presque quinze ans que j't'entends chialer à cause de ton astraphobie. T'ai-je déjà balancé pour autant ?
Il s'en va alors sans se retourner.
***
- Pourquoi y a personne ?
Jisung relève la tête de son livre, et retire son écouteur. Devant la porte se tient Hyunjin, l'uniforme froissé et les yeux encore gonflés. Il a l'air un peu inquiet, mais pas trop non plus. Il se demande surtout s'il a raté quelque chose d'important.
- J'sais pas, pourquoi ? Ils doivent encore être en bas, non ?
- Il est quatorze heures quinze, Han. Ça fait cinq minutes que les cours devraient avoir repris.
Jisung fronce les sourcils, regarde l'heure sur la pendule, puis sur son téléphone. Il reporte son attention sur Hyunjin, hausse les épaules.
- Peut-être qu'il y avait une réunion en amphi qu'on a raté.
- Pour tout le lycée ? Y a personne à l'étage...
- Peut-être que les premières et les deuxièmes années n'ont pas cours de sciences...
Hyunjin hausse un sourcil dubitatif.
- Tu sais tout aussi bien que moi que c'est faux.
- Ça n'a aucun sens, soupire Jisung tout en se redressant.
Il passe l'une des sangles de son sac par-dessus son épaule.
- Allons voir aux étages d'en dessous.
Hyunjin soupire mais suit tout de même Jisung lorsqu'il passe devant lui. De nouveau, le silence s'abat sur eux, mais contrairement à d'habitude, la tension qui règne n'est pas due à leur mépris mutuel, mais à l'inquiétude que quelque chose de grave ait eu lieu sans qu'ils ne soient avertis.
Une fois dans la cage d'escalier, il enclenche l'interrupteur, mais la lumière reste éteinte. Jisung se fait la réflexion que rien ne fonctionne comme il faut dans ce lycée, mais ne relève pas. En arrivant à l'étage inférieur, ils sont surpris de constater qu'il n'y a personne non plus. Dans le doute, ils descendent de nouveau un palier, l'angoisse commençant de plus en plus à les gagner. Sans surprise, il n'y a personne non plus au premier. Jisung se mord nerveusement la lèvre inférieure, pas vraiment certain de comprendre ce qui se passe en ce moment-même. Mais la plus grosse surprise survient quand ils regagnent le rez-de-chaussée : pratiquement un centimètre d'eau recouvre le sol, probablement à cause de la pluie au-dehors. Aucun des deux garçons ne se sent rassuré face à cette constatation. Jisung est le premier à quitter les marches pour s'avancer vers le foyer, désert depuis sa dernière visite il y a de cela deux heures à peine.
- Y a quelqu'un ? s'exclame timidement le blond.
Mais la seule réponse qu'il obtient est le faible écho de sa voix contre les murs du bâtiment.
- On est vraiment tout seul... s'inquiète Hyunjin en s'approchant à son tour.
- Ça n'a définitivement aucun sens.
Jisung fait le chemin jusqu'à l'entrée, Hyunjin toujours dans ses pas, et passe devant l'amphithéâtre : vide lui aussi. Tentant de garder son calme, il s'approche de l'accueil, où il est sûr et certain de trouver le vieux dragon qui tient les lieux depuis si longtemps, qu'il aurait pu jurer qu'il était là avant même la construction de l'établissement. Pourtant, leur hôte d'accueil tristement réputé n'est pas là non plus.
- Ok, là c'est vraiment pas normal.
Il s'approche des grandes portes, tire la poignée vers lui... En vain. Il réitère son action une fois, deux fois, mais rien à faire : la porte est verrouillée. Hyunjin commence à sérieusement paniquer, tandis que Jisung tente de garder son calme. Il sort son téléphone, pour constater qu'il n'y a absolument pas de réseau. Il soupire.
- Y a toujours la sortie de secours, arrête de stresser. J'capte rien, tu veux pas t'rendre utile et comprendre c'qui se passe ?
Hyunjin fusille Jisung du regard, mais prend tout de même son téléphone pour consulter tous les messages non lus qu'il a pu recevoir pendant qu'il s'était enfermé dans les toilettes du dernier étage. Ses amis sont toujours les premiers au courant lorsqu'il se passe quelque chose ; du moins, ils sont toujours les premiers après Han Jisung, le gardien des secrets, le gars qui sait toujours tout. Le fait que le blond n'ait pourtant aucune idée de ce qui est en train de se produire a le don de faire stresser le noiraud un peu plus, lui qui a pourtant maintes et maintes fois déjà rêvé de lui faire fermer le bec.
Et tandis que Jisung regarde sur le plan de l'étage où se situe la sortie de secours, Hyunjin pousse un léger cri d'effroi.
- Qu'est-ce qu'il y a encore, la drama queen ? L'orage s'est calmé, tu veux pas...
- On va mourir Jisung, on va mourir putain !
Ne sachant pas vraiment comment prendre la nouvelle, il se tourne vers son aîné pour le toiser d'un air inquisiteur, l'invitant à développer.
- L'orage a endommagé la centrale nucléaire de Hanul, toute la région a été évacuée. C'est pour ça qu'le prof cherchait si y avait quelqu'un au troisième étage, tout à l'heure. Pour évacuer le lycée.
Immédiatement, l'expression que l'on peut lire sur le visage de Jisung change du tout au tout. De sérieuse et contenue, elle passe à paniquée, et pour la première fois depuis sa rupture avec Hyunjin, le blond se sent atrocement désemparé.
- On va mourir, Jisung.
***
- T'as fait tout c'que j't'ai demandé ?
De retour dans la trois-cent-neuf, Hyunjin hoche la tête tout en retirant son masque, mais Jisung ne semble pas réellement satisfait de cette réponse. Il fait signe à Hyunjin d'apporter ce qu'il a trouvé, et vérifie ainsi la nourriture qu'il a pu ramener.
- La plupart des trucs dans la réserve sont pas mangeables tel quel, ou se conservent pas si on les laisse pas au frigo pendant trop longtemps, et on a rien pour cuisiner, alors, j'ai fait ce que j'ai pu.
- Et le sel, dit moi que t'as pris tout le sel que t'as trouvé.
Hyunjin lui lance un regard noir, avant de vider le contenu de son sac sur la table : plusieurs salières rejoignent ainsi le peu de nourriture qu'il a pu dénicher.
- J'comprends toujours pas pourquoi tu veux autant de sel...
- Parce que le sel c'est plein d'iode, et que l'iode ça va se fixer à ta thyroïde pour la protéger des radiations et t'éviter le cancer. Ça te va comme explication ?
Hyunjin observe Jisung avec curiosité, tentant de comprendre d'où il tire cette information.
- Arrête de m'regarder comme ça.
- C'est juste que...
- On vit dans à peine à dix kilomètres d'une des cinq plus grandes centrales nucléaires du monde, Hyunjin. C'est normal de se renseigner sur les mesures à prendre si jamais y a un problème.
Hyunjin se sent un peu bête, d'un coup.
- Bon. Radio à piles et piles de rechange, c'est bon. Sel, c'est bon. Eau et nourriture... On va dire que c'est bon.
- Y en a pour quatre jours si on économise bien, ça devrait aller non ? Cinq, peut-être. Les secours vont pas mettre trente ans à venir non plus.
- Si les secours viennent, lance Jisung avec froideur. Mets ton téléphone en mode avion, vu qu'on capte rien, ça économisera la batterie.
- Pourquoi tu veux que j'économise la batterie, si mon téléphone ne sert plus à rien !
- Parce qu'il peut toujours faire lampe de torche, et qu'on a plus d'électricité ? Entre autres.
A nouveau, Hyunjin a l'impression d'être stupide face à Jisung, Jisung qui sait tout, Jisung qui manifestement pourrait survivre à l'Apocalypse sans le moindre problème.
- T'as bouché tous les dessous de porte avec les blouses ?
- Ouais c'est bon.
- Bien. Si mes calculs sont bons, on a pratiquement cinq jours d'oxygène si on reste dans cette pièce sans trop bouger.
- Pardon ?
- On est dans un espace confiné, l'oxygène va pas se renouveler comme par magie. Mais bon, y a quasi cinq jours d'oxygène dans cette salle, puis cinq jours dans la salle d'à côté, et encore cinq jours dans la salle d'à côté... Si on doit manquer de quelque chose, c'est clairement pas d'oxygène.
Jisung s'étire, puis se dirige vers la fenêtre afin d'observer l'extérieur, où l'orage a repris de plus belle. Pourtant, Hyunjin ne s'en soucie plus vraiment à présent, bien plus effrayé par l'idée de mourir à cause des radiations, que terrassé sur place par un éclair. La pluie semble battre encore plus fort que ce matin, ce qui semblait à ce moment-là difficilement possible pour Jisung. Et pourtant...
- J'm'occupe de la radio, lâche d'un seul coup le noiraud. Ça au moins c'est un truc que j'sais faire, alors...
- Comme tu veux.
Jisung ne veut pas l'admettre, en tout cas, il refuse de montrer quoi que ce soit devant Hyunjin, mais lui aussi est terrifié. Terrifié à l'idée de mourir ici, enfermé dans une salle de classe, sans avoir pu dire une dernière fois à ses proches combien il les aime, à ses amis à quel point il tient à eux. Sans avoir eu l'occasion de quitter cette ville pourrie et voyager, sans avoir fait le tour du monde au moins une fois, ni même rencontré son correspondant malaisien, avec qui il échange depuis des années. Jisung ne veut pas mourir, pas avant d'avoir vu le mariage pour tous se légaliser en Corée du Sud, pas non plus avant d'avoir pu voter au moins une fois. Il voulait adopter un chien plus tard, il voulait vivre dans son propre appartement, il voulait aller en Écosse, oh ça oui il voulait y aller, mais à présent, tous ses projets d'avenir se voient contrecarrés par une simple bêtise. Si seulement il était resté au foyer ce midi...
Au fond, il ne réalise pas encore totalement ce qui est en train d'arriver. Peut-être qu'il tente juste de nier le danger de leur situation afin de mieux garder son sang-froid (car, clairement, ce n'est pas Hyunjin qui le fera), afin de rester tout à fait capable de réfléchir pour mieux s'en sortir. Peut-être aussi que c'est tout simplement trop dur à accepter, un peu comme un décès, sauf que personne n'est mort. Du moins, pas encore. Et qu'en l'occurrence, c'est lui qui risque d'y passer.
Brusquement, les grésillements de la radio le tirent de ses réflexions, et il peut voir Hyunjin régler la fréquence, afin de trouver un signal optimal. Quelques instants plus tard effectivement, le dernier hit de k-pop résonne dans la pièce, ce qui ne manque pas de faire rouler des yeux le décoloré. Puis, Hyunjin change de chaîne, et la voix d'un présentateur radio se fait entendre.
Alors, Jisung se rapproche pour mieux écouter ce qu'il a à dire.
- « ...L'entièreté du district d'Uljin est à présent en cours d'évacuation. Nous rappelons que l'orage sans précédent qui frappe en ce moment-même la Corée du Sud a endommagé la centrale d'Hanul, anciennement nommée Ulchin, à midi cinquante ce matin. Les centrales de Wolsong et de Kori ne sont pas en reste, et bien que la situation soit sous contrôle, l'ensemble de leur réacteur ont été arrêtés pour une durée indéterminée... »
- Génial, grommelle Jisung tout en s'écartant de nouveau. Pourquoi fallait que ça soit la nôtre qui pose problème ?
- Tais-toi j'essaye d'écouter.
Jisung roule des yeux, mais lorsque le mot tornade est mentionné, il se fige d'un seul coup.
- J'ai bien entendu ? Une tornade ?
- Tais toi j'ai dit.
- « ... de niveau 5 sur l'échelle de Fujita, un phénomène exclusif pour la Corée du Sud. D'après nos météorologues, plusieurs autres tornades peuvent être à prévoir sur la côte est du pays, ainsi que de la grêle et des vents violents de façon générale... »
- J'en ai assez entendu, éteins-moi ça.
Malgré son désaccord, Hyunjin obtempère immédiatement en entendant le ton sans appel de son cadet.
Le noiraud l'observe faire les cent pas nerveusement, et une grosse envie de pleurer le prend ; il se retient cependant, ne voulant pas passer pour un faible et un trouillard. Et puis, il sait que ça énerverait Jisung, qui semble déjà sur les nerfs en ce moment-même. Mais Hyunjin n'a jamais eu aussi peur de toute sa vie, et ce n'est pas peu dire ; il vit dans la peur constante depuis tout petit.
- J'ai pas envie de mourir, il finit par murmurer tout en se recroquevillant sur la chaise sur laquelle il était installé.
- Parce que tu crois que c'est mon cas ? réplique directement Jisung sans lui jeter le moindre regard.
Hyunjin ne répond pas, mais n'en pense pas moins. Il sait qu'un Jisung sur le point d'exploser est têtu comme une mule et impossible à raisonner ; un Jisung dans cet état, il n'y a rien à en tirer. Alors, il se contente de le laisser dire et faire en silence, ne souhaitant pas aggraver la situation d'une quelconque manière.
- J'te propose un deal, lâche Jisung de bout en blanc. On dort à tour de rôle, l'autre devra écouter la radio afin de ne rien manquer, tout en guettant les secours par la fenêtre. Quand on est tous les deux réveillés, on se partage la tâche. Tu fais la radio, je fais la fenêtre. Par contre, tu mets pas le son fort, ça va m'énerver sinon.
- Tu veux dire, plus que tu ne l'es déjà ?
Le regard de Jisung se fait noir.
- Pardon, grommelle Hyunjin en baissant la tête. Ça me va.
- J'prendrai le premier tour de garde, t'as l'air crevé et moi j'peux pas dormir quand j'suis stressé.
Hyunjin hausse les épaules. De toute façon, ce n'est pas comme s'il avait le choix.
***
MARDI, DEUXIÈME JOUR.
Le soleil n'est pas encore levé (à vrai dire, il y a de quoi se demander s'il se lèvera de nouveau un jour), mais Jisung comme Hyunjin sont déjà bien réveillés. La pluie bat toujours son plein au-dehors, l'orage va et vient sans cesse, à tel point que le plus âgé des deux garçons n'y prête plus vraiment grande attention. Comme s'il avait soudainement compris que sa peur était bien futile en comparaison avec les dangers qu'il encourt actuellement. Ce qui n'est pas totalement faux, quand il y réfléchit bien.
Avec l'électricité coupée, il est difficile de voir quelque chose sans l'aide de la lumière naturelle. Plusieurs fois, Hyunjin a hésité à allumer son téléphone pour s'éclairer, mais s'est sans cesse ravisé ; à la place, il s'est mis à contempler la silhouette de Jisung, découpée par la faible lueur filtré par la fenêtre et tout juste distinguable dans le noir complet, tout en écoutant d'une oreille distraite la radio ressasser les mêmes nouvelles depuis la veille. Rien de nouveau sous le soleil.
Jisung, lui non plus, n'est pas en reste. Levé depuis peu de temps seulement, son visage entier trahit sa fatigue, à croire qu'il n'a pas fermé l'œil du tout. Et peut-être est-ce le cas, après tout. Comment aurait-il pu dormir alors qu'il ne sait même pas combien de temps il lui reste encore à vivre. Va-t-il mourir aujourd'hui ? Demain ? Avant la fin du mois ? Dans des années, s'il a un peu de chance. C'est ce qu'il aimerait, au fond. Vivre un peu plus longtemps. Vivre un peu plus longtemps...
- Tu devrais peut-être essayer de te rendormir, suggère Hyunjin en entendant Jisung bailler pour la troisième fois consécutive.
- Pas envie.
Il hausse les épaules mais ne cherche pas plus loin. Il n'a pas envie d'insister, pas envie de se battre, pas maintenant, pas tout de suite. Pas aujourd'hui. Et surtout pas avec Han Jisung.
Alors, il se remet à jouer avec la radio, il entend mais n'écoute pas, il change de chaîne quand ça ne l'intéresse plus, change de chaîne lorsque les nouvelles se répètent encore, et encore. Il aimerait mettre de la musique, il aimerait sincèrement. Mettre une émission à la con pour se changer les idées, penser à autre chose, essayer de se détendre, rien qu'un peu. Mais la crainte de passer à côté de la moindre information importante, capitale à sa survie l'en empêche. Et si les secours allaient arriver, et qu'il avait manqué cette donnée ? Et si un événement plus terrible encore était sur le point de se produire, et qu'il n'en avait aucune foutue idée ?
Et il pleut encore.
- On dirait un stupide scénario post-apo cette merde, ricane Jisung avec toute l'ironie du monde. Les rues sont désertes, tout semble avoir été abandonné, laissé pour compte. Et nous on est là, coincé dans ce stupide bahut, à contempler la fin du monde.
- C'est pas la fin du monde, arrête tes conneries. Juste un nouveau Fukushima.
- Fukushiama, Hyamazaki... Hanul... Ça sonne toujours comme la fin du monde pour moi, si tu veux mon avis.
Hyunjin roule des yeux, agacé par le comportement pessimiste de son acolyte. Quelque chose lui dit que la journée va être longue.
***
- Tu trouves pas qu'il y a quelque chose d'étrange avec la mer ?
Hyunjin se lève de son siège, et rejoint Jisung à la fenêtre. Au dehors, une tripotée de bâtiments manifestement vites, et tout un tas de rues totalement désertes. Au loin pourtant, on peut encore distinguer la mer nippone, et toute la côte coréenne, à quelques kilomètres de distance seulement de leur position.
- Non ?
- Tu trouves pas qu'elle est un peu loin ?
- Ça doit être marrée basse, c'est tout.
Le plus âgé retourne s'installer à sa place, mais Jisung, lui, continue d'observer l'horizon avec une pointe d'inquiétude. A cette heure-ci, c'est marée haute, normalement. Il le sait, parce que, dès qu'un cours est un peu trop ennuyant, il se met à regarder par la fenêtre, et régulièrement, ses yeux finissent par se poser sur la mer ; il mettrait sa main à couper qu'à ce moment précis de la journée, elle n'est pas aussi reculée, d'habitude.
- Rallume la radio, ordonne-t-il soudainement en se tournant vers son camarade à moitié assoupi.
- Je croyais qu'il fallait économiser les piles ?
- C'est juste pour vérifier un truc.
Pourtant, malgré ses craintes, aucune mention de raz-de-marée aux informations. Jisung se dit alors qu'il est tout simplement parano.
- Arrête de te stresser, grommelle Hyunjin. Ça m'stresse aussi.
Ses prunelles chocolat n'ont pas quitté la silhouette du blond un seul instant.
- Oh excuse-moi d'm'inquiéter d'notre survie, réplique Jisung, cinglant.
- C'est pas c'que j'veux dire...
Un silence glacial s'installe, avant que Hyunjin ne prenne la parole de nouveau.
- C'est juste que j'vois pas c'qu'on peut faire de plus pour le moment à part attendre. Ça sert à rien de se prendre plus la tête.
- T'as raison, finit ainsi par admettre Jisung à la plus grande surprise de l'un comme de l'autre. Tu peux éteindre la radio.
- Sûr ?
Il hoche la tête, mais à l'instant où Hyunjin s'apprête à couper, quelques mots crachotés avec difficulté par l'appareil se font entendre.
- « ...Une équipe de secours a été envoyée dans le district d'Uljin afin de rapatrier les potentiels habitants déclarés disparus depuis l'incident d'Hanul. Nous espérons... »
- Les secours... s'exclame Hyunjin, d'un seul coup parfaitement réveillé. Ils arrivent ! Ils arrivent Jisung, tu entends, ils arrivent ! On va s'en sortir, on va pas mourir ici !
Jisung l'observe en souriant, lui aussi, grandement rassuré.
En fin de compte, peut-être que tout va bien se terminer.
***
Les deux garçons sont collés à la fenêtre, ils guettent avec impatience l'arrivée d'un quelconque hélicoptère, camion, n'importe quel véhicule pouvant appartenir aux secouristes censés venir les chercher. Jamais dans leur vie les deux garçons ne se sont sentis aussi soulagés, voire même, excités, et toute l'animosité qu'il pouvait y avoir entre eux semble s'être totalement envolée. Jisung a envie de tout pardonner à Hyunjin, leurs différents lui semblent bien dérisoires en comparaison à ce qu'ils ont pu vivre durant ces dernières vingt-quatre heures. Après ça, ils retrouveront enfin leurs familles, leurs proches, et pourront recommencer à se chamailler comme autrefois, le cœur un peu plus léger qu'auparavant.
- Merci Jisung.
- Hm ?
- Bah, sans toi, j'aurais déjà paniqué, et j'aurais sûrement pas été capable de faire tout ce que t'as fait pour notre survie.
- Oh, bah... C'était rien, t'inquiète ! Au moins, maintenant, tu sais quoi faire si tu te retrouves à nouveau dans pareille situation à l'avenir.
Hyunjin rit légèrement, et se tourne vers lui.
- On dira aux autres qu'on a passé notre temps à se disputer et qu'on en est presque venu aux mains hein ? s'enquit-il avec amusement.
- Personne ne nous croira si on dit qu'on a réussi à coopérer pendant vingt-quatre heures de toute façon, Jisung se moque en retour.
Les deux garçons s'observent avec la même lueur de malice dans le regard, et le cadet sent un léger pincement au cœur lorsqu'il se dit que si les autres n'étaient pas aussi compliqués, Hyunjin et lui pourraient être encore ensemble à l'heure qu'il est.
Ou peut-être qu'ils sont réellement incompatibles, malgré tout.
Le blond reporte son attention sur l'extérieur, lorsqu'un élément du décor capte immédiatement son attention. La mer, elle se rapproche, elle se rapproche dangereusement, à une vitesse improbable, et surtout, elle emmène avec elle une vague immense, si immense, Jisung n'a jamais rien vu de tel auparavant.
- Recule !
- Quoi ?
- Recule Hyunjin, recule !
Le noiraud s'exécute, sans comprendre.
- Mets-toi sous une table, contre le mur du fond. Fais ce que je te dis, vite !
- Qu'est-ce qui se passe encore ? s'exclame Hyunjin tout en essayant de faire ce que Jisung lui dit le plus rapidement possible.
- Tsunami !
Instantanément, le visage de Hyunjin tourne au blanc, et à peine quelques secondes plus tard, le bâtiment entier est pris de tremblements. Jisung observe la fenêtre avec crainte, mais l'eau ne semble pas atteindre leur étage. Hyunjin se tient fermement à l'un des pieds de la table sous laquelle ils se sont réfugiés, les yeux fermés et les poings serrés. Il semble terrifié, et il y a de quoi. Il a l'impression que l'immeuble va s'effondrer sur lui-même, que l'eau va soudainement pénétrer à l'intérieur de leur salle en brisant toutes les fenêtres, pour les engloutir sur son passage. Hyunjin n'a jamais eu à survivre à la moindre catastrophe, naturelle ou non, et voilà qu'il se retrouve exposé à deux événements tragiques en l'espace de quelques heures. C'en est presque trop pour lui. Trop, trop, trop. Toute sa vie, Hyunjin, ça a toujours été un garçon sacrément terrifié, par des pensées stupides et des réalités blessantes, mais là, aujourd'hui, il sait ; il sait que jamais jusqu'alors, il n'a eu peur de la sorte, et que cette sensation qui lui tiraille l'estomac, jamais plus il ne sera capable de la ressentir aussi violemment qu'en ce moment-même.
Lorsque les secousses cessent, il réalise qu'il a retenu sa respiration un peu trop longtemps, et expire profondément, pour se tourner vers le plus jeune, dont les yeux fixent toujours intensément l'extérieur.
- C'est déjà fini ?
- C'était que la première vague. Les suivantes peuvent être encore pires que celle-ci, alors on va rester ici, et prier pour qu'elles n'atteignent pas notre étage.
- Et les secours...
- Ne vont pas risquer leur peau si y a un tsunami en cours. On est plus en sécurité si on reste ici.
- T'es pas sérieux ?
- J'ai une tête à plaisanter ? Mets toi à la fenêtre si tu veux, mais si t'es blessé c'est plus mon problème.
Ce simple avertissement a le don de maintenir Hyunjin à sa place, bien trop inquiet à l'idée de mourir à cause d'une bêtise pareille. Il a beau détester son camarade lorsque ce dernier le prend de haut de la sorte, il reste Han Jisung, le garçon le plus intelligent qu'il n'ait jamais rencontré ; s'il dit qu'il faut rester ici, alors, il restera là où il est.
- On va s'en sortir, hein ?
- On est en hauteur, à quelques kilomètres de la côte. Si le tsunami n'est pas trop violent, ça devrait aller.
- Hm.
Jisung se tourne vers lui, un sourire qui se veut rassurant (quoique peu convainquant) peint sur les lèvres.
- On va s'en sortir, j'en suis certain.
***
Les rues ressemblent pratiquement à une piscine géante depuis leur position. L'eau semble atteindre le deuxième étage de leur bâtiment (et au vu des tables et des chaises qui flottent dans ce qui aurait dû être la cour d'entrée, Jisung se dit qu'ils l'ont échappé belle), et se retire lentement au fur et à mesure que la nuit tombe. Le tsunami a duré près d'une heure, mais par précaution, ils sont restés cachés sous leur table un long moment encore, de peur de se faire surprendre. Ils écoutent distraitement un quelconque présentateur radio faire le compte-rendu des récents événements, le blond retient vaguement que même le Japon a été touché, et que Busan a notamment été totalement engloutie par les vagues, ne laissant dépasser que le haut des quelques gratte-ciels peuplant le centre de la ville. L'intervention des secours a été reportée, même si personne ne sait encore à quand.
Le sentiment de soulagement de tout à l'heure a totalement disparu, pour laisser place à la peur à nouveau.
Soudainement, Hyunjin se remet à pleurer, manifestement à bout. Jisung ne dit rien. Ne se moque pas, ne lui demande même pas de se taire malgré la migraine qui le prend depuis un petit moment à présent. Il le laisse pleurer, se dit que cela va lui faire du bien. Après ce qu'ils viennent de vivre, c'est probablement normal. Il continue d'observer la ville fantôme d'un œil vide, commençant de plus en plus à douter de leur survie. Tout ça à cause d'une stupide connerie. S'il ne s'était pas obstiné à vouloir réchauffer son plat hier, il ne serait pas monté au troisième. Il aurait été évacué avec les autres, il serait en sécurité à présent. Quant à Hyunjin... Le connaissant, il n'aurait même pas réussi à rester caché dans les toilettes bien longtemps, le professeur duquel ils se sont dissimulé tous les deux l'aurait sans doute entendu pleurer tout comme lui et l'aurait fait descendre à son tour.
Il se sent stupide.
- On va mourir, on va mourir, commence à répéter Hyunjin visiblement effondré.
- Je te promets que les secours vont venir.
- Quand on sera déjà mort !
- On ne va pas mourir. Si on reste ici, tout se passera bien.
- Tout se passera bien, il se moque au bord de la crise de nerf, tout se passera bien... Tu m'dis ça depuis hier, et regarde où on en est maintenant ! Tout n'se passe pas bien, même toi t'en sais rien d'si on va s'en sortir ou pas ! Une tornade, un accident nucléaire, un tsunami, c'est quoi la prochaine étape ? Un tremblement de terre ? Une inondation ? Vu comment il pleut sans arrêt, ça serait pas très surprenant, tiens !
- Calme toi Hyunjin, s'il te plaît, je...
- Non, j'me calme pas ! Merde Jisung, on va crever, et toi tu voudrais que j'me calme ! T'as pas changé putain, t'as pas changé ! Toujours là à m'faire passer pour l'hystérique de service, avec ton impassibilité d'merde ! Est-ce que t'en as quelque chose à foutre du monde qui t'entoure, ou t'es toujours aussi blasé quoi qu'il arrive ?
- Hyunjin, c'est pas l'moment de...
- Si c'est l'moment ! il crache avec conviction. C'est tout à fait l'moment d'te dire tout c'que j'pense de toi vu qu'c'est sans doute les dernières heures de ma vie ! Monsieur j'sais tout, monsieur j'suis super intelligent, super woke et tout l'bordel, tu m'gonfles, tu m'gonfles à toujours t'mettre au-d'ssus d'tout l'monde, à tous nous traiter comme si on était stupide, à me traiter comme si moi je l'étais ! Excuse-moi de pas posséder ta suprême intelligence Han, excuse moi d'être un simple ado qui essaye de s'amuser et de profiter avant d'crouler sous les responsabilités d'la vie d'adulte, d'accord ?
- C'est ça l'problème avec toi, finit par répondre Jisung avec une froideur que Hyunjin ne lui connaissait pas encore. Toujours à en faire trop, toujours à tout ramener à ta petite personne. Toujours à penser qu'le monde tourne autour de toi, alors que, surprise, non ! On peut pas discuter, tu t'remets jamais en question, c'est jamais d'ta faute, toujours celle des autres ! Et c'est exactement la raison pour laquelle j't'ai quitté, Hyunjin.
- J'te permets pas de...
- Parce que t'es qu'un sale connard égoïste, qui s'est jamais dit deux secondes que moi ça m'faisait p't-être mal aussi. Tu crois quoi, que j'me serais pas fait insulter aussi ? Bien sûr que si ! Mais j'me disais qu'on affronterait ça ensemble, sauf que t'en avais rien à foutre toi, tu voulais juste conserver ta putain d'réputation. J'passais après ta réputation, putain !
- Et c'est r'parti, toujours à vouloir montrer à quel point t'as raison et à quel point c'est moi qui suis en tort ! J'préfère être un connard égoïste, qu'être aussi méprisant et méprisable que toi !
- T'sais quoi, tout à l'heure j'me disais qu'on aurait p't-être pu repartir sur de bonnes bases après ça, mais j'avais tort, t'es toujours aussi con et égocentrique.
- Va t'faire foutre Han, c'est pas moi qui m'suis fait abandonner par ma mère parce que j'étais un gamin insupportable !
Hyunjin se fige à l'instant-même où ses mots passent la barrière de ses lèvres, réalisant la connerie qu'il vient de sortir. Dans les yeux de Jisung, il y a beaucoup de douleur, d'un seul coup, une grande douleur qui se mue rapidement en rage, une rage immense, qui trouve sa victime en Hyunjin.
- Je t'interdis de parler d'ma mère, je t'l'interdis !
Han Jisung, c'est pas un gars très violent, et pourtant, il vient de se jeter sur Hyunjin pour lui donner le plus gros coup de poing de sa vie.
Il se relève rapidement, comprenant à son tour qu'il est lui aussi parti trop loin. Hyunjin lui, est toujours au sol, dans un état second, pratiquement sonné. Jamais, ô, grand, jamais, il n'a vu Jisung lever la main sur qui que ce soit. Jamais. Même quand il s'est fait agresser dans la rue, une fois, il n'a pas répliqué. Toutes ces fois où il s'est fait insulter, et Hyunjin était là, la plupart du temps, il n'a jamais frappé qui que ce soit. Il savait suffisamment bien se servir des mots pour s'épargner cette peine.
Mais là, là c'est différent.
Hyunjin est le seul à savoir la vérité sur la mère de Jisung, et pour la première fois, il vient de s'en servir pour blesser volontairement ce dernier, mais jamais il n'aurait cru que cela lui ferait autant de mal. Pourtant, la douleur qu'il a aperçue dans ses yeux hante encore son esprit, et déjà, il regrette de s'être emporté de la sorte. Peut-être que Jisung avait raison. Peut-être qu'il n'est qu'un sale connard égocentrique, après tout.
Jisung s'est recroquevillé dans un coin de la pièce, lui-même choqué par son propre geste. Il a toujours dit que la violence n'était pas la solution, jamais, et pourtant, il y a cédé aujourd'hui. Il s'en veut, atrocement, mais la peine provoquée par la remarque de son acolyte est bien trop grande pour qu'il puisse daigner s'en excuser. Une larme roule en silence sur sa joue, qu'il essuie d'un geste rageur, avant de finalement se lever et quitter la salle de classe. La présence de Hyunjin dans la même pièce rend les choses encore plus insupportables, et, rien que pour un instant, il a besoin d'être seul.
Le noiraud n'ose pas retenir son cadet sur le moment, mais se relève d'un coup lorsqu'il comprend qu'il est sorti. Tant qu'il demeure au dernier étage, il est en sécurité, mais si, sous la colère, il s'exposait au danger ? Il entend la porte de la salle d'à côté claquer, et il est immédiatement rassuré. Il se sent un peu stupide, aussi ; Jisung a beau être énervé, il reste quand même malin, évidemment qu'il n'allait pas essayer de quitter le lycée pour tenter de survivre par lui-même (c'est ce que Hyunjin aurait fait, à sa place, et il se dit encore une fois qu'il n'est vraiment pas très futé en comparaison à son camarade).
T'as vraiment merdé, cette fois, qu'il ne peut s'empêcher de penser.
***
MERCREDI, TROISIÈME JOUR.
C'est la lueur, accompagnée quelques secondes plus tard par le son d'un éclair qui vient réveiller Jisung de sa courte nuit. Le soleil est déjà en train de se lever. Le ciel est teinté de rouge, et si, en d'autres circonstances, il aurait trouvé ce levé de soleil particulièrement magnifique, aujourd'hui, il a simplement le don de l'attrister un peu plus.
Le blond s'étire calmement après avoir réprimé un bâillement, et se redresse des tables sur lesquelles il s'était allongé. Ses traits sont tirés, il sent son ventre crier famine, et c'est vraiment qu'il n'a ni beaucoup mangé, ni beaucoup dormi ces deux derniers jours. Le temps semble bien long, et pourtant, il a tout de même l'impression d'en manquer. Il se demande comment va sa famille. Son père, son frère, sont-ils en sécurité ? Vont-ils bien ? Ils doivent tant s'inquiéter pour lui, et Jisung ne peut même pas leur donner la moindre nouvelle, leur dire qu'il va bien. Qu'il s'en sort comme il peut, que les secours doivent vraiment venir maintenant.
L'orage n'a pas cessé une seule seconde depuis le début de la semaine, et, il doit bien l'avouer, c'est un fait qui commence à l'inquiéter également. Hyunjin avait raison hier ; à ce stade, il va bientôt y avoir des inondations. Lentement, il s'approche de la fenêtre.
Au-dehors, la ville est tout aussi déserte que la veille. L'eau qui avait pourtant commencé à se retirer, est toujours présente, sans doute à cause de la pluie qui semble ne jamais s'arrêter. Certaines structures ont été totalement rasées par les vagues, et flottent sur l'eau des restes de la vie humaine qui, il y a de cela encore quarante-huit heures à peine, battait encore son plein. Les fenêtres de plusieurs immeubles sont brisées jusqu'au troisième étage. Un étage plus bas, et ils n'auraient probablement pas survécu une nuit de plus.
Il doit être un peu plus de sept heures du matin. Jisung repense à sa dispute de la veille avec Hyunjin. Un simple coup d'œil aux phalanges de sa main droite lui permet de conclure qu'il n'a pas dû le frapper très fort, car il ne ressent aucune douleur, et ne peut voir aucune trace de la moindre violence sur son poing.
Il soupire.
Il devrait peut-être s'excuser, mais sa fierté mal placée l'en empêche encore. Pourtant, il connaît suffisamment Hyunjin pour savoir qu'il ne pensait pas ce qu'il disait, hier (ou bien, peut-être un peu, mais pas pour sa mère ; non, la mention de sa chère maman, c'était définitivement un dérapage incontrôlé), et sans doute qu'il doit s'en vouloir plus que tout actuellement.
Cela n'empêche que Jisung soit toujours en colère (juste un peu).
Finalement, le ciel retrouve enfin son bleu caractéristique, mais les nuages sont si nombreux, le monde semble bien sombre, bien triste, bien gris depuis sa position. La mention de fin du monde de Hyunjin lui semble de plus en plus pertinente, à mesure que le temps passe. En tout cas, ça ressemble bien à la fin de leur petite vie tranquille, dans cette ville sans histoire qui, comme bien d'autres avant elle, sera déclarée inaccessible à cause de la radioactivité et de la centrale nucléaire.
Nouveau soupir.
Il y a tant de choses qu'il va abandonner derrière lui, qui vont devoir rester dans la demeure dans laquelle il a vécu toute sa vie, des biens auxquels il tenait, des souvenirs, de ses amis, de sa famille, de sa mère.
Lui qui avait si hâte de partir explorer le monde, si hâte de s'éloigner d'ici pour enfin commencer sa vie, le voilà maintenant nostalgique. Nostalgique d'une maison qu'il ne pourra plus jamais retrouver, à présent. Un étrange mal du pays le prend d'un seul coup. Il a tant perdu, en l'espace de deux jours, il lui faudra un long moment pour s'en remettre, ça c'est certain.
Le bruit de quelqu'un toquant à sa porte le fait sursauter, et il se retourne brusquement. Pourtant, il ne s'agit que de Hyunjin, qui entre, son visage empreint d'une expression pleine de gêne et de regret. Il se mord nerveusement la lèvre inférieure, un vieux tic qu'il trimballe depuis l'enfance, lorsqu'il cherche ses mots avec soin, ou lorsqu'il souhaite dire quelque chose mais se retient. Jisung se contente de l'observer sans rien dire, sans rien faire, l'expression si neutre, à se demander s'il en a réellement quelque chose à faire.
- Je... Je suis réellement désolé pour ce que j'ai dit hier, à propos de ta mère. Mes mots ont dépassé ma pensée, et j'étais en train de paniquer, et j'avais si peur, et je sais que cela n'excuse rien, mais je suis sincèrement désolé... T'as pas idée d'à quel point je m'en veux depuis hier, j'ai pas arrêté d'y r'penser et ouais, ouais c'est vraiment de ma faute tout ça, et, s'il te plaît, pardonne moi...
Il demeure silencieux durant tout le discours de son camarade, l'observant toujours avec ce même air d'indifférence crasse, presque dédaigneuse. Il lui en veut encore terriblement, il savait à quel point sa mère est un sujet sensible, il le savait très bien et il était la seule personne en qui Jisung avait suffisamment confiance pour lui confier ce fait, il y a de cela une dizaine d'années à présent. Malgré tout le temps qui s'est écoulé depuis son départ, jamais le garçon n'a abordé le sujet avec quelqu'un d'autre que Hyunjin, même ses amis actuels n'en savent rien.
Jamais.
- Dis quelque chose, supplie doucement Hyunjin avec nervosité. Même que tu ne veux plus me voir, plus me parler, mais s'il te plaît, pas ce silence...
Pendant quelques secondes encore, Jisung demeure immobile, en pleine réflexion. Mais le regard si peiné de Hyunjin a finalement raison de lui, et il roule des yeux, avant de lui servir un très léger sourire, qui pourtant, veut tout dire.
- C'est bien parce que c'est toi, il lâche avec nonchalance avant de s'approcher de lui.
- Merci...
- Ça va ? s'enquit-il tout en passant délicatement la pulpe de ses doigts sur la pommette du plus grand.
Il guette la moindre réaction de douleur de sa part, mais rien ; il ne l'a définitivement pas blessé hier avec son coup de poing.
- Je t'ai pas trop fait mal ?
- Écoute, maintenant je sais pourquoi tu préfères utiliser les mots que les poings ; t'es vraiment nul quand il s'agit de cogner quelqu'un.
Ils rient brièvement tous les deux, et Jisung retire sa main.
- Je suis désolé aussi.
- T'inquiète, c'est déjà oublié.
- T'es sûr ?
- Certain.
***
Les deux garçons sont de retour dans la salle trois-cent-neuf où ils ont élu domicile depuis lundi, et le silence est uniquement perturbé par la tempête qui règne à l'extérieur. Jisung continue inlassablement de guetter la rue, comme si, soudainement, quelqu'un allait surgir de nulle part pour leur venir en aide. Hyunjin, lui, observe toujours la silhouette de Jisung, découpée par la faible lumière du soleil qui arrive encore à faire son chemin au travers les nuages lourds et épais qui peuplent toujours le ciel.
La radio est restée silencieuse une bonne partie du temps, afin d'économiser les piles ; parfois, Hyunjin la rallume, écoute une voix grésillante répéter sans arrêter les mêmes informations, la tornade, l'accident à la centrale, le tsunami, puis coupe à nouveau, le moral toujours un peu plus bas.
Le tonnerre ne l'affecte plus vraiment, le fait tout juste frissonner lorsqu'un éclair tombe à proximité de leur position ; comme s'il avait vaincu son astraphobie, mais à quel prix ?
- Tu crois qu'ils vont bien ? il finit par lâcher distraitement. Les autres, j'veux dire.
- Je suppose. La ville entière a été évacuée.
- Mes parents doivent sans doute être en train de faire un procès au lycée pour m'y avoir oublié.
Jisung ricane.
- Ça ne m'étonnerait même pas, venant d'eux.
- Et toi ?
- Mon frère était malade, il était resté à la maison avec mon père. Je suppose qu'il ne doit pas le lâcher.
- C'est horrible, ce qui arrive à ton père.
- Hm ?
- Ça fait bientôt dix ans qu'il est sans nouvelle de ta mère. À présent, c'est toi qui disparais. Tu imagines son état ?
- Je sais. Mais mon père est fort, et puis, il a toujours Jiwon. Il n'abandonnera pas tant qu'il ne sera pas sûr et certain que je ne suis plus de ce monde, surtout pas si c'est pour laisser mon frère tout seul.
Jisung vient s'installer aux côtés de Hyunjin, sur une des tables adossée au mur.
- Tu sais, parfois j'suis un peu jaloux. Qu't'aies une famille aussi aimante. Mes parents sont juste bons pour me foutre la pression et projeter leurs rêves sur moi. Qui je suis n'a aucune importance pour eux, tant que je suis celui qu'ils veulent que je sois.
Le plus jeune ne répond pas, se contente de jeter un regard désolé à son voisin, avant de le prendre dans ses bras. Hyunjin est surpris sur le moment (depuis combien de temps n'ont-ils pas eu de gestes aussi tendres, aussi affectueux, l'un envers l'autre ?), mais finit par se détendre, et rendre son étreinte à Jisung.
- Tu sais, c'est pas forcément facile non plus de s'assumer. En dehors de mes proches, y a pas grand monde qui m'apprécie, alors que toi...
- Alors que moi, tout l'monde fait semblant d'vouloir être mon ami, pour gagner en popularité. C'est toujours par intérêt, jamais sincère.
- T'as quand même des gens sur qui compter, non ? Tes potes casse-couilles qui passent leur temps à insulter les miens là.
- Seungmin, Jeongin et Chan ? Ouais. Ça doit être les seuls à qui j'tiens sincèrement. Puis c'est tes potes à toi qui nous agressent tout l'temps d'abord !
Un léger rire s'échappe d'entre les lèvres du décoloré, qui acquiesce.
- C'est vrai qu'ils vous l'rendent bien.
- Tu parles ! Changbin et Seungmin peuvent tellement pas s'supporter, ils en sont pratiquement venu aux mains la dernière fois !
- En même temps, vous vous en êtes pris à Felix.
- J'ai jamais compris ce qu'il y avait entre ces deux-là, grommelle Hyunjin. À la base, c'est Felix ton meilleur pote, mais depuis quelque temps, tu traînes qu'avec Minho, ils arrêtent pas de vous faire faux bon.
- Felix et Changbin ? Oh, ils sortent ensemble.
Hyunjin écarquille les yeux de surprise, ne s'attendant pas à pareille réponse.
- Vraiment ?
- Depuis quelques mois maintenant, ouais.
- Alors ça...
- Ça t'étonne tant que ça ?
- Bah... Un peu ouais. J'me souviens quand on était gosse, comme il traînait déjà avec toi et tout... J'me suis jamais dit... 'Fin il avait pas l'air...
- Tu sais, avant d'être aussi attiré par les hommes, c'est un gars normal, comme toi et moi.
Jisung roule des yeux, mais sourit tout de même.
- Pour un gay, tu fais des remarques vachement homophobes, quand tu t'y mets. Te renseigner un peu ça te ferait pas trop de mal.
- Pardon...
- T'inquiète. Ça viendra. En tout cas, j'espère pour toi.
Nouveau silence. Installés l'un à côté de l'autre, les deux garçons observent sans un mot le paysage au-delà de la fenêtre, et même si l'avenir est incertain, ils ont envie de croire que tout ira bien.
***
JEUDI, QUATRIÈME JOUR.
- « ...Plusieurs centrales à travers le monde ont dû être arrêtées à cause du risque élevé d'accident, semblable à celui de la centrale d'Hanul lundi dernier. En effet, depuis ce jeudi matin, les conclusions communes de nombreux scientifiques affolent un grand nombre de gouvernements, qui se préparent à vivre des jours difficiles. "La fonte des glaces due à la canicule sans précédent de la semaine dernière est catastrophique", d'après le scientifique danois Steffan Olsen. "En juin dernier, plus de deux milliards de tonnes de glace ont fondu en l'espace d'une seule journée. Imaginez donc une perte pareille chaque jour depuis le début du mois ? Les conséquences sur le climat vont être désastreuses, on en a déjà la preuve avec ce qui se passe en Europe, aux Etats-Unis, et en Asie de l'Est en ce moment-même."... »
Hyunjin et Jisung sont assis de part et d'autre de la petite radio, qui crachote difficilement les dernières nouvelles de la journée. L'ambiance est grave, lourde, et chaque nouvelle qui tombe est comme un nouveau coup de massue pour les deux adolescents, pratiquement sans nouvelle du monde extérieur depuis trois jours maintenant.
- « ...De nombreux incendies, semblables à ceux de la forêt amazonienne il y a de cela un mois à peine à présent, se sont déclenchés dans plusieurs régions du globe. La forêt du bassin du Congo, ainsi que la forêt de Daintree en Australie, sont notamment touchées. Aux Etats-Unis, le record de température a de nouveau été battu par la canicule, toujours bien présente dans une bonne partie du pays, trente-neuf degrés Celsius ont été enregistrées sur la côte ouest du pays. Sur la côte est, en revanche, de nombreuses tempêtes, des orages violents, ainsi qu'un grand nombre d'inondations, poussent les habitants à se retrancher dans les terres depuis deux jours. La situation est identique au Japon, en Corée du Sud, ainsi que sur les côtes chinoises et taïwanaises. En Asie du Sud, la chaleur est toujours écrasante, on dénombre un taux de mortalité dû à la déshydratation bien supérieur à la moyenne annuelle... »
Jisung sent le regard de Hyunjin venir se poser sur sa personne, et il relève la tête dans sa direction. Le brun semble presque paniqué par la situation, et il aimerait le rassurer, sincèrement, il aimerait lui dire que tout va bien se passer, mais à chaque nouvelle catastrophe annoncée par le présentateur radio, c'est un peu de son propre calme qui semble s'envoler.
- « ...L'Europe quant à elle semble touchée par une période de grand froid, le continent entier, malgré l'été extrêmement chaud que le territoire semblait traverser il y a encore de cela une semaine, serait entré en "mini-période glaciaire", une "période de Maunder," pourtant annoncée pour dans environ quinze ans encore... »
- On s'en sort bien, ironise Jisung.
Il se fait interrompre d'un simple regard par Hyunjin, manifestement désireux d'entendre quelle sera la prochaine catastrophe annoncée.
- « ...Les tensions au Moyen-Orient ont récemment éclaté, et plusieurs attentats ont été déclarés au cours de ces derniers jours. L'Afrique est également touchée par une violente épidémie ayant décimée déjà quinze pour-cent de la population locale en l'espace de cinq jours, le virus ou la bactérie serait pour le moment totalement inconnu... »
- Tu devrais vraiment éteindre cette radio Hyunjin, soupire Jisung tout en s'éloignant finalement après avoir jugé qu'il en avait assez entendu pour la journée. C'est pas bon pour le moral ce que tu fais.
- Qu'est-ce que ça change ?
- Puisque le monde est à ce point parti en vrille, ça signifie qu'on risque d'être abandonné à notre sort, et qu'on va devoir survivre par nous-même. Je vais avoir besoin de quelqu'un d'opérationnel, pas d'un gamin apeuré qui pleure parce que c'est effectivement la fin du monde.
Hyunjin relève la tête vers son camarade, considère pendant un moment ses paroles, et finit par éteindre la radio.
- On fait quoi à présent ?
- J'en sais rien Hyunjin. J'en sais rien.
Un silence pesant s'abat sur la pièce. Pour la première fois depuis longtemps, Jisung se sent totalement dépassé, paumé par les évènements. Pour la première fois depuis longtemps, Jisung ne sait pas quoi faire.
***
- Tu sais, j'me suis toujours demandé... Comment tu faisais pour toujours tout savoir, tout le temps.
Jisung rit en entendant la question de son acolyte, et secoue la tête à la négative.
- Je suis loin de tout savoir, crois moi. En histoire par exemple... Avant la colonisation du Japon, j'serais bien incapable de te raconter en détail ce qu'il s'est passé dans c'foutu pays.
- Non mais, c'est pas d'ça que j'veux parler.
Haussement de sourcil surpris, regard dubitatif l'invitant à poursuivre. Il n'est pas certain de comprendre où Hyunjin veut en venir, mais l'écoute tout de même, curieux.
- On t'appelle pas l'gardien des secrets pour rien, on dirait qu't'es toujours au courant d'tout, sur tout l'monde. On peut rien t'cacher, même quand on essaye t'es quand même au courant.
- Oh, ça !
Le blond sourit avec mystère, tandis que ses yeux se font fuyants.
- En fait, suffit d'savoir observer les gens. Tout le monde sait voir, mais personne ne sait observer, ici. J'ai juste appris à interpréter le langage corporel, c'est vraiment intéressant comme sujet d'ailleurs. Ensuite, j'me suis renseigné sur les micro-expressions. À détecter quand les gens mentent, et c'que veulent vraiment dire leurs paroles. C'est juste... Du mentalisme.
- Essaie pas d'me faire croire qu'c'est magique, Jisung.
- J'aurais dit psychologique, personnellement. Y a des études très sérieuses à ce sujet. Le mentalisme, ça m'a pas mal aidé dans ma vie. À comprendre c'que voulaient vraiment les autres, d'une part, mais à améliorer ma mémoire, ma concentration, et tout un tas d'autres trucs du genre. Ca peut aussi t'apprendre à manipuler les autres, si jamais t'es intéressé.
- Eh ! J'te permets pas.
- T'as raison, c'était pas très gentil comme blague. Enfin bref. A force de regarder les autres, c'est facile d'analyser leurs relations, d'apprendre des trucs qu'ils gardent secret. J'suis loin de tout savoir sur eux, juste le minimum pour leur faire croire que c'est l'cas. Ensuite, les gens font gonfler la rumeur comme des grands, et c'est comme ça que tout le bahut s'est mis à croire que j'étais un agent FBI... Puis Changbin et Felix sont du genre discrets, surtout quand ils sont tous les deux. Ils passent leur temps à se cacher des autres, du coup, personne ne remarque leur présence et c'est comme ça qu'ils se retrouvent témoins de plein de trucs auxquels ils auraient pas dû assister. Ils adorent nous raconter tout ça, ils trouvent ça super drôle. Et j'pense que j'ai pas besoin de rappeler que Minho adore les potins et est toujours au courant du dernier drama. Ça aide un peu, aussi.
- Donc le secret c'est d'avoir des espions et savoir observer et interpréter ce que font les gens ? résume ainsi Hyunjin.
Il semble dubitatif.
- En quelque sorte ouais, confirme Jisung.
Hyunjin se met alors à rire, après avoir gardé le silence pendant un petit moment, histoire de réfléchir aux paroles de son benjamin. Et lorsqu'il rit, il a l'air si innocent, pendant un moment, il ferait presque oublier à Jisung le chaos qui règne dehors. Il se dit qu'il adore l'entendre rire. Ça lui réchauffe le cœur, sans doute plus que de raison, mais il n'y peut rien. Il a toujours eu une affection toute particulière pour Hwang Hyunjin.
- Si tu savais toutes les théories chelous qu'les autres font sur toi, alors qu'au final, c'est... Si simple, comme explication.
- J'suis sûr que toi tu pensais qu'j'étais un sale stalker, se moque-t-il.
- Pratiquement, ouais.
Dans l'air flotte encore l'écho de leur rire, alors que le silence revient. Toujours le silence. C'est si étrange, d'être seuls, abandonnés, le brouhaha ambiant disparaît alors, le moindre son que fait le monde devient bien plus audible, à mesure que le bruit des autres se tait.
- Je t'ai déjà raconté pourquoi je détestais le lundi ?
- Jamais, non.
- C'est toujours le lundi qu'il s'passe un truc de merde dans ma vie.
Le noiraud se redresse, observe plus franchement son vis-à-vis, parfaitement à l'écoute.
- Toute cette merde, ça a commencé un lundi. C'est aussi un lundi qu'on s'est quitté. C'est un lundi que j'ai eu la pire mauvaise note de ma vie. Un lundi que j'me suis fait agresser dans la rue. C'est toujours un lundi, toujours.
- C'est vrai que dit comme ça...
- C'est un lundi que ma mère est partie. C'était le premier malheur de la série.
- Oh, Jisung...
Il se lève, afin de rejoindre son cadet, et se laisse glisser à côté de lui. Il n'ose pas vraiment le prendre dans ses bras, mais quand il voit le regard brillant de Jisung se poser sur sa personne, toute trace d'hésitation le quitte, et il passe ses bras autour de son corps svelte.
- Je suis là maintenant. Promis, j'te laisserai plus.
- Fais pas des promesses comme ça, on sait même pas si on va pouvoir les tenir...
- J'ferai tout pour en tout cas. J'te promets d'essayer, au moins.
Il relève la tête vers Hyunjin, lui sert un sourire éteint, mais dans ses yeux pourtant brillent encore un peu d'espoir.
- Promis ?
- Promis.
***
VENDREDI, CINQUIÈME JOUR.
La première secousse fut brutale. Elle tira de son sommeil Jisung comme Hyunjin, qui se sont alors regardés avec surprise, panique, et inquiétude. La seconde ne leur laissa plus aucun doute quant au fait qu'il était bel et bien en train de se passer quelque chose, et fut plus violente encore.
Jisung se lève vivement, attrape au passage le bras de Hyunjin qui se dirigeait pourtant vers la fenêtre, afin de voir ce qu'il se passe dehors. Il le tire avec lui contre le mur du fond, sous la même table qui leur a servi de refuge quelques jours plus tôt, lors du tsunami ayant transformé la ville en véritable pataugeoire géante.
- Ne t'approche jamais des fenêtres ! hurle Jisung par-dessus le fracas doublé d'un grognement lointain qui semble petit à petit prendre possession de leurs oreilles.
Quelques secondes plus tard à peine, s'écroule en plein milieu de la pièce quelques plaques servant autrefois à constituer leur plafond. Les lampes viennent s'exposer sur le sol peu de temps après, et le verre des tubes de néon vient se répandre sur le sol, jusqu'à leurs pieds. Hyunjin se réfugie dans les bras de Jisung au même moment, et ce dernier le sent trembler contre lui. Il aimerait tant le rassurer, lui dire que tout ira bien, mais il est lui-même paralysé par la peur à cet instant. Le Jisung à la tête froide a disparu, pour laisser place à l'angoissé, celui qui lui murmure dans un coin de son esprit qu'ils ne vont jamais sortir d'ici vivant.
Les étagères, le tableau noir, les chaises, tout tombe à terre, dans une cacophonie insupportable. Des tremblements de terre, en Corée du Sud, ce n'est pas un phénomène si rare que ça ; mais jamais de son vivant Jisung n'en a vécu d'aussi violents, ça, il en est parfaitement certain.
Un bruit sourd se fait entendre au-dessus de tout le reste, et lorsque le blond relève la tête, c'est pour constater que l'immeuble face au leur vient tout simplement de s'écrouler sur lui-même, comme s'il n'avait jamais été. Alors, il sert Hyunjin un peu plus fort contre lui, pour se rassurer à son tour, pour essayer de se convaincre qu'il ne peut rien leur arriver tant qu'ils demeureront tous les deux, qu'ils sont trop jeunes pour mourir maintenant, qu'ils sont invincibles, immortels. Malheureusement, les enfants, ce n'est pas immortel, et ça, Jisung l'a compris il y a bien trop longtemps.
Un cri de peur franchit la barrière de ses lèvres lorsque, sous ses yeux, une partie du sol disparaît pour regagner l'étage inférieur, emportant quelques tables et chaises au passage. Bientôt, les fenêtres se brisent à leur tour, et plusieurs morceaux se retrouvent éparpillés dans ce qu'il reste de la trois-cent-neuf, alors que la pluie et la tempête, qui font toujours rage, s'empressent de gronder dans leurs tympans. De la grêle tombe également du ciel, les températures semblent avoir drastiquement chuté en l'espace d'une seule et même nuit, et le décoloré est pratiquement certain de distinguer de la neige venir recouvrir le monde extérieur qui tombe en ruine sous ses yeux. Une bourrasque vient mordre ses joues et fait voler ses cheveux dans tous les sens, alors, Jisung replonge de nouveau le visage dans le creux de l'épaule de son acolyte, qu'il peut sentir pleurer contre son torse.
Dehors, les premières lueurs du jour se frayent difficilement un chemin entre les nuages.
***
- Combien ?
- Un sievert.
- C'est dangereux ?
- Sur le long terme, principalement.
Jisung repose le détecteur de radiation là où il l'a trouvé précédemment (c'est-à-dire, sur le sol de ce qui était autrefois la réserve), et se tourne de nouveau vers Hyunjin, qui le regarde nerveusement. Il possède une légère écorchure à la lèvre inférieure, ainsi qu'un bleu sur la tempe droite ; conséquences dues à une mauvaise chute lors de leur fuite hors de la classe, après que le sol se soit pratiquement dérobé sous leurs pieds au beau milieu du tremblement de terre.
- Sur le court terme, ça cause surtout des vomissements, la nausée... Évanouissements... Si on reste exposé trop longtemps, ça peut aussi déclencher des hémorragies internes, des infections...
- Donc vaut mieux qu'on reste enfermé ici, c'est ça ?
- C'est ça.
La réserve est une petite pièce exiguë qui a au moins le mérite d'avoir survécu au séisme, et qui, surtout, ne possède pas de fenêtre, simplement une entrée, que Jisung s'est empressé de refermer après avoir trainé un Hyunjin à demi-assommé jusqu'ici. Une blouse servant à boucher le petit espace entre le sol et la porte, la radio toujours avec eux, les voilà à présent enfermé dans une pièce relativement petite, et surtout, relativement rangé ; pratiquement tout le contenu des étagères s'est répandu sur le sol, et c'est avec soulagement que Jisung s'est aperçu qu'il s'agissait principalement de verreries, et surtout pas de produits chimiques potentiellement dangereux qu'ils auraient pu avoir à manipuler au cours d'un TP quelconque.
- Même ça tu le sais, soupire Hyunjin en se redressant péniblement.
- De ?
- Les effets correspondant à une dose particulière de radiation.
Jisung sourit.
- Ça t'étonnerait si je te disais que cette centrale m'a rendu si parano pendant ces années, que je me suis renseigné sur ça aussi ?
- Pas vraiment, non.
Les deux garçons sont collés l'un à l'autre, dans l'obscurité. Le portable de Jisung ayant péri lors des précédents évènements, c'est celui de Hyunjin qui leur sert de lampe torche, afin d'avoir un peu de lumière dans cette pièce totalement fermée et privée d'électricité.
- On en a pour combien de temps à peu près ?
- J'ai pu prendre qu'une seule bouteille d'eau, on tiendra à peine deux jours si on boit très peu. On a plus de nourriture, et vu les proportions de la pièce... Je dirais qu'on en a pour moins de trois jours d'oxygène, vu qu'on va sans doute parler, et bouger, ce qui nous fera consommer plus d'oxygène que si on restait immobile et silencieux.
- En gros, on passera pas la semaine ?
- On ne verra sans doute pas de nouveau lundi, non.
L'ambiance est grave, presque macabre. Lentement, les deux adolescents prennent conscience que ce qu'ils craignaient est réellement sur le point d'arriver : ils vont mourir ici, seuls et oubliés.
Après un long silence, Hyunjin choisit de rallumer la radio ; passent en boucle les mêmes nouvelles que la veille, sur la probable fin de la civilisation actuelle, en train de dépérir face à une planète ayant choisi de prendre sa revanche sur l'humanité. L'Apocalypse est enfin arrivée. Les hommes se rassemblent dans des camps de survie, le monde semble partir en vrille, et les catastrophes se multiplient.
- On sait tous au fond d'nous qu'on va mourir, un jour, commente Jisung avec ironie. Mais c'est drôle de voir les hommes s'agiter parce qu'ils en prennent soudainement conscience.
- Il y a tellement de choses que j'regrette de pas avoir fait, ou même, d'avoir fait. Jamais je n'aurais cru mourir à dix-sept ans. Si on m'l'avait dit... Si on m'l'avait dit, y aurait tant d'choses qui seraient différentes, là, maintenant.
- Du genre ?
Il sent le plus jeune l'observer, alors, il se tourne vers lui à son tour, et leur regard se croisent.
- J'aurais probablement pas fait ma diva avec toi. J'aurais porté mes couilles, et p't-être qu'on serait encore ensemble aujourd'hui.
Dans les prunelles de Jisung se lisent l'étonnement, mais aussi, quelque part, une tendresse que l'on y voit rarement. Il sourit doucement, mais détourne les yeux après un moment.
- J'pense qu'à l'inverse j'aurais été plus gentil avec toi, il lâche avant de se mordre la lèvre. Je t'aurais moins fait chier sur cette histoire de secret, parce que j'aurais su que jamais je n'aurais eu une vie assez longue pour me battre pour tout ce en quoi j'croyais. Jamais je n'aurais eu une vie assez longue pour voir notre société évoluer en quelque chose de plus juste, plus égalitaire... J'me serais contenté de ce que j'avais déjà, et j'en aurais profité autant que possible, avant de tout perdre.
- J'suis désolé Jisung, il murmure. J'aurais aimé être capable d'assumer ce que je ressens pour toi, j'aurais tant aimé...
- Je sais Hyunjin.
- J'te demande pardon...
Alors, Jisung le prend dans ses bras, et lui sourit sincèrement ; le premier vrai sourire qu'il ait été capable d'offrir depuis le début de cette épouvantable semaine.
- Tout est pardonné Jinnie. Tout est déjà pardonné.
***
SAMEDI, SIXIÈME JOUR.
- Tu crois qu'il neige toujours ?
- J'en sais rien. Probablement, vu l'froid.
Les deux garçons sont collés l'un à l'autre, et viennent à peine de rallumer le téléphone de Hyunjin pour refaire à nouveau un peu de lumière.
- Il ne tiendra sans doute pas jusqu'à demain.
- Nous non plus, alors bon.
- Il me dit qu'il est un peu plus de quinze heure, soupire Hyunjin.
Il repose l'objet en hauteur, sur une des étagères qui, par miracle peut-être, ne s'est pas retrouvée étendue sur le sol après les nombreuses secousses ayant pourtant ravagé le bâtiment.
- Nous entrons sans doute dans nos dernières vingt-quatre heures alors.
- Tu crois qu'un jour quelqu'un retrouvera nos corps ?
Jisung sourit, étrangement amusé par cette pensée.
- Deux squelettes d'homme enlacés dans une vieille réserve dans un lycée en ruine. Tu sais ce que diraient les historiens du futur ?
- Non ?
- Probablement qu'on était juste de très bons amis.
Hyunjin rit doucement aux paroles de son cadet, son corps imbriqué entre ses bras et ses jambes. Ça vibre dans toute sa cage thoracique, ça résonne depuis son dos pour venir rencontrer le torse du blond, et il se sent presque apaisé par ce simple fait.
Ils n'ajoutent rien. Ils ne parlent pas beaucoup, trop fatigués, peut-être. Jisung pense ironiquement que ça leur permet d'économiser un peu d'oxygène. En réalité, il y a tellement de choses qu'ils aimeraient se dire, mais qui ne sortent pas. Parce qu'il n'y a plus vraiment besoin. Les mots sont superflus à présent, ils connaissent leurs sentiments, et depuis que Hyunjin s'est excusé et qu'il l'a pardonné, au fond, il se dit qu'il n'y a rien à dire de plus.
L'histoire touche à sa fin, désormais.
- Dit... commence soudainement Hyunjin tout en se tournant vers lui. Tu veux bien...
Ses mots se meurent, il n'ose pas terminer sa requête, il a presque honte, cela se lit sur son visage. Jisung penche la tête sur le côté, l'invitant tout de même à continuer.
- Tu voudrais bien m'embrasser ?
La demande est inattendue, et pourtant si évidente, Jisung se sent désemparé, mais finit par sourire malgré tout. Alors, lentement, il s'approche, et dépose tendrement ses lèvres contre celle de celui qu'il n'a jamais cessé d'aimer, en dépit des années. Le geste est plein de tendresse, de douceur, d'amour. L'acte semble prudent, comme si la situation les avait rendus fragiles tous les deux, et que le moindre mouvement trop brusque risquait de les briser en un instant.
Le cœur de Jisung s'est emballé d'un seul coup, très fort, très vite, alors que Hyunjin, sans interrompre le baiser, s'est redressé afin de mieux lui faire face. Ses doigts fins sont venus encadrer son visage, alors que les mains de Jisung ont naturellement trouvé leur place sur ses hanches.
Lorsqu'ils se séparent, leur front demeurent collés l'un à l'autre, comme un besoin pressant de contact, comme s'ils ne pouvaient se détacher l'un de l'autre. Jisung sourit, il sourit grand, sans trop savoir pourquoi, et Hyunjin l'imite un moment plus tard. Ils reprennent leur respiration, leur torse se soulèvent et s'abaissent à l'unisson.
- Pourquoi a-t-il fallu qu'on en arrive là pour se rendre compte d'à quel point on était con, hein ?
- J'en sais rien, le brun lâche les remords plein la voix, j'en sais foutrement rien. Mais puisqu'on va mourir demain, j'veux profiter du temps qu'il m'reste avec toi. J'veux qu'nos dernières heures soient les plus belles qu'on ait jamais vécues, j'veux pas partir la peur au ventre et les larmes aux yeux. J'veux partir en t'serrant contre moi le plus fort possible, et j'veux qu'on s'aime fort, une dernière fois, avant qu'il ne soit trop tard.
Jisung est pris de court ; habituellement, c'est toujours lui qui se charge des déclarations. Hyunjin n'est pas du genre à déclamer de beaux discours à tout va, il préfère agir que parler, contrairement à son acolyte il ne sait pas manipuler la langue avec tant de finesse, et se contente de faire plutôt que de demander. Mais cette fois, c'est lui qui se retrouve à quémander, pratiquement suppliant, presque implorant.
- Je t'aime Jisung. Je t'aime plus que tout au monde.
Leurs deux regards se font brillants, une perle salée vient même rouler sur la joue de l'aîné, et Jisung s'empresse de l'embrasser pour la faire disparaître. Il continue de déposer une multitude de petits baisers sur la joue de son camarade, son amant, son amour, goûtant son épiderme pour ce qui sera sans doute la dernière fois.
Il veut prendre son temps, il veut profiter, lui aussi, de leurs derniers moments.
Malgré les circonstances, malgré leurs conditions déplorables, leurs corps souillés et leurs âmes en deuil, il souhaite plus que tout lui montrer à quel point il l'aime, lui aussi.
Et lorsque ses chastes baisers viennent atterrir sur ses lèvres pulpeuses, il s'écarte de nouveau, un sourire si triste que Hyunjin aurait pu jurer qu'il pleurait lui aussi, et l'observe avec toute la sincérité qu'il est capable d'éprouver.
- Moi aussi Hyunjin. Moi aussi, je t'aime.
Alors, ils fondent de nouveau sur leur bouche respective, et ils s'embrassent encore, avec bien plus d'avidité que précédemment. Cette fois, l'urgence se fait ressentir, l'urgence de vivre, encore un peu, avant que la mort ne vienne les cueillir, demain, au petit matin. Plus grand chose ne semble avoir d'importance, maintenant. Les hommes sont bien ridicules, à se croire supérieurs à tout le reste. En fin de compte, face à la fin, ils ne sont plus grand chose.
Lentement, les mains de Jisung passent sous la chemise d'uniforme de Hyunjin, et remontent dans son dos, parcourent sa peau, la caressent du bout des doigts, la redécouvrent une nouvelle fois après des années. Et pourtant, c'est comme si rien n'avait changé. Dans cette petite réserve exiguë, ce ne sont pas deux garçons désespérés de dix-sept ans qui s'embrassent avec passion, mais deux gamins paumés d'à peine quinze ans, qui se découvrent pour la première fois, et qui s'aiment, qui s'aiment si fort que ça les consume de l'intérieur.
Des souvenirs d'un temps révolu remontent lentement dans leur mémoire, et quand Hyunjin s'éloigne pour que Jisung puisse retirer la chemise qui les dérange tant, dans leurs prunelles se lisent à tous les deux une nostalgie certaine, un mal-être profond ; un mal du pays, l'absence d'une maison qu'ils ne pourront plus jamais rejoindre, d'une maison qui, peut-être, n'a tout simplement jamais été.
Parce que ce ne sont plus deux gamins paumés d'à peine quinze ans, mais deux garçons désespérés de dix-sept ans à présent.
Et parce qu'on ne revient malheureusement pas en arrière, même si on aimerait, même si on l'aimerait tant.
Et parce que malgré tout, ils vont mourir demain, et qu'ils n'y peuvent rien.
Jisung observe le torse d'un blanc laiteux de son amant, il y fait glisser avec délicatesse la pulpe de ses doigts, comme pris d'otage par la crainte d'abîmer la chaire immaculée du noiraud. Il se mord la lèvre sans réellement s'en rendre compte, et reporte son attention sur le visage de Hyunjin, qui le regarde attentivement, sans dire un mot. Alors, ses mains remontent jusqu'à son visage, qu'elles prennent en coupe, et il l'embrasse de nouveau.
Ils basculent vers l'arrière, Hyunjin se retrouve bientôt allongé sous le corps de Jisung, et il embrasse sa mâchoire, et il embrasse sa gorge. Il embrasse son épaule, sa clavicule, et il descend, lentement, puis remonte, et il l'embrasse encore, avide mais prudent, gourmand mais consciencieux. Régulièrement, leurs yeux se croisent, et tant d'émotions y passent, tous les non-dits qu'ils ont tu pendant tant de temps.
L'aîné des garçons fait glisser ses ongles entre les deux omoplates du décoloré, passent sur ses épaules, viennent lentement déboutonner sa chemise lorsque Jisung le lui en laisse l'occasion. Hyunjin se redresse lentement, mais au lieu de venir chercher les lèvres de son amant, ses dents viennent s'emparer de l'épiderme brûlant de son cou, juste sous son oreille. Il frissonne en réponse, et ça les fait sourire tous les deux. Aucun des deux n'a manifestement oublié comment satisfaire son partenaire.
Jisung penche la tête en arrière afin de lui laisser un meilleur accès à sa nuque, une main s'est glissé dans sa crinière noire et empoigne quelques mèches de cheveux qui viennent se glisser entre ses doigts. L'autre est venue se planter sur son épaule. Il se met soudainement à rouler des hanches, ce qui a pour effet de les faire tous les deux gémir à l'unisson. Il recommence une deuxième fois, et Hyunjin le mord un peu plus fort. Il pourrait presque entendre son rire contre sa peau, alors que son corps entier s'est recouvert de chair de poule à cet instant. Doucement, sa chemise tombe le long de ses bras, et il ne tarde pas à s'en débarrasser à son tour, le vêtement devenu de trop dans leurs rapports.
L'écho de quelques soupirs passés lui revient en mémoire, tandis qu'il se remémore la dernière fois qu'ils ont fait l'amour. Il réalise à l'instant à quel point ils avaient pu être maladroits, mais si prévoyants, l'un comme l'autre. Chacun de leurs gestes était marqué par la précaution et l'attention, comme aujourd'hui, comme maintenant. Tout avait toujours été si doux, entre eux, toujours. Peut-être un moyen de compenser les mots durs qu'ils ont pu se dire tout au long de leur existence.
Finalement, Jisung a repris le contrôle de la situation, et son corps surplombe de nouveau celui de son aîné. Il est occupé à défaire le pantalon de ce dernier, qu'il descend lentement le long de ses jambes. A aucun moment son regard ne lâche celui de Hyunjin, dont les larmes se sont tari pour un instant, un moment hors du temps, hors de tout. Il fait ensuite de même avec son propre bas, et les deux adolescents sont à présent en sous-vêtements, l'un devant l'autre.
- T'es magnifique Hyunjin, ne peut s'empêcher de lâcher Jisung à la vue du corps pratiquement dénudé de son plus vieil amour. T'es tellement magnifique...
Le rouge monte aux joues du garçon, mais il ne répond pas. Hyunjin ne parle jamais pendant l'acte, jamais ou presque. En revanche, Jisung adore le complimenter, lui faire savoir à quel point il le trouve beau et désirable, à quel point il se sent chanceux de l'avoir à ses côtés. Jisung aime le rassurer, parce qu'il sait à quel point Hyunjin est terrifié, au fond de lui, et à quel point il a besoin qu'on lui montre toute son affection, tout son amour, tout le temps, sans cesse. Un fait relativement éprouvant, cela va sans dire, mais que Jisung s'est toujours évertué à honorer, lorsque leur relation était encore d'actualité. Il aimait ça. Lui montrer à quel point il l'aimait. À quel point il l'aime encore.
Il caresse faiblement le bas de son ventre, et descend jusqu'à la bordure de son boxer. Cette fois-ci, il vient embrasser ses cuisses, les mordille doucement, et il sent ses doigts se crisper contre son crâne, s'emparer de sa crinière blonde par réflexe et nécessité. Ses attentions se font de plus en plus prononcées, et il finit par le toucher au travers le tissu, ne manquant pas de lui arracher un soupire au passage. Il réitère son action une fois, puis deux. Il recommence jusqu'à se lasser, et abaisse le dernier vêtement qu'il porte encore, dévoilant ainsi ses hanches anguleuses, une nouvelle parcelle de sa peau immaculée, et sa virilité déjà partiellement durcie. Il l'empoigne avec douceur, et le dos de Hyunjin se cambre légèrement. Il rit à cette vision, alors que le brun lui fait la moue.
- Promis je me moque pas, le rassure Jisung.
Il lui embrasse l'aine pour le lui assurer, et c'est au tour de Hyunjin de rire. C'est un rire silencieux, qui se lit sur les lèvres, qui se lit dans les yeux.
Son bras entame quelques mouvements de va-et-vient des plus simples, alors qu'il observe, attendri, son amant prendre du plaisir grâce à ses modestes actions. Et lorsqu'il en a assez, il vient ajouter ses lèvres à la danse.
La respiration du plus âgé se fait lourde. Le corps arqué vers l'arrière, ses cheveux éparpillés sur le sol, telle une couronne sombre, il a la bouche entrouverte et les paupières à demi-closes. Jisung se dit qu'il adore cette vision de Hyunjin, ravagé par le désir, perdu dans son plaisir, une expression de douleur exquise et de paix tortueuse dessiné sur le visage.
Après un moment, les rôles viennent à s'inverser, et bientôt, c'est la langue du brun qui vient courir sur sa propre longueur, tandis que ses phalanges viennent serrer quelques mèches couleur nuit afin de se rattacher à quelque chose, n'importe quoi.
Et c'est si bon, si bon, Jisung en viendrait presque à oublier que la fin les guette, que la mort rôde, au-dehors, et qu'avec leur bêtise, ils vont consommer plus d'oxygène qu'ils n'auraient dû. A ce stade, il n'est plus question de trois jours, mais probablement d'un seul. Peu importe. C'aurait été stupide de mourir sans avoir pu vivre une dernière fois.
Tout s'enchaîne, bientôt, les deux garçons s'embrassent de nouveau, et il perd le fil, ils perdent le fil. Jisung est assis sur le sol, Hyunjin sur ses jambes. Ils s'embrassent, ils se touchent, ils se redécouvrent. Ils se caressent, ils s'apprivoisent, ils s'aiment. Le silence est uniquement brisé par leurs gémissements et la musique de leur plaisir, et quelques respirations entrecoupées, aussi. La paume de sa main est sur la courbure du bas du dos de son amant, et il passe entre ses deux cuisses, le pénètre délicatement de ses doigts. Le prépare du mieux qu'il peut, soucieux, inquiet à l'idée de lui faire le moindre mal. Chaque geste est nouveau et familier, marqué par une vieille habitude qui pourtant n'est plus, marqué par un recommencement qui pourtant n'est pas.
Il y a dans leur façon de se mouvoir cette tendresse d'un vieux couple, et cette passion d'une jeune paire. Il y a le quotidien, mais sans la monotonie ; il y a l'aventure, mais sans les accidents. Ils n'étaient plus et pourtant sont de nouveau, et une chose est certaine, jamais Jisung n'a cessé d'aimer Hyunjin, jamais.
- Je t'aime, il lui susurre au creux de l'oreille pour accompagner sa pensée.
- Je t'aime aussi, répond son amant.
Alors, il se retire pour venir placer ses mains sur ses deux hanches, et, les yeux plongés dans ceux de l'autre, Hyunjin se positionne convenablement, et descend lentement, prenant le temps de se faire à cette nouvelle présence. Il sourit malgré la douleur, pour rassurer Jisung, pour se rassurer lui, et parce que malgré tout, il se sent tellement heureux en ce moment-même, tellement heureux, que mourir ne lui fait plus peur maintenant.
Car il est condamné, et qu'il préfère partir avec un sourire sur les lèvres, qu'avec les larmes aux yeux.
Car il sait qu'au fond, rien ne meurt jamais ; il en est fermement convaincu.
***
Deux corps nus, les jambes entremêlées, la respiration tremblante, se serrent l'un contre l'autre, allongés sur le sol froid d'une réserve étroite et minuscule, dans un lycée en ruine, quelque part dans un monde qui se meurt. Le silence vient lentement les apaiser, comme une promesse mensongère que tout ira pour le mieux, une illusion, une chimère, venue leur proposer un lendemain sans soucis.
Mais ils savent très bien que c'est faux.
- Tu resteras avec moi demain, hein ?
Jisung se tourne vers Hyunjin, dont les yeux brillent de nouveau.
- Jusqu'à la fin des temps.
Le sourire qu'il lui offre à cet instant est le plus douloureux de tous ceux qu'il lui ait été donné de voir dans sa vie ; plus douloureux encore que celui qu'il lui a servi, quelques années plus tôt, lors de leur rupture. Plus douloureux encore que celui de son père, le jour où sa mère est partie.
Quelques larmes se mettent à rouler sur ses joues, et il le prend dans ses bras.
- Ça ira... Je te promets que ça ira...
Mais même Jisung n'y croit plus à présent.
***
DIMANCHE, SEPTIÈME JOUR.
- Meurs pas sans moi du con, grogne Hyunjin alors que Jisung ferme les yeux de l'autre côté de la pièce.
- Impossible, tu m'en empêcherais de toute façon.
Hyunjin joue de nouveau avec la radio (une chose est sûre, les piles auront survécu plus longtemps qu'eux à cette horrible tragédie), une nouvelle habitude qu'il s'est créé afin de se rassurer, même si la plupart des nouvelles qu'il entend ont le don de le déprimer un peu plus. Jisung, lui, n'arrive même plus à bouger. Il se sent si faible, il a l'impression qu'il pourrait partir à tout moment. Mais il tient, il tient parce qu'il ne veut pas laisser Hyunjin seul, il refuse, il n'a pas le droit de lui faire ça.
Malheureusement, ses actes ne sont pas sans conséquence, et voilà que les quelques privations discrètes qu'il s'est octroyé, afin d'être sûr que Hyunjin mange à sa faim, afin que le noiraud puisse avoir assez d'eau, tout ça lui revient en pleine figure, et son corps trop faible est pris de nausées, d'étourdissements et de céphalées, résultats de sa sous-alimentation, du manque d'oxygène, et de la sur-exposition aux radiations.
Le blond se met à fredonner. Ça le force à rester conscient, ça le force à rester éveillé ; il s'accroche, il s'accroche comme il peut, il s'accroche à Hyunjin, à sa famille, à ses rêves et tous les projets qu'il aurait voulu réaliser avant de mourir, mais qui se sont aujourd'hui évanoui. Il veut y croire, encore un peu, juste un peu. Il repense à hier, il repense au corps brûlant de son amant contre le sien, et il sourit. Il sourit...
Hyunjin écoute distraitement la radio, tout en observant Jisung dépérir sous ses yeux. Il se sent impuissant, normalement, c'est toujours son cadet qui prend les devants. Mais aujourd'hui n'est pas n'importe quel jour ; il s'agit de leurs dernières heures, les toutes dernières. Il n'y aura pas de nouvelle semaine, pas de nouveau lundi.
Il n'y aura pas de demain.
Si Hyunjin avait encore la moindre once d'espoir en lui, probablement qu'il se serait juré de devenir une meilleure personne après ça ; d'arrêter d'avoir peur des autres, et de penser à lui de façon saine. Il se sent capable de crier son amour sur Jisung sur tous les toits, mais c'est facile à dire, maintenant qu'il n'y a plus personne pour l'entendre.
- « ...Depuis ce matin, des patrouilles en hélicoptère parcourent le pays afin de rapatrier les blessés et les plus démunis à l'intérieur des terres, en sécurité sur le continent... »
- Oh, s'étonne le noiraud tout en se redressant. J'pensais pas qu'le pays était à ce point là en état d'crise tiens.
Si le ton est moqueur, au fond, Hyunjin est plutôt inquiet. Il se demande si sa famille va vraiment bien. Il se demande aussi si celle de Jisung est en sécurité, et si tous leurs amis ont retrouvé leurs proches. Il se dit qu'ils doivent tellement s'inquiéter pour eux, et c'est vrai que Hyunjin regrette toujours de s'être caché dans les toilettes ce lundi-là. S'il ne l'avait pas fait, probablement qu'il serait avec tous les autres, sain et sauf. S'il ne l'avait pas fait, il aurait sans aucun doute été évacué avec le reste des lycéens, aurait regagné un lieu sûr, aurait été pris en charge. Il serait avec tous ceux à qui il tient, et il irait bien. Il aurait peut-être encore un avenir, un avenir différent de ce à quoi il s'attendait vu la tournure des évènements, mais un avenir tout de même. Ceci ne serait pas ses dernières heures, les toutes dernières. Il y aurait eu une nouvelle semaine, un nouveau lundi.
Il y aurait eu un demain.
Mais sans ça, aurait-il renoué avec Jisung ?
Probablement pas.
Et Hyunjin ne peut le nier, mais ce fut définitivement l'une des choses les plus bénéfiques qu'il ne lui soit jamais arrivée.
- « ...Une unité sera également envoyée dans le secteur d'Ulchin, afin d'inspecter les dégâts occasionnés par la centrale... »
- Jisung ! il s'exclame soudainement bien éveillé. Jisung tu as entendu ! Un hélicoptère va venir ! Un hélicoptère va passer, on va peut-être pouvoir s'en sortir ! Jisung ? Jisung tu m'entends ? Jisung !
Mais Jisung ne fredonne plus. Jisung ne bouge plus non plus. Jisung a les paupières closes, et ne répond plus aux appels du plus âgé. Hyunjin, paniqué, se redresse aussi rapidement que ses maigres forces le lui permettent, pour regagner son camarade.
- Jisung, Jisung j't'en prie, me laisse pas, pas maintenant, pitié Jisung, pitié !
Il le secoue aussi fort que possible, et par miracle, il se met à grogner.
- Tu as entendu Jisung ? Un hélicoptère va passer dans la région, on a peut-être une chance de s'en sortir !
Avec une lenteur extrême, le blond ouvre les yeux et observe son amant d'un regard épuisé.
- Le toit, il articule difficilement.
- Quoi ?
- Le toit.
Hyunjin fronce les sourcils, mais comprend rapidement. Ils doivent migrer sur le toit du lycée. C'est la seule solution qu'ils ont pour se faire repérer. Alors, péniblement, il ouvre la porte, et une bourrasque le frappe presque immédiatement. Il frissonne de froid, mais ne se laisse pas abattre pour autant.
- Tu peux te lever ?
- Hm...
Jisung tente de se mettre debout, mais semble incapable de tenir sur ses deux jambes. Hyunjin tente de le soutenir autant que possible, mais, étant lui-même à bout de force, il a bien du mal. Ils progressent avec une lenteur infinie dans ce qu'il reste du couloir de leur établissement, pour regagner la sortie. Ils se trainent pratiquement dans les escaliers, et Hyunjin est soulagé de constater que la porte n'a pas tenu face au séisme de vendredi, parce qu'il ne sait honnêtement pas s'il aurait été capable de la forcer dans l'hypothèse plus que probable où celle-ci aurait été fermée à clef.
- On y est presque Jisung, on y est presque...
Il ne sait plus qui est-ce qu'il essaye en vain de convaincre ; ils sont si proches, peu importe de quoi, peu importe l'issue, il le sait, il le sent : c'est bientôt la fin. Leur fin ou simplement celle de ce calvaire, rien n'est encore joué, mais Hyunjin a envie d'y croire, il a besoin d'y croire. Car le gamin terrifié qui sommeille en lui n'est manifestement pas encore prêt à partir.
Jisung s'écroule dans la neige, sur le toit à moitié fendu en deux, toussotant, prêt à vomir ses tripes. Mais même ça, ça semble lui coûter un effort bien trop important pour son corps en peine, et il se contente ainsi de cracher un peu de bile en tentant de ne pas s'étouffer.
- Allez Jisung, reste avec moi s'il te plaît...
Le ton est suppliant, si suppliant, ça leur fend le coeur à tous les deux. L'un est apeuré, l'autre désolé, pour la même raison : apeuré et désolé de perdre le combat.
- S'il te plaît...
Hyunjin se met à pleurer silencieusement. Cet élan d'espoir semble mourir aussi subitement qu'il est arrivé, et il se sent stupide d'y avoir cru si facilement, de s'être laissé avoir par autant de naïveté. Et c'est ici que tout va se terminer, sur le toit de leur lycée de merde qu'il déteste tant maintenant, et il en veut à la terre entière pour avoir remis Jisung sur sa route juste avant de les séparer pour toujours.
C'est terminé.
Le destin a gagné.
***
- Jinnie...
Ce simple nom est davantage semblable à un croassement dans la bouche déshydratée de Jisung qu'à un véritable mot, mais il a au moins le mérite de faire bouger le concerné, pratiquement endormi sur la poitrine de son acolyte.
- Jinnie... Hélico... Hélico...
Hyunjin se redresse sans comprendre, jusqu'à ce qu'un bruit bien distinct atteigne ses oreilles. Il reconnaît immédiatement le son d'un hélicoptère, et se redresse pour observer l'horizon. Au loin, effectivement, l'appareil semble se diriger à proximité de leur position. Alors, il se met debout, et lève les bras pour les agiter dans le ciel avec toute l'énergie que son corps est encore capable de fournir.
- Eh ! il crie à bout de voix. Eh !
L'hélicoptère continue pourtant son chemin, sans que qui que ce soit à bord ne les remarque.
- Eh !
Il se laisse tomber à genoux, mais continue de bouger les bras, avant que ces derniers ne s'abaissent à leur tour.
-Eh...
Il s'empare de la main de Jisung pour la serrer contre lui, tentant comme il peut de maintenir son ami éveillé. Il prie, il prie tous les dieux qu'il connaît, il prie le destin, il prie la vie elle-même, il prie si fort qu'il ne remarque même pas le véhicule se poser un peu plus loin sur le toit. Il est ramené à la réalité par une main sur son épaule, et la voix d'inconnus en combinaison qui se regroupent autour de sa personne, probablement extrêmement surpris de trouver là deux adolescents, ayant survécu aux nombreuses catastrophes survenue dans la région en l'espace d'une semaine seulement.
- Aidez-le s'il vous plaît, il a besoin d'soins, il pleure alors que deux autres hommes emportent Jisung en direction de l'hélicoptère.
Il entend l'inconnu lui parler, mais il n'est plus vraiment en état de comprendre ce qu'on lui dit. La seule chose qui compte à présent, c'est Jisung, et sa survie. À peine est-il à l'intérieur, qu'il se précipite sur lui, pour lui reprendre la main, tandis qu'ils semblent déjà lui administrer quelques premiers traitements. Il semble partir, mais lorsqu'il sert ses doigts à son tour, Hyunjin sait que tout n'est pas perdu, et que Jisung ne compte pas s'arrêter là.
- Ne me laisse pas...
Sa voix se brise sur la fin, mais au moins, il est encore capable d'articuler quelques mots. Le cœur de Hyunjin se met à battre plus vite, et au travers ses larmes, un sourire plein de bonheur et d'espoir fait son apparition.
- Jamais.
—
N/A : Coucou. ✨
Je suis enfin venu à bout de cet OS et croyez moi, ce n'était pas chose aisée haha. Alors, pour la petite information, il fait très exactement 19 143 mots, sans la N/A (c'était 30k mots max je crois donc normalement je suis bon ?). Comme certains le savent déjà, cet OS a été écrit dans le cadre du concours Back 2 School de WildFiction, j'avais pris le thème apocalypse (même si j'crois j'aurais pu caser ça dans seconde chance ou ennemi à ce stade mdr).
Pendant l'écriture de cette nouvelle, je me suis pas mal renseigné sur les conséquences du changement climatique (pas que je ne sois pas au courant, mais je voulais être certain de pas dire de conneries + y a toujours moyen d'en apprendre plus !), et honnêtement, croyez moi c'était déprimant comme lecture du soir. J'ai pas vraiment de morale à donner, à part de faire attention à votre environnement, chaque petit geste compte à ce stade. Nous n'avons qu'une seule planète viable, on ne peut pas se permettre de la détruire.
Je voulais remercier les personnes derrière le compte de WildFiction pour, eh bien, déjà, ce concours, mais aussi pour la petite rallonge qui m'a été accordée. C'était vraiment adorable de leur part d'accepter de me laisser 6j de plus pour terminer cet OS !
En espérant que vous avez apprécié ;;;
Sasha
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