Une bouteille à la mer (partie 2)


Moins de cinq minutes plus tard, les invités remplissent la salle, chacun s'attablant à la place qui lui est réservée. Au moment où Ricardo se dirige vers Cristiano, ce dernier lui explique que l'administration s'est trompée dans l'agencement des étiquettes. Voir mon frère mentir avec autant d'aplomb, en arborant un sourire charmeur, me fait froid dans le dos.

Les minutes s'égrènent pendant que les différents membres de l'assistance échangent sur divers sujets. Sarah les interrompt avec un micro branché sur un piédestal. Le président n'aurait pas mieux parler qu'elle. Sa langue de bois me fait sourire et me rappelle mes nombreux cours sur la psychologie humaine et l'étude des comportements. Sarah veut imposer sa loi, mais a un désir réel qu'on la respecte pour ses aptitudes. Son charme lui permet juste d'embrouiller suffisamment les hommes de pouvoir afin d'en faire ses pantins.

Mon stress ne fait qu'augmenter quand je vois certains se délecter de leur boisson offerte. Cristiano ne baisse pas les yeux et me fixe comme s'il étudiait le moindre de mes mouvements. Comme si mon mal-être n'était pas suffisant, mon frère prend la bouteille en plastique à pleine main et enlève le bouchon. Là, impossible de retenir le cri qui s'échappe de ma gorge.

L'ensemble de l'assistance se tourne en direction de mon hurlement, et Cristiano m'interroge du regard. Comme je refuse de parler, mon frère accentue le phénomène de stress puisqu'il continue à avancer lentement le goulot de la bouteille vers ses lèvres.

— Arrête ! Stop !

Joignant le geste à la parole, je me précipite sur Cristiano et flanque un énorme coup dans la boisson remplie de thallium. Elle tombe lourdement sur le sol et déverse l'eau toxique sur l'ensemble de la carpette de la salle de conférence.

Un silence de mort s'installe et, cette fois, Cristiano ne perd pas de temps pour se lever et m'attraper par le bras. Sa poigne de fer laissera une marque sur ma peau, j'en suis certaine. Personne ne proteste pendant que mon frère me traine de force hors de la salle. Il ne prend même pas le temps de relever la chaise qu'il a fait tomber lorsqu'il s'est brusquement levé. Je sens sa frustration et sa colère dans la sensation de sa main sur mon bras. Une sorte d'électricité statique me traverse la peau et s'incruste au sein de mes cellules.

Cristiano passe une carte dans un lecteur électronique et nous pénétrons dans une salle vide, sans fenêtre. Il me lâche pour refermer la porte derrière nous.

Ses épaules sont tendues, son souffle est saccadé et son dos illustre l'ensemble de sa frustration. Il pose les deux mains sur la porte et inspire un grand coup avant de retourner ses yeux caramel vers moi. La puissance de son regard me surprend, je ne l'avais vu autant en colère. Cristiano est le plus calme et sage de mes frères. Il a toujours eu des paroles douces et réconfortantes à mon égard, mais quand je vois son corps musclé me dépasser d'au moins trente centimètres, j'avoue retenir ma respiration. Mon appréhension est telle que je recule comme un animal apeuré.

— Qu'est-ce qu'il y avait dans cette bouteille ?

Son ton est différent, plus agressif, il joue réellement son rôle de membre des forces spéciales. Ses yeux me sondent comme un suspect de meurtre et sa colère me coupe le souffle.

— Réponds !

Cette fois, je réprime un cri quand je prends conscience que Cristiano se met à me hurler dessus. Il fulmine de rage et semble se retenir de me frapper. Automatiquement, je mets mes bras devant mon visage pour éviter les coups qui menacent de pleuvoir. Le regard colérique de mon frère se métamorphose, il passe de l'incrédulité à une forme de compassion.

— Je ne lèverai jamais la main sur toi.

— C'est ce qu'ils disent tous.

Mes mots m'échappent, et au moment où je me rends compte qu'ils ont franchis mes lèvres, je les regrette immédiatement. Je sens que je l'ai blessé. Il se met à faire les cent pas dans la salle exiguë, jurant dans sa barbe et se frottant le visage comme pour effacer un mauvais rêve.

— Je suis de ton côté, Alessia. Il faut que tu me fasses confiance si tu veux t'en sortir.

— Tu ne peux pas me délivrer. Ce n'est pas parce que je suis hors d'une cellule, que je suis pour autant libre de mes mouvements.

— Je...

Nous sommes interrompus par la sonnerie de son téléphone. Cristiano hésite mais finit par répondre rageusement. Sa colère se transforme en choc. Ses beaux yeux s'agrandissent d'effroi et sa gorge se noue, il semble de plus savoir quoi dire à son interlocuteur. « J'arrive ». Ce sont les seuls mots qui franchissent ses lèvres.

Lorsque je croise à nouveau son regard, la compassion qu'il me vouait a complètement disparu. Sa rage et sa frustration refont surface et me frappent à la manière d'un immense tsunami. Mon estomac se contracte, Cristiano n'a même pas le temps de me dire quoi que ce soit, que la sublime femme blonde qui lui sert d'acolyte entre, épaulée de deux hommes lourdement armés.

— Alessia De La Rivera, je vous arrête pour suspicion de meurtre sur la personne de Ricardo Valliselli.

Je reste pétrifiée, incapable de me défendre, complètement prisonnière de ma mauvaise conscience. Les deux hommes armés se mettent à me fouiller sans ménagement. Heureusement, ils ne remarquent pas la mini-oreillette qu'Alfredo m'a transmise hier soir. Je l'ai gardée sur moi et fait en sorte qu'elle soit invisible sous ma longue chevelure blonde. Le bruit métallique des menottes me glace le sang, et des larmes menacent de se déverser sur mon visage dans un flot ininterrompu.

L'agitation des agents est palpable lorsque l'on m'emmène dans le hall du bâtiment. Les services d'urgence sont déjà sur place et des membres de l'armée se tiennent face à moi, me fixant comme un insecte à écraser sous leur semelle de rangers.

Sarah et Cristiano sont aussi interloqués que moi de voir la défense américaine au sein du bâtiment de l'ONU. Celui qui paraît le plus gradé avance d'un pas vers mon frère et sa coéquipière. Après les avoir salués de manière règlementaire, les mots qui franchissent ses lèvres ont du mal à atteindre mon cerveau embrumé :

— Le Département de la Défense va prendre le relai pour l'affaire qui concerne Alessia De La Rivera – Julliani. Une voiture est prête à l'emmener à Arlington où elle subira un interrogatoire en règle auprès d'experts qualifiés au Pentagone.

Ses mots tombent comme des lames acérées sur mon cœur déjà meurtri. Mon frère et Sarah ne discutent pas les ordres et s'écartent promptement pour laisser passer l'armée américain. D'autres mains violentes se referment sur moi et je suis entraînée vers un ascenseur menant au sous-sol du bâtiment. Mes yeux refusent de fixer autre chose que le sol, et mon cœur se refuse le droit de pleurer sur mon sort.

Arrivés dans une sorte de parking sous-terrain, j'ose enfin lever le regard pour observer les deux vans noirs aux vitres teintées qui attendent sagement notre venue. Comme si je n'avais déjà pas l'impression d'être une dangereuse fugitive, on me traîne sans ménagement à l'arrière d'un des véhicules, entourée par deux militaires lourdement armés.

Lorsque nous nous mettons en route, je ne pense qu'à une chose : Comment vais-je me sortir de là ? 

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