Un nouveau départ

Mes mains se mettent de nouveau à trembler. Je sens que l'on m'appelle mais je n'entends pas correctement les sons qui m'entourent. C'est comme si l'on avait placé un casque de chantier sur mes oreilles. Inconsciemment, je me protège du tumulte extérieur. Ma vision est trouble, je ne veux plus rien ressentir. Je voudrais tellement dormir, sortir de cet atroce cauchemar.

— Alessia ! Il faut que tu y ailles ! Maintenant !

Cristiano me hurle dessus. Pourquoi est-il en colère contre moi ? Je ne comprends rien à ce qu'il se passe, j'ai envie d'oublier ces dernières vingt-quatre heures. Je voudrais retrouver la chaleur de mon lit, l'odeur du pain grillé que me prépare papa tous les matins avant de partir. Je sens la peau de mes joues brûlée par mes larmes. Comme si je n'en avais pas assez versées, elles continuent de couler sans discontinuité.

Mes jambes refusent de m'obéir. Je ne peux plus bouger, je ne peux plus parler et je ne veux plus vivre cette vie.

Cristiano se met à me secouer violemment pour me sortir de mon état léthargique. Après quelques secondes, j'ose enfin relever ma tête et le regarder droit dans les yeux. Il n'est pas en colère, il est paniqué. Lui-aussi a peur et ce n'est pas le genre de mon frère de se donner en spectacle en plein aéroport.

— Tiens ! C'est ton billet pour Rapid City.

Je n'ai que très peu de souvenirs du voyage mais je sais que nous sommes à l'aéroport International Newark Liberty à New-York. Je porte des vêtements que je ne me souviens pas avoir un jour possédés dans ma garde-robe. Le jogging noir est trop grand et me descend sur les hanches, et je porte un maillot de football italien.

Quand je regarde mes mains, j'observe le sang séché qui n'est pas parti au lavage. Il y a encore des traces sous mes ongles du massacre qui a eu lieu quelques heures plus tôt. Je me mets à gémir. Critiano reprend le contrôle de la situation en me faisant asseoir cinq minutes sur une chaise. Il m'intime de respirer lentement et de prendre de grandes inspirations

— Alessia, il va falloir que tu m'écoutes et que tu retiennes tout ce que je vais te dire. Après, tu seras toute seule.

— Ne me laisse pas s'il te plaît...

Ma voix est faible et rauque. J'ai l'air tellement pathétique. Cristiano me prend dans ses bras et me caresse le dos avec douceur et compassion. Quand nous étions petits, il venait toujours dans ma chambre pour me rassurer lorsque papa avait un problème avec un client et qu'il hurlait. À chaque fois j'avais peur que tout finisse en bain de sang, que des gens viennent nous chercher dans notre lit et qu'ils nous assassinent. Drôles de cauchemars pour une gamine d'à peine six ans.

— Alessia, je sais que tu es forte. Ce n'est pas ta faute. Je te promets que tout va bien se passer maintenant. Il faut que tu résistes et que tu prennes ton destin en main.

Cristiano me tend mon sac. C'est lui qui a dû le remplir car je ne me souviens pas qu'il était aussi lourd. Il en sort une carte routière et des numéros de voitures de location :

— Voilà les indications pour localiser les deux voitures de location que j'ai mises à ta disposition. Il y en a une qui t'attend à Rapid City. Je t'ai mis dans ton sac un GPS qui t'indiquera la direction à prendre pour aller à Cheyenne. Arrivée là-bas, j'ai fait en sorte que l'on te laisse une autre voiture sur le parking d'un motel. Là aussi, j'ai rentré l'adresse dans le GPS et le village que tu vas devoir atteindre s'appelle Chugwater.

Je regarde mon frère et me mets à paniquer. Je ne sais pas me débrouiller seule. J'ai toujours voyagé avec mes parents et mes frères. Je ne suis pas une fille indépendante qui se vante de pouvoir tout faire sans l'aide de personne. J'assume que je suis une assistée de la vie et mon frère est en train de me jeter tête la première dans le lac aux requins.

— Je ne vais pas y arriver.

— Tu n'as pas le choix Alessia !

Cristiano prend le temps de souffler pour reprendre son calme.

— Écoute, dans ton sac il y a tout ce dont tu as besoin. Tu as une nouvelle identité, une nouvelle vie. Tu vas pouvoir tout recommencer ! Alessia, si tu ne le fais pas pour toi, fais-le au moins pour les gens qui se sont sacrifiés pour que l'on reste en vie. Tu leur dois de te battre !

Les paroles de mon frère me semblent dures mais je dois avouer qu'il a raison. Il va falloir que je me montre courageuse et indépendante. Cristiano sort de mon sac ma pièce d'identité et mon passeport. Ce sont des faux car, aux dernières nouvelles, je ne m'appelle pas Allie Cornwell. Il range le GPS et les indications pour les voitures de location.

Lorsqu'il se lève, il me tend la main pour qu'enfin je me décide à le suivre. J'accepte à contrecœur et tente vainement de calmer mon angoisse. Cristiano me conduit jusqu'au service de contrôle des billets. Je ne le lâche pas, m'accrochant à lui comme à une bouée en pleine mer. Pourquoi est-il le seul à m'accompagner ? Mes souvenirs sont flous et quand j'essaye de fouiller dans ma mémoire, la douleur est tellement forte que je me résous à abandonner.

Mon frère m'embrasse tendrement sur le front puis me sert fort contre lui.

— Sois forte petite sœur. Je t'aime.

— Moi aussi je t'aime. Pourquoi ai-je l'impression que tu me dis adieu ?

— Je ne sais pas si je te reverrais un jour. Je veux en revanche que tu me promettes une chose : fais-toi oublier, construits-toi un bel avenir. Peut-être que quand les choses se seront calmées on pourra...

— Ne fais pas de promesses que tu ne pourras pas tenir s'il te plaît.

— Je peux t'assurer que le nombre de kilomètres ne comptent pas. Je serais toujours là pour toi.

Je souris tristement à mon grand frère et m'avance vers la charmante hôtesse de l'air. Je lui présente ma carte d'embarquement et mon passeport. J'appréhende qu'elle s'aperçoive que je ne m'appelle pas réellement Allie Cornwell, surtout avec mon accent italien, mais elle ne dit rien et me laisse passer.

Je refuse de me retourner car je sais que si je le fais, je ne pourrais pas avancer. C'est donc en traversant le tarmac que je décide de donner une chance à mon nouveau départ. Après tout, cela pourrait difficilement être pire.

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