Sous une pluie diluvienne (partie 1)
ALESSIA
Parker n'a pas géré ses comptes depuis des années. C'est une catastrophe. Je retrouve de nombreux impayés et il me faut remonter au moins cinq ans en arrière pour arriver à classer et ranger les différentes factures. Finalement, grâce à l'application calculatrice de mon téléphone, je me rends compte que la situation n'est pas aussi dramatique que je l'imaginais. Ses comptes sont à l'équilibre, mais Parker ne fait que très peu de bénéfices. Les Davis possédaient une entreprise florissante et dynamique. À présent, leur fils arrive à peine à sortir la tête hors de l'eau. Il va falloir emprunter pour remettre à neuf le coin des boxs. Je soupire de découragement.
Au moment où je range les papiers que j'ai déjà classés, je tombe sur une photo représentant le ranch dans les années quatre-vingt. Le cliché ressemble à une immense photo de famille. En y regardant de plus près, je crois apercevoir un homme qui ressemble comme deux gouttes d'eau à Parker, accompagné d'une très belle jeune femme brune. J'en déduis que ce sont ses parents. Quant au nombre important de personnes qui les entourent, je suppose qu'il s'agit de tous les employés engagés auparavant au ranch. Ils sont au moins une vingtaine. En observant leur âge, je suis persuadée que certains sont toujours vivants.
Si j'arrivais à les convaincre de revenir travailler, de rendre hommage à tout ce que les parents de Parker ont construit, peut-être qu'il y a une chance pour que tout le monde sorte gagnant.
Je continue à ranger la tonne de paperasse accumulée ces dernières années et je me rends compte de l'heure que lorsque le soleil commence à se coucher. Mince ! J'ai complètement oublié le goûter au NEW WAY. Parker et Lily vont rentrer d'une minute à l'autre et je suis toujours au ranch. Mais en y réfléchissant, comment j'aurais fait pour partir ? Je n'ai même pas ma voiture sur place ! Parker ne pensait tout de même pas que j'allais y aller à pied ?
Je n'ai pas le temps de me poser plus de questions quand j'entends la porte d'entrée s'ouvrir et la voix de Lily remplir l'espace.
Comme il commençait à faire sombre, je me suis permise d'allumer la lampe du bureau. La lumière indiquera au moins ma présence et évitera un arrêt cardiaque à l'un d'entre eux.
Parker demande à sa fille de monter et d'aller se doucher avant manger. Je l'entends farfouiller dans les casseroles et je perçois le bruit d'une plaque qu'on allume. Mais combien de temps je suis restée ici ? Il n'a pas remarqué que j'étais toujours là ? Au même moment, je l'entends :
— Je suppose que tu as été débordée aujourd'hui ?
Il n'y a aucun reproche dans sa voix, il paraît presque désolé que j'ai dû sacrifier une après-midi de ma vie à ranger ses papiers.
J'accélère le mouvement en mettant dans un carton les dernières piles que j'ai réussies à classer, puis je me lève pour aller le rejoindre.
Je m'arrête sur le seuil de la cuisine et l'observe s'affairer à préparer le dîner. La pièce est toute simple mais elle possède un certain charme. Le plan de travail central est en marbre blanc et le carrelage au sol est de couleur brique. Différentes sortes de casseroles sont accrochées au-dessus d'une ancienne cuisinière et d'un évier en céramique. Le frigo est immense et s'il était rempli à ras-bord, Parker pourrait nourrir toute une armée pendant au moins un mois.
Il me tourne le dos, agissant presque en automate avec les différents ingrédients qui tombent sous ses mains habiles. Il a l'air de plutôt pas mal s'y connaître en cuisine. Il a remonté les manches de sa chemise blanche et je découvre un immense tatouage noir sur son avant-bras. Il représente un magnifique aigle déployant ses ailes. Je souris devant la quantité astronomique de bracelets brésiliens qui ornent ses poignets. Lily doit lui en faire au moins toutes les semaines pour qu'il en possède autant.
Je me racle la gorge pour attirer son attention :
— Est-ce que tu aurais le numéro de Maddie ? Elle pourrait venir me chercher ?
— Tu ne veux pas rester pour dîner ? Je crois que Maddie est de service toute la soirée. Je te ramènerai après, si tu veux. Lily est souvent plus encline à se coucher quand elle a fait une bonne balade en voiture.
Je suis gênée. J'ai l'impression de m'incruster dans la vie de tout le monde en ce moment. Je suis une âme perdue au milieu d'un océan d'humains, sans attache et livrée à elle-même.
— Ça ne risque pas de déranger Lily que je reste ?
— Non ça ne me dérange pas.
Je n'avais pas entendu que la fille de Parker était redescendue. Elle est adorable dans son pyjama rose bonbon. Elle porte des pantoufles de danseuses et ses cheveux sont attachés en un haut chignon.
— Tu vois, Lily t'a déjà adoptée ! C'est une première ! Ma petite chérie a tendance à ne pas être très sympa avec les étrangers.
La jeune fille lève fièrement la tête et relève son menton avec dédain :
— C'est toi qui es trop naïf papa. Tu serais capable d'ouvrir ta porte à un cambrioleur et de l'aider à charger tes meubles dans son camion.
J'éclate de rire devant la remarque de Lily. Elle est beaucoup moins timide que lors du repas de midi et semble prendre un malin plaisir à contredire son père.
Parker la menace du doigt en plaisantant :
— Fais attention à toi jeune padawan, parce que c'est encore moi le maître ici. Si tu ne me respectes pas, Allie et moi, on mangera toutes les boulettes de viande. Il ne t'en restera pas une seule !
Lily tire la langue à son père et viens se poster juste à côté de moi :
— Allie est trop gentille pour te laisser me maltraiter, elle me donnera la moitié des siennes !
— Tu crois que je ne pourrais pas la convaincre ?
À ces mots Parker me lance un clin d'œil.
— Tes techniques de drague sont nulles papa.
Cette fois je me plie en deux. Cette petite a du répondant et est incroyable. Je l'adore déjà alors que je ne l'ai rencontrée que deux fois.
Son père lève les yeux au ciel et m'adresse un regard contrit :
— Ma fille aura ma peau !
Je lui souris avec compassion. C'est un père adorable qui aime sa fille plus que tout au monde. Elle est le centre de son univers, la bouée qu'il lui faut pour ne pas sombrer dans les profondeurs de l'océan.
— Je peux peut-être aider à mettre la table ?
Parker regarde sa fille et lui fait un signe de tête. Un échange silencieux et secret se déroule devant moi.
Soudain, sans que je m'y attende, Lily me prend la main et lève la tête vers moi :
— Je vais te montrer comment on met la table.
Je vois un large sourire apparaître sur le visage de Parker et mon cœur effectue un triple salto. Elle m'accepte.
Je la suis et exécute la moindre chose qu'elle me demande de faire. Je l'écoute avec attention et veille à ne pas déroger à ses habitudes. Elle semble ravie de mes exploits car, pas une fois son sourire ne s'éteint. C'est une jeune fille complètement différente. Elle est chez elle, dans son élément, donc je suppose que ça doit la détendre. Si seulement elle pouvait enlever son angoisse ! C'est une jeune fille merveilleuse qui mérite amplement d'être heureuse.
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