Mémoire diluée (partie 1)
ALESSIA
Venise, Italie, Résidence De la Rivera, 4 juin 2019
Je n'entends que les tirs des mitraillettes, l'explosion du plâtre des murs autour de moi, et les cris de ma mère qui me demande de la suivre. Nous traversons le couloir du rez-de-chaussée pour se diriger vers la porte en béton armé du sous-sol. Ma mère a les mains qui tremblent et a toutes les peines du monde à tourner la manivelle pour accéder à notre refuge.
J'entends mon père hurler des ordres à ses hommes. Arturo a pris un pistolet et se met à le charger. Dante renverse les tables du salon pour créer des barricades et permettre de riposter aux tirs. Les vitres blindées ne tiendront pas longtemps face aux centaines de tirs portés contre nous. C'est de l'acharnement. Les hommes de Julliani veulent notre mort.
Ma mère réussit enfin à ouvrir la porte et me pousse à l'intérieur. Après avoir refermé notre bunker, nous descendons les escaliers quatre à quatre. Les lumières s'allument sur notre passage et ma mère m'ordonne de me réfugier dans la pièce principale. Je m'assois péniblement sur un des fauteuils en cuir rouge que mon père a fait installer dans le salon. Tout a été construit pour faire en sorte que nous ayons un lieu de vie où nous réfugier si les choses venaient à dégénérer. Je pense que nous sommes largement en tête de liste des cas de forces majeurs que mon père redoutait quand il a imaginé les plans.
— Maman ? Qu'est-ce qui se passe ? Ce sont les Julliani ?
— Je... Je ne suis pas sûre. Je pense que ce ne sont pas nos seuls ennemis. Ton père a...
Ma mère n'a pas le temps de finir sa phrase qu'une énorme explosion nous vrille les tympans. La porte du bunker a explosé. Sont-ils rentrés ? Je suffoque. Je n'arrive plus à respirer correctement.
Une épaisse fumée m'entoure et je ne vois que des ombres s'agiter dans l'espace clos. Je n'entends rien, seul un bruit cotonneux parvient à mes oreilles endolories. Je tente de me lever mais quelqu'un me maintient au sol, à genoux, comme si on allait m'exécuter.
La fumée se dissipe et je commence à observer ce qui se passe. Ma mère est juste à ma droite, exactement dans la même position que moi. Elle a dû être frappée au visage car une large entaille recouvre sa tempe et du sang coule sur sa joue. Le suivant est Dante, ils ont été obligés de l'attacher mais il se débat encore comme un diable.
— Arrête de bouger ou on loge une balle dans la tête de ta magnifique petite soeur.
Il stoppe tout mouvement et ses yeux se remplissent de haine. Il me protégerait contre vents et marées.
Arturo est en face de nous, avec mon père, ils ont tous les deux le visage en sang. Mon frère a les mains attachées dans le dos et on lui maintient la tête levée en tirant sur sa belle tignasse brune. Mon père n'est pas en meilleure posture. Il n'a aucun membre ligoté, mais un couteau de combat est placé juste en dessous de son menton, près à trancher sa jugulaire s'il refuse de coopérer.
Mais où est Cristiano ? J'ai beau le chercher du regard, il n'est pas avec nous. Est-il mort ? Oh mon dieu, rien qu'à cette idée, mon sang se glace et je réprime un sanglot.
— Alors comme ça, vous avez cru que, vous, les De La Rivera, vous pourriez jouer sur les deux tableaux ?
Je ne comprends pas ce que dit l'homme qui pointe son couteau sur le cou de mon père. Je ne sais même pas à quoi il fait référence.
Arturo pince les lèvres et a l'air de souffrir le martyre mais il ne se démonte pas. Il regarde celui qui le braque avec sa mitraillette et le défie du regard. Je suis terrifiée à l'idée de voir ma famille se faire décimer. Je suis complètement impuissante.
— Alors le vieux ! Tu vas parler !
L'homme est robuste et ne porte qu'un débardeur noir sous son attirail militaire. Son gilet pare-balle est criblé de trous et ses biceps tatoués sont tachés de sang. Ses boots militaires grincent sur le sol, un bruit qui me donne mal au crâne. Il me fait peur mais mon père ne dit rien et un long silence suit la requête violente de notre ennemi.
Les os du visage d'Arturo craquent lorsque celui qui le tient en joug lui assène un énorme coup de poing en pleine mâchoire. Mon frère tourne à peine la tête. Il crache du sang au sol et revient dans sa position initiale.
— Je dirais à mes hommes de buter toute ta petite famille si tu me dis pas ce que j'ai envie de savoir !
Mon père ne cille pas. Les menaces n'ont jamais marché sur lui, et je le sais d'expérience. L'homme aux tatouages se met à ricaner puis à rire. Seul le son de sa voix résonne dans le bunker et pas un seul d'entre nous n'ose faire le moindre mouvement.
— Tu te crois fort Enrico. Tu te crois puissant et intouchable. Sauf que l'on a tous ses faiblesses.
À ce moment-là, il s'approche de ma mère, qui est déjà tenue en joug par un des autres assaillants. Ils portent tous des cagoules noires à part celui qui semble être leur chef. Ils sont méconnaissables. On pourrait les comparer aux forces spéciales, comme elles, ils sont organisés et méthodiques dans leurs agissements. Seule leur cruauté traduit leur malhonnêteté.
Il se poste juste en face de ma mère et sort un magnum de son holster. Non... Il pose le canon sur son front. Non... S'il vous plait...
— Enrico. Je ne te le demanderai pas une deuxième fois. C'est quitte ou double. Soit tu me satisfais et tu seras le seul à être tué, soit je tue tout le monde parce que vous commencez à me faire royalement chier !
Je commence à pleurer. Je ne veux pas voir ça ! Pitié !
Ma mère ne regarde plus celui qui pointe une arme sur elle, celui qu'elle fixe c'est mon père, et les derniers mots qu'elle prononce lui sont adressés :
—Ti amo amor mio.
— Une dernière chance Enrico.
— Anabella...
Mon père murmure le nom de ma mère et un sanglot secoue son corps. Je le supplie du regard de répondre à cet homme, de tous nous sauver ! Mais au moment où je crois qu'il va cracher le morceau, il baisse la tête face au sol. Il ne dit rien ! Pourquoi ne dit-il rien !
Au moment où je tourne à nouveau la tête vers ma mère, son crâne explose devant mes yeux. La vie quitte son corps en un instant. Il est tellement facile de tuer quelqu'un quand on y songe, une simple pression sur la gâchette d'un pistolet et l'arme se charge du reste. Le corps de ma mère s'effondre sur le sol et une flaque de sang s'étend autour d'elle. Je hurle de douleur, mon coeur explose, une rage immense s'empare de moi. Je veux le tuer ! Je veux le voir crever !
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