Le retour d'Alfredo (partie 2)


Je ne compte plus le nombre d'heures que j'aie passées sans prononcer un seul mot, ni même esquisser la moindre réaction. J'agis comme un automate. Les sbires d'Alfredo m'ont donnée des vêtements de rechange, une robe de luxe blanche colombe, des escarpins hors de prix aux semelles rouges, et une pochette en sequins. Une coiffeuse et une maquilleuse se sont chargées de cacher mes cernes et les traces des nombreuses larmes que j'aie versées ces dernières heures. Je me suis forcée à manger, mais tout ce qui rentrait dans mon estomac menaçait de ressortir aussi sec.

Un jet privé a été affrété pour m'emmener à Chugwater. Je n'ai pas osé demander où étaient Parker et mes frères.

Ce qui me met le plus en colère c'est de savoir que le gouvernement américain était censé nous protéger durant notre mission... Où sont les agents chargés de nous défendre ? La mort de plusieurs criminels doit sûrement les ravir, et ils se disent que ce ne sont que des pertes collatérales. Après tout, notre perte n'est que secondaire par rapport au véritable trésor de guerre que représente Alfredo. Par notre meurtre, il sera vulnérable et la CIA lui tombera dessus sans qu'il puisse se retourner. Cette pensée me console un peu et je me prends à imaginer mon cher mari, le crâne troué par un des membres des forces spéciales américaines. J'espère simplement que nous ne partagerons pas la même cellule en enfer.

Notre arrivée est discrète. Un immense champ aux alentours de Chugwater sert de tarmac pour le jet privé d'Alfredo. Mon estomac se noue à l'idée de le revoir. La tension de mes muscles est à son paroxysme.

Une voiture noire aux vitres teintées m'attend, moi et les deux gorilles qui me surveillent depuis maintenant cinq heures. C'est le genre d'homme à porter des lunettes de soleil en pleine obscurité... Quelle crédibilité... Il ne manque plus que l'oreillette pour parfaire le costume qu'ils ont emprunté sur le tournage des « Experts » !

Lorsque j'arrive au niveau de la berline noire, la portière arrière s'ouvre lentement, et tout ce que je distingue en premier, c'est la chaussure de luxe qui s'en échappe. Mon cœur rate un battement et une sensation glacée pénètre toutes mes terminaisons nerveuses. Mon souffle devient saccadé et mes jambes menacent de lâcher. Alfredo est certes bel homme, mais les ténèbres qui habitent ses iris sont aussi effrayants que son rictus carnassier. Il porte un costume hors de prix avec une chemise ivoirine et une cravate bleu céruléen. Il s'approche de moi d'une démarche féline. Je suis sa proie, son trophée, sa vengeance...

À l'instant où il me fait face, mes muscles se libèrent d'une tension jusque-là contenue, et ma main droite atterrit avec violence contre sa joue. Étonné par mon geste, Alfredo prend le temps de se masser le côté du visage avant de me fixer à nouveau.

Son rictus a disparu, une colère noire s'empare de ses yeux et je sens toute la violence qui l'anime. C'est un animal sauvage, incapable de se fondre dans une société, il est le pire des prédateurs. J'attends le déchainement de haine qui ne vient pas, la sentence que je mériterais pour cet affront. Il se contente de me reluquer sans vergogne.

Soudain, j'entends une petite voix qui s'échappe de la voiture laissée ouverte. Une chevelure blonde me fige sur place, des yeux clairs et une mine d'enfant me déchirent le cœur.

— Mr Alfredo ? Qu'est-ce qui se passe ?

L'être immonde qui me fait face se retourne en direction de Lily, et lui adresse un sourire digne d'un acteur hollywoodien.

— Je t'avais promis que je ferais revenir Alessia ! Approche, ma puce.

Mes mains tremblent et il me faut un effort surhumain pour ne pas m'effondrer de peur. L'angoisse envahit chaque cellule de mon corps, tétanise mes cordes vocales et fait apparaître de grosses perles transparentes au coin de mes yeux. Lily porte une magnifique robe rose poudrée avec des sandales blanches. Tout en elle respire l'innocence, et bientôt, il n'en restera plus rien.

N'écoutant que mon instinct, je me précipite vers la jeune fille et la prend dans mes bras. Je m'imprègne de son odeur de vanille et vérifie qu'elle n'est pas blessée. Un immense sourire illumine son visage d'enfant, et elle me rend mon étreinte en riant. Si seulement elle savait...

— Alessia ! Tu es tellement belle ! Où est-ce que tu étais passée ? Papa était tellement triste quand tu es partie ! Je croyais que tu allais rester pour toujours à Chugwater ! Alfredo, ton ami, m'a dit que tu reviendrais pour nous ! Il m'a offert une robe et...

— Chut, pas si vite ma chérie... Je suis là, tu auras tout le temps de me parler quand on sera plus tranquille, d'accord ?

Lily fait la moue mais elle décide finalement de me laisser le temps de respirer. Ma voix est hachée et elle doit sentir mon désarroi, car, de sa petite main diaphane, elle se met à me caresser la joue. La douceur de son geste me fait verser une larme :

— Tu m'as manquée, Alessia.

Je prends le visage de Lily entre mes mains et embrasse son front tendrement :

— Toi aussi, ma chérie.

J'entends le raclement de gorge d'Alfredo, ce qui m'oblige à me retourner vers cette ordure. Mon regard doit en dire long sur ce que je pense de lui, car il m'adresse son plus beau sourire machiavélique. Je ne sais pas quel est son plan, mais à voir son air ravi, je doute que la suite des évènements soit à mon avantage. 

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