Le marchandage (partie 2)
Le frère d'Alessia prend une grande inspiration et fige son regard améthyste face à la caméra. Son sourire espiègle est remplacé par un air grave et je vois sa mâchoire se crisper.
— Que pensez-vous des emprisonnements sans jugement ? Je pose cette question, car, ma sœur, Alessia, qui n'a que vingt-quatre ans, a été arrêtée par les membres du Ministère de la Défense. Son crime ? Avoir été obligée d'épouser un enfoiré de première ! Il l'a violentée, s'est servie d'elle, l'a traumatisée à vie... Autant vous dire que s'il était en face de moi, je n'hésiterais pas une seule seconde à lui tirer une balle entre les deux yeux.
Dante se passe nerveusement la main derrière la nuque. Je suis obligé d'arpenter la pièce exigüe car il est impossible que je reste sur une chaise sans bouger. L'horreur qu'a subie Alessia est hors norme, elle a été châtiée pour être née dans le mauvais berceau. Une haine farouche s'empare de mon cœur et, à cet instant, je jure devant Dieu que des idées de meurtre, et de torture sanglante, envahissent mon esprit.
— On l'accuse de crimes qu'elle n'a pas commis. Alfredo Julliani, son « tendre et cher mari », a tenu à ce qu'elle porte le chapeau pour elle. À l'heure où je vous parle, ma sœur est détenue au Pentagone afin d'être soumise à des interrogatoires musclés. Si je pouvais livrer au gouvernement de ce pays la tête d'Alfredo, je le ferais. Mais, comme vous, je suis démuni et mes hommes n'ont pas réussi à le localiser. Cependant, j'ai autre chose à proposer.
Je retiens mon souffle. Dante fait durer le suspense afin qu'un maximum de monde puisse bien prendre en compte son message. Au même moment, Augusto fait apparaître en direct les visages de cinq des plus grands chefs du crime organisé aux États-Unis. Ils sont, comme le frère d'Alessia, en direct, et leur propre caméra est braquée sur leur personne.
Après un silence de trente secondes qui me paraît durer dix ans, Dante reprend la parole :
— Les États-Unis sont connus pour infiltrer les gangs de ses ennemis. Chaque groupe de crime organisé possède ses taupes, des visages sous-couverture capables de mettre à mal toute une organisation. Je suis en contact avec la plupart des chefs mafieux. Le marché est simple : Monsieur le Secrétaire Général à la Défense, je ferais apparaître sur cet écran les noms de vos agents infiltrés ainsi que leur photographie. Je vous laisse quatre heures pour libérer ma sœur. Si jamais vous croyez que je bluffe, je peux vous donner un aperçu de mes découvertes en privé. Comme j'ai déjà votre numéro personnel, préparez-vous à recevoir mon appel dans exactement dix minutes. D'ici là, « God Bless America » !
Augusto lance le compte à rebours de quatre heures sur la vidéo en directe et se charge de couper la caméra. Dante se prend la tête entre les mains et grogne de rage. Je suis tout à fait conscient que son intervention lui a demandé beaucoup d'effort. Moi-même j'ai du mal à me remettre de toutes les révélations de ces derniers jours, la lourdeur du passé d'Alessia, la violence de sa vie, son innocence bafouée sur l'autel.
Je m'approche d'un Dante colérique et à peine contrôlable. Au moment où ma main rencontre son épaule contractée, il a un geste que je n'aurais jamais imaginé pouvant venir de lui. Il pose sa paume calleuse sur ma propre épaule et fixe ses yeux de jade dans les miens.
— Maintenant, c'est quitte ou double. Merci, Parker. Merci d'être là pour Alessia.
— Je serai toujours là pour elle.
Dante acquiesce et me serre dans une étreinte virile et formelle. Sergio lui tend le téléphone sur lequel est enregistré le numéro personnel du Secrétaire Général à la Défense. Nous maintenons tous notre souffle en attendant l'écoulement des dix minutes donnés au responsable politique. Lorsque Dante appuie enfin sur le téléphone vert, l'angoisse envahit complètement mon cœur et mon esprit. Plus rien ne compte que l'issue de cet appel. Si notre plan tombe à l'eau, Alessia ne pourra plus être sauvée, tout du moins, de manière non-violente.
— Richard Spencer à l'appareil.
— Monsieur le Secrétaire Général à la Défense, ravi de voir que vous ne me basculez pas sur messagerie !
La voix enjouée de Dante sonne faux mais je comprends son intention d'intimider son interlocuteur. Il ne faut pas lui montrer le moindre signe de faiblesse, la moindre fissure par laquelle il pourrait se glisser. Ce sont des hommes de pouvoir capables de vous briser en moins de temps qu'il en faut pour le dire. Ils ont l'habitude de ce genre de chantage et ce n'est sans doute pas la première fois qu'on leur met une telle pression sur les épaules.
— Cessez votre numéro de clown Dante De La Rivera.
— Oh... J'essayais simplement de détendre l'atmosphère...
— Vous êtes sur le point d'envoyer des citoyens américains à la morgue, des gens honnêtes qui servent leurs pays, des hommes qui ont une famille, des amis...
— Pitié ! Vous allez me faire pleurer ! Gardez vos discours démagogiques pour les campagnes présidentielles. Alessia est tout aussi innocente que n'importe lequel de vos agents infiltrés.
— Je n'en serais pas si sûr à votre place.
— Comment ça ?
— Elle a tué un éminent diplomate italien en pleine réunion au siège de l'ONU. Alessia est toujours en contact avec son cher mari, Alfredo Julliani.
— C'est faux !
— On a retrouvé une oreillette sur elle. Il lui intimait des ordres par ce biais. Sans oublier qu'elle avait dissimulé un poison puissant dans un flacon de sauce donné aux résidants des hôtels new-yorkais. Dois-je continuer ?
— Vous savez très bien qu'elle est manipulée ! Jamais elle n'obéirait à Alfredo !
— Pourtant, c'est ce qu'elle a fait, elle a avoué. Maintenant, je vais raccrocher, et mettre les meilleurs escadrons d'élites sur vos traces. Vous ne ferez pas long feu Dante.
— Très bien, vous voulez jouer à ça.
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