Chapitre III - Le Prince de Goucartelles

Le lendemain, au petit matin, après avoir rempli un vase entier de Lapinou et un bocal de larmes, Pétronie prit une décision fatidique. Une décision qui allait changer sa petite vie de bonniche mangeuse de lapins : elle décida de s'enfuir. Vous savez, il y a toujours, dans les histoires, un moment où l'héroïne se voit contrainte de fuir ; cela montre qu'elle peut être à la fois nunuche et rebelle. 

Et bien, ce moment était enfin venu pour Pétronie. Au bout de douze années, elle avait fini par réaliser à quel point tata Justine était une méchante et impitoyable femme, certainement jalouse de sa splendide laideur tout-à-fait naturelle, et par conséquent prête à tout pour lui rendre la vie impitoyable.

Jusqu'à présent, Pétronie avait lutté contre ses tendances rebelle et provocatrice. Elle avait fait face aux corvées, aux humiliations, aux moqueries, aux rabaissements, aux coups, au fouet, au scalpel, aux lapidations, aux castrations, à la chaise électrique et, enfin, à la guillotine. 

Mais l'assassinat, si cruel, si barbare, et enfin si humiliant (car, malgré ses nombreux efforts, Lapinou avait quand même fini tondu et cuit pour le dîner) de son lapin préféré, ça, Pétronie ne pouvait le pardonner.

Alors, elle partit, emmenant sous son bras son baluchon, et le vase contenant les restes de Lapinou. Pétronie ne savait pas vraiment où elle désirait se rendre, mais une chose était certaine : elle devait enterrer Lapinou, afin qu'il connaisse ne serait-ce qu'un semi-repos, et qu'au moins une partie de son corps s'envole au Paradis des Carottes. 

Pétronie se voyait bien désolée de devoir séparer le lapin de son autre moitié. Elle avait bien tenté de faire vomir tata Justine, et avait même songé à la disséquer vive afin de récupérer ce qui restait du lapin. Mais, ne souhaitant être à son tour tondue puis cuite à point pour le repas, elle s'était résignée à laisser un Lapinou divisé en deux.

Elle l'enterra finalement dans le champ de carottes de tata Justine ; comme ça, si jamais il venait à l'esprit de Lapinou de revenir hanter celle qui l'avait cruellement assassiné, cuisiné puis dévoré, Pétronie se dit qu'il aurait de quoi se nourrir. Elle ne savait pas s'il arrivait aux revenants d'avoir un petit creux, mais elle préférait ne pas prendre le risque, car elle s'en serait voulue d'offrir à Lapinou une mort dans l'au-delà. Après avoir fait ses adieux aux restes de son lapin, Pétronie partit.

Elle marcha plusieurs journées durant, sans vraiment savoir où elle désirait se rendre. C'était l'automne ; par conséquent, il pleuvait, et Pétronie, qui marchait au bord de la rivière, se retrouva un jour empêtrée dans la boue jusqu'au cou. Vous pourriez penser que cette situation était absolument horrible, qu'il y avait de quoi être traumatisée, mais en réalité, sachez que Pétronie s'y trouvait toute à son aise.

Pourtant, au bout de sept longues journées de plaisir si extrême que notre héroïne en avait presque oublié Lapinou, le bonheur toucha à sa fin. En effet, un jeune garçon, passant par là, interpréta mal la situation de notre Pétronie. 

Il courra d'abord pour la secourir, puis s'arrêta tout droit lorsqu'il vit le visage de la fillette. Le garçon fronça les sourcils et dévisagea Pétronie, évaluant s'il était utile ou non de sauver la vie d'une personne si laide — puisque, c'est évident, les laids ne servent strictement à rien d'autre qu'à être laids, et par conséquent à mettre en valeur les beaux.

Il décida finalement de la sauver car, après tout, étant d'une incroyable beauté, il méritait, lui aussi, d'avoir son laid personnel qui ferait valoir sa splendeur. Déterminé, le garçon attrapa les cheveux de Pétronie et tira de toutes ses forces. 

L'enfant ne comprit pas ce qui lui arrivait ; elle jubilait tranquillement dans une magnifique marre de boue comme elle n'en avait jamais vu, ne demandant rien à personne ni ne faisant aucun mal, et voilà qu'on l'en extirpait contre son gré et sans même l'avoir concertée. 

Pétronie s'apprêtait à bondir à la gorge de celui qui avait osé faire ça, mais... comme je vous l'ai déjà dit, le garçon était très beau, et il lui suffit d'un sourire pour rendre Pétronie aussi docile qu'un caniche bien élevé. Ainsi, il lui ordonna de s'asseoir, elle s'assit. Il lui ordonna de se mettre debout, elle se mit debout. Il lui ordonna de faire la belle, du moins, autant que sa laideur le lui permettrait, et elle fit de son mieux.

Le garçon lui expliqua qu'il était le Prince de Goucartelles, la contrée voisine, qu'il lui avait sauvé la vie, qu'elle était moche et lui beau et que, par conséquent, la nature l'avait désignée dès sa naissance comme un sous-élément juste bon à se taire, obéir et éventuellement manger. Le garçon lui proposa d'être son esclave, et Pétronie accepta sans hésiter. 

Le Prince l'emmena donc dans son pays, où Pétronie dût accomplir les mêmes tâches qu'elle accomplissait, jadis, chez tata Justine. Mais c'était différent, car comme le Prince était beau, Pétronie s'exécutait à présent avec un plaisir non-feint.

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