Chapitre II - Lapinou
Dans son immense et inimitable bonté, Pétronie recueillit, un jour, un petit lapin blanc adorablement mignon, et qui s'avéra, plus tard, incroyablement croustillant.
La pauvre bête gisait à même le sol, trempée, blessée, ensanglantée, et même assassinée. Pétronie le ramena donc chez elle à l'aide d'un bâton, ne désirant pas se salir les mains à toucher tant de souillures. Dans son infinie sagesse, elle soigna l'animal et, avec une originalité sans égal, le nomma « Lapinou ».
Lapinou était un petit plaisantin. Il mordait, griffait, urinait dans les draps, et même, parfois, mangeait des enfants. Mais Pétronie l'aimait pour sa beauté, non pour sa personnalité, alors tant de mesquinerie lui était bien égal. Aussi en prenait-elle soin presque aussi bien qu'une mère avec sa progéniture.
Lapinou était désormais au centre des préoccupations et de la vie de Pétronie. Elle s'endormait auprès de lui, la nuit, le serrant très fort dans ses bras, de peur qu'il ne tente de s'échapper comme il le faisait souvent. Pétronie lui avait appris à chasser les souris, de manière à ce qu'il se rende utile.
Mais plutôt que de courir à sa besogne, l'animal courait à sa liberté, voyant déjà les prairies, les forêts, les rivières, les montagnes, la savane... Cependant Pétronie l'interceptait toujours à temps, et Lapinou regardait toujours avec désarroi et d'un œil humide s'éloigner de lui ses prairies, ses forêts, ses rivières, ses montagnes et sa savane.
Et il se trouvait de nouveau à son point de départ. Car Lapinou était, bien évidemment, le seul et unique ami de Pétronie. Quand celle-ci était de corvées ménagères, Lapinou élaborait moult plans soigneusement rédigés sur les papiers roses parfumés à la fraise de sa maîtresse, qui lui auraient sans doute permis de s'évader. Mais Pétronie les trouvait, et avait vite fait de les brûler à petits feux.
Mais être prisonnier de notre délicieuse Pétronie, ce n'était rien en comparaison d'être livré aux griffes de la terrible tata Justine. Celle-ci semblait, en effet, toujours attendre l'été avec impatience pour infliger à Lapinou la pire humiliation qui existait : le tondre sous tous ses angles. Le lapin gambadait ensuite dans la maison, rasé et nu comme un ver, son pompon de queue entre les pattes, et les oreilles rabaissées pour dissimuler sa honte.
Pourtant, un jour, Lapinou accéda enfin à sa liberté tant désirée, malheureusement pas comme il l'aurait souhaité. Cela se produisit un premier jour d'été.
Si tôt les premiers rayons de soleil à leur zénith, tata Justine bondit sur ses trois pieds, et courut d'un pas si rapide qu'elle aurait pu rattraper un coureur professionnel. Elle fonça ainsi jusque la chambre de Pétronie, terrorisant l'enfant avec son sourire sadique et son scalpel ; Lapinou, en la voyant, bondit aussitôt, se mettant à courir, courir, aussi vite que ses quatre pauvres petites pattes le lui permettaient.
Mais cette tentative d'évasion fut, elle aussi, vaine car, en quelques enjambées, tata Justine l'avait rattrapé par la peau des fesses et entraîné avec elle dans la salle de bain. Lapinou ne comprenait d'ailleurs jamais pourquoi tata Justine aimait tant le laver ainsi avant de le tondre.
Seulement, ce jour-là, Lapinou avait décidé de tout mettre en œuvre pour ne point être tondu. Il usa de toutes les armes que Dame Nature avait daigné lui donner : il mordit, griffa, pleura, supplia, chanta l'Ave Maria... Rien n'y fit. Ensanglantée, blessée, hébétée, tata Justine entra dans une fureur monstre. Elle se saisit de la pelle du jardin qui, par le plus grand des hasards, se trouvait dans la baignoire, et passa à tabac la pauvre bête. Tant et si bien que l'animal mourut trois fois.
Tata Justine fut bien embêtée après ça. Qu'allait-elle faire ? Comment l'annoncer à Pétronie ? Inventer un mensonge, et prétendre que Lapinou s'était échappé ? Non, Pétronie ne croirait jamais une telle chose : elle savait bien que Lapinou n'aurait jamais tenté de s'évader, c'était tout bonnement impossible ! Alors, tata Justine haussa les épaules. Fidèle à elle-même, elle décida tout d'abord de le tondre, car il s'agissait d'une priorité majeure. Quant au fait qu'il soit mort, elle aviserait ultérieurement.
Le soir, au dîner, Pétronie mangea goulûment le plat que lui avait concocté tata Justine. Des patates sautées dans tous les sens, accompagnées de crème fouettée et d'une viande tout bonnement succulente, à laquelle elle n'avait jamais goûté auparavant. Elle complimenta sa chère tante, et cette dernière lui répondit par un sourire énigmatique, semblant étrangement satisfaite.
Mais Pétronie finit par s'inquiéter de l'absence prolongée de Lapinou, car sa tante lui avait fait croire qu'il était chez le toiletteur. Devant l'insistance de Pétronie, tata Justine, mal à l'aise, se mit à fixer les restes de la carcasse, laquelle mijotait fièrement au milieu des petits pois cuisinés avec amour.
Alors, Pétronie poussa un cri d'effroi car, autour de ce qu'il restait du cou à moitié dévoré et soigneusement cuit à point, l'enfant reconnu le magnifique ruban rouge de Lapinou. De plus, à bien y réfléchir, les restes de cette viande ne formaient-ils pas les contours d'un lapin ? Oh oui, cela ne faisait plus aucun doute !
L'angoisse monta, et l'enfant comprit immédiatement, au regard que lui lançait tata Justine. Quand la fillette porta sa main à la bouche, d'un air dégoûté, tata Justine se vit dans l'extrême obligeance de dire quelque chose. Elle commença par prier Pétronie de ne point lui jeter ces regards assassins qui, en plus de l'insupporter, étaient tout ce qu'il y avait de plus pathétique : comme si le fait de la dévisager si méchamment allait y changer quelque chose.
Ensuite, tata Justine lui conta comment elle avait écourté la vie de son lapin trois fois consécutives, puis lui narra dans les moindres détails la manière dont elle l'avait lavé, puis rasé, poil après poil — ce qui, bien évidemment, constituait la partie la plus intéressante et la plus importante de l'histoire, et conclue en admettant qu'après ça, elle avait soigneusement cuisiné Lapinou pour le repas. Donc, pour résumer, Lapinou n'était effectivement point chez le toiletteur, mais dans leurs estomacs respectifs.
Pétronie cria. Comme elle n'avait jamais crié. Puis elle vomit. Comme elle n'avait jamais vomi, régurgitant ainsi le pauvre Lapinou, ou plutôt ce qu'il en restait. Car, en effet, le lapin était désormais réduit à un liquide d'une couleur verdâtre et à l'odeur nauséabonde. On était loin, vous vous en doutez, de l'adorable petit lapin, blanc, doux et affectueux, que Pétronie serrait fort dans ses bras en s'endormant le soir.
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