Chapitre I - Tata Justine

Il était une fois, dans un pays lointain, une créature répondant au nom de Pétronie. Laissez-moi vous la décrire dans ses moindres détails, sous toutes ses coutures ; explorons ensemble les moindres recoins qui constituent son être.

Aussi étrange que cela puisse paraître, Pétronie était une fille, âgée d'exactement douze ans, deux mois, quatre semaines, trois jours, sept heures, vint-cinq minutes et trente-trois, trente-quatre, trente-cinq, trente-six, trente-sept secondes.

A la différence des héroïnes traditionnelles, Pétronie, elle, avait un physique que nous pourrions qualifier d'« original ». Si, si, je vous le jure. A en faire pâlir cette crâneuse de Raiponce et sa sublime chevelure. Être belle, intelligente, bienveillante et courageuse, c'était devenu vieux jeu ; c'aurait été bien trop banal, ennuyeux et tristement ordinaire pour notre Pétronie. 

Non, Pétronie, elle, avait le poil gras, très gras, trop gras et, de ce fait, extrêmement luisant. Vous aurez compris que notre Pétronie n'avait nullement recours à de l'huile d'olive pour préparer ses salades.

Afin de s'accorder avec tant de merveilles, Dame Nature avait eu l'admirable idée de lui conférer un minois des plus ingrats. En effet, Pétronie ne faisait pas partie de celles que l'on qualifiait habituellement de « belles plantes ». Ses yeux étaient beaucoup trop éloignés l'un de l'autre, et son nez, enfin, le merveilleux appendice qui lui servait de nez, aurait pu être confondu avec un groin. 

Vous aurez deviné que sous une telle apparence, Pétronie se voyait dépourvue d'amies, ou de n'importe quelle relation. Cela allait de soi ; les êtres jugés « repoussants » étaient, ont toujours été et seront jusque la fin des temps voués à la solitude. C'était normal.

Et pourtant, notre Pétronie était une perle rare, un diamant immaculé, une pierre précieuse, un véritable trésor. En effet, si la beauté intérieure avait pu être visible, nous aurions pu dire que Pétronie était, approximativement, l'équivalent de la Belle aux Bois Dormant. Pétronie était gentille, généreuse, adorable, aimable, serviable, naïve, lâche, stupide et limitée. Une montagne de richesses à elle seule, donc.

Ses parents étant morts deux années précédant sa naissance, Pétronie avait été recueillie par sa tante, une grande et admirable femme que notre héroïne nommait « tata Justine ». Or, cette dernière s'insurgeait sans cesse contre cet ignoble surnom affectif respirant une niaiserie mielleuse qui lui donnait la nausée. Aussi obligeait-elle l'enfant à l'appeler « ma Tante ».

Car tata Justine était une vieille fille froide, rêche, sévère et rigide. Mais le pire de tout, c'était que tata Justine était méchante. En effet, elle mentait, éructait, hurlait, insultait, buvait, fumait, se prostituait, frappait les chats et, surtout, surtout... Il arrivait que tata Justine ait des gaz, et qu'elle ne se privât point de s'en soulager avec allégresse.

Elle était l'opposition incarnée de Pétronie qui, elle, n'aurait jamais osé commettre pareil affront au monde qui l'entourait. Parce que oui, figurez-vous qu'en plus de toutes ses nombreuses autres qualités, Pétronie était une amoureuse de la nature. Elle la vénérait, l'aimait, la choyait, l'idolâtrait. Mais hélas, il se trouvait que la nature ne lui rendait pas toujours la pareille. 

Aussi Pétronie avait-elle collectionné, depuis sa naissance, trois piqûres d'abeille, dix-sept griffures de chat, une morsure de serpent, deux crottes d'oiseau sur le visage, cinq morsures de chien, quatre-vingt deux piqûre de moustique, deux coups de sabot, onze brûlures de méduse, et dix piqûres d'araignée. Je n'oserai même pas compter le nombre de fois où son pied avait malencontreusement rencontré les étrons d'une quelconque petite bête.

En plus de ces bénédictions naturelles, notre Pétronie avait dû subir bon nombre de fois les châtiments corporels que tata Justine lui infligeait, souvent avec un plaisir extrême et non dissimulé. Mais Pétronie y prenait elle aussi goût, à tel point que tata Justine se demandait si l'enfant ne faisait pas exprès d'enfreindre les quelques règles de maison dans le but d'être fouettée, brûlée, flagellée, lapidée, et même, parfois, quand l'envie lui prenait, décapitée.

Afin de reprendre comme il convenait le flambeau de son ancêtre Cendrillon, vous devinerez que Pétronie était de corvées ménagères durant toute la sainte journée, les dix jours de la semaine, et cela, sans congé. Ni école, ni amitié, ni jeux n'étaient connus de notre Pétronie. 

Mais elle pouvait réciter merveilleusement bien et, qui plus est, dans l'ordre alphabétique, le nom de tous les ustensiles de cuisine, de tous les savons, de toutes les recettes, de toutes les sortes de tissu, de tous les aliments possibles et imaginables présents dans la maison. Donc, au final, même si notre Pétronie était laide et illettrée, vous devinerez qu'elle aurait fait une parfaite épouse. 

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