Je commençais à me dire que je ne reverrai jamais plus mon Petit Cul coincé ; que je ne pourrais jamais répondre à ses sentiments à mon tour ; que nous n'aurions jamais l'occasion de concrétiser...

MAIS !

La chance a tourné il y a quelques jours.

Une piste sérieuse nous est apparue, comme par magie, après avoir surpris une discussion des plus intéressantes. Un groupe de gobelins se félicitait de l'exploit récent de leurs congénères allemands, qui avaient joué un super coup en capturant un certain Ronron, un monstre de muscles aux cheveux bruns qui affolait toutes les créatures de Brême. Son regard fluorescent le rendait facilement identifiable.

Le portrait qu'ils en faisaient parlait de lui-même.

Liam et moi avons donc fait le voyage jusqu'en Allemagne.

Il ne nous a pas fallu longtemps pour repérer la grotte où Ronron serait emprisonné. Les gobelins sont trop heureux de crier leur victoire à qui veut l'entendre.

Ne manque plus que la sentinelle tombe dans notre piège et s'endorme après s'être gavée de notre cadeau empoisonné pour achever la dernière étape du plan.

On a dû ruser pour écarter les trois autres gobelins qui montaient la garde avec lui, et qui constituaient le plus gros de la menace.

Ces créatures ont un point faible, hormis leur stupidité. Elles sont très gourmandes.

Nous avons donc préparé un véritable festin à une centaine de mètres en amont, histoire de les appâter.

Le fumet n'a pas tardé à arriver jusqu'à leur nez, et, après avoir délibéré un long moment pour savoir lequel d'entre eux resterait monter la garde, ses potes se sont précipités sur notre buffet contaminé.

Ils pioncent depuis une demi-heure, repus, et l'air débilement satisfait.

Ne reste plus que Monsieur Crotte de nez à évincer pour aller délivrer Ronron.

Heureusement que Liam est là pour refréner mes ardeurs, sans quoi ça ferait longtemps que j'aurais foncé dans le tas, et tant pis pour la discrétion.

Je pose la main sur le Dracophyl qui pend autour de mon cou pour me contenir. Il ne m'a pas quittée depuis que mon Petit Cul me l'a rapporté.

Le talisman a largement eu le temps de se recharger depuis, et, il se peut que je l'ai déjà utilisé à une ou deux reprises...

Cela dit, même inactif, son toucher m'est d'une grande source de réconfort. Comme si Aaron y avait insufflé un peu de lui avant de me le remettre.

Un sourire m'échappe alors que je me remémore notre dernier face à face, juste avant que tout ne parte en couille.

— Au fait, interpellé-je Liam. Tu ne m'as jamais raconté comment Ronron en était venu à se retrouver avec une tête de baleine échouée le jour de la Sainte des « i ».

— Hum, j'aurais préféré ne pas avoir à revenir sur cet évènement, grimace-t-il. On ne peut pas dire qu'on ait brillé par notre performance ce jour-là...

— Je te promets de ne pas me moquer.

Il pousse un long soupir avant de m'offrir ce que je demande.

J'ai trop de charisme. Personne n'y résiste.

— Le filii gê qui détenait le Dracophyl nous a dupés en beauté. Après nous avoir révélé qu'il avait planqué le talisman sur une île déserte, au large, il nous a proposé de nous y conduire en bateau parce que l'île ne permettait pas d'y faire atterrir un hélicoptère ou un avion. On a embarqué depuis sa plage privée. La traversée a été bien plus longue qu'on l'imaginait et il nous a fallu pas loin de quarante-huit heures pour atteindre l'île.

— Vous ne vous êtes pas dit qu'il y avait cachalot sous gravillon ?

— Nous avions des doutes bien sûr, mais, à trois contre un, il y avait peu de chance que le bougre tente quoi que ce soit. Et il nous avait montré l'emplacement de l'île sur une carte, on savait donc qu'on faisait route vers la bonne direction. Une fois parvenu à destination, il a pris la tête du groupe pour nous guider jusqu'à sa cache. Ce qu'on ignorait, c'est qu'il avait truffé l'île de pièges.

— Le petit malin !

— On est tombé en plein dedans. Un filet nous a fauché au sol tous les trois. Le temps qu'on arrive à nous en dépêtrer, le gars avait filé et le bateau avec. On s'est retrouvés seuls, sur une île déserte, au beau milieu de l'Atlantique.

— Attends, tu veux dire qu'il vous a menés en bateau ? Ha ha ! Elle est bonne, hein ?

Liam lève les yeux au ciel.

— Ouais. Bref, nos portables ne captaient pas. Alors on a dû faire avec les moyens du bord pour quitter l'île.

— Han ! Dis-moi que vous avez dressé des tortues de mer pour grimper sur leurs carapaces, en mode Jack Sparrow !

— On a construit un radeau.

— Nettement moins cool. Vous vous êtes trompés de Jack, si tu veux mon avis.

Et on sait tous comment le personnage de Leonardo DiCaprio a fini...

— Après ça, un bateau de pêche nous a secourus en pleine mer, mais il s'était déjà écoulé pas mal de temps. Trop de temps. On a retrouvé le type... qui s'est empressé d'activer le Dracophyl en pensant qu'on était venu le tuer. Aaron en aurait été bien capable sur le coup.

Le corbeau montre les dents.

— Et il n'était pas le seul, crois-moi. Quand on a pris conscience qu'il avait activé le talisman... C'est comme si le sol s'était effondré sous nos pieds. Tout ce pour quoi l'on se démenait depuis des jours venait de tomber à l'eau.

— Et Ronron avec, c'est ça ?

Liam sourit.

— Patience. J'y viens.

— Donc, le gars portait le Dracophyl sur lui depuis le début ?

Il hausse les épaules :

— Ou alors il l'a récupéré juste avant de quitter l'île. Quoi qu'il en soit, on a échoué à quelques heures de la Syndesi. Le pire c'est que sa manœuvre n'a servi à rien. Le Dracophyl protège de la mort, mais il ne rend pas plus fort. Nous n'avons eu aucun mal à le maîtriser... Mais, Aaron s'est quand même pris un seau rempli d'eau de mer sur la tête au passage. D'où son triste état à son entrée dans le sanctuaire. On n'a pas vraiment eu le temps de faire une pause remise en beauté avant de vous rejoindre.

Je me fends d'un sourire rêveur en imaginant la scène.

— Il me manque, confessé-je alors.

Liam me couve d'un regard tendre. La fin du monde nous a beaucoup rapprochés. Il est un peu le grand frère que je n'ai jamais eu, en plus de mon sensei.

— On va le retrouver, m'assure-t-il.

Un son étouffé nous pousse à reporter notre attention en direction de l'entrée de la caverne, à une dizaine de mètres en contrebas.

— Et peut-être plus tôt qu'on ne le pense, ajoute Liam d'un air satisfait.

Le gobelin est couché au sol, l'assiette vidée de son gâteau, à côté de lui.

— Le poisson est ferré ! pépié-je, en me propulsant presque en position debout.

— Du calme, Terreur. N'oublie pas ta plume pour redescendre.

Oups, c'est vrai que ce serait dommage de me jeter dans le vide sans filet de secours et de me péter les deux jambes avant d'arriver jusqu'à Ronron.

C'est une harpie qui nous a fait cadeau de ces plumes prodigieuses. Il suffit d'en tenir une au-dessus de notre tête comme un parapluie et ça ralentit notre chute.

Mon statut de déesse de la délivrance peut s'avérer très utile par moment. Je suis devenue une véritable personnalité publique et il n'est pas rare que les Archidémons m'offrent des présents sans que je n'aie rien demandé. Enfin, ça arrivait surtout du temps où je brillais comme un soleil et que j'étais parfaitement reconnaissable. Aujourd'hui, il faut que je m'annonce pour que ça fonctionne. Et cette méthode n'est pas toujours concluante parce que certains démons n'ont rien à carrer de mon rôle dans leur libération.

Ce n'est pourtant pas faute de le leur rappeler.

Nous rejoignons le sol en quelques secondes. Je me précipite vers l'entrée de la grotte, mais Liam m'arrête une nouvelle fois en plein élan.

— Ne te fais pas trop de faux espoirs, Kali. On n'a encore aucune confirmation qu'il s'agit bien d'Aaron là-dedans.

— Mais tu as entendu la description que les gobelins en ont faite ! le détrompé-je avec enthousiasme. En plus, ils ont dit qu'il s'appelait Ronron.

— Justement. À part toi, personne ne l'appelle comme ça.

— Re-justement ! Je suis sûre que c'est un message codé qui m'est exclusivement destiné.

— J'imagine qu'on sera vite fixés, cède-t-il.