Chapitre 9

— Comment ça, tu vas sauver le monde ? m'interroge Margarita avec suspicion. La dernière fois que tu m'as dit ça, tu es partie délivrer les homards d'un restaurant parce que tu avais cru les entendre crier ton nom.

— Hey ! Ils avaient vraiment crié mon nom ! Et j'ai réussi, je te signale !

— Kaka... Tu les as relâchés dans la fontaine du centre-ville.

— Les flics me collaient aux basques ! J'ai dû parer au plus pressé ! De toute façon, ça n'a rien à voir, cette fois-ci... Marge, c'est un truc de fou ! J'ai des pouvoirs magiques !

— Kali, raccroche ce téléphone, me suggère Aaron de façon autoritaire pour ce qui doit être la cinquième fois en moins de deux minutes. Sven, pourquoi tu lui as prêté le tien ? Bon sang !

Je tire la langue à son reflet dans le rétroviseur. Après tout, c'est à cause de ce Cro-Magnon à poils courts que je me retrouve sans mes effets personnels. Y compris mon très cher Smartphone sans lequel je me sens toute nue. Heureusement que je connais le numéro de Margarita par cœur.

Je jette un coup d'œil par la fenêtre et m'aperçois que nous sommes sur le point d'arriver.

— Je dois y aller, ma poule, je te raconterai la suite plus tard.

— Tu ne raconteras rien du tout, me contredit le dictateur au volant après un énième regard ardent.

Je coupe la communication en chuchotant à ma BFF que je lui dirais tout dès mon retour, promis.

La pauvre, elle s'inquiétait déjà de ne pas me trouver chez moi un dimanche matin de si bonne heure — dix heures, du jamais vu me concernant — alors me voir couper court à la conversation sans lui avoir laissé le temps de me raconter sa folle nuit d'amour en compagnie du vendeur de saucisses... ça n'a pas dû la rassurer des masses.

En même temps, le comportement d'Aaron tout au long de notre échange, ne m'a pas aidée. Chaque fois que j'essayais d'expliquer la situation à Margarita, il prenait un malin plaisir à prononcer mon prénom de sa grosse voix suave. Difficile de se concentrer dans ces conditions. J'ai à peine eu le temps d'entrer dans les détails. Ce qui n'a pas dû manquer de frustrer ma meilleure amie, à coup sûr.

J'ai eu plus de chance que Margarita côté révélations. J'ai appris beaucoup de choses durant notre trajet en voiture. Notamment sur les circonstances qui m'ont amenée à revêtir le costume de super héroïne de façon si fortuite.

Olaf, ou Sven devrais-je dire — je pouffe toute seule à cette pensée — était d'humeur loquace aujourd'hui. Je lui ai tenu la jambe un bon moment afin d'en savoir plus sur ce Yanis auquel il a fait référence plus d'une fois depuis que je le connais. À force de persévérance, sa langue s'est finalement déliée sans aucune difficulté.

J'ai donc appris qu'il s'agissait du brun que j'avais bousculé par mégarde lors de la Beach Party. Ce dernier était censé faire semblant de livrer la Magiki Bala au blond qui l'accompagnait : Nolan. Un filigay à la botte du Cairebéroce renégat, qui devait les mener droit sur le traître en question une fois la transaction effectuée.

Autant dire que leur plan était à chier, parce que ça ne s'est pas du tout passé comme prévu. Yanis doit être un très mauvais agent double. Il ne connaît toujours pas l'identité du Cairebéroce corrompu, d'ailleurs. À la place, il se retrouve forcé de coller Nolan au cul jusqu'à ce qu'il entre suffisamment dans les bonnes grâces de son chef pour avoir enfin le privilège de le rencontrer.

En parlant dudit Cairebéroce, je ne comprends toujours pas quel est son intérêt à faire venir sur Terre des milliers de démons sanguinaires.

Aaron et Sven — Ha, ha ! Je ne m'y ferai jamais — n'ont pas l'air plus avancés sur la question, ils ont fait semblant de ne pas m'entendre quand je les ai interrogés à ce sujet. À mon avis, ça les gêne de ne pas pouvoir l'expliquer. Ce gars doit être cinglé, je ne vois pas d'autre explication. Ou sataniste.

Tiens, est-ce que le diable existe ? Brrr. Cette perspective fait froid dans le dos.

La couverture de Yanis nous offre néanmoins l'avantage de pouvoir anticiper les mouvements de nos ennemis et de leur échapper plus facilement. Comme ce matin.

J'aime bien cette notion de « nous » fraîchement acquise. J'ai l'impression de faire partie de la ligue des justiciers. Je me vois déjà marcher au ralenti aux côtés d'Aaron et Sven, comme dans ces illustres scènes des films d'action. Quand tous les héros progressent ensemble juste avant de partir au casse-pipe et qu'ils arborent des bonnes têtes de vainqueurs ; des mouvements de cheveux trop soyeux ; et des démarches de mercenaires invincibles... avec des trucs qui pètent dans tous les sens en arrière plan.

J'ai toujours trouvé ça super badass au cinéma. Je suis sûre que ma tête en slow motion vaut de l'or.

Alors que je suis toujours en train de m'imaginer cette scène épique, Aaron ouvre la porte arrière du véhicule en me sommant de le suivre.

N'ayant rien de mieux à faire, j'accepte de le laisser me guider docilement. 

Deux filigays sont en train de discuter sur le perron de la maison. Ils observent notre progression sans tenter de cacher leur curiosité à mon égard.

Arrivée à leur hauteur, je décide qu'il est temps de faire des efforts pour m'intégrer. Si je dois passer plusieurs jours auprès de cette bande d'illuminés, autant que je fasse en sorte que la cohabitation se passe bien. J'ai toujours eu à cœur de me faire accepter.

— Putain ! les salué-je donc avec panache.

Ils m'observent comme si j'étais une extra-terrestre fraîchement débarquée sur Terre. Ce fichu tatouage hautement esthétique rend visiblement les membres de la communauté très suspicieux envers moi. Tant pis, ils finiront bien par s'habituer à ma présence et se rendre compte que je suis inoffensive.

Aaron, qui s'était arrêté pour me laisser une chance de faire connaissance, secoue la tête devant l'impolitesse de ses pairs et reprend son déplacement d'un pas énergique.

Sven, pour sa part, décide de rester papoter avec les deux malotrus. J'espère qu'il compte leur expliquer ce qu'il pense de leur attitude de gougnafiers.

Une fois la porte d'entrée franchie, Aaron m'abandonne quelques secondes pour revenir presque aussitôt chargé d'un grand sac de sport. J'espère qu'il ne compte pas y mettre mon cadavre. Je suis sûre que je ne rentre pas dedans de toute façon.

— J'ai les os solides, tu sais, je l'informe. Ils ne se cassent pas facilement.

Je préfère le prévenir, des fois qu'il songe à me dépecer pour pallier à ce problème de place. Il ignore ma remarque et me pousse en avant pour m'inviter à reprendre le mouvement.

À mon grand dam, mes tentatives d'intégration se révèlent toutes aussi infructueuses avec les quelques individus que je croise à l'intérieur.

Ce constat m'attriste. Je fais la moue.

Mais je me déride aussitôt lorsqu'apparaît une silhouette improbable dans un coin de couloir. Elle avance vers nous, tête dans le guidon, rasant les murs.

Je tire sur la manche d'Aaron, qui s'immobilise en soupirant.

— Les fantômes existent ? me renseigné-je en chuchotant.

— Non, me répond-il catégorique.

— Ah... je réponds pensivement. Oh !

Mais alors ça veut dire que je ne suis pas une meurtrière !

Je sautille sur place en tapotant dans mes mains de façon énergique. Mon mouvement ne passe pas inaperçu aux yeux de Raphaël, un peu plus loin, qui redresse la tête en sursautant. Il tient un bagage à la main et à l'air visiblement pressé de s'en aller.

J'agite follement mon bras pour lui indiquer ma présence. Les yeux ronds, il passe rapidement son regard sur moi, puis sur Aaron, et il fait demi-tour en feignant ne pas me connaître.

Mince, il m'en veut encore.

Je fais de nouveau la moue. La journée commence mal.

Et elle n'est pas prête de s'arranger lorsqu'Aaron m'apprend qu'il est temps que je commence mon entraînement.

La barbe...

Il me conduit vers une ouverture à la droite des escaliers principaux que j'avais loupée lors de ma visite précédente et qui mène visiblement au sous-sol.

— On ne pourrait pas aller voir les cochons d'abord ? quémandé-je en lui faisant les yeux du chatPotté. Lescochons, ou n'importe quel animal dont vous vous occupez dans ce refuge.

Malheureusement, cet ascète y est totalement insensible. Au lieu d'être attendri face à ma bouille d'amour, il affiche une grimace constipée et entreprend de descendre les escaliers en colimaçon qui se trouvent là — et qui doivent certainement déboucher sur les catacombes si j'en crois l'ambiance morbide qui s'en dégage. Aaron se fond plutôt bien dans le décor, à ce propos.

Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi atrabilaire.

Un mot marrant pour quelqu'un qui l'est beaucoup moins.

Le pire, c'est que son attitude sévère m'excite au plus haut point.

Nous arrivons finalement dans un vaste sous-sol aménagé en salle de sport. Aaron me conduit au centre d'un grand tatami et balance son sac à terre avant de se baisser pour l'ouvrir.

— Fais gaffe, je le mets en garde. Je suis ceinture noire de Karaté Kid ! J'ai vu les films au moins dix fois !

— Ça tombe bien, nous ne sommes pas là pour nous battre.

— Ah ? Dommage. Je n'aurais pas été contre un petit corps à corps avec toi

Il secoue la tête. J'ai remarqué que c'était un tic qu'il contractait souvent en ma présence.

Je crois que je le trouble bien plus qu'il ne veut l'avouer.

— Bien, on va commencer avec ça, annonce-t-il en se redressant.

En avisant le miroir rectangulaire qu'il tient entre ses mains, je me rebiffe :

— Oh non ! Encore ?!

— Comment ça « encore » ? s'étonne-t-il. Ce n'est pas un simple miroir, Kali.

— Bah oui, je sais. Je l'ai déjà testé hier. C'est bon, j'ai vu mes sextoys, on peut passer à autre chose.

— Comment ça, tu l'as déjà testé ? Avec qui ? Et puis, c'est quoi cette histoire de sextoys ?!

— Heu...

Merde. Si je lui dis, il va sûrement vouloir confirmer auprès de Raphaël et il saura que j'ai merdé avec la baguette d'Harry !

— Bah...

Après tout, il est vivant. Ce n'est peut-être pas si grave... À moins que...

Merde ! Et si c'était son jumeau que j'avais croisé plus tôt ?!

Cela expliquerait pourquoi il ne m'a pas reconnue. Si ça se trouve, il est toujours raide dans sa chambre !

— Parle, Kali ! s'énerve Aaron en me faisant sursauter.

— Ça va ! Pas la peine de t'exciter ! je me renfrogne. Est-ce que Raphaël a un frère ?

— Non, me répond-il de sa voix bourrue. D'où tu connais Raphaël ?

Ouf, c'est déjà ça. Voilà un souci de moins à régler.

Du coup, je ne dois pas prendre trop de risque si je lui révèle.

— Kali ! me presse Aaron.

— Okay, c'est bon, je vais te le dire. Je l'ai rencontré hier soir, quand j'espi... expirais ! me rattrapé-je in extremis.

— Quand tu expirais ? répète-t-il complètement paumé.

— Oui ! Je faisais mon sport. Enfin, des exercices de relaxation, quoi. J'inspire, j'expire... bref, tu vois le genre. Je suis tombée sur Raph par hasard dans le couloir. On a fini dans sa chambre et...

— Attends, comment vous avez fini dans sa chambre ?

— Heu... en marchant.

En même temps, on n'allait pas y aller en volant.

Han !

— Les Filigays savent voler ?! je m'écrie avec espoir.

— Quoi ? Mais non !

— Alors c'est juste les Cairebéroce, c'est ça ?!

— Non ! Pourquoi tu... Putain !

Il se pince l'arrête du nez. Ça aussi c'est un tic assez fréquent chez lui.

En fait, il est bourré de petites mimiques. C'est trop adorable.

— Ok, reprend-il en soufflant par le nez. Donc, tu t'es retrouvée dans la chambre de Raphaël... et ensuite...

— Ah, oui... c'est vrai. Ensuite, il m'a fait tester ces vieilles reliques avec des runes, là. Comme celles qui apparaissaient sur le feu fiolet dans la bibliojungle.

— Le feu fiolet ?

— Oui, tu sais bien, l'espèce de sabre laser archaïque que j'ai envoyé dans le lustre. Sans le vouloir ! m'empressé-je de préciser.

— La machaira, oui. Je m'en souviens bien... Tu peux me décrire les reliques qu'il voulait te faire tester ?

— Oh, rien de bien folichon. Un bol qui s'enflamme sans chauffer ; ton fameux miroir, là ; et...

— Et ?

— Non, rien.

— Kali, me lance-t-il comme un avertissement.

— Très bien ! Et une baguette magique qui met K.O. ! Voilà ! Ou bien qui freeze, je ne sais pas trop. C'était bizarre. En tout cas il ne bougeait plus et j'ai cru qu'il était mort.

— Il t'a fait tester la baguette ?! enrage Aaron.

— Oui. Non ! Enfin... pas vraiment...

Attendez, il y a un sens caché à sa phrase, là ? Quand il me demande si Raph m'a fait tester la baguette... on parle bien de la même chose ?

— Comment ça « pas vraiment » ?! Putain, Kali, soit claire. C'est oui ou c'est non ?

— Ce n'était pas voulu, d'accord ! Raph s'est éloigné pour se dessaper et je l'ai vue, elle était gentiment posée là, elle m'attirait. Alors je l'ai prise et le coup est parti tout seul.

— Bordel !

Voilà qu'il s'arrache les cheveux maintenant. C'est mort, il ne voudra plus jamais coucher avec moi. Surtout s'il devient chauve par ma faute.

— Je ne l'ai pas fait exprès, Aaron ! Je te le jure ! je tente de me dédouaner. Je ne voulais pas shooter Raphaël. Je ne savais même pas quel était le pouvoir de cette satanée baguette de sorcier...

— Ce n'est pas à toi que j'en veux, Kali, soupire-t-il. Raphaël n'aurait jamais dû te mettre en présence de ces objets. Putain ! Comme si on n'avait pas déjà assez de problèmes sur les bras comme ça !

— Bah, si ça peut te rassurer. Je ne pense pas qu'il ait voulu mal agir. À mon avis il est juste un peu fantasque. Il n'y a qu'à voir le truc chelou qu'il voulait que je prononce en plein ébat...

Aaron, qui était occupé à faire les cent pas, se retourne vivement pour me clouer sur place d'un simple regard. Un regard torride.

— Quel truc chelou ? m'interroge-t-il avec brusquerie.

— Je ne sais plus trop... c'était à propos d'un nonos.

— L'enfoiré !

Heu... il n'aime pas ce mot, c'est ça ?

— Ne bouge pas ! me somme-t-il en tournant les talons. Je règle un truc et je reviens.

À la suite de quoi il quitte la salle comme s'il avait le feu au cul.

Oups... Raph risque de passer un sale quart d'heure.

Ça lui apprendra à parler de nonos avec autant d'insouciance.

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