Chapitre 6
Confortablement installée dans un fauteuil suspendu au beau milieu d'une bibliothèque, je pioche gaiement dans le bol de cacahuètes au wasabi que m'a remis Freja un peu plus tôt. J'ai la bouche en feu à chaque fois que j'en gobe une, mais mon estomac la remercie. Du moins, pour le moment.
La vieille femme, assise sur une méridienne face à moi, m'observe osciller pensivement depuis déjà quelques minutes.
« KRIIII KRIIII » fait mon siège, à chacune de mes impulsions.
Dommage que plusieurs tas de livres à mes pieds m'empêchent de me balancer plus dynamiquement, j'aime bien la sensation que je ressens chaque fois que je pars vers l'arrière.
Je devrais faire installer ce genre de coquille à bascule chez moi, songé-je avec le sourire.
Je suis sûre que ça offre tout un tas de possibilités auxquelles n'a pas encore songé Freja.
Peut-être qu'Aaron accepterait de mettre certaines d'entre elles en pratique ?
Le beau-brun semblait un peu taciturne toute à l'heure, mais il m'a l'air assez pet-de-sec au quotidien. A mon avis, son problème c'est qu'il est trop sérieux. Il mériterait de se dévergonder un peu. Et il suffirait qu'il ôte ce balai qui lui rentre manifestement dans le cul pour se transformer en un véritable Dieu vivant.
En général, je suis plutôt douée pour révéler le potentiel des gens. Je lui proposerai mes services quand je le reverrai. L'idée devrait lui plaire.
— J'avoue que je m'imaginais la tâche plus simple, déclare soudain Freja en soupirant.
— Ah ? Vous voulez dire que vous avez déjà essayé de lui retirer ?
Ma réplique la fait sursauter.
— Heu... quoi ? me considère-t-elle avec incompréhension.
— Bah, le balai qu'Aaron s'est coincé dans le derrière.
L'ancienne explose de rire.
— Ah ! Kali, vous êtes d'un naturel rafraîchissant. Non, je parlais en réalité des confidences que je m'apprête à vous faire.
— Oh ! m'égayai-je en applaudissant. J'adore les confidences ! Dites-moi tout !
— Voyez-vous, c'est la première fois que nous nous trouvons confrontés à ce genre de situation. Et les retombées de cet incident, dit-elle en pointant mon tatouage du doigt, pourraient s'avérer des plus catastrophiques si nous vous préparons mal à ce qui vous attend.
— Ha, ha ! Ne stressez pas trop, mamie, ce n'est pas comme si ce joli gribouillage pouvait causer la fin du monde ou quelque chose du genre, gloussé-je. A vous entendre, on croirait qu'il dissimule une bombe.
Je me marre un instant en m'imaginant un explosif dans le cerveau, puis l'expression sérieuse de Freja finit par m'alarmer réellement.
— Oh, mon dieu ! explosé-je métaphoriquement parlant — manquerait plus que j'explose pour de vrai. Est-ce que je suis devenue une sorte de bombe humaine ?! Je veux dire, une vraie bombe, et pas seulement une bombe sexuelle ? Mes jours sont comptés ? Combien de temps me reste-t-il à vivre ? Il faut que je prévienne ma famille, mes amis... que j'aille à Disneyland, que je mange un couscous, un bagel au poulet, et des lasagnes... Oh ! Putain ! Faut que je baise ! Je ne peux pas crever sans avoir eu d'orgasme une dernière fois. Où est votre fils ?
— Non, non, non ! Calmez-vous ! Ce n'est pas ce que je sous-entendais. Enfin... pas exactement. Heu... Attendez, rasseyez-vous. Je vais tâcher de simplifier les choses autant que je peux.
Ouf, la folle. Faut pas me faire des frayeurs comme ça ! Je n'en ai pas l'air, mais je suis cardiaque, moi.
Je me rassois, une main sur le cœur, pour tenter de contenir ses battements sporadiques. C'est pire que les montagnes russes ce fauteuil qui pendouille.
— Bon, pour commencer, Aaron n'est pas mon fils.
— Oh merde ! C'est votre petit copain ?
— Quoi ? Non ! Bien-sûr que non ! Je l'ai presque élevé.
— Alors, c'est votre presque fils ?
— Eh bien, si vous voulez. Bref. J'imagine que certaines choses ont dû vous paraître inhabituelles, voire étrange, depuis votre arrivée. À commencer par ce tatouage qui est apparu subitement sur votre front... comme par magie...
— Ah ! ça, oui. C'est vrai que c'est une première. Je ne m'y attendais pas, mais je vous préviens, je compte le garder ! Enfin, sauf s'il sert réellement de détonateur, je ne verrai pas d'inconvénient à ce qu'on me le retire dans ce cas-là. Attendez, vous pouvez me prendre en photo ? Je compte le faire reproduire, si on doit en arriver à cet extrême. Je l'aime vraiment beaucoup.
Je sors mon Smartphone de mon sac et je le tends à Freja après avoir enclenché l'outil capture.
— Ah ! Bonne idée, s'exclame-t-elle. Vous venez de me fournir un excellent moyen de vous démontrer où je veux en venir.
Elle m'arrache presque le téléphone des mains et s'empresse de me tirer le portrait avant de me rendre l'appareil aussitôt.
Mais... j'ai même pas eu le temps de prendre ma pose fétiche.
— Allez-y, regardez ! m'encourage-t-elle vivement.
Elle doit être super fière de son cliché, ou alors elle envisage une carrière dans la photographie et brûle de savoir ce que je pense de ses talents.
Je lui adresse un petit sourire poli et je jette un coup d'œil à ma trombine sur l'écran.
Oh, non !
J'affiche une mine tristounette.
— Il s'est déjà effacé, me lamenté-je dans une moue déchirante.
— Justement, non ! chantonne Freja. Ce n'est qu'une illusion. Tenez, voyez par vous-même.
Elle me tend un petit miroir qu'elle vient de sortir de je ne sais où.
Je me contemple dedans et découvre, en effet, que la marque est toujours visible. Je fronce les sourcils.
— Je ne comprends pas, c'est une hallucination, alors ? Je n'ai jamais été tatouée ?
— En fait, si. C'est la photo qui ne reflète pas la réalité comme il se doit.
— Mais... comment ça se fait ? Vous avez réussi à la bidouiller super vite ? Vous êtes une pro du Photoshop ?
— Non, c'est la magie qui est à l'œuvre dans ce cas précis.
— La magie ? Hein, hein... Dites-moi, est-ce que n'auriez pas, par hasard, avalé une espèce de boule lumineuse, enflammée mais pas vraiment chaude, un peu plus tôt dans la soirée ?
— Vous faites référence à la Magiki bala, me sourit-elle posément. Pour être honnête, vous êtes la seule personne de ma connaissance à en avoir ingéré une.
— La seule, vraiment ? Dans ce cas, c'était genre un prototype ? Il était unique ? Ça expliquerait pourquoi ces deux types louches semblaient m'en vouloir autant. Ils avaient l'intention de lancer une nouvelle drogue sur le marché et j'ai pourri leur groove en gobant le fruit de leur labeur. Ils vont sans doute mettre des semaines avant d'en fabriquer une autre. J'espère qu'ils ont gardé la formule. Quoi, que... non, je suis contre le trafic de stupéfiants. Oh ! m'extasié-je soudain. Mais, ça signifie que je suis une héroïne ! Vous croyez qu'on va m'attribuer une médaille ? Je devrais peut-être contacter les autorités pour les prévenir...
— Kali ! me stoppe Freja. Ce n'est pas une drogue. Et, ce que j'essayais de vous dire, c'est qu'elle n'était pas destinée à atterrir dans votre estomac.
— Bah, elle servait à quoi alors ?
— C'est précisément là où je veux en venir, s'anime-t-elle soudain. Croyez-vous au surnaturel ?
— Vous voulez parler des loups-garous, des vampires et compagnie ?
— Entre autres, oui.
— Pas vraiment. Enfin, je ne me suis jamais posée la question. Mais, s'ils devaient vraiment exister, des vidéos auraient déjà fait le tour du net, vous ne croyez pas ?
— Sauf si la magie venait à brouiller les pistes et que les vidéos et clichés existants se retrouvaient chaque fois couverts d'un voile d'illusion, suggère-t-elle avec un air complice en lançant un petit coup d'œil éloquent en direction de mon Smartphone.
— Han ! m'écrié-je en saisissant le fond de sa pensée. Comme avec la photo que vous venez de prendre ?!
— Je savais que vous étiez plus maligne que vous ne vouliez bien le faire croire.
— Ooooh ! Vous êtes trop mignonne ! Vous auriez d'autres cacahuètes ?
Je dois reconnaître que je suis plutôt fière de moi, pour le coup. Ça carbure à fond, là haut. Et, je n'ai même pas mal au crâne.
— Et, si je vous disais que les Enfers existent bel et bien ? reprend Freja.
— Bah... ça ne résoudrait pas vraiment mon problème de cacahuètes... Mais, ça me flanquerait une frousse de tous les diables, ça c'est certain. Oh, putain ! Ne me dites pas, que...
— Si, Kali. Les Enfers sont réels et la Magiki Bala en est la clé.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top