Chapitre 5

Depuis que nous avons franchi la porte d'entrée de cette demeure colossale, j'ai dû croiser au moins dix nouveaux visages.

Ou bien Aaron a une grande famille, ou bien j'ai atterri dans une secte.

Et, dans cette seconde hypothèse, l'hospitalité ne doit pas faire partie des préceptes de base de cette étrange communauté. Je peux compter sur un doigt le nombre d'individus ayant pris la peine de répondre aux « bonsoir » enjoués que je distribue allègrement depuis notre entrée dans ces lieux. Le savoir vivre semble manquer cruellement aux proches d'Aaron et Olaf. La plupart d'entre eux préfère me dévisager avec stupéfaction lorsqu'ils me voient.

À moins que ce ne soit le résultat d'un total éblouissement face au charme dont je déborde naturellement ?

Envisager cette possibilité améliore considérablement mon humeur. Ah ! Je me sens beaucoup plus légère, tout à coup. Pendant un instant, j'ai eu peur que sa famille ne m'apprécie pas.

Nous montons les marches d'un somptueux escalier et traversons un dernier couloir, puis Aaron stoppe enfin son avancée au beau milieu d'une pièce spacieuse aux allures de musée, ou de jungle, c'est au choix.

Ouf, j'ai cru qu'il comptait me faire visiter toute la propriété pendant un instant.

En général, je me contente de faire le tour de la chambre à coucher. Du moins, quand j'ai le temps d'arriver jusque là.

Aaron relâche mon bras qu'il tenait encore une fois dans une poigne possessive — il doit craindre que je lui fasse faux bond — puis il se tourne vers Olaf :

— Je vais m'entretenir seul avec la Veteris dans un premier temps. Autant la préparer un minimum au désastre qui nous attend. Surveille l'humaine et veille à ce qu'elle ne touche à rien. Quant à toi...

Ah ! C'est à moi qu'il parle, là !

J'adopte une pause sexy et j'envoie valser mes boucles soyeuses vers l'arrière comme si j'étais dans une pub pour shampoing. Mon beau brun n'en perd pas une miette et soupire de frustration à l'idée de ne pas pouvoir profiter de mon corps de déesse sur le champ.

J'espère que l'Avé Tétris ne le retiendra pas trop longtemps.

— ... contente-toi de ne pas bouger, m'avise-t-il avant de tourner les talons pour pénétrer dans une salle attenante.

— Ne t'en fais pas, Ronron, rassuré-je son derrière. Je ne reviens jamais sur une décision quand celle-ci implique le ramonage de ma cheminée.

Je profite de l'absence de mon hôte pour détailler un peu mieux mon environnement.

Des plantes aux longues feuilles traînantes sont posées un peu partout à travers la pièce et des vitraux aux peintures loufoques décorent la partie supérieure des trois grandes fenêtres présentes. Entre chacune de ces dernières reposent un meuble de présentation exposant tour à tour des livres anciens et divers objets archaïques que je n'avais jamais vus auparavant.

Je décide d'en faire le tour pendant qu'Olaf, à mes côtés, fait les cent pas en s'arrachant les cheveux.

Un objet en particulier attire mon regard. Il s'agit d'une espèce de tube creusé dans une matière proche de l'ivoire. En m'avançant pour l'inspecter de plus près, je distingue des symboles étranges qui y sont apparemment gravés. La tentation de les toucher est trop forte. Je me saisis de cet obscur cylindre d'une autre époque et, alors qu'il repose lourdement dans la paume de ma main, il semble s'animer à mon contact et se met à luire comme un feu follet violet. Un feu fiolet, dirons-nous.

Sans prévenir, une énorme lame recourbée en différents endroits se déploie depuis une des extrémités du tube, à la manière d'un sabre laser. Prise de court par le phénomène, je sursaute et jette le bidule en l'air.

Je n'ai rien d'un Jedi et je ne compte pas le devenir !

Il atterrit droit dans le lustre au dessus de nos têtes et continue de s'agiter tout seul entre les perles de cristal qui pendent majestueusement tout autour de ce luxueux mastodonte.

Oups.

Olaf devient soudain tout vert, on dirait qu'il va vomir.

Il se précipite vers le bureau dans le coin de la pièce et s'enfile un verre de whisky cul sec.

Sacrée descente !

Il faut croire qu'il avait une envie pressante. Je peux le comprendre, ces choses là n'attendent pas.

Une pluie de larmes solides se déverse au sol tout autour de nous, dans une jolie symphonie de carillons. Les yeux d'Olaf se lèvent machinalement vers le lustre morcelé puis il reporte son regard sur moi et m'inspecte comme s'il voulait me dévisser la tête.

« JE SUIS UNE PIZZA, QUI VEUT RENTRER DANS TON ESTOMAC... »

Ouf ! Sauvée par le gong !

Je sors mon Smartphone de la petite pochette nacrée que je porte en bandoulière et je décroche avant qu'Olaf ne m'assassine verbalement, ou pire. Il est beaucoup trop tendu et je ne suis pas convaincue qu'il ait l'alcool heureux.

Je ne voudrais pas que ses problèmes personnels influent de façon négative son comportement envers moi.

— Marge ! salué-je ma BFF en gardant le suédois à l'œil. Je pensais justement à toi !

— Kaka ! s'égosille-t-elle si fort que je dois éloigner mon téléphone de mon oreille pour qu'elle ne m'explose pas le tympan. C'est officiel, je vais me marier !

— Oooh ! Mais c'est génial ! Tu ne perds pas de temps, ma poule.

— Oui, enfin, il ne m'a pas encore fait sa demande, mais c'est en bonne voie. La première étape est franchie.

— J'en déduis que tout s'est bien passé et que tu as pu conclure avec ton guitariste, la félicité-je avec enthousiasme.

— Le guitariste ? Oh ! Non, lui, c'est de l'histoire ancienne.

Ah ? Bah, c'était du rapide.

— Il s'est avéré qu'il n'était pas célibataire, s'empresse-t-elle de m'expliquer. Une vraie vacherie sa copine, d'ailleurs. En voyant que son mec craquait littéralement pour moi, elle m'a arrachée à sa bouche et m'a repoussée cruellement hors de ses bras, si bien que je suis tombée à la renverse sur le marchand de saucisses qui tenait un stand juste derrière. Le coup de foudre a été immédiat.

— Oh ! Mais j'adore les saucisses !

Mon excitation doit être saisissante, car Olaf me regarde encore plus bizarrement que d'habitude. Je lui souris et lui fais un petit coucou de la main. Il s'enfile un autre verre du liquide ambré.

— Je sais ! me répond Margarita. Et tu devrais goûter les siennes... elles sont parfaites !

— Tu m'étonnes.

— Et toi ? Ça avance comment avec ton laideron ?

Quand on parle du loup...

Aaron vient justement de revenir, accompagné d'une vieille dame au visage avenant et au physique de bûcheronne. Mais, une bûcheronne dans le genre amazone. On dirait une version âgée de Brienne de Torth dans Game of Thrones.

— Bah, justement, je te laisse. Je crois qu'il veut me présenter sa mère. On se rappelle, ma caille. Tu en profiteras pour me donner la date de ton EVJF.

Je raccroche et souris de toutes mes dents à cette géante des mers du nord. Vu le morceau, mieux vaut me la mettre dans la poche que de la chatouiller dans le mauvais sens du poil.

Évidemment, c'est cet instant précis que choisit le lustre qui nous surplombe pour venir s'écraser au sol en explosant en un millier de petites gouttes de cristal. Le feu fiolet rebondit une fois, deux fois, puis vient s'étaler à son tour près des pieds des deux géants qui le scrutent d'un air interloqué.

Aaron serre les poings et ferme les yeux dans une tentative de contrôle manifeste. Il n'a visiblement toujours pas réglé son problème de pulsions.

J'espère qu'il réussira à dominer ses élans lubriques devant sa mère, sinon ça risque de devenir gênant, même pour moi.

— Ouhla ! m'exclamé-je. Il faudrait penser à faire vérifier vos suspensions. Ça pourrait être dangereux.

— Je sais qu'habituellement on évite de tuer les humains... mais, ne pourrait-on pas faire une exception, juste pour cette fois ? marmonne Aaron entre ses dents à l'intention de sa mère.

Heu, il veut dire « tuer » dans le sens « tuer » ?

Chose étonnante, la vieille femme sourit d'autant plus.

Hic ! BOOM !

Nous jetons tous trois un coup d'œil vers le fond de la salle, en direction du bruit. Visiblement, Olaf ne tient pas bien l'alcool.

— Je te souhaite la bienvenue, m'accueille chaleureusement la géante en se tournant de nouveau vers moi. Je me nomme Freja.

Ah ! Enfin quelqu'un qui connaît les formules de politesses.

— Moi, c'est Kali ! Enchantée.

Je lui offre une poignée de main vigoureuse, qu'elle accepte avec plaisir en se faisant une joie de me broyer les doigts au passage.

— Je suppose que tu dois te demander ce que tu fais ici, observe-t-elle avec bienveillance.

— Heu... bah, pas vraiment, en fait. Je veux dire, c'est vrai qu'on aurait pu aller chez moi mais Aaron semblait plus tranquille à l'idée de faire ça chez lui. Enfin, chez vous. Enfin, je ne sais pas trop chez qui nous sommes. Mais, pour être honnête, le lieu m'importe peu.

— Oui... J'imagine, admet-elle peu certaine.

Je crois qu'elle n'a pas l'habitude de croiser les conquêtes de son fils. Elle n'a pas l'air très au fait de ce que pourrait impliquer ma présence à leur domicile. Ça me rassure un peu, je n'aimais pas trop l'idée qu'Aaron insiste déjà pour me présenter à sa famille.

Freja se détourne lentement de moi pour lancer un regard interrogateur à ce dernier. Il se passe une main lessivée sur le visage avant de se décider à la mettre au parfum.

— Je crois qu'elle s'imagine qu'on va passer la nuit ensemble, explique-t-il mollement.

— Rassurez-vous, me hâté-je de tranquilliser sa mère. Je compte partir dès qu'on aura conclu, votre fils et moi. Je ne suis pas du genre à m'éterniser, et je ne tiens pas à lui passer la corde au cou, aucune crainte de ce côté-là.

Aaron m'observe comme si j'avais dit une énormité. Le pauvre, il envisageait une relation plus durable, apparemment.

— Dès que... mon fils... et vous... aurez conclu... répète Freja, comme si elle avait bugué. Aaron ? l'interpelle-t-elle alors. De quoi lui as-tu parlé, au juste ?

— Je n'ai pas vraiment eu le temps d'entrer dans les détails, grogne-t-il. Et, comme tu peux le voir, nous ne sommes manifestement pas tombés sur une lumière.

— Aaron ! le sermonne-t-elle. Tes parents t'ont mieux élevé que cela, il me semble ! Comment veux-tu que cette innocente comprenne quoi que ce soit à la situation si tu ne fais pas l'effort de lui expliquer ?

Ok, là, j'avoue que je suis larguée. Mais, je l'aime bien la vieille. Par contre, Aaron est de plus en plus difficile à cerner.

— Je pense que je vais te laisser ce privilège, ironise-t-il.

— Fort bien. Dans ce cas, je te laisse te charger de la belle au bois dormant, là bas, rétorque-t-elle en désignant Olaf qui cuve au sol un peu plus loin.

Sur ces mots, Freya passe un bras autour de mes épaules et m'entraîne avec elle dans la salle qu'elle vient de quitter.

— Viens, mon enfant. La soirée s'annonce lourde en révélation et je préfère que tu sois assise confortablement pour écouter ce que j'ai à te dire.

— D'accord, mais vous n'auriez pas un truc à grailler avant ? J'ai faim. Je n'ai rien avalé depuis la magicaboule et elle n'était pas très nourrissante. 

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