Chapitre 3
La réaction on ne peut plus saugrenue des deux toxicos me laisse méditative durant quinze bonnes secondes, puis je décide qu'il est temps de retrouver Margarita. Elle aura peut-être besoin de mon aide pour séduire son prince charmant.
Je lui ai souvent prêté assistance dans ses opérations séduction par le passé. Nous avons d'ailleurs mis au point une technique infaillible pour chasser le gibier. Grâce à mes aptitudes innées en matière de diversions, c'est même devenu un jeu d'enfant. On l'a baptisé le plan B pour plan Badass.
En gros, je m'arrange pour détourner l'attention de l'heureux élu — j'ignore comment je m'y prends mais il arrive parfois que ma seule présence suffise — pendant que Marge se glisse subrepticement dans son dos. Et, lorsque celui-ci cesse enfin de m'observer pour dévier sa tête dans la direction qu'il visait à la base... hop ! La cible se retrouve inexplicablement la bouche collée à celle de Margarita... qui écarquille les yeux comme si elle ne s'y attendait pas.
À partir de là, on laisse la magie opérer. Il faut dire que c'est le genre de rapprochement imprévu qui crée forcément des liens. Ce n'est pas tous les jours qu'on tombe accidentellement sur les lèvres de quelqu'un.
J'ai hâte qu'une nouvelle occasion de mettre mon talent en œuvre se présente.
La fosse s'est considérablement remplie devant la scène depuis mon arrivée, si bien que je me crée difficilement un passage jusqu'à Marge, qui n'a toujours pas bougé d'un iota depuis qu'on s'est séparées.
Ma BFF affiche une moue déçue et je comprends vite pourquoi quand je vois son cher et tendre discuter avec un groupe de filles surexcitées, un peu plus loin. J'imagine que son premier contact avec le musicien n'a pas été une franche réussite.
Je la vois pousser un profond soupir de lassitude puis elle remarque enfin ma présence lorsque je manque de lui rentrer dedans. Elle fronce les sourcils en me dévisageant.
— Tu vas bien ? T'es toute décoiffée et ta robe est froissée, tu t'es envoyée en l'air ?
— Non, la détrompé-je, penaude. J'ai mangé un truc chelou.
Je me frotte l'estomac en affichant une mine ennuyée.
— C'est pas vrai, Kaka ! Je t'ai déjà dis cent fois de ne pas faire les fonds d'assiette. Tu vas finir par te rendre malade à force. Bon... alors ? T'as appris quelque chose d'intéressant sur les deux types louches ?
— Ce sont des dealers, apparemment. Mais leur cam n'est vraiment pas terrible. Est-ce que tu me trouves changée physiquement ?
— Heu... non, pourquoi ? T'es juste un peu débraillée.
— Bof, c'est à cause du blond. Il m'a lancé un regard bizarre avant de s'enfuir. Mais, je crois qu'il était en plein bad trip. Et toi ? Du nouveau du côté de ton futur mari ?
— Ah, soupire-t-elle à nouveau en reportant son regard sur lui. Si seulement... mais non, mes efforts sont restés vain, il n'a même pas daigné m'adresser un coup d'œil. Je crois que c'est une situation nécessitant un plan B.
Ouiiii !
J'en frétille de joie.
Je passe la foule au peigne fin, histoire de voir quelles sont mes possibilités en matière de diversion. Et c'est là que je l'aperçois... le plus beau spécimen qu'il m'ait jamais été donné de contempler. J'en bave littéralement. Si nous nous trouvions dans un dessin animé, mes yeux feraient des bonds en dehors de leurs orbites comme le loup de Tex Avery, avec un « DOIIING » de circonstance.
— Oh, mon Dieu ! m'enflammé-je en faisant sursauter Marge. Je suis amoureuse !
— Alors là, pas question ! Je l'ai vu en premier !
Je la considère avec suspicion.
— Certainement pas, la défié-je en croisant les bras.
— Si !
— Non !
— Si !
— Ce n'est pas possible, il vient d'arriver. Au pire, on l'a vu en même temps.
— Hein ?
— Quoi ?
— Hein ?
Je lui poque le front.
— Hey !
— Ton disque était rayé.
J'abandonne l'expression déroutée de Marge pour celle, plus ombrageuse et impétueuse, du beau brun qui sonde la foule de ses yeux perçants. Son regard arrive enfin sur moi mais il me passe dessus comme s'il ne me voyait pas...
J'affiche déjà une mine attristée en croyant qu'il va continuer son chemin comme si j'étais transparente, mais ses yeux font subitement demi-tour et il verrouille aussitôt ses iris d'un orange vif irréel au vert topaze des miens.
Bah merde, je crois que j'en ai mouillé ma culotte.
— Il est tellement... hot ! m'exclamé-je en me léchant les babines.
— Mais de qui tu parles, à la fin ?
— Mais de ce mec torride, là, droit devant !
— Le gars avec la veste marron ?
— Ouiii !
Margarita pose alors sa main sur mon front, en m'examinant avec inquiétude.
— Tu ne m'as pourtant pas l'air d'avoir de fièvre.
— Oh ! Je t'assure que ça ne va pas tarder. J'ai l'impression de fondre de l'intérieur tellement j'ai chaud.
— Tu devrais peut-être rentrer. À mon avis, il était plus que chelou le truc que tu as mangé.
— Et louper une occasion pareille de me faire cet Apollon d'un autre monde ? Certainement pas ! Tu ne m'évinceras pas aussi facilement, ma mignonne. D'ailleurs, depuis quand tu coures deux lièvres à la fois, toi ?
— Alors là, tu n'y es pas du tout. Je te le laisse volontiers ton « Apollon ».
Elle mime des guillemets avec ses doigts en reprenant mon qualificatif. Je fronce les sourcils, ne comprenant pas trop où elle veut en venir.
— Non mais tu l'as bien regardé, Kali ? Ce gars est moche comme un pou !
C'est à mon tour de lui prendre la température sous sa mine désarçonnée.
Ce qui ne m'avance pas beaucoup. Je ne suis jamais parvenue à savoir si les gens étaient fiévreux ou pas avec cette méthode.
Je hausse les épaules et je recommence à me rincer l'œil. Marge affiche une dernière grimace confuse avant de me suivre dans mon exploration visuelle.
— Heu... Kaka... pourquoi j'ai l'impression qu'il fonce droit sur nous ? et pourquoi il te regarde comme s'il s'apprêtait à te sauter dessus tel un animal sauvage affamé ?
— Han ! Tu crois qu'il a eu le coup de foudre, lui aussi ? m'enthousiasmé-je en battant des mains.
Le beau gosse nous rejoint avant que j'ai eu le temps de dire ouf. Il pile à seulement quelques centimètres de mon corps et fusille mon front du regard. Comme si ce dernier l'avait rendu très, très, en colère.
Je me demande bien pourquoi il en veut autant à cette partie précise de mon anatomie. Si j'étais à sa place, j'en voudrais davantage à mes pieds, ils passent leur temps à buter dans tout ce qui se trouve sur leur chemin.
Alors que je fantasme toujours sur lui en le regardant avec des yeux de merlan frit, je le vois serrer les dents puis se décider enfin à ouvrir la bouche pour entamer la phase séduction qui nous mènera à coup sûr à la position horizontale :
— Putain ! lâche-t-il ainsi de son timbre caverneux.
C'est bien loin des techniques de dragues auxquelles je suis habituée.
Il est peut-être du genre à perdre ses moyens quand il se trouve face à une jolie fille, ou bien il souffre du Syndrome Gilles de la Tourette.
Je me dois toutefois de le contredire et rétablir la vérité. Je déteste commencer une relation sur un malentendu.
— Je ne sais pas trop ce qui a pu te laisser penser ça. Mais, non, le détrompé-je posément. Désolée, je respecte beaucoup trop mon corps pour le vendre au plus offrant. Cela dit, sache que je ne suis pas contre l'idée de pratiquer la bête à deux dos en ta compagnie. Le problème est donc réglé !
— Bordel ! me répond-il.
Je fronce les sourcils. Il m'a l'air plutôt obstiné dans le genre.
— Bah... si tu y tiens tant, ok, c'est toi que ça regarde. Mais je ne suis pas sûre que tu trouves un bordel dans les environs. Si j'étais toi, je viserai plutôt les Pays Bas, il parait que c'est légal, là bas.
Mes derniers mots semblent le faire revenir un peu sur terre. Il cille en me regardant à nouveau dans les yeux et m'observe avec contrariété, comme s'il venait seulement de s'apercevoir de ma présence. Ou bien qu'il ne comprenait pas un mot de ce que je racontais.
Il est peut-être étranger ?
— Do you speak english ? articulé-je avec un accent à couper au couteau.
— Kali, il n'est pas net, ce type, me dit Marge qui a suivi notre échange avec circonspection.
Puis, un mouvement de foule en direction de son musicien la fait se désintéresser complètement de ma confrontation avec Beau Brun.
— Merde ! Les autres membres du groupe viennent d'arriver, il va falloir agir au plus vite, Kaka. Je compte sur toi, déclame-t-elle avec opiniâtreté.
Sans attendre une quelconque réaction de ma part, elle part en direction de sa cible d'un pas résolu.
De mon côté, je bave toujours devant l'étalon face à moi, qui ne m'a toujours pas répondu.
Je pense qu'il est cubain, ou serbe, ou norvégien. À mon avis c'est un mélange. Il en paraîtrait presque inhumain.
Dans quel pays les gens ont-ils des yeux pareils ? Orange, c'est peu courant comme teinte, non ? C'est sans doute des lentilles, il faudra que je les touche pour être sûre.
Il est grand, bâti en force, il me dépasse d'au moins vingt centimètres, et il doit être un peu plus âgé que moi, je dirais la petite trentaine. Ses cheveux bruns clairsemés paraissent aussi doux que les plumes d'une poule soie.
Comme pour me narguer, il y passe sa main, l'air perdu. J'imagine qu'il ne doit pas draguer souvent. C'est dommage avec un tel physique.
Tant pis, je décide qu'il est grand temps de prendre le taureau par les cornes, ou ailleurs... et de passer aux choses sérieuses. S'il n'est pas doué pour les parades amoureuses, je vais me faire une joie de l'éduquer.
C'est parti, mon kiki !
Je lui fais un clin d'œil torride. Il m'agrippe le poignet et me tire derrière lui à travers la foule.
Bah dis donc, je ne pensais pas que ce serait aussi efficace.
Alors qu'il me traîne énergiquement à sa suite, j'ai comme l'impression d'oublier quelque chose d'important.
Je pose ma main sur son bras pour le retenir.
— Hey...
Oh ! Sacré biceps !
Aucune chance que je lui fasse lâcher prise. Pas que j'en ai particulièrement envie, cela dit. Mais il est important que je lui donne mon consentement avant de le suivre où que ce soit. J'y tiens.
— Ok, déclaré-je alors. Comme je n'ai rien de mieux à faire, j'accepte de te suivre.
Je me tourne vers Marge pour lui lancer un grand sourire victorieux, et je la vois en place, prête à l'action. C'est à ce moment là que ça me revient.
— Attends ! m'écrié-je en freinant des quatre fers.
Quelques visages se tournent vers moi ainsi que celui de Beau Brun, mais ce n'est malheureusement pas le cas du guitariste de Margarita. Aucun problème, un dernier coup d'œil à mon Apollon suffit à me donner l'ultime illumination.
— Attention ! Une bombe ! hurlé-je à m'en déchirer les cordes vocales sous les yeux épouvantés de mon futur coup d'un soir. Une bombe sexuelle !
Cette fois-ci, le musicien n'a rien loupé de ma prestation, et je lève mon pouce en direction de Margarita pour célébrer son triomphe imminent. Son cher et tendre se tourne vers elle et se retrouve à l'embrasser goulûment.
Ah ! C'est le début d'une belle histoire, j'en suis sûre.
Je n'ai cependant pas l'occasion de m'en assurer, Beau Brun sait ce qu'il veut, cela ne fait plus aucun doute. Il a repris sa marche impétueuse vers le chemin des saveurs et n'a pas l'intention de perdre une minute de plus en babillages inutiles.
Ma position à 180° en est la preuve incontestable.
En effet, l'homme des cavernes qui m'accompagne m'a retournée comme une crêpe pour me faire basculer sur son épaule et je me retrouve à présent les yeux à hauteur de son postérieur. Ses fesses sont fermes et rebondies, tout ce que j'aime.
Salut, vous !
Et comme une salutation en bonne et due forme s'accompagne toujours d'une poignée de main, je ne me gêne pas pour tâter la marchandise. Miam !
Beau brun s'immobilise d'un seul coup.
— Bordel, Aaron ! s'emporte une voix assez grave dans mon dos, enfin... dans son dos, enfin.... dans sa face. Qu'est-ce qu'il te prend ?! Tu peux me dire ce que tu fous ? Pourquoi tu trimbales une fille comme un sac à patate ?
Aaron ? Mon Dieu, c'est trop sexy comme prénom !
Je repère une deuxième paire de jambes entre celles de mon Apollon. Appartenant manifestement à celui qui vient de parler.
Plutôt que de lui répondre, Beau brun se contente de me faire basculer en sens inverse par-dessus son épaule pour me remettre droite. Une fois après m'avoir stabilisée, il incline mon menton en direction de son compagnon.
Dans cette position, la tête penchée vers l'arrière, j'ai maintenant une assez bonne vue du nouveau venu. Et je dois dire qu'il n'est pas mal du tout, lui non plus.
S'ils envisagent un plan à trois, je dis oui direct !
Il écarquille les yeux en fixant un point sur mon front.
— Oh, merde ! s'exclame-t-il alors.
Il me semble soudain très pâle. A moins que ce soit son teint naturel. Il a tout du nordique de base. Blond, élancé, d'apparence solide, le visage plus long que large, et des yeux bleus-gris qui me scrutent comme si j'étais l'incarnation du mal.
— Bah, quoi ? le questionné-je un peu lasse que tout le monde en veuille autant à mon faciès. J'ai un morceau de patate collé entre les deux yeux, ou bien ?
Je me passe la main sur le visage mais je ne sens aucune résistance pouvant expliquer le regard angoissé du blondinet.
Malheureusement, il n'a pas l'air plus décidé que son compère à me faire profiter de ses lumières. Il préfère échanger avec lui un regard lourd de sens, qui semble annoncer une tonne d'embûches en perspective.
Cool !
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