Chapitre 28-2

— Oh, mes aïeux ! Ce sont censés être des légendes ! Des histoires pour faire peur ou pour faire rêver, pas de véridiques E.T. téléphone maison !

— Je sais que ça peut sembler un peu gros à avaler...

— Tu m'étonnes ! C'est carrément dément !

Un grand sourire apparaît sur mes lèvres.

C'est Noël avant l'heure ! J'ai envie de me lancer dans une improvisation de claquettes.

— En réalité, nombreux sont les mythes à avoir éclos suite à l'arrivée des archidémons sur nos terres, m'explique Nyeleti. Dragons et phénix appartiennent au peuple du feu tandis que vampires et goules proviennent du peuple des ténèbres. Tu trouveras chez le peuple de roche les gargouilles et les golems de pierre quand, pour sa part, le peuple des bêtes regorge de chimères et de métamorphes en tous genres.

— Cooool ! Quoi d'autre encore ?

— Tu dois t'en douter, les sirènes, tritons et autres créatures aquatiques font partie du peuple de l'eau. La planète originelle de ces derniers ayant été essentiellement constituée d'océans.

— Ah, bah c'est sûr qu'ils ont dû être heureux de tomber sur la planète bleue quand ils se sont mis en quête d'un nouveau lieu de résidence...

— Effectivement. Notre planète constituait un véritable eldorado pour les démons, les ressources qu'elle possédait pouvaient assurer un avenir serein à chacune de leurs espèces.

Mazette ! Rien à voir avec l'exorciste, on est tombé en plein Narnia à la place.

C'est de la balle !

— Et vous avez quand même choisi d'enfermer des créatures aussi magnifiques ? Fous que vous êtes !

— Les premiers kerberos ont fait ce triste choix, en effet. Le niveau de magie des archidémons nous dépassait de très loin et leur arrivée en masse, il y a de cela des milliers d'années, a sérieusement impacté notre mode de vie sur Terre...

— Minute, papillon, la stoppé-je précipitamment en prenant conscience d'une donnée importante. Comment la Terre a-t-elle pu accueillir l'ensemble des habitants de dix planètes réunies à elle seule ?

J'ai bien peur que cette grande folle affabule. C'est que je ne sais plus à qui me fier avec toutes ces histoires à dormir debout.

— Tous n'ont pas fait le voyage, mais tu te places sans doute sous une échelle humaine en t'imaginant qu'Arkhi était un système solaire de dimension similaire au nôtre. Or, il n'aurait pas pu en être plus éloigné. La taille d'une planète équivalait plus ou moins à un petit continent de chez nous, et leur population y était nettement moins dense aussi.

— Okay, tu t'en tires bien, Mytholeti. Mais ça représente combien d'individus au juste ?

— C'est difficilement quantifiable, je dirais qu'ils doivent être aussi nombreux que les filii gê, soit plus ou moins un million de créatures, toutes espèces confondues.

Ah ouais, quand même...

Enfin, le nombre parait imposant mais il fait pâle figure comparé aux sept milliards d'êtres humains que nous sommes aujourd'hui. Puis, nous étions nettement moins nombreux avant.

— J'imagine que si les démons se sont répartis à travers le monde à l'époque, ils n'ont pas trop eu à se marcher dessus, terminé-je ma pensée à voix haute.

— Surtout si tu considères que la surface terrestre jugée habitable par les humains ne correspond qu'à vingt-six pourcent de l'espace disponible. Nombre d'habitants d'Arkhi ne s'embarrassent pas des mêmes critères que les nôtres.

Il faut avouer que les poissons et les oiseaux évoluent dans des lieux qui nous sont difficilement praticables. La règle doit facilement s'appliquer à toutes créatures sachant voler ou nager.

Mes yeux se perdent vers la peinture illustrant le peuple des géants, sur laquelle — en plus de trolls des montagnes et de cyclopes à l'air un peu débile — je peux découvrir un énorme kraken s'imposer dans les fonds marins.

— Tu me diras, heureusement qu'ils n'étaient pas plus nombreux parce que je n'ose imaginer les dégâts engendrés par une armée de méga octopus... À ce propos, des colosses pareils ont dû provoquer un max de grabuge à leur arrivée, non ?

— Certes. Je ne te cache pas que quelques créatures ont entraîné des dommages non négligeables au fil des ans, mais encore une fois ceux-ci n'étaient pas assez nombreux pour que les conséquences de leur venue se révèlent insurmontables. De plus, l'arrivée des démons n'a pas été que négative. Bien au contraire. Leurs peuples sont passionnants en bien des points et ils nous ont beaucoup appris durant le peu de temps où nous les avons côtoyés. Les filii gê tiennent d'eux leur expertise de la téléportation par exemple. Procédé par lequel ils sont arrivés sur Terre. Mais on a vite oublié tout ce qu'ils nous avaient apporté lorsqu'on a décidé de les enfermer. Tous, sans distinction.

— Pourquoi me racontes-tu tout cela, au juste ? Qu'attends-tu de moi ?

— Je veux que tu te rendes compte que tout n'est pas tout noir ou tout blanc. Sans magie, les humains sont facilement vulnérables, il est vrai... Mais ils ne sont pas innocents pour autant. Nous sommes les protecteurs de gaïa, et en tant que tels, certains filii gê dont je fais partie pensent qu'il est de notre devoir de mettre un terme aux agissements qui mettent la Terre en péril. Le retour des démons n'est peut-être pas une si mauvaise chose en soi. À nos yeux, l'apparition des armes de destruction massive est un risque beaucoup plus concret que les dégâts provoqués par une poignée de créatures des millénaires en arrière. Les laisser cloitrés dans des mondes prisons isolés nous semble injuste.

J'ai la tête à l'envers après toutes ces révélations. Je veux bien être une Kali 2.0, mais ça commence à faire beaucoup à gérer pour mon petit cœur tout mou.

Et puis, il y a autre chose qui me chiffonne...

— Je ne comprends pas pourquoi Ronron m'a caché tout ça, déploré-je.

— Probablement parce qu'il aurait eu plus de mal à te contrôler sans cela. Tu es beaucoup trop imprévisible, Kali. Et de son côté, il est beaucoup trop embrigadé dans son rôle de kerberos pour voir plus loin que ce que daigne lui montrer la Veteris. Freja l'a pris sous son aile quand ses parents sont morts, elle l'a forgé à son image et il s'est probablement persuadé que les archidémons n'avaient pas leur place en ce monde.

À peine a-t-elle fini sa phrase qu'un bruit de course se fait entendre dans les couloirs, nous laissant facilement présager la suite.

Les renforts n'auront pas été longs à rappliquer cette fois-ci.

Sentant le vent tourner, Nyeleti se dépêche de conclure :

— Aaron ne t'a jamais révélé la vraie nature des démons, demande-toi ce qu'il peut encore te cacher. Sceller les enfers n'est pas sans risque. Reste sur tes gardes, Kali...

— Écarte-toi d'elle ! tonne la voix de l'intéressé qui vient d'apparaître dans l'encadrement de la porte.

La Vipéris et un duo de filigays inconnu entre à sa suite.

Nyeleti lève aussitôt ses mains bien au dessus de sa tête pour lui montrer qu'elle ne cache aucune arme.

Aaron me reluque alors sous toutes les coutures.

— Elle t'a fait du mal ? s'inquiète-t-il.

Je le fusille du regard. Ce sale imposteur peut jouer les chevaliers servant autant qu'il veut, il ne s'en tirera pas à si bon compte.

— Pas du tout, le bravé-je farouchement, ma mauvaise humeur parlant pour moi. On s'apprêtait à prendre le thé. Tu nous dérange.

La vieille Brienne, assistée par les deux filigays qui l'accompagnent, profite du calme apparent de Nyeleti ainsi que de sa parfaite coopération pour la maîtriser. L'un d'eux fait un pas en avant pour lui passer les menottes...

— Hey ! Qu'est-ce que vous faites ? le stoppé-je, lui et ses acolytes, dans un mouvement réflexe du poignet. Libérez-la ! Nyeleti est innocente ! Elle voulait seulement bavarder, elle n'a rien à voir avec Voldemort !

Leur quatre corps s'étalent la seconde qui suit, comme un point de conclusion à ma plaidoirie.

Sauf que j'ai condamné ma cliente en même temps que le juge et toute la cour...

Oups, j'avais oublié que je brandissais toujours Méduse.

— Kali, me tempère immédiatement Aaron en levant ses mains à son tour. Je ne sais pas ce que Nyeleti a eu le temps de te raconter, mais...

— Toi, ne me parle pas, Judas ! Tu m'as caché que les démons étaient des petites fées toutes mimi en vrai ! Je les ai pris pour d'affreux jojos pleins de dents par ta faute.

— Certains en possèdent bien plus que tu ne peux l'imaginer, a-t-il l'audace de me contredire.

— Il y a des sirènes parmi eux ! Et des licornes ! J'adore les licornes !

— Tu les aimeras sans doute beaucoup moins quand elles te transperceront le bide sans raison avec leur appendice acéré.

— Elles ne feraient jamais ça ! Ce sont des êtres de lumière, c'est marqué sous le tableau !

— Tu vois, c'est exactement pour ça que je ne voulais pas t'en parler ! Ce sont des créatures capricieuses et colériques. Ne va pas croire qu'elles sont gentilles simplement parce qu'elles sont jolies !

— Tu m'as menti !

— Non, j'ai omis de te révéler certains détails, nuance.

— Tu n'es qu'un petit con arrogant !

— Ok, j'ai merdé, je le reconnais. Mais je suis certain que Nyeleti ne s'est pas montré entièrement honnête avec toi non plus.

Je croise les bras et je détourne le regard.

— Alors, insiste-t-il. Qu'est-ce qu'elle t'a dit ?

Il s'approche prudemment, cherchant à capter mes yeux que je laisse volontairement traîner partout sauf sur son visage agréable et son maudit corps d'éphèbe.

— Laisse-moi deviner... Les archidémons sont des créatures innocentes qui méritent leur place parmi nous, tandis que les humains sont des êtres viles et pervers ? Des satanés parasites qui ne sont bons qu'à détruire l'ôte qui les nourris ? J'ai beau être plutôt en accord avec cette vision des choses, je ne suis pas assez idiot pour tous vous mettre dans le même panier, et ouvrir les enfers ne réglera certainement pas le problème.

Du coin de l'œil, je vois qu'il continue d'avancer vers moi à petits pas.

Je choisi de le laisser faire... pour l'instant. Après tout, je suis toujours armée et je peux lui fermer son clapet en un tour de main si ça me chante.

— Est-ce que Nyeleti t'a aussi parlé des ravages perpétrés à l'époque ? Elle a mentionné la disparition de civilisations entières quand les plus dangereux d'entre eux sont partis en couille ? Le fait est qu'un dragon qui s'énerve s'avère autrement plus redoutable qu'un humain en colère, un être gorgé de pouvoir qui pète un câble n'aura pas le même impact.

— Certains sont innocents, maugrée-je en repensant à ce que la sud-africaine m'a révélé.

Il faut croire qu'elle a pris soin de ne pas trop en dévoiler, elle non plus.

Satané cairebéroces ! Tous les mêmes...

Aaron soupire.

— Je comprends la position de Nyeleti, j'entends l'injustice et, crois moi, j'aurais préféré que nos ancêtres trouvent une meilleure solution face à ce problème, mais tant qu'on ne pourra pas s'assurer que la menace qu'ils représentent est sous contrôle si jamais on décidait de les faire revenir, je continue de penser que maintenir les enfers fermés constitue notre meilleure option.

— Ils ont passé des milliers d'années enfermés, tu ne trouves pas que c'est un peu trop cruel comme punition ? Tout ça parce que certains possèdent des dents plus grandes que d'autres ?

— Actuellement, les archidémons sont entourés d'une bulle protectrice qui leur permet de vivre leur isolement avec légèreté, sans se soucier de la façon dont ils ont atterri là. Leur esprit est protégé tant que la serrure est maintenue fermée. Ils vivent en paix. Ce n'est pas si mal, si ?

Donc Brienne m'avait menti sur ça aussi. Je croyais que les démons n'attendaient qu'une brèche pour s'échapper et venir semer le chaos sur terre...

Raaah, ils vont me rendre fous, tous autant qu'ils sont !

N'empêche, j'aurais bien aimé croiser des leprechauns en liberté, moi. Eux, au moins, n'ont pas de corne pour m'embrocher. Voilà une chose qu'Aaron ne pourra pas leur reprocher.

— Mais s'il n'y avait que ça, soutient-il d'un ton sévère. Tu n'es pas préparée, Kali. Si tu choisissais de garder autant de pouvoir en toi plutôt que de le libérer, tu risquerais de ne pas en réchapper. Tu es humaine, bordel ! Tu pourrais en mourir, l'imperium se perdrait je ne sais où et tout ça n'aurait servi à rien !

Je suis sûre qu'il fait exprès de dramatiser.

— La la la, je n'entends rien, l'ignoré-je en me bouchant les oreilles.

Il s'approche de moi et retire doucement mes paumes de mon visage pour les faire glisser le long de son torse. Son contact est chaud et rassurant.

À cette distance je peux sentir son cœur cogner fort contre sa cage thoracique.

Crotte, c'est diablement excitant.

— Je ne permettrai pas qu'il t'arrive quoi que ce soit, m'avoue-t-il avec gravité.

Je relève les yeux pour accrocher son regard. Son expression ne m'a jamais paru aussi sérieuse, aussi lourde de sens. Et cela fait naître en moi un sentiment que je n'ai encore jamais eu l'occasion d'expérimenter jusqu'ici. Ce qui me fout une trouille bleue.

J'ai beau lui en vouloir à mort, j'ai terriblement envie qu'il m'embrasse, là, tout de suite.

En percevant cette énorme faille dans mes défenses, Aaron saisit sa chance. Ce traître colle ses lèvres aux miennes et pousse le vice en venant y insérer sa langue.

Hum, c'est vraiment très agréable.

Espèce de sale petit pervers sournois ! J'ai envie de lui retirer toutes se fringues...

Je vais lui faire payer !

Méduse toujours en main, j'arrache mes lèvres des siennes et je lui envoie un jet de magie glacée dans la tronche.

Voilà qui se révèle bien plus efficace qu'un seau d'eau.

Ou qu'une menotte attachée à un lit...

Aaron s'écroule à mes pieds, aussi congelé qu'un glaçon.

— Tu apprendras à ne jamais sous-estimer Kalimity Jane à l'avenir, mon mignon !

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