Chapitre 22-1

Cela doit bien faire trois heures que je fais le pied de grue en face du portail par lequel Aaron est censé revenir. En face du mur, devrais-je plutôt dire, car ce dernier demeure résolument lisse depuis que je suis occupée à loucher dessus en ruminant ma colère. À le voir comme ça, rien ne laisse présager qu'un tel passage puisse exister.

Apparemment, ce dernier ne fonctionne que dans un sens. Seuls les aéroports équipés permettent de se rendre dans les différents refuges cairebéroces. Grâce à la petite tablette en forme de table à langer que j'avais pu apercevoir avant ma traversée vers Dakar, j'imagine. Or, la pièce n'en possède aucune.

Disposer d'un moyen rapide de me rendre n'importe où dans le monde aurait été trop beau. Forcément.

Il n'est pas loin de quatre heures du matin, j'ai les nerfs en pelote, et aucune aiguille à tricoter pour passer le temps !

Si ce sale rat ose se ramener ici sans Marge, je jure de le repousser dans le vortex en sens inverse illico presto ! Il n'a pas intérêt à foirer, ou alors je me servirai de ses tripes et d'une de ses côtes pour lui confectionner un joli petit pullover avec lequel il pourra s'étouffer lentement... très, très lentement.

Ça lui fera les pieds ! Ou le torse... on s'en bat l'os !

J'ai quittée Margarita il y a quelques heures à peine, punaise ! Comment se fait-il qu'il y ait déjà besoin de lui « sauver les miches » ? Je suis sûre que c'est encore un coup de Voldemor et ses sbires. Aaron et Sven avaient faux sur toute la ligne...

« Ton amie ne risque rien, c'est toi qu'ils veulent, les filigays ne s'en prennent jamais aux humains, ils les protègent... » Et nianiania, je leur en foutrai des protections, moi !

Je vais trouver à Ronron une bonne coque à couilles que je lui enfilerai à grands coups de genoux dans les burnes, histoire de tester sa résistance... il la sentira passer, tiens !

Imaginer la scène me permet de relâcher un peu la pression.

Comment a-t-il pu me cacher un truc pareil ? Je comprends mieux son ton hésitant, voire craintif, lorsqu'il m'a annoncé qu'il partait en mission sans moi. Quand je pense que ce chafouin a été jusqu'à m'offrir le baiser du siècle uniquement pour me donner du grain à moudre...

Rhaaa ! Je vais le freezer tellement fort qu'il pourra facilement rivaliser avec la Belle au bois dormant quand j'en aurais terminé avec lui ! Tu ne m'y reprendras plus, espèce d'archipatelin ! Ce type n'est rien de plus qu'une chattemite doublée de... de... d'un peigne-zizi ! Voilà !

Le pire dans toute cette histoire, c'est que je dois attendre sagement qu'il me donne des nouvelles et que, bien sûr, il ne m'en donne AUCUNE ! Non mais quel fils de mouette !

La messagerie vocale de Margarita est désormais pleine à craquer, Sven ne répond pas, et Enzo ne daigne pas plus me donner signe de vie. J'espère que mon pote de drague ne partage pas le même sort que ma BFF.

Mais, quel sort, au juste ? Aaron s'est contenté de me sortir sa bombe sans autres explications. J'ai bien envisagé de le harceler par messages mais si j'avais suivi ma pulsion, je suis certaine qu'il n'aurait pas hésité à aller jusqu'au bout de sa menace en bloquant mon numéro. Or j'ai besoin qu'il puisse me joindre pour savoir ce qu'il en est !

ET ON NE ME DIT RIEN ! m'époumoné-je intérieurement.

Si ça continue, je vais finir par me retrouver avec une extinction de voix psychique. Ce qui serait fort utile en présence de télépathes, mais je n'ai pas l'impression que ce soit une capacité à la mode chez les cairebéroces.

Pour parfaire le tout, Aby et son neveu sont introuvables. J'ai retourné toute la propriété sans parvenir à leur mettre la main dessus. Impossible de grappiller des infos auprès d'eux, ils ont tout bonnement disparu.

Je suis donc condamnée à attendre que Judas daigne bien vouloir faire l'effort de me tenir au courant. Ou de passer enfin ce putain de mur magique !

L'absence de mes chaperons est des plus suspectes.

Ne suis-je pas censé être LA Surrogata ? La détentrice du pouvoir suprême, à protéger coûte que coûte jusqu'au jour fatidique de l'Apokali ? Ils n'ont quand-même pas envoyé la totalité de leurs forces de frappe sur la mission « Putain de bordel de merde » ? Si ?

Marge se trouve-t-elle en si mauvaise posture ?

Pour la première fois de ma vie, j'ai vraiment la trouille. C'est une sensation fort peu commode. J'ai l'impression que mon cœur va s'arrêter. Ou bien remonter mon œsophage et s'échapper par ma bouche. En mode vomi infini, un peu à la manière de Regan MacNeil dans L'Exorciste.

C'est décidé ! J'attends encore deux minutes supplémentaires et, danger ou pas, je me tire en direction de l'aéroport le plus proche pour rejoindre la France par mes propres moyens.

Alors que je fais les cent pas en m'arrachant les cheveux, je sens des vibrations me parvenir en provenance du portail, annonciatrices de son ouverture prochaine.

À la bonne heure ! Je vais me le faire !

La surface du mur prend une teinte violacée avant de se mettre à osciller dangereusement.

Je me place devant lui et je montre les dents, les poings serrés, prête à accueillir le saligaud qui me sert de partenaire comme il se doit.

La seconde suivante, je me retrouve propulsée au milieu de la pièce. J'ai juste eu le temps de voir une forme floue débouler du vortex avant de la sentir me percuter avec la force d'un boulet de canon. Ma tête heurte le sol violemment.

Outch !

— Oh merde ! Est-ce que ça va ? s'inquiète une voix fluette à proximité. Désolée, je foire constamment mes atterrissages.

Je vois toujours trente-six chandelles et je dois cligner des yeux plusieurs fois de suite avant que ces dernières acceptent de cesser leur ronde autour de mon crâne.

— Hey ? Machine ? Je ne vais quand même pas devoir te faire du bouche à bouche, hein ? poursuit la voix sur un ton plaintif.

Je sens alors un corps musclé m'escalader juste avant qu'un visage poupin n'apparaisse dans mon champ de vision.

Deux yeux orangés fixent mes prunelles avec gravité. La jolie blonde aux traits slaves à qui ils appartiennent semble d'abord rassurée de me découvrir consciente, mais elle doit se raviser bien vite puisque, dès l'instant où son regard vient loucher sur mon front, elle m'explose les tympans en poussant un cri à vous réveiller les morts.

Complètement désarçonnée face à sa réaction, je me redresse comme si mon buste était monté sur ressorts. La brusquerie de mon mouvement me permet d'éjecter ma drôle de cavalière. Elle se retrouve sur le dos, les quatre fers en l'air, les muscles de sa nuque contractés alors qu'elle soulève sa tête pour m'observer avec épouvante.

En la voyant ainsi, les yeux exorbités et la bouche ouverte, la scène du vomi dans l'Exorciste me revient subitement en mémoire. Ça n'a pourtant rien à voir, mais trop tard, mon inconscient a pris le relai et lancé la boîte à images. Tandis que la poupée russe cesse enfin sa vocalise, je me mets à crier à sa place devant la vision d'horreur qui me parvient, appréhendant le moment où elle se décidera à me badigeonner de liquide verdâtre et malodorant.

La fausse Regan se remet à hurler en réponse à ma propre réaction et nous poursuivons ce duo infernal durant plusieurs minutes. Jusqu'à ce qu'Aby déboule en fanfare dans la pièce, les yeux écarquillés de panique.

Oh ! La cochonne ! Je suis sûre qu'elle se cachait pour éviter d'avoir à subir mon interrogatoire !

Elle se fige, nous dévisage tour à tour, et demande avec incompréhension :

— Pourquoi vous criez ?

— J'en sais rien ! piaillons-nous en cœur.

Mon regard croise à nouveau celui de ma copine de criaillerie. Je prends le temps de remarquer que ses yeux ont beau être d'un orange irréel des plus révélateurs, elle doit être à peine majeure.

Ils les prennent au berceau pour commencer leur formation de guerrier dopé aux hormones magiques ?

— Tu n'es pas une Kerberos ! m'accuse-t-elle.

— Et toi tu n'es pas le bon Cairebéroce ! l'accusé-je en retour.

— Alors pourquoi tu portes la marque des Surrogatas ?

— Alors pourquoi tu as passé le portail à sa place ?

Je suis très forte au jeu des questions / questions.

— À la place de qui ?

— Ronron, pardi !

Elle se calme d'emblée. J'en fait autant.

— C'est qui Ronron ? Un chat ? m'interroge-t-elle les sourcils froncés.

— Bah, non... Attends ! Si ? Ça se peut ? Aaron est un métamorphe chat, c'est ça ?

Je savais qu'il avait des allures de félin. Quand il ne ronronne pas, il grogne.

— Aaron est ici ? couine-t-elle.

— Quoi ? Où ça ?! m'exclamé-je en me relevant d'un bond et en tournant sur moi-même.

J'ai dégainé Méduse dans la foulée et je la brandie déjà, prête à user de ses charmes soporatifs sur ma cible.

— STOP ! s'interpose alors Aby.

Son œil droit commence à dire merde au gauche à force de jouer au ping-pong entre bébé cairebéroce ici présent et moi-même. Elle se tourne en direction de cette dernière, qui en profite pour se relever en s'époussetant :

— Zinaida, qu'est-ce que tu fiches ici ?

— Tidiane m'a appelée. Il m'a dit de rappliquer ici presto si j'en avais marre de me tourner les pouces à l'autre bout du monde. Il avait l'air de penser qu'il ne tarderait pas à y avoir de l'animation dans le coin... je crois que je comprends où il voulait en venir, dit-elle en observant avec méfiance la baguette d'hypnose que je tiens à la main.

Je l'abaisse immédiatement et je lui offre mon plus beau sourire innocent.

— Doul* ! s'emporte soudain Aby. Mais quel imbécile ! Il a de la chance de se trouver loin d'ici. Aaron va vraiment finir par l'étriper ! 

— Moi d'abord ! grogné-je en montrant les dents.

— Tu veux étriper Tidiane ? me questionne Zinedine Zidane.

— Non, Aaron ! Je vais me le faire ! Dans tous les sens du terme. Mais pour commencer, je vais le freezer bien fort !

— Aucune chance, j'ai déjà essayé.

— De te le faire ? m'étonné-je en avisant ses traits juvéniles.

— De le freezer. Je l'ai enfermé dans une chambre froide.

— Cool !

— Pas tant que ça, il a défoncé la porte en moins de vingt secondes.

— Moins cool.

— T'es sympa, je t'aime bien, toi, me complimente-t-elle en prenant une pose plus détendue. Mais, t'es qui au juste ? Comment se fait-il que tu sois en possession de la baguette d'ypnos ? Et, diable, vas-tu enfin me dire pourquoi tu portes la marque des Surrogatas ?!

Je redresse le buste, fais claquer mes talons l'un contre l'autre, et lui adresse un salut militaire :

— Kalamity Jane, porteuse du grand Opium sacré, à ton service !

— C'est une manière détournée de dire que t'es une droguée ?

— C'est ce que je croyais aussi au départ. Mais on m'a assuré que la magicaboule n'avait rien d'un stupéfiant.

— Aidez-moi, c'est un cauchemar, marmonne Aby en se passant la main sur le visage. On est censé éviter l'apocalypse, pas la provoquer. Ces deux-là n'auraient jamais dû se retrouver ensemble dans la même pièce.

Son intervention, bien que nébuleuse, a au moins le mérite de me remettre les pieds sur terre.

— Aby ! la hélé-je en la faisant sursauter au passage. Dis-moi ce qui est arrivé à Margarita ! Je suis sûre que tu es au courant !

Elle m'observe avec effroi en avisant Méduse que je pointe à nouveau droit devant moi – et donc, droit sur elle.

Oups.

Je la replace sagement dans mon sac paresseux.

Là, reste tranquille, ma belle. Ton heure de gloire viendra bien assez tôt.

La dakaroise tente alors de trouver du réconfort auprès de sa consœur, mais cette dernière lui adresse le même air inhospitalier que le mien.

— Qu'est-ce que c'est que ce bordel, Aby ? Qu'est-ce que vous me cachez ?

Je crois que je viens de me faire une copine.

Aby soupire et relâche les épaules dans le même temps.

— Très bien, rend-elle les armes. Après-tout, je n'étais pas d'accord avec Aaron quand il a décidé qu'il était préférable de te garder dans l'ignorance. Je savais que te maintenir à l'écart ne nous attirerait que davantage de problèmes. Il ne pourra s'en prendre qu'à lui-même.

C'est moi qui vais m'en prendre à lui. Mais, soit.

— Je t'écoute.

— Allons nous installer dans la cuisine, vous voulez-bien ? Je vais avoir besoin d'un remontant si je veux survivre à cette conversation.


***

Me revoilà !

"Pas trop tôt" me direz-vous, "Oh, ça va, je n'ai que 3 semaines de retard" vous répondrai-je (je rappelle que l'année 2020 n'a pas existé).

Désolée pour mon absence, j'avais beaucoup de mal à me remettre dans l'esprit enjoué de notre Kaka internationale jusqu'à maintenant. Mais j'ai mis mon temps à bon escient puisque j'ai sorti un livre ! 

Pour ceux qui auraient loupé l'info malgré toutes les annonces que j'ai postées un peu partout, mon roman Comme s'il pleuvait des anges est sorti en livre broché et ebook le mois dernier - Vous pouvez donc vous le procurer dès à présent si ce n'est pas encore fait ! (et n'hésitez pas à poster un avis sur Amazon ou ailleurs pour m'aider à le faire connaître et me permettre d'envisager la publication de mes autres ouvrages, ça m'aiderait énormément)

Bon, sinon, j'espère que vous allez bien depuis tout ce temps et que l'amour brille sous les étoiles.

À très vite pour la suite ?

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