Chapitre 2-1
Habillée d'une petite robe trapèze noire aux imprimés bohème, je circule avec légèreté entre les différents groupes de personnes rassemblées là pour assister au dernier concert d'été.
Ma séance de shopping en compagnie de Margarita s'est terminée plus tôt que prévu. Après avoir enchaîné les magasins de fringues toute la matinée et une bonne partie de l'après midi, j'ai fini par l'abandonner lâchement au milieu d'une boutique de chaussures haut de gamme quand la vendeuse a commencé à vouloir me faire essayer tout un tas de trucs à moi aussi. Outre le fait que je n'en ai pas les moyens, il est hors de question que j'abandonne ces ravissantes tennis qui me moulent actuellement les pieds pour les remplacer par des engins de torture, certes esthétiques mais fort peu pratiques.
J'envoie un baiser à mes beautés après avoir louché dessus quelques minutes.
J'ai promis à Margarita, Marge pour les intimes, que je la rejoignais à la Beach Party à 18h. Je n'ai qu'une petite heure de retard. Je m'améliore.
Alors que je sonde la foule à la recherche de la belle brune, je repère Manu et Lisa un peu plus loin. C'est un couple d'amis à qui j'avais parlé de l'événement. Je les connais de l'époque où je bossais encore en tant qu'opératrice de saisie pour une boite spécialisée dans les confiseries. Ils s'approchent de moi, un sourire aux lèvres.
Je fais souvent cet effet là aux gens.
— Hey ! cool ! Vous avez pu venir ! leur lancé-je avec entrain.
— Oui, merci pour l'info ! C'est géant ici ! me répond Lisa en sautillant sur place.
C'est une jolie petite chose toute mignonne qui culmine à pas moins d'un mètre cinquante-cinq, talons compris. Elle forme un duo assez étrange avec Manu qui la dépasse de trente bons centimètres et qui a plutôt des allures de gros nounours.
Je n'ai pas le temps d'aller plus loin dans la discussion que je sens quelqu'un m'enlacer par derrière pour venir me cacher les yeux de ses grandes mains. Sauf que la tentative de cet obscur individu échoue lamentablement et que je me retrouve bâillonnée à la place.
Enfin, espérons que le bâillon n'est pas voulu. J'ai comme un doute, soudainement.
Si le gène de la peur ne m'avait pas désertée dès le plus jeune âge, j'en aurais certainement eu des sueurs froides.
Vu la corpulence et le manque notable de poitrine, aucune chance que ce soit Marge dans mon dos.
— Salut beauté ! Tu m'as manquée, me souffle une voix que je reconnaîtrais entre mille.
Je me retourne aussitôt, le sourire aux lèvres.
— Enzo ! Pendant une minute, j'ai cru que tu étais un tueur embusqué.
Mal embusqué, pour le coup.
Enzo, c'est mon pote de drague. On se ressemble comme deux gouttes d'eau — si on zappe ma mèche colorée dont je change la teinte en fonction de mon humeur et qui est actuellement badigeonnée d'un dégradé de rose et de violet — on pourrait passer pour des jumeaux. Les cheveux châtains, les yeux verts, une taille toute à fait moyenne d'environ un mètre soixante-huit, un corps svelte et un charme de malade. Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont nos conquêtes respectives.
On écume souvent les bars ensemble, à la recherche de nos futurs coups d'un soir. On est sur la même longueur d'onde à ce niveau là, lui et moi : « sans attaches, on évite les clashs ! » c'est notre devise.
— Oh ! Je te présente Manu et Lisa, mes ex, lui révélé-je avec enthousiasme.
— Tes ex ?
— Collègues, précise Manu, amusé. Ses ex-collègues, rien de plus.
Après l'avoir détaillé avec appréciation, Enzo se tourne vers Lisa et lui offre son sourire de vainqueur avant de lui prendre la main pour y apposer ses lèvres.
J'en rigole d'avance.
— Enchanté ma mie, ton regard illumine ma journée, laisse-moi être ton chevalier pour le reste de la vie, lui déclame-t-il sans la lâcher de ses yeux de braise.
Lisa rougit. Manu se renfrogne.
— Heu...
— T'en fais pas Manu, Enzo est gay, précisé-je avant que son numéro de charme ne tourne au vinaigre et déclenche les foudres de mon collègue.
On ne sait jamais, des fois que le Bisounours se transforme en Bisoufrousse.
— Bi ! me contredit-il aussitôt en continuant de battre des cils à l'intention de Lisa. Depuis que je t'ai rencontrée, belle inconnue, mes goûts ont subitement changé.
— Ne faites pas attention à lui, c'est un drogué, les rassuré-je encore une fois.
— En parlant de drogué, tu as vu Theo ? rebondit Enzo, tout guilleret.
J'écarquille les yeux à cette mention.
— Theo ? Mon dieu, non, bien heureusement.
— Il te cherche.
— Quoi ?! tu veux dire qu'il est ici ?! je balbutie.
Enzo jette alors un coup d'œil derrière moi et une grimace moqueuse étire ses traits.
— Et je crois qu'il vient de te trouver...
Je me retourne d'un mouvement vif pour tomber nez à nez avec un sex-symbole ambulant. Grand, musclé, les cheveux blonds en désordre avec la fameuse petite mèche sauvage qui lui retombe sur des yeux couleur océan... un véritable physique de surfeur mélangé à celui d'un bodybuilder quand on voit la taille impressionnante de ses pectoraux...
Theo, ou ma bête noire du moment.
— Salut Kali, me lance-t-il d'un ton bien trop calme pour ne pas paraître suspect.
— Theooo !
Ma voix est un peu partie dans les aigus face à cette apparition pour le moins inopinée... et assurément indésirable.
— Quelle bonne surprise ! m'écrié-je le corps tremblant. Bon, cette réunion des anciens camarades m'a fait plaisir, mais faut que j'y aille. Ciao, les gars. À la revoyure !
J'adresse un dernier signe de tête à Enzo et à mes collègues et je m'éclipse avant que les choses ne deviennent vraiment trop difficiles à gérer. Ce qu'elles ne manqueront pas d'être dans à peu près cinq secondes.
Malheureusement, je n'ai le temps de parcourir qu'une dizaine de mètres avant que Theo ne me rattrape.
— Minute, papillon. Ne crois pas t'en tirer aussi facilement. On a des choses à se dire tous les deux.
— Qui ?
Je regarde à droite à gauche en faisant semblant de ne pas comprendre.
Mais Theo, qui est loin de se laisser abuser par mon manège fort peu crédible —il faut bien l'avouer — me lance un regard équivoque.
Je fais passer mon doigt de lui à moi en haussant les sourcils innocemment. Il acquiesce à ma question muette d'un mouvement de tête avant de reprendre la parole :
— Tu ne t'attendais quand même pas à ce que je laisse passer ça sans rien dire...
— Je ne vois pas de quoi tu parles, mens-je effrontément. Oh, regarde ! Un éléphant rose !
Il me retient à bout de bras avant que je n'ai eu le temps de m'éloigner.
— Tu m'as laissé menotté à un lit ! Bordel ! s'emporte-t-il.
— Ah... ça...
— Oui « ça »... ce n'est pas rien, Kali ! J'aurais pu crever si je n'avais pas trouvé le moyen de me libérer. Non mais qu'est-ce qui t'a pris de faire une chose pareille ?!
— Et qu'est-ce que tu voulais que je fasse d'autre ! Tu m'as dit que tu m'aimais !
— Et alors ?! Aucune fille ne menotte un gars à son lit parce qu'il lui dit qu'il l'aime !
— On avait un accord, pas de sentiments entre nous !
— Tu sais combien de temps je suis resté à attendre que quelqu'un vienne me libérer ?! J'ai du pisser dans une bouteille, merde !
— La bouteille de champagne ? L'embouchure était bien trop petite...
— Oui la bouteille de champ... putain mais on s'en fout ! Je pourrais porter plainte contre toi, tu sais. Mise en danger d'autrui ou quelque chose dans le genre. Avec tes conneries, si je n'avais pas réussi à chopper mon portable à l'aide de ma chaussette et que je n'étais pas parvenu à joindre le gardien, je serai sûrement mort d'inanition à l'heure qu'il est...
Je pouffe en me représentant la scène.
J'aurais dû penser à placer une caméra avant de partir.
— Mais tu veux savoir le pire ?
— C'est une vraie question ?
— Le pire, c'est quand je me suis rendu compte, après coup, que la clé des menottes était gentiment rangée dans le tiroir de ma table de chevet sans que tu n'aies pris la peine de m'en informer au préalable.
— Attends... tu veux dire que t'as pas cherché la clé avant de jouer les Mac Gyver ? Je ne suis pas aussi inconsciente, Theo, évidemment que je l'avais laissée à portée de main !
La vérité, c'est que j'avais complètement oublié ce détail. Mais il n'est pas obligé de le savoir.
— T'as pris la tangente en me laissant attaché à un lit tout ça parce que j'avais eu le malheur de te révéler mes sentiments... pour moi t'étais suffisamment cinglée pour fuir au bout du monde sans te préoccuper de mon sort !
— Eh bien, vois le bon côté des choses ! Au moins, maintenant tu me détestes plus que tu ne m'aimes...
Mon affirmation — qui sonne plus comme une question qu'autre chose — ne semble pas du tout apaiser Theo, bien au contraire.
Oups.
— Parce que tu crois que les sentiments se barrent d'un coup, comme ça, en un claquement de doigt ?
— Ça n'a pas du tout claqué. C'était plutôt un frottement de doigts, ça.
Theo se pince l'arrête du nez devant mes tentatives désespérées de tourner sa déclaration à la dérision.
Quelle idée de m'avoir balancé ça comme ça, aussi.
— Ce type vous embête madame ?
Un homme, grand et baraqué, tout de noir vêtu, s'est approché de nous, probablement alerté par nos cris et la position louche dans laquelle nous nous trouvons actuellement. En effet, Theo me retient toujours par le bras et arbore un air qui peut facilement passer pour menaçant quand on ne connait pas la teneur de notre différend.
L'inconnu ne pouvait pas mieux tomber.
— Ce gars est un fou-furieux, approuvé-je. Il refuse de me lâcher. Regardez, il m'a fait un bleu.
— Lâchez la demoiselle tout de suite, Monsieur...
— Quoi ?! Écoute mon vieux, te mêle pas de ça, tu ne comprends rien.
— Au contraire. Je crois que j'ai très bien compris...
Je profite de la diversion que m'offre ce bon samaritain pour prendre la poudre d'escampette.
Je repère enfin Margarita, un peu plus loin, et je la rejoins aussitôt.
— Salut, ma couille, ça farte ?
— Hey, Kaka ! Je commençais à croire que tu m'avais posé un lapin et... Oh ! Bah, ça alors... Ce ne serait pas Theo, là bas, qui est en train de se faire plaquer au sol par le service de sécurité ?
— Hein ? Oh... Ouais, on dirait. Outch ! Ça, ça doit faire mal.
Je suis la scène du regard durant quelques minutes, observant deux grands costauds relever Theo, tout dégingandé, avant de le tirer en direction de la sortie.
Le pauvre.
— Alors, quoi de neuf ? demandé-je à Marge avec énergie.
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