Chapitre 19-2

Un grand merci à nabouchad et RamchouFofana pour leur aide sur les expressions Wolof  ♥ 

***

Je me lève dans un bond. 

Une envie soudaine de lui jeter quelque chose au visage me prend... genre, un cerveau, ce serait pas mal.

Mais ouiiii ! En voilà une super idée !

Je fouille dans mon sac paresseux et je referme la main sur la petite pierre du démon, avant de relever la tête en sentant le regard d'Aaron peser sur moi. Il a suivi mon mouvement avec attention et me fixe à présent avec une expression dangereuse.

— Kali, me met-il en garde, la tête légèrement de biais. Ne t'avise pas de retourner la baguette d'Ypnos contre moi ! Tu es complètement à côté de la plaque, mon chou !

Je me fige. Lui aussi.

Il semble quelque peu désarçonné d'avoir dit ça tout haut. Je dois dire que je le suis tout autant. Il se trouve que je pensais exactement la même chose au même moment.

Mais c'est surtout le qualificatif qu'il a employé qui me surprend.

Il vient réellement de dire que j'étais chou ? m'enorgueillis-je intérieurement.

Pour être honnête, c'est vrai que je suis chou, mais pas autant qu'Aaron. Surtout en cet instant. Il a beau être d'une mauvaise foi à toute épreuve, je ne peux décemment pas dire que son aspect débraillé me laisse de marbre. Il est...

— T'es même carrément hot, reprend-il en écarquillant les yeux à la fin de sa phrase. Hein ?!

Il s'ébroue, comme s'il n'en revenait pas de ses propres mots.

Je suis moi-même plutôt surprise par la tournure que prend notre discussion. Ça ne colle pas vraiment avec le ton qu'il employait jusqu'ici.

Quant à Nyeleti, elle dévisage maintenant le cairebéroce comme s'il lui poussait des antennes sur la tête.

Tiens, je me demande si les démons ont des antennes ?

Lorsqu'il se rend compte de l'air que sa consœur arbore, Ronron secoue la tête négativement dans sa direction, comme pour se dédouaner auprès d'elle, et réfuter tous les gentils mots qui viennent tout juste de s'échapper de son si charmant gosier.

Ah, ah ! Trop tard, mon mignon ! J'ai très bien entendu, et j'ai un témoin pour le prouver !

Visiblement, il avait oublié la présence de la sud-africaine à nos côtés, et il veut maintenant lui faire croire qu'elle a rêvé ses paroles... il peut toujours espérer. Elle ne va certainement pas avaler sa couleuvre alors qu'il vient de se griller tout seul, comme un grand.

Je note, d'ailleurs, que nous sommes grave sur la même longueur d'ondes, lui et moi.

Bien qu'il ne soit manifestement pas encore totalement prêt à le reconnaître.

— Nous deux, c'est une évidence, lâche-t-il pourtant à ce moment-là, comme en pied de nez à mon raisonnement interne.

Je n'en crois pas mes oreilles...

Bah, ça alors !

J'étais persuadée qu'il ferait machine arrière et qu'il nierait tout en bloc face à Nyeleti. Mais le voilà qui me surprend une nouvelle fois, pour s'accorder parfaitement avec mes pensées.

Je suis en plein rêve, ou quoi ?

Je n'ai peut-être jamais quitté la chambre, après tout...

Je me pince la peau du bras — celui que je maintiens toujours plongé dans mon sac — pour vérifier que je suis vraiment réveillée et qu'Aaron est bel et bien en train de m'ouvrir son cœur.

— Aïeuh ! piaille le cairebéroce à ma place au moment où la douleur survient.

Il est si compatissant ! C'est trop mignon.

Il me dévisage avec... horreur ? Non, panique, plutôt. Oui, c'est ça, je crois qu'il est paniqué. Il n'a pas apprécié que je me fasse du mal.

— Putain ! s'exclame-t-il. Qu'est-ce que tu es... adorable.

Roooo ! Décidément, il craque complètement, le choupinours.

Je bats des cils à son attention et je commence à jouer avec une mèche de cheveux tout en me dandinant. Le pauvre parait encore plus tourmenté. Ses yeux manquent de sortir de leurs orbites.

Il faut croire qu'il n'est vraiment pas à l'aise avec les déclarations.

Je suis néanmoins ravie qu'il admette enfin que je lui plais, et, surtout, qu'il se décide à se l'avouer à lui-même. Voilà qui nous simplifiera grandement les choses si nous devons enclencher la vitesse supérieure et entrer dans le vif du sujet avant le jour de la Synthèse.

J'avoue que ce revirement de situation me fait beaucoup d'effet.

Je n'aurais jamais cru qu'il serait si prompt à renverser la vapeur après m'avoir refroidie si furieusement un peu plus tôt. Et pourtant...

Aaron me détaille sous toutes les coutures, passant l'ensemble de mon corps en revue en fronçant les sourcils. Les muscles très, très, tendus. Ses poings sont si serrés qu'ils sont en train de devenir blancs.

— Kali, m'harponne-t-il juste avant de marquer une pause, crispé.

J'ai l'impression qu'il n'est pas certain de ce qu'il fait. Il ne doit pas avoir l'habitude de se livrer à ce point. Et de façon aussi impulsive, qui plus est.

À moins qu'il craigne que je ne partage pas son intérêt...

— Kali, tu...

Il s'interrompt à nouveau, donnant l'air de tâter le terrain.

Je suis pourtant toute ouïe. Je ne lui envoie peut-être pas les bons signaux ?

Je décide de l'encourager en lui offrant mes plus beaux yeux de biche. Je suis venue à bout de plus d'un homme intimidé, grâce à eux.

Vous voyez Vanellope et son expression toute mignonne, dans Les Mondes de Ralph ? J'en suis la meilleure incarnation en cet instant.

Mon stratagème semble d'ailleurs fonctionner, puisqu'il reprend ensuite avec hardiesse :

— Sache que tu me fais un effet dingue...

Ah ! Mais c'est totalement partagé, beau gosse ! Ces mots auraient tout aussi bien pu sortir de ma propre bouche, quand j'y pense.

Je suis définitivement mordue.

— J'ai envie de toi... Maintenant ! conclut-il, déchaîné.

Hiiiii ! Je fonds ! Je suis tellement heureuse qu'il se décide enfin à s'ouvrir à moi. C'est fou, j'ai l'impression qu'on a fusionné tellement on est raccord dans notre façon de voir les choses.

— Putain de bordel ! Qu'est-ce que c'est que cette merde ?!

Bon, Aaron a une façon bien à lui de se dévoiler — m'est avis qu'il aurait pu se dispenser des grossièretés pour accompagner une telle déclaration. Sans compter qu'encore une fois, il a le chic pour choisir son moment... Mais je ne vais pas chipoter pour si peu.

Nyeleti suit toujours notre échange avec attention, son expression hésitant tour à tour entre la stupéfaction et la franche rigolade.

— Kali ! me hèle Ronron pour la troisième fois en moins d'une minute, son regard enflammant dangereusement ses iris. Putain ! Qu'est-ce que tu... as de beaux yeux, quand même. On dirait un chat sauvage. Un gros chat adorable et flippant.

C'est dingue, je me disais exactement la même chose, me stupéfié-je.

Une idée dérangeante me vient alors.

— Tu lis dans les pensées ? C'est ça, ton don spécial ? dis-je soupçonneuse. Je croyais que c'était la super ouïe ?

— Sors ta main de ce sac ! me hurle-t-il soudain au visage dans un enchaînement des plus biscornus.

Je n'ai pas le temps de m'interroger davantage sur la singularité de son comportement qu'il reprend aussitôt :

— Tu veux que je la mette où à la place ?

De plus en plus étrange comme conversation.

Il saute vraiment du coq à l'âne depuis toute à l'heure.

Je plisse les yeux dans sa direction.

— Est-ce que tu es en train de te moquer de moi ?

— Bon sang, Kali ! Les mains en l'air !

Il a pété un câble ou quoi ?

À l'instant-même où cette phrase percute mon esprit, Aaron s'entête un peu plus profondément dans son jeu de gamin détestable :

— T'as pété un câble ou quoi ?! lâche-t-il ainsi à la manière d'un perroquet anticipateur très pénible.

— Arrête de répéter tout ce que je pense ! l'incendié-je en comprenant qu'il se fiche définitivement de moi.

— Putain ! Je ne... Kali ! Retire tes mains de là !

Il fait mine de m'approcher, les yeux rivés sur mon sac paresseux.

— Mais, pourquoi tu réagis comme ça ? me rebiffé-je en grimpant sur le canapé pour me mettre hors de sa portée. T'étais en train de me dire des mots doux il n'y a même pas deux minutes, alors pourquoi tu te la joues Mister Hyde, tout à coup ?

— T'as fumé ou quoi ? me vole-t-il une nouvelle fois la réplique.

— Tu vas arrêter, oui ?! m'énervé-je.

— Bon sang, Kali ! Tu comptes retirer ta main de là, oui ou non ?! déclame-t-il à toute vitesse, comme s'il craignait que ses mots n'aient pas le temps de sortir. T'es malade ?!

— Mais qu'est-ce qui te prend ?! lâchons-nous en cœur au même moment.

Après quoi nous poursuivons, toujours dans un bel ensemble :

— Raaah ! Mais t'es impossible, c'est quoi ton problème ?! T'as des hémorroïdes ?

— La ferme, vilain cochon! m'invective-t-il en continuant de s'attribuer mes pensées. Mais, putain !

— Non ! mais toi, la ferme ! exulté-je en le pointant méchamment de l'index de ma main libre. Finalement, tu mériterais que je te freeze ! Tu l'auras bien cherché ! Et puis, on dit « vilaine cochonne » pour une fille !

— Montre-moi tes mains, paumes ouvertes ! m'ordonne-t-il sans tenir compte de mes réprimandes.

Okay, c'est définitif. Il a pété une durite.

Ce cairebéroce est complètement taré.

— Tout de suite ! s'époumone Aaron en faisant trois nouveaux pas menaçants vers moi.

— Okay, okay, ça va ! m'agacé-je en reculant au maximum.

Vu son état, il serait capable de m'achever sur place sans autre forme de procès.

C'est bon, quoi ! En plus, je n'avais même pas envisagé de le freezer avant qu'il me soumette l'idée.

Je lève les mains et les lui mets sous le nez, le cerveau bien en évidence dans le creux de ma paume droite.

— Tu vois, c'est pas du tout de la baguette d'Hypnose dont je comptais me servir !

— Blerrie ! jure Nyeleti en écarquillant les yeux. Tu as retrouvé la pierre de Phaínô !

Lumière semble se faire sur son visage alors qu'elle reluque le petit cerveau que je serre dans ma main.

— La pierre de fainéant ? l'interrogé-je. C'est vraiment comme ça que vous l'appelez ?

— Drôle de nom, tout de même, approuve-t-elle avant de placer aussitôt ses mains devant sa bouche, l'air honteux.

— Si tu as roté, on n'a rien entendu, la rassuré-je.

Elle cille, confuse.

Là-dessus, Aby, Thiago, et Tidiane, déboulent dans la pièce, l'œil hagard.

— Que se passe-t-il, ici ? nous interpelle Aby. On a entendu des cris.

Aaron, qui a profité de ce moment de confusion général pour supprimer la distance entre nous, tente alors de m'arracher le bibelot des mains. Je fais tout mon possible pour résister. Pas question que ce malade me vole mon précieux !

Malheureusement, il s'avère difficile de remporter la partie contre un gros balèze de son espèce.

Peut-être que si je fais prendre assez d'élan à mon avant-bras pour le lui balancer dessus...

Hum... ça ne fonctionne pas plus.

Je dois bien vite m'avouer vaincue. Aaron retient mon bras dans sa poigne de fer et j'ai beau forcer contre ses muscles, ma marge de manœuvre doit être équivalente à un micro-centimètre.

En désespoir de cause, je déplie les doigts sans prévenir pour lâcher prise sur le cerveau, escomptant qu'il s'écrase sur son pied.

Encore raté.

Aaron le rattrape au vol et me lance un regard noir.

— T'es pas drôle ! boudé-je. Je n'ai même pas eu le temps de te le jeter à la tronche.

Il marque un temps d'arrêt en me dévisageant avec stupeur :

— Parce que c'était ton intention ?

— Bah, oui.

Il rumine je ne sais quoi dans sa barbe avant de poursuivre.

Au moins, il a terminé ses gamineries.

— Où est-ce que tu l'as trouvé, d'abord ? me houspille-t-il comme si c'était moi, et non lui, qui m'étais transformée en furie hors de contrôle.

— Sous mon lit.

— Donc, pour résumer... tu découvres une étrange pierre sous le lit que tu occupes chez une personne dont tu es l'invitée, et tu ne trouve rien de mieux à faire que de te dire « oh, tiens, un joli caillou qui brille, et si je le mettais dans mon sac... » ?

— Bah... oui... Mais j'avais prévu de te le rendre, Aby ! me dépêché-je de rassurer l'intéressée en me tournant vers elle.

— Heu... Me rendre quoi ? me questionne-t-elle un peu paumée.

Elle n'a vraisemblablement pas eu le temps d'apercevoir ce qu'Aaron vient de m'arracher des mains.

Ce dernier lui révèle l'objet du délit.

— Oh, percute-t-elle avant de nous dévisager tour à tour.

Un air amusé se dessine lentement sur son visage.

— Je comprends mieux, se moque-t-elle.

— Li lan la* ? Ça sert à quoi ?demande Tidiane.

— C'est la pierre de Phaínô, lui révèle sa tante. Je l'ai égarée il y a de cela quelques années.

— La pierre de Phaínô ? s'étonne Thiago à son tour en dressant les sourcils. Celle qui était censée mettre en exergue les plans des traîtres à notre cause... mais qui n'a jamais rien fait d'autre que révéler les pensées des Surrogatas avec qui elle entrait en contact ? Le tout en se frayant un passage dans la bouche de leur interlocuteur ?

Je ne suis pas sûre d'avoir tout compris, mais il a l'air véritablement impressionné.

— Celle-là même, confirme Aby d'un air mutin.

— Donc, intervient Tidiane. Vous êtes en train de dire que lorsque Kali le tient dans la main, ce petit bout de roche nous révèle tout ce qu'elle a dans la tête ?... Sauf que ça sort de la bouche de la personne à qui elle s'adresse plutôt que de la sienne ?

— Exactement.

Ah... bah merde alors.

Je me disais aussi que le comportement d'Aaron était plutôt suspect.

J'ignore si je dois être déçue que ses paroles n'aient été que le reflet de mes propres pensées, ou si je dois être rassurée à l'idée qu'il ne soit pas complètement schizophrène, finalement.

— Votre conversation devait valoir le coup d'œil, intervient Thiago en se fendant la poire. Je regrette de ne pas avoir déboulé plus tôt.

— Tu peux, approuve Nyeleti, les yeux brillants. Je t'assure que leur échange valait son pesant de cacahuètes. Même si je ne suis pas certaine d'avoir compris le quart de leur conversation. Pas évident de démêler le vrai du faux dans ces circonstances. Je me demande encore quels sont les mots qui appartenaient vraiment à Aaron dans tout ce méli-mélo de paroles insensées.

— Aucun de ceux auxquels tu songes ! se rebelle le concerné en l'assassinant du regard.

Ce à quoi elle lui répond par un sourire encore plus grand.

— Je me pose tout de même une question, médite Thiago. Je croyais que la pierre avait été détruite à cause de son inefficacité.

— C'est vrai, confirme Aby. La Veteris avait suggéré cette option. Mais je trouvais dommage de détruire un artefact aussi ancien, bien que défectueux. Puis, je le trouve joli.

— C'est vrai qu'il est joli, approuvé-je.

— Tu peux le garder si tu veux, me propose-t-elle.

Je m'illumine à cette idée.

— Même pas en rêve ! nous contrecarre Aaron. Cette maudite pierre est dangereuse.

Je le fusille du regard et je croise les bras en levant le menton.

— Dangereuse pour qui, se moque la propriétaire des lieux. Pour tes nerfs ?

— Pour Kali, grogne-t-il. Personne n'a besoin de savoir ce qu'elle a dans la tête.

— La situation a beau m'avoir amusée, je dois dire que je suis plutôt d'accord avec Aaron sur ce point-là, acquiesce Nyeleti.

— Très bien, soupire Aby. Dans ce cas, fais-en ce que tu veux, Degueur bop*.

Elle m'offre un petit sourire contrit et je déchante aussitôt en comprenant que le grognon de service vient d'avoir gain de cause.

— T'étais beaucoup plus drôle quand tu parlais à ma place, lui reproché-je avant de mettre tout mon talent à l'ignorer.

Mes yeux se portent alors sur le neveu d'Aby qui me jette des coups d'œil sous cape depuis son arrivé.

— Tidiane, l'interpellé-je. Tu sais cuisiner les pancakes ?

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