Chapitre 18-1
Des voix m'appellent au loin, mais elles me parviennent étouffées. J'ignore si c'est parce que mes propres cris les couvrent largement ou si c'est dû au fait que je me bouche les oreilles. Je me sens secouée dans tous les sens, j'ai la nausée. C'est la pire expérience de ma vie.
Mon heure est arrivée. Je vais mourir ! Ça y est.
Adieu la bouffe, le sexe, les séries, et le cinéma.
J'essaie de faire défiler ma vie devant mes yeux mais ça ne veut pas venir. Aucune lumière blanche à l'horizon, non plus. Mon trépas est très décevant, pas l'ombre d'un ange pour m'escorter vers l'au delà. Je suis dans le noir complet.
Ah oui, c'est vrai...
J'ai eu le réflexe de fermer les yeux au moment où ce traître de cairebéroce m'a projetée dans le maelstrom de l'enfer.
Diantre ! Et si c'était le diable qui m'accueillait dans le royaume des morts ?!
Ce serait logique, après tout, j'ai l'Opium en moi.
C'est bon. Je suis foutue.
Incapable de faire face à ce qui m'attend, je continue de hurler durant plusieurs minutes avant de trouver enfin le courage de desserrer les paupières... et de réaliser que je suis arrivée à destination... depuis un moment, de toute évidence.
Aucune queue fourchue à l'horizon. Je suis visiblement sur la terre ferme, et le décor n'a rien de démoniaque, ça m'a l'air même plutôt cosy du peu que j'en aperçois. Je n'ai pas vraiment l'occasion de m'attarder sur mon environnement, cela étant. J'ai comme la sensation d'être épiée de toutes parts.
Et pour cause, je me retrouve face à un groupe de trois obscurs individus, leurs yeux brillants d'inquiétude rivés sur moi. Sans compter Ronron, dont le visage épouvanté est pratiquement collé au mien. Vu sa position, il était manifestement en train de me secouer vigoureusement par les épaules avant que je me décide à affronter la réalité.
Ah, c'était ça les vibrations que je ressentais ? Je croyais que c'était dû au passage du vortex.
— Kali ! s'écrit-il avec brusquerie. Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as mal quelque part ?
— Heu...
J'ai l'impression que la traversée a duré nettement moins longtemps que ce que je pensais... genre... vraiment, vraiment, moins longtemps. Il est possible que je me sois fait une montagne de pas grand-chose. J'ai peut-être un peu crié pour rien aussi...
Mais j'ai des circonstances atténuantes ! Ce fou m'a jetée en plein dans le vortex sans aucun avertissement préalable. J'ai cru qu'il voulait me zigouiller !
Je fusille Aaron du regard, puis je capte enfin le sens de ses paroles. Sa question m'alerte.
Pourquoi me demande-t-il ça ? C'est courant d'avoir mal après une téléportation ?!
— Mon Dieu ! m'égosillé-je soudain en agrippant ses avant-bras.
— Quoi ?!
Ses globes oculaires manquent de sortir de leurs orbites, ce qui n'est pas pour me rassurer.
— Est-ce que le passage peut avoir pour conséquence de m'amputer d'une partie du corps ? m'alarmé-je soudain.
— Hein ? Non, pourquoi ?!
Mon angoisse semble décupler la sienne. Et vice versa.
— Je peux égarer des molécules dans le processus ? Des atomes ? Des neurones ? Ou que sais-je encore ?! Saperlipopette ! De quoi est constitué le corps humain ? Je ne suis pas biologiste physicienne! glapis-je, ma voix se perdant dans les aigus.
Maintenant que j'y pense, je suis sûre d'avoir déjà entendu parler d'une telle éventualité. Il me semble que j'avais vu un reportage sur le sujet. Le gars se retrouvait de l'autre côté avec un membre en moins. Ça m'avait foutu la trouille.
Ou alors c'était dans un film ?
— C'est un portail, pas une téléportation, Kali ! C'est comme si tu franchissais une porte, ça n'aurait dû avoir aucune incidence. Pourquoi ?! Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Dis-moi où tu as mal, bon sang ! Pourquoi tu hurlais comme un putois il y a encore quelques secondes ? s'affole-t-il.
Un putois ? Bah, merci pour la comparaison !
Aaron se lance alors dans une palpation en règle de ma personne.
Ah... Bon... Ok, il est tout pardonné.
Il me tâte partout pour vérifier que je suis entière. Enfin, ça c'est ce qu'il essaie de faire croire, je suis certaine qu'en réalité, c'est une bonne excuse pour me peloter.
Chaque partie de mon corps y passe, ou presque. J'aurais d'ailleurs préféré qu'il s'attarde davantage sur certaines zones...
Il finit par stopper son manège et plonge à nouveau son regard dans le mien. Je luis souris de toutes mes dents. Il fronce les sourcils.
— Tu as oublié d'examiner un endroit plus au sud, l'avertis-je.
Un raclement de gorge nous interrompt.
— Hum... Bonjour ? intervient la magnifique amazone à la peau d'ébène qui se trouve derrière lui. Aaron ? Tu nous expliques ?
— Aby ! s'exclame-t-il en reprenant contenance à la vitesse de l'éclair.
Voici donc la fameuse guerrière en qui Ronron place toute sa confiance... Mouais... je l'ai à l'œil, celle-là.
En plus, elle est superbe. Je me rembrunis à ce constat. Je suis sûre que c'est louche.
Je fronce le nez et je plisse les yeux dans sa direction. Mais, j'arrête assez vite en me rendant compte que je donne plus l'impression d'être myope qu'autre chose.
Aaron semble prendre conscience que deux autres personnes occupent l'espace en plus d'Aby et nous. Et quand je dis qu'elles occupent l'espace, ce n'est pas un euphémisme. Je me sens soudain toute petite face aux quatre Dieux vivants qui m'entourent. J'ai l'impression d'être tombée au beau milieu d'un combat de gladiateurs géants. Des gladiateurs top models. Bien que plutôt pacifiques, à première vue.
En effet, le couple qui nous observe, et dont l'air soucieux s'est éclipsé au profit de la même expression amusée qu'Aby, parait sorti tout droit d'un concours de bodybuilders. En version nettement plus esthétique, cela va sans dire, et avec un bronzage naturel plutôt que cette crème criarde dégueulasse dont s'enduisent les culturistes avant chaque compétition.
Je n'ai jamais compris leur délire, mais s'ils veulent ressembler à des tartines de beurre de cacahuètes, après tout c'est leur choix.
Je suis tout de même heureuse que ce ne soit pas au goût des amis d'Aby.
L'homme, un beau brun au teint hâlé, me fixe comme si j'étais une créature extrêmement rare qu'il aimerait étudier de près. Je prends le temps de l'observer plus en détail à mon tour, avec beaucoup de satisfaction je dois dire, c'est un véritable éphèbe.
Hey ! Bonjour, toi ! Tu m'étudies quand tu veux.
Avec un étalon de son calibre dans le coin, mon séjour au Sénégal risque de se révéler plus divertissant que prévu.
De son côté, la femme qui l'accompagne me sourit comme si je venais de lui raconter la meilleure blague au monde. La jovialité se lit sur chacun de ses traits.
Elle n'a rien à envier à ses compères question beauté. Ses longs cheveux acajous retombent par vagues sur sa peau caramel... me donnant presque envie de croquer dedans.
Je regrette vraiment de ne plus être en possession de mon Smartphone, j'aurais aimé découvrir leurs affreuses bouilles pour contrebalancer leurs physiques plus que flatteurs.
Je note que les deux inconnus sont dotés des mêmes iris orangés qu'Aaron et Aby. Voilà qui explique un peu mieux leur stature hors norme. Je suis donc en présence de quatre Cairebéroces sur dix. Mon enquête sur le renégat va enfin pouvoir avancer.
— Thiago, Nyeleti, heureux de vous revoir, les salue mon cochon de service.
— Aaron, lui répondent-ils en cœur dans un hochement de tête respectueux.
— J'ignorais que tu avais de la compagnie, poursuit-il ensuite à l'attention d'Aby.
— J'aurais pu te mettre facilement au courant si tu m'avais prévenue de ta visite.
Sa phrase ne sonne toutefois pas comme un reproche, elle parait plus intriguée qu'autre chose par la raison de notre présence.
— Ouais... reconnait Ronron en se passant la main sur la nuque d'un air ennuyé. Les récents événements ont un peu bousculé mes plans et j'ai dû m'organiser au plus vite. On a dû faire face à pas mal de complications, dernièrement.
Le dénommé Thiago m'offre alors un sourire renversant.
— C'est ce qu'on a cru comprendre, intervient-il dans un charmant accent portugais. D'où cette réunion informelle. Cela dit, je ne m'attendais pas à rencontrer si tôt notre principal sujet d'intérêt. Je dois dire que je suis agréablement surpris...
Trois paires d'yeux se portent sur moi, en plus de la sienne.
— Putain à vous ! m'empressé-je de les saluer en m'apercevant que je ne me suis toujours pas présentée. Moi, c'est Kalimity Jane.
Aaron ferme les yeux, visiblement lessivé. Je crois qu'il ne résiste pas très bien à la traversée. Il n'y a qu'à voir comment il a pété un câble juste avant.
Non pas que je m'en plaigne. Il me touche comme ça quand il veut, ce cochon.
Il est peut-être en manque de sexe. Ça expliquerait pourquoi il recherche soudainement mon contact après l'avoir fuit pendant des jours. Avoir été interrompus par Enzo à l'aéroport, alors que nous étions si bien partis, a dû mettre ses nerfs à rude épreuve.
— Aby, aurais-tu une chambre de libre ? interpelle-t-il justement notre hôtesse.
Ah haa ! Qu'est-ce que je disais !
— Kali pourrait y installer ses affaires, le temps que je vous mette au courant des dernières nouvelles, termine-t-il en désignant ma valise licorne à ses pieds.
Hey ! Enfin un visage connu ! Je l'avais presque oubliée, ma toute belle !
En tout cas, c'est bien joué de la part de Ronron. Il brouille les pistes à merveille. Je lui fais un clin d'œil pour lui signifier que, pour ma part, j'ai bien capté le sous-entendu et que je suis plus que partante pour partager mon lit avec lui. J'espère qu'il ne tardera pas trop avant de me rejoindre dans la chambre.
— Bien sûr, répond la belle africaine d'un air affable avant de se tourner vers moi. Je vais charger Tidiane de te faire visiter les lieux. Je lui envoie un message pour le prévenir. N'hésite surtout pas à t'adresser à lui si tu as besoin de quoi que ce soit, Kali... mity, donc.
Oh ! Vraiment ?
J'ignore qui est ce Tidiane, mais je l'aime déjà.
— Je peux lui demander n'importe quoi ? rebondis-je pleine d'espoir.
— Heu... dans la mesure du possible, oui.
— Si je lui demande de me préparer des pancakes, il va le faire ?
— Eh bien, j'ignore s'il est très doué pour ça, mais tu peux toujours tenter le coup, me répond-elle amusée en finissant de pianoter sur son téléphone portable.
Ouiiii !
— Et un massage ? m'emballé-je. Il accepterait de me dénouer les muscles, si je lui en promets un en retour ?
— Aucun doute là-dessus, opine-t-elle avec un sourire en coin. C'est un vrai thiof. Tidiane ne se fait jamais prier lorsqu'il est question de soulager une jolie jeune femme.
— Oooh !
Je bas frénétiquement des paupières en imaginant la scène. Je crois que je viens d'avoir un orgasme psychique par anticipation. J'applaudis très fort mes futurs plans.
— Mais, bordel ! éclate brusquement Aaron en nous faisant tous sursauter. Il en est absolument hors de question !
— Gné ? Pourquoi ? déchanté-je sans comprendre.
C'est super cool les massages.
— Oui. Pourquoi, Aaron ? répète Nyeleti d'un ton mielleux.
— Parce que... putain ! Me faites pas chier ! s'emporte-t-il définitivement à bout de nerfs. Aby, tu dis à Tidiane de garder ses mains baladeuses dans son slibard et pas ailleurs. Quant à toi, Kali...
Il marque une pause, cherchant visiblement ses mots alors qu'il me pointe du doigt, l'air excédé. Je le regarde, un peu perdue, en attendant la suite.
— Tu préfères que je te le fasse à toi, ce massage ? m'enquiers-je en réalisant qu'il semble en avoir grand besoin. C'est pour ça que t'es tout grognon ?
— Quoi ? Non ! Je...
— Parce que, ça ne me dérange pas du tout, tu sais. Il parait que j'ai des mains magiques. On m'a même proposé un poste dans un salon une fois. J'ai refusé quand j'ai appris qu'on n'avait pas le droit de tripoter les clients plus que nécessaire.
— Je te sers de cobaye quand tu veux, intervient Thiago en le prenant de court.
— Mais vous avez tous pété un câble ou quoi ?! rugit Aaron.
— C'est le camembert qui dit au reblochon tu pues ! pouffé-je, fière de lui retourner son expression favorite.
Il me considère avec effarement. Mince, je crois qu'il n'apprécie pas que je lui pique ses idées.
Un jeune homme d'une vingtaine d'années, à la peau aussi sombre que celle d'Aby, déboule alors dans la pièce, tout sourire. Il doit avoir quatre ou cinq ans de moins que moi, à première vue. Il ne manque pas de charisme pour autant.
— Bonjour, tanta. Que puis-je faire pour toi en cette heure si matinale ? harponne-t-il Aby.
— Ah ! Tidiane, tu tombes à point nommé. Je te présente Kalimity, le renseigne-t-elle en me désignant. Pourrais-tu l'escorter dans une des chambres d'amis et lui faire visiter les lieux, s'il te plait ? Je remets notre Surrogata à tes bons soins.
Hein ? Sur Agatha ? C'est qui celle-là ?
Le dénommé Tidiane se tourne vers moi et me reluque d'un air appréciateur.
— Oh, mais avec grand plaisir, susurre-t-il.
Je lorgne ses mains. Elles sont grandes et elles me paraissent très douces. Exactement ce que je recherche !
— Non.
La réponse a claqué comme un éclair en plein soleil. Pour la seconde fois en peu de temps, nous observons tous Aaron et son air furibond, dans l'attente qu'il développe.
Vu la raideur dans ses muscles et sa mâchoire contractée, il a vraiment besoin de se détendre.
— Aaron... commence Aby en s'adressant à lui sur le ton qu'on emploierait face à un animal sauvage.
— Kali est fatiguée. La nuit a été mouvementée, elle a besoin de se reposer. Elle va aller dormir et je m'occuperai moi-même de lui faire visiter plus tard, tranche-t-il d'un ton sans appel.
Oh ! J'en suis toute émoustillée. En voilà un qui sait ce qu'il veut !
Son message codé est plus qu'explicite.
Enfin, j'espère que ça fait bien partie de son subterfuge pour s'isoler en ma compagnie et qu'il ne s'imagine pas réellement que je suis trop crevée pour passer aux choses sérieuses.
J'admets que ma nuit blanche commence à se faire sentir mais je suis toujours opérationnelle quand il s'agit d'incendier la chambre froide. Pour une fois qu'Aaron semble pressé de passer aux choses sérieuses...
À moins que ce ne soit lui qui soit crevé ? Merdouille, je ne l'avais pas envisagé.
— Ne crois-tu pas qu'il serait bon de consulter la principale intéressée avant de te prononcer à sa place, mon ami ? le tance l'amazone.
Aaron serre les dents et grogne dans son bouc avant de hocher la tête à contrecœur, après quoi il visse ses prunelles aux miennes.
— Kali ? m'interpelle-t-il le regard grave.
Je m'aperçois que tout le monde est maintenant pendu à mes lèvres.
Heu... C'est à moi de parler là ? C'est ça ? Zut, j'ai pas suivi.
Je ne sais pas quoi leur dire, moi.
Oh ! Si, je sais !
— C'est qui Agatha ? les interrogé-je fière de ma trouvaille.
— Agatha ? répète Thiago les sourcils froncés.
— Mais qu'est-ce que tu racontes ? s'irrite Aaron.
— Qui est Agatha ? s'étonne Tidiane sans comprendre.
— Aucune idée, répond Nyeleti pas plus avancée.
— À qui fais-tu référence, Kali ? me consulte Aby pour tenter d'éclaircir le mystère.
Ils souffrent tous de troubles de la mémoire immédiate, ou quoi ?
— Bah, j'en sais rien, moi. C'est toi qui y a fait allusion, souligné-je en la dévisageant avec méfiance.
— Moi ? dit-elle déconcertée. Quand ça ?
— À l'instant, quand tu t'es adressée à Tidiane ! l'attaqué-je. Tu voulais qu'on soit dessus.
— Quoi ?
Aby semble vraiment confuse, la pauvre. Peut-être qu'elle souffre réellement d'amnésie. Cette idée me fait de la peine.
— Je te rassure, ça n'avait pas plus de sens pour moi, la consolé-je.
— Oh... putain... lâche Aaron.
Il se colle la main sur le front et commence à se la passer sur tout le visage dans un geste si lent que ses paupières, ses pommettes, et ses lèvres donnent l'impression de tomber sous le contact de sa paume. On dirait un bulldog anglais, c'est plutôt marrant à voir.
— Surrogata, Kali, articule-t-il en levant les yeux au ciel.
— Ah ! Tu vois, tu recommences ! l'accusé-je.
— C'est le nom que nous donnons au porteur de l'Imperium.
— Oh ! réalisé-je alors ma méprise. Je me disais aussi, que la prononciation laissait à désirer.
— Otimo ! Vous avez fait ma journée, se marre Thiago en essuyant quelques larmes de rire qui commencent à perler au coin de ses yeux.
— Du coup, tu me suis ? me relance Tidiane, les yeux pleins de promesses.
— Toujours pas, répond Ronron à ma place.
— Aaron... désapprouve Aby en lui faisant les gros yeux.
— Ok, déclare-t-il en serrant les dents. Vous nous excusez cinq minutes ?
Après quoi, il attrape mon bras et s'isole avec moi dans un coin de la pièce à l'abri des oreilles indiscrètes.
***
Avis à mes lecteurs sénégalais : avez-vous des expressions ou des mots propres à votre pays que vous utilisez souvent à l'oral et que je pourrais inclure facilement dans mes dialogues, histoire de rendre le tout un peu plus immersif ?
J'ai fait quelques recherches de mon côté, mais ça ne vaut pas votre expérience. Du coup, si vous voulez bien m'aider sur ce point, je suis preneuse ^_^ Merci !
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