Chapitre 17-3

— Putain ! Mais c'est quoi ce bordel ?! nous salue le cairebéroce en entrant d'un pas vif avant de refermer la porte derrière lui.

— Tu es chez les dames, le préviens-je.

— Mais, merde ! C'est pas possible ! m'ignore-t-il en s'arrachant les cheveux.

— Bah, si. Je t'assure. Tu n'as pas vu la petite pancarte avec le bonhomme qui porte une cape ?

— Je ne peux pas te laisser seule deux secondes, sans que ce soit un foutoir sans nom ! me hurle-t-il dessus sans raison.

— Oh, c'est bon, rabat-joie ! Je vais la ramasser cette poubelle, le tranquillisé-je en comprenant ce qui le met dans cet état. Espèce de maniaque, va !

— Merde, Kali ! C'est pas un jouet !

— Bah non, c'est une corbeille. Note, qu'on peut aussi s'en servir de panier de basket. Je mets d'ailleurs ma main à couper que certaines voyageuses se sont déjà amusées à tirer des lancers francs avec leurs mouchoirs.

J'espère qu'elles ne l'ont pas fait avec leurs tampons ou leurs serviettes hygiéniques... J'ai soudain un peu de peine pour la harpie salement parfumée que je viens de freezer.

— Tu... t'es... Rhaaa !

Aaron a manifestement du mal à trouver ses mots.

Il subtilise, pas très subtilement, la baguette des mains de Marge, qui lui tire la langue en retour. Après quoi, il la range violemment dans mon sac, me fait reculer contre le lavabo, et me coince entre ses deux bras dont les muscles sont contractés à l'extrême. Il a l'air super farouche.

Serait-ce les prémices de l'explosion tant attendue ?

— Marge, déglutis-je. Laisse-nous, s'il te plait. Je crois qu'il est cuit à point.

— Avec plaisir ! Mais vous feriez mieux d'attendre d'être dans l'avion pour vous envoyer en l'air. Ce sera de circonstance, glousse-t-elle avant de quitter les lieux sous le regard sidéré de Ronron.

Hé ouais, mon cochon, ma BFF est superspicace, on ne peut rien lui cacher.

— Tiens, c'est marrant, ça ! m'extasié-je soudain. En parlant de cochon, je viens de me rendre compte qu'ils font « ron ron » quand ils parlent, ça colle super bien avec ton surnom.

Aaron entreprend alors une série d'exercices de relaxation en respirant profondément plusieurs fois de suite. Ça dure bien deux minutes avant qu'il ne m'adresse à nouveau la parole.

— La baguette d'Ypnos est une relique ancestrale, articule-t-il en détachant chaque mot comme s'ils lui brûlaient la langue.

Heu, d'accord... Mais, rien à voir avec la choucroute.

Il est visiblement très troublé par la proximité de nos deux corps imbriqués. Je sens sa cage thoracique monter et descendre douloureusement à chacune de ses inspirations. Ses yeux me jettent des éclairs.

— Elle a plus d'un millénaire, poursuit-il d'une voix spectrale. Tu dois en prendre extrêmement soin et ne laisser personne la tenir à ta place.

— Et ta baguette, à toi ? Personne ne doit la tenir à ma place, non plus ? osé-je l'interroger d'une petite voix.

Il ferme les yeux, souffle par le nez, et émet un petit bruit de gorge ultra hot qui me contracte involontairement l'entre-jambe.

— Ok, on se calme, tente-t-il de se maîtriser, les paupières closes. Dis-moi que tu n'as pas révélé à Margarita l'endroit où nous nous rendons.

— Moi que tu ne pas révélé à Margarita l'endroit où nous nous rendons, répété-je consciencieusement.

Aaron rouvre les yeux pour les planter brusquement dans les miens.

— Kali, me prévient-il.

— Ron ron.

Je sors le bout de ma langue pour humidifier mes lèvres. Son regard se braque instantanément sur ma bouche.

Oh, misère...

La porte des toilettes s'ouvre à ce moment là, sur une mère et sa fille qui nous observent comme deux ronds de flan... nous, puis la vieille bique et son drôle de chapeau, qui gît au sol dans une position peu flatteuse.

Aaron se redresse rapidement. Il jette à son tour un coup d'œil sur la belle-au-bois-dormant à nos pieds. Puis, il affiche une mine désolée.

— Les dégâts de l'alcool, déplore-t-il en secouant la tête.

Il me prend par la main et m'entraîne à l'extérieur, le pas pressé.

Crotte ! Encore raté.

La porte des toilettes a à peine le temps de se refermer qu'Aaron me plaque derechef contre un des murs qui entourent les sanitaires.

Je ne m'en plains pas, mais il va finir par m'aplatir les fesses à force de me les coller sur toutes les surfaces qu'il croise.

Un groupe de jeunes à proximité nous siffle. L'un d'entre eux mime un mouvement du bassin, en affichant un air goguenard. Amusée par sa performance, je m'apprête à lui répondre mais Aaron fait aussitôt diversion... en plaquant ses lèvres sur les miennes.

Oh ! Purée de nom d'une pipe en boite aux lettres d'amour à trois petits chapeaux de paillassomnambulletintamaraboutficelle...

Le baiser se termine bien trop vite, je n'étais pas du tout préparée, je n'ai même pas eu le temps d'aller jusqu'au bout de ma comptine.

— Maintenant que j'ai toute ton attention, ronronne-t-il en m'épinglant sous son regard de braise, j'aimerais que tu me répondes. As-tu révélé à ton amie que nous comptions nous rendre au Sénégal ?

— D'accord, chuchoté-je pour lui faire plaisir.

C'est tout comme il veut. Je ne suis pas contrariante.

— Bon sang, Kali ! Tu ne m'aides pas du tout, là !

— Oui.

— Oui, quoi ? Oui, tu lui as dit ?!

— Dis quoi ?

— Putain de... hmxglorpf, fulmine-t-il en contractant la mâchoire.

Je ne suis pas très sûre pour son dernier mot, mais ça ressemblait beaucoup à hmxglorpf, en tout cas.

Aaron, paraît très remonté contre cette chose. Il baisse les yeux, respire fort, puis semble enfin se reprendre après avoir lâché quelques jurons dans son bouc. Il redresse la tête et colle son front contre le mien, avant de m'envoûter grâce à ses prunelles hypnotiques.

— Est-ce que, oui ou non, Margarita est au courant pour Dakar ?

— Non, gémis-je.

Je suis heureuse de ne pas avoir à formuler une phrase complète. J'en aurais été bien incapable.

Je fixe sa bouche, espérant qu'elle revienne goûter la mienne au plus vite. Je colle un peu plus mon crâne au mur, et je me mets sur la pointe des pieds pour lui faciliter l'accès. Il a vraiment bon goût, c'est trop sadique de ne m'en offrir qu'une bouchée.

— C'est très important, Kali. Il faut que je sache si je dois changer nos plans ou pas. Tu es bien certaine que l'information ne t'a pas échappée par mégarde ?

— Oui, oui. Je te le jure. Je suis une carpe. Tu peux recommencer à m'embrasser, maintenant.

Il semble se pencher sérieusement sur la question, son regard faisant plusieurs allées et venues entre mes lèvres et mes yeux.

Alors qu'il est sur le point d'exaucer mon vœu, une voix taquine vient interrompre ce moment parfait :

— C'est bon les amoureux, je n'avais pas besoin de ce type de démonstration pour être convaincu que vous ne jouez pas la comédie. Vu la tension sexuelle qui règne entre vous, il faudrait vraiment être aveugle pour douter de votre attirance l'un pour l'autre.

Je repère Enzo et son sourire moqueur dans le dos d'Aaron. Je ne m'étais même pas rendue compte qu'il était tout près. Cela dit, je ne peux qu'approuver son constat. Aaron est chaud bouillant aujourd'hui.

Je note que Margarita et Sven se sont également approchés.

— Ils viennent d'annoncer l'embarquement pour votre vol, annonce justement le blondinet en toussotant. Vous devriez vous dépêcher.

Le cairebéroce pousse un soupir de frustration.

Je le comprends, moi aussi j'aurais aimé prolonger cet instant féerique.

T'inquiète pas, mon doudou. Ce n'est que partie remise.

Ronron se retourne vers nos camarades, en passant son bras autour de mes épaules.

— Bien, déclare-t-il. Je crois qu'il est temps de vous dire au revoir. Margarita, Enzo, j'ai été heureux de faire votre connaissance.

— Contre toute attente, moi aussi, approuve mon pote de drague. Si j'ai pu émettre des réserves au départ, il n'y a qu'à voir comment vous vous dévorez du regard pour savoir que vous êtes tous les deux complètement mordus. Je compte sur toi pour prendre soin de notre Kaka internationale. Ramène-la-nous en un seul morceau.

Je sens les muscles d'Aaron se contracter contre moi, mais l'expression de son visage ne laisse rien paraître de la tension qui l'habite. Je baisse le regard sur son entrejambe pour voir si l'endroit est plus causant que son faciès, il y a bien une bosse mais son pantalon n'est pas assez moulant pour que je puisse déterminer si c'est normal ou non.

— Ouais, intervient Marge. Je te préviens, si j'apprends qu'elle a souffert par ta faute, ou que tu nous la rends amochée, même l'apocalypse sera une douce caresse en comparaison du sort que je te réserve. En attendant, je n'hésiterai pas à m'acharner sur ton copain ici présent.

Soudain blême, Sven considère le petit bout de femme qui se tient à côté de lui avec horreur. Je crois qu'il n'est pas loin de la syncope.

Pendant ce temps, Aaron et Margarita s'observent en chien de faïence, comme deux cowboys de western en plein duel. Puis, ils finissent par hocher la tête chacun leur tour, ayant apparemment trouvé un terrain d'entente. 

Je suis heureuse qu'ils n'aient pas dégainé en plein milieu de l'aéroport. Je ne sais pas pour Aaron mais, connaissant mon amie, elle ne se serait sans doute pas contentée d'un simple pistolet comme arme. Le bazooka, c'est plus son style.

Ma pizza d'amour ne peut s'empêcher de froncer une dernière fois les paupières dans sa direction, avant de venir me prendre dans ses bras.

— Fais attention à toi, m'ordonne-t-elle. Et donne-nous de tes nouvelles !

— J'aimerais bien, mais je n'ai plus de portable, la renseigné-je désolée.

— T'auras qu'à emprunter celui de ton fiancé, propose Marge en offrant un sourire adorable à l'intéressé.

— Je vais lui en racheter un ! s'empresse-t-il de répondre, pour mon plus grand plaisir.

C'est la meilleure nouvelle du siècle !

— Avec une coquoreille ?! m'extasié-je.

— Avec une coquoreille.

— Yiiiii !

J'entame un petit mouvement de danse, auquel Ronron met rapidement fin pour me rappeler que nous devons y aller.

Après un dernier câlin à mes amis, et à Sven, qui me fait l'effet d'un pantin désarticulé lorsque je le serre fort contre mon cœur, Aaron et moi nous dirigeons vers les tapis roulants du poste de sécurité.

Je me demande si les agents de sûreté accepteraient que je passe sous le scanner en même temps que les bagages... J'aimerais bien savoir ce que donne mon corps en rayons X.

Malheureusement, le cairebéroce me fait bifurquer dans un recoin que je n'avais pas vu, juste avant la zone de contrôle. Je n'aurais pas la réponse à cette question aujourd'hui. Tant pis.

Nous franchissons toute une série de portes et de couloirs secrets avant de descendre un dernier escalier pour atterrir enfin dans la salle où est censée se trouver la légendaire porte des étoiles.

Elle est bien moins tape-à-l'œil que ce que je m'étais imaginée. En fait, elle est plutôt tape-toi-le-front-contre-les-murs. On dirait une cellule capitonnée mais sans les matelas pour amortir les chocs.

C'est une pièce complètement vide, très mal éclairée et sans aucune décoration, si ce n'est une sorte de tablette en béton qui ressort du mur du fond et que j'aurais facilement pu confondre avec un plan à langer. 

Une arche sans fioriture à été creusée dans le mur, à sa droite... c'était juste avant que ses constructeurs ne reviennent sur leur décision et se décident à la murer, visiblement. Des grosses briques la remplissent de haut en bas.

La seule touche de couleur dans cette ambiance morose, provient de ma valise licorne qui est posée au milieu de la salle.

Aaron s'avance vers le coin bébé et commence à dessiner à l'aide de son doigt sur la surface de la tablette. Il doit se prendre pour un maître calligraphe.

En m'approchant pour distinguer un peu mieux ce qu'il fait, je remarque que la pierre s'éclaire en violet sous son contact, laissant apparaître, de manière éphémère, le même genre de glyphes que ceux que j'avais déjà pu repérer sur le feu fiolet et les autres objets mystiques que Raph m'avait fait tester.

— C'est joli, remarqué-je.

En plus, ça a l'air fun.

— Je peux jouer ?

— Non, répond Aaron catégoriquement.

Apparemment, toute la magie de notre baiser s'est envolée. Aaron le cochon a laissé sa place à Aaron le troufion.

— Et, sinon, tu fais quoi au juste ? me renseigné-je pour passer le temps.

— Je rentre les coordonnées du refuge de Ngor.

— Oh ! Trop cool ! Ça veut dire que tu peux en rentrer d'autres ? On pourrait se rendre n'importe où dans le monde ?

— Non, me détrompe-il, concentré. En dehors des dix refuges Filii Gê et de la porte des enfers dont l'accès n'est opérationnel que le jour de la Syndesi, les portails sont reliés à un nombre de destinations restreint. 

— Il y a dix refuges ? répété-je, impressionnée.

— Dix enfers, dix kerberos, dix refuges, récite-t-il sur le ton d'un professeur excédé par son élève peu attentif.

Pourtant, je n'ai jamais été plus studieuse qu'en cet instant. Mes écoutilles sont grands ouverts pour enregistrer toutes les informations que je peux grappiller afin d'enrichir mon encyclopédie.

— Ils sont situés où ? m'informé-je ainsi avec application.

— Un peu partout à travers le monde.

— Dans quels pays exactement ?

Il grogne pour la forme mais accepte tout de même d'éclairer ma lanterne :

— France, Sénégal, Canada, Japon, Russie, Inde, Australie, Afrique du Sud, Chine, et Brésil.

— La classe ! On va tous les essayer ?

— Non.

— Pourquoi ? me renfrogné-je.

Aaron me jette un coup d'œil autoritaire. Il incarne vraiment bien son rôle de professeur grognon.

— Parce que je te rappelle qu'il y a un traître parmi les Kerberos et que nous ignorons toujours duquel des dix il s'agit.

— Pourtant, tu nous envoies bien chez ta copine, Baby, là.

— Aby est innocente.

— Comment peux-tu en être sûr ?

— Parce que, tranche-t-il sans s'encombrer d'explications. Tiens-toi prête, le vortex va s'ouvrir et le passage ne peut être emprunté que durant un court instant. Après quoi il lui faudra plusieurs heures pour se recharger. Alors, par pitié, fais ce que je te dis, et ne loupe pas le coche.

— Oui, mon général ! acquiescé-je, au garde-à-vous.

Aaron trace un dernier symbole sur la pierre, puis il nous fait reculer devant l'arche.

— Tu es conscient que cette porte est murée ? l'alerté-je au cas où.

Il se contente d'un sourire en coin pour toute réponse.

C'est mieux que rien.

Le contour des pierres qui comblent l'ouverture face à nous s'illumine soudain du même violet électrique que celui des glyphes dessinés par Aaron. Puis, elles se désintègrent toutes, les unes après les autres, pour laisser apparaître un vortex impressionnant dont la série Sliders, les mondes parallèles semble s'être directement inspirée.

C'est prodigieux. Et, légèrement flippant, aussi.

Je m'approche à pas de souris pour mieux appréhender cette matière — ou non matière ? — qui tourbillonne sous mes yeux.

Je sens alors deux grosses paluches se poser sur mes omoplates et me pousser énergiquement en avant, m'arrachant un cri interminable.

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