Chapitre 13
Ça doit bien faire une heure qu'on tourne dans les rues de la station balnéaire, sans aucun point de chute en prévision. J'ai eu beau rappeler à Aaron que toutes mes affaires étaient restées à l'hôtel, y compris la baguette d'hypnose, ce gros dindon a tout de même tenu à prendre la route.
Je suis super heureuse.
Notre véhicule vient de passer devant le même croisement pour ce qui doit être la centième fois depuis notre départ. Je peux maintenant vous dire très exactement combien de crottes de chien badigeonnent le trottoir.
Ah, tiens ! On change de rue.
Aaron a dû finir par se lasser du quartier. Ou bien il a senti les emmerdes arriver en voyant cette petite mamie, accompagnée de deux policiers, nous montrer du doigt d'un air suspicieux.
À moins qu'il ne lise dans mes pensées.
Je l'observe scrupuleusement.
J'ai envie de toi.
Un oiseau t'a chié sur la tête.
C'est normal cette tâche jaune sur ton pantalon ?
Je crois que la magica boule est en train de remonter.
Je suis ton père.
Aucune réaction.
Bon, bah, faut croire que la télépathie est à rayer de la liste de ses pouvoirs.
Je reprends mon étude du paysage en chantonnant.
Au départ, j'ai eu peur qu'Aaron me ramène chez les filigays sur le champ, mais il s'est contenté de tourner en rond sans jamais passer les frontières de la ville, pour le moment.
Nous roulons donc.
Sans but.
Aaron semble s'être découvert une soudaine passion pour le tourisme. Il doit se prendre pour un car-tour ou un truc du genre... sauf qu'il n'y a aucun guide embarqué pour nous détailler les différents sites que nous croisons. Je dois dire que cette excursion est plutôt nulle à chier.
À choisir, je préfère les petits trains.
Et dire que je ne m'étais même pas inscrite pour cette sortie...
— Je te préviens, ne compte pas sur moi pour te mettre une bonne note sur TripAdvisor.
Je lui jette un coup d'œil furtif. Son expression est toujours aussi maussade qu'il y a quelques minutes. Les mâchoires serrées, il tient le volant d'une main et se masse la tempe gauche de l'autre, son coude appuyé contre le rebord de sa fenêtre ouverte.
— Tu as mal au crâne ? je m'enquiers.
Il me retourne un coup d'œil excédé et souffle par le nez.
Ok. Au moins il respire.
Et, il m'a regardée. C'est plutôt bon signe. Ça vaut toujours mieux que d'être ignorée.
Un premier pas vers le dialogue semble s'être finalement enclenché.
Après sa séance de boudin boudeur, Aaron n'a pas desserré les lèvres une seule fois, si ce n'est pour m'avouer que non, il n'avait pas réellement torturé Margarita.
Je crois que c'est de me voir me jeter sur lui comme une furie pour lui faire payer son outrage à mon amie qui l'a poussé à me révéler la vérité.
Ça devait certainement l'amuser de me sortir cette énormité sur le moment, histoire de me faire culpabiliser. Il n'a sans doute pas aimé que je l'abandonne au refuge sans un au revoir.
A mon avis, le cairebéroce est plus attaché à moi qu'il ne veut bien le faire croire.
En fait, suite à mon départ, Aaron a bel et bien demandé à Marge où je me trouvais, mais elle l'a fait tourner en bourrique en le dirigeant vers différentes fausses pistes.
De ce que j'ai compris, elle l'a envoyé jusqu'au fin fond de la Savoie, près du Parc National de la Vanoise, avant qu'il ne réalise à quel point elle se fichait de lui.
Je me suis d'ailleurs demandé pourquoi ma BFF ne s'était pas vanté de ses exploits auprès de moi, de son propre chef ; puis je me suis souvenue que mon portable était tombé en rade quelques heures après mon arrivée dans le sud. Cela va faire trois jours que je ne l'ai pas rechargé.
En désespoir de cause, Aaron a donc utilisé ses méninges. Il s'est rappelé que j'avais mentionné mon désir de vacances ainsi qu'un hôtel dans lequel je prévoyais de séjourner prochainement.
À partir de là, il n'a eu qu'à fouiller mon appartement pour dénicher l'info qu'il cherchait. Sous la forme de plusieurs dizaines de cartes postales comportant les coordonnées de l'hôtel. Ça m'apprendra à les fourrer dans mon sac par paquets à chaque fois que je viens ici.
Pour ma décharge, elles sont toutes pré-timbrées. Ce qui représente une sacrée économie. Et je suis sûre que les impôts et les différents organismes collecteurs sont ravis de recevoir des demandes de remises gracieuses sur des supports un peu plus gais que la sempiternelle lettre tapuscrite.
Je reporte mon regard vers l'extérieur.
Bon, ce n'est pas que je m'ennuie, mais je commence à avoir la dalle.
— Oh ! Mon Dieu ! hurlé-je tout à coup. Aaron ! Stoppe la voiture !
— Pourquoi ?! crie-t-il à son tour, tous les sens aux aguets. Qu'est-ce que tu as vu ?
— Arrête-toi ! Vite !!
— Mais que se passe-t-il à la fin ?! s'alarme-t-il en pilant net en plein milieu de la rue.
— Quel jour on est ?
— Quoi ?
— Quel jour ?! le pressé-je.
— Putain ! J'en sais rien. Samedi, je crois !
— Ouiiiii ! dis-je en frétillant de joie.
J'ouvre ma portière et je me rue à l'extérieur, détalant vers le trottoir d'en face.
— Kali ! aboie Aaron. Bordel ! Kali, reviens ici tout de suite !
J'entends des pneus crisser ; plusieurs klaxons ; un certain cairebéroce qui jure à n'en plus finir ; mais je ne perds pas de vue mon objectif principal. Rien ne se mettra entre mes précieux et moi ! Mouhahaha !
Je suis euphorique. C'est le plus beau jour de ma vie !
Une main m'empoigne le bras avant que je n'ai pu franchir les portes du « DO NUT say no ».
Je me retourne vivement face à Aaron et lui montre les dents.
— Grrrr ! rugis-je.
— Mais, qu'est-ce que tu fabriques ?! explose-t-il. On n'a pas le temps de s'arrêter pour une sucrerie !
— On a toujours le temps pour une sucrerie ! le détrompé-je. Surtout le samedi, le deuxième donut est gratuit !
— Bordel, Kali ! On a autre chose à foutre que de s'enfiler un putain de beignet troué !
Han ! Quel manque cruel de considération pour cette merveilleuse invention gustative !
— Ah oui ? le défié-je en croisant les bras. Comme quoi ? Faire trois nouveaux tours du pâté de maisons, peut-être ?
— Je pensais plutôt à éviter une apocalypse. Tu te souviens ?
— Oh, ça va ! Rabat-joie ! La synthèse n'a lieu que dans trois mois. On a tout le temps de voir venir.
— Quatre-vingt-neuf jours, pour être exact. Qui vont passer à une vitesse folle...
Wow ! Parce qu'il a fait le calcul, en plus ?
— C'est bon, Rain Man, ils ne vont pas s'écouler dans l'heure qui suit. Et tu l'as dit toi-même, je suis trop badass. Mon entrainement ne sert à rien parce que mon esprit est unique.
— Je n'ai jamais dit ça ! s'indigne-t-il, visiblement scandalisé.
— Bof, toi ou Freja, c'est pareil.
— Je suis certain que Freja ne t'a jamais qualifiée de « badass » non plus. Elle ne connait même pas le terme.
— On s'en bat l'œuf, Ronron ! Le fait est que nous ne pourrons pas agir avant le 3 décembre. C'est dans mon Google agenda, c'est bon, sois rassuré. Je ne louperai pas le feu d'artifice.
— Tu ne voudrais pas être posée et responsable, pour une fois dans ta vie ? me sermonne-t-il comme si mon estomac n'était pas un sujet sérieux.
— Et toi ? Tu ne voudrais pas l'être un peu moins ? lui rétorqué-je en redressant le menton. Franchement, tu ne profites jamais des bonnes choses ? Si la fin du monde doit avoir lieu, autant vivre nos derniers jours sur Terre à fond, non ?
— Elle n'aura pas lieu, puisqu'on va tout faire pour l'en empêcher.
— Bah voilà ! Il n'y a pas de quoi fouetter un chat, dans ce cas !
— C'est très sérieux, Kali !
— Non, c'est toi qui es trop sérieux ! dis-je en pointant un doigt sur sa poitrine.
Mince, il a de ces pectoraux...
— Ton problème, repris-je en continuant à tâter de la solidité de ses muscles, c'est que tu ne sais pas t'amuser. La preuve, tu ne souris jamais. Tu as toujours ton maudit balai bien enfoncé dans ton derrière, et il n'est pas prêt de s'en déloger si tu continue sur cette lancée.
Il écarquille les yeux d'un air choqué.
— Je n'ai...
— C'est toujours boulot, boulot, boulot, avec toi, l'ignoré-je en poursuivant sur ma lancée. Il faut savoir varier les plaisirs. Tu es au courant qu'il y a une vie en dehors de ta mission sacrée ? Qu'il existe mille et une délices qui ne demandent qu'à être découvertes ?
Je le sens défaillir peu à peu. Il commence apparemment à intégrer mes paroles.
— Je suis sûre que tu es toujours puceau, conclus-je, fière de ma démonstration.
— Mais non ! se récrie-t-il, outré.
— Si, tu es puceau des humaines. C'est Brienne qui l'a dit.
— Quoi ?! Qui est cette Brienne ? Et qu'est-ce qu'elle t'a raconté d'autre ?
— Allo ! Brienne, la vipéris !
Il ne suit plus du tout, là...
— La vipé... Bordel ! Kali ! Attends !
Je ne l'entends déjà plus. J'ai profité de son bug apparent pour m'engouffrer dans l'antre des plaisirs.
À moi les donuts aux glaçages fraise, framboise, et caramel ; fourrés aux 3 chocolats ; décorés de marshmallows, spéculos et M&M's ; saupoudrés de pépites de sucre colorés...
J'en bave déjà.
Je m'installe à une table, côté rue, et j'attrape une carte sans plus attendre.
Aaron me rejoint et s'installe face à moi en grinçant des dents.
— Putain, tu fais chier.
Je lui offre un grand sourire. Puis, je redresse presque aussitôt la tête avant de la tourner vers l'extérieur lorsque mon attention est soudain attirée par l'apparition d'une camionnette aux motifs festifs :
« Aujourd'hui, profitez des attractions du Luna Park jusqu'à deux heures du matin pour une nocturne exceptionnelle... » scande le conducteur dans un porte-voix, par-dessus une musique de fête foraine.
Le sourire que j'affichais déjà ne cesse alors de s'élargir. Je dois avoir la même expression niaiseuse que celle qu'arbore Flash, le paresseux de Zootopie, quand il comprend enfin la blague de la chamelle à trois bosses.
J'ai à peine le temps de me tourner vers Aaron qu'il me devance déjà.
— N'y pense même pas, me met-il en garde.
— Oh que si ! le détrompé-je, aux anges. Tu vas voir, je vais t'apprendre à t'éclater et on commence ton apprentissage dès maintenant ! Un peu de concentration, Recrue, choisis ton donut !
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