Chapitre 10

Je lorgne le sac de sport qu'Aaron a jugé bon de laisser à ma portée sans aucune instruction ou autre forme de mise en garde.

Inspecter son contenu de plus près me démange depuis sept bonnes minutes. C'est le temps écoulé depuis que mon hôte aux yeux flamboyants m'a abandonnée en plein milieu du tatami.

Il essayait peut-être de me faire passer un message en me laissant seule face à cette tentation de tissu rempli d'objets magiques. Franchement, qui resterait de marbre en présence du sac de Mary Poppins ?

C'est probablement un test !

Faut-il que je l'ouvre et que je commence l'entraînement toute seule ? Ou bien dois-je me contenter de poireauter en le contemplant sans bouger ?

Je me ronge les cuticules en pesant le pour et le contre de chacune des deux options.

Bon, allez, je me lance !

J'amorce un pas vers ma cible... et je me replie aussitôt en percevant un déplacement d'air dans mon dos.

— Bien, reprenons, déclare Aaron en revenant se placer face à moi.

— Déjà ? je m'étonne. Mais... et Raphaël ?

— Problème réglé, annonce-t-il froidement.

— Quoi ?! m'écrié-je consternée. Tu es en train de me dire que tu l'as zigouillé sans autre forme de procès ?

— Non, Kali. À défaut de te décevoir, le meurtre n'est pas toujours la solution retenue en cas de conflit. Il ne fait d'ailleurs pas partie de nos méthodes de prédilection. Bon, on s'y remet ?

— Heu... d'accord. Mais, du coup, il est où Raph ?

— Son sort repose désormais entre les mains de la Veteris, grogne-t-il. Et c'est la dernière question à laquelle je répondrais sur ce couard, alors économise ta salive et préoccupe-toi plutôt du miroir.

Jolie, la rime !

Mais bon, dommage, je l'aimais bien le rouquin. J'espère que la Vipéris ne se montrera pas trop cruelle envers lui. Je suis sûre que, sous ces airs de mamie gâteau, se cache une impitoyable sorcière.

J'ai bien compris que Raphaël n'était pas censé me montrer ces objets bizarroïdes et qu'Aaron avait une dent contre les nonos. Mais il n'y a pas mort d'homme. Enfin... on n'en est pas passé loin, c'est vrai. Mais tout de même.

Je me demande si mon sensei improvisé n'est pas jaloux, tout simplement.

Il regrette peut-être d'avoir manqué l'occasion avec moi ? Ou alors il avait des vues sur Raph, lui aussi ?

Après tout, ce n'est que lorsqu'il a appris qu'on était sur le point de coucher ensemble, qu'il a véritablement pété un plomb...

Cela dit, il n'aurait certainement pas remis Raphaël aux mains de la vieille viking s'il en pinçait pour lui. Nan... là, il donne plutôt l'impression d'écarter la concurrence...

Ouais. C'est sûr. Il me veut.

— Oh ! Kali ! Tu m'écoutes ? me réveille Aaron en agitant vivement sa main sous mes yeux.

Je lui souris franchement.

— T'en fais pas, je le rassure. Entre toi et moi, il y aura toujours moyen.

— Ravi de le savoir. Bon, tu te souviens comment on s'en sert ?

— Capiche ! dis-je dans un salut militaire. Le devoir avant le plaisir !

J'avise enfin l'objet qu'il me tend.

— Bah... je crois ? dis-je d'une voix peu assurée pour répondre à sa question précédente.

— Tu te concentres et tu visualises un endroit de ton choix. Le mieux c'est que tu reprennes le même qu'hier. Ça nous permettra de voir s'il y a une évolution, même minime. Ce qui serait déjà bon signe. Mais, ne t'inquiète pas si ça ne fonctionne pas du premier coup, c'est rarement le cas au début. Ton pouvoir s'affinera avec le temps.

Finalement, je crois que je vais aimer l'avoir pour professeur. Ce serait l'occasion de mettre en pratique l'un des fantasmes les plus répandus au monde.

Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Aaron insiste autant pour débuter mon apprentissage.

— Allez, c'est quand tu veux, m'enjoint-il.

Ok... puisque qu'il insiste... Il ne va pas être déçu !

J'attrape le miroir et je réitère les mêmes gestes que la veille avec une idée bien précise de ce que je veux voir se refléter sur la surface.

Le contenu de mon tiroir à sextoys apparaît en un clin d'œil. C'est bien plus rapide que la première fois, et bien plus net aussi. Les bords ne sont plus du tout flous.

Je relève la tête vers Aaron, un sourire satisfait sur les lèvres.

Et je le perds d'un coup en avisant la tronche qu'il tire. Il me scrute, sidéré, comme si j'étais un monstre de foire extrêmement repoussant. Ou attirant. Ou repoussant. Ou...

Bon, il n'en a pas marre de changer d'expression toutes les deux secondes ?

Je commence à avoir la tête qui tourne, à force... « Profites-en pour regarder ton cul » m'aurait certainement rétorqué Mamé. Malheureusement, elle n'est pas là.

Probablement en train de folâtrer avec Kader.

J'aurais peut-être dû opter pour autre chose que ce tiroir... j'ai l'impression qu'il embrouille complètement l'esprit d'Aaron. Sans parler du mien...

— C'est mon canard rose à froufrous qui pose problème ?

— Tu t'es entraînée combien de temps, au juste ? m'interroge-t-il sans prévenir.

— Heu... aucune idée, bafouillé-je, déstabilisée. Pas plus d'une minute, je dirais. Je n'ai testé qu'une fois.

— Une fois, répète-t-il. C'est tout ?

— Bah... oui...

Il me dévisage encore plus longuement, muet de stupeur.

Puis, il s'empare du miroir que je tiens toujours à la main, m'attrape par le bras, et me traîne à sa suite en remontant les escaliers d'un pas leste. Enfin, leste pour lui. Le mien est plutôt bringuebalant... en étant indulgente.

— J'ai fait quelque chose de mal ? je l'interroge en tâchant de ne pas buter sur chacune des marches que nous foulons.

Aucune réponse.

Aaron-L'impétueux continue de me tirer à travers tous les étages, comme s'il avait le diable aux trousses.

Je regarde derrière moi pour m'assurer que ce n'est pas le cas.

Ouf ! Aucune corne ou queue fourchue à l'horizon. Ni le moindre bruit de sabot.

Le fou-furieux nous fait ensuite traverser la bibliojungle jusqu'à piler net dans le bureau de Freja.

— Aaron ? Kali ? nous accueille-t-elle déroutée. Que se passe-t-il encore ?

— Coucou, je lui lance dans un petit mouvement de ma main libre.

Je scrute les environs à la recherche de Raphaël mais je ne le vois nulle part. A moins que Freja le cache dans sa culotte, elle s'est déjà débarrassée de lui. Il est sans doute en route pour les oubliettes à l'heure qu'il est.

— Refais-le, exige Aaron en me plaçant la psyché entre les mains.

— Heu... le contenu ne risque pas de choquer ta presque mère ? T'es sûr ? je m'enquiers.

— Vas-y, confirme-t-il avec ferveur.

Devant son air déterminé, je ne me fais pas prier. Après tout, Freja en est témoin, c'est lui qui me pousse au vice.

J'inspire, et je recommence mon manège pour leurs beaux yeux bizarres. Oranges pour Aaron, violets pour la vieille viking.

L'image de mes jouets préférés se révèle sur la surface polie pour la troisième fois en moins de vingt-quatre heures. Ils n'auront jamais été aussi populaires.

Profitez bien de votre instant de gloire, mes chouchous. Vous n'aurez pas souvent un public aussi disparate.

— Prodigieux, commente Freja en applaudissant presque devant ma performance.

— C'est juste impossible, renchérit Aaron.

— En fait, ce n'est pas si surprenant, déclare l'ancienne.

— Qu'est-ce que tu veux dire ? C'est bien la première fois qu'on assiste à ce genre de phénomène.

— Kali est une personnalité assez unique en son genre, s'explique-t-elle. Je pense que sa façon de penser si... singulière l'aide à s'adapter beaucoup plus facilement. Elle a accepté l'idée d'un autre monde très aisément, et c'est cette propension à s'ouvrir à l'inconnu qui l'aide à assimiler le pouvoir de l'Imperium de façon si naturelle. Je ne l'avais pas vu venir... mais nous pouvons nous considérer chanceux que ce soit tombé sur elle.

— Oui, enfin, n'oublions pas que sans elle, ce ne serait jamais arrivé non plus...

— Heu... Oh hé ! Je suis là, je leur rappelle en levant le doigt. Vous pourriez m'expliquer ?

— Pardonne-nous, Kali, s'excuse la Vipéris sans rien perdre de son engouement. Ta prouesse est tellement inhabituelle que nous en oublions tout savoir vivre.

— Ma... prouesse ?

Ce mot et moi dans une même phrase me fait un peu buguer.

— Tu n'aurais jamais dû pouvoir faire apparaître une image aussi précise pour ta première fois, et encore moins dans un cadrage si rapproché. Le contenu d'un tiroir... c'est tout simplement du jamais vu. En général, seuls les Kerberos les plus entraînés y parviennent. Et ce, après de longues années.

Trop de la balle !

C'est vrai que je déchire ! Je suis carrément une Kali version 3.0, là.

J'ai réussi à coiffer au poteau les grands guerriers Cairebéroce en personnes.

Si papa voyait ça... il ne se montrerait sans doute plus aussi dur envers lui-même pour m'avoir bercée si près du mur.

Ce n'est pas qu'une expression dans mon cas. Mon père m'a vraiment bercée trop près du mur quand j'étais petite. Il me balançait avec énergie pour me faire rire et il a mal évalué la distance qui me séparait de la cloison. Ma tête a cogné assez fort et j'en ai gardé quelques séquelles.

Depuis, je n'analyse plus les situations de la même façon que tout le monde. Personnellement, je le vis très bien. Mais ça n'a pas été le cas de mon paternel.

Il a tellement eu honte de m'avoir fait souffrir accidentellement qu'il a plié bagage juste après l'incident. Nous quittant, ma mère et moi, sans un mot.

Je ne peux pas lui en vouloir. Il parait que la culpabilité est un des sentiments les plus difficiles à supporter.

Puis, je dois dire que maman a retrouvé une seconde jeunesse grâce à lui. Son départ l'a complètement métamorphosée.

Tiens, je me demande où elle est en ce moment ?

La dernière fois que je l'ai vue, elle partait faire le tour du monde en compagnie d'un gars rencontré dans son appartement. Je crois que c'était un huissier chargé de venir vider les lieux ou quelque chose dans le genre.

Enfin, bref, il n'en reste pas moins que je déchire.

En plus, j'ai bien vu qu'Aaron était vachement impressionné par ma performance. Il a les yeux qui pétillent presque.

— Hey ! je m'écrie après une ultime illumination. Mais, du coup, ça veut dire que je n'ai plus besoin de m'entraîner !

Youpiii ! À moi les vacances au soleil !

— Pas tout à fait, me contredit néanmoins Aaron. Nous allons tout de même devoir travailler ton contrôle du pouvoir. Le but est que tu déclenches les objets magiques volontairement et non pas dès que tu entres en leur contact.

— Pfff ! Une broutille ! Il n'y a qu'à voir comment j'ai maîtrisé le miroir.

— Ou la machaira ? ironise-t-il.

Gné ? La maraida ?

Ah oui, je crois me souvenir que c'est le nom qu'il avait donné au feu fiolet.

— Je ne m'attendais pas à ce que ce vieux machin se transforme en sabre laser ! je plaide pour ma défense.

— Et n'oublions pas la baguette d'ypnos, poursuit-il sur sa lancée. Même si j'avoue que, dans ce cas précis, ton ignorance était plutôt salutaire.

Tu m'étonnes. Gros jaloux, va !

— Okay ! C'est bon ! J'accepte de suivre tes cours de professeur sexy.

Je sais très bien pourquoi il insiste autant.

J'espère qu'il enseignera torse nu. Que je puisse au moins me rincer l'œil.

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