Le jour où je l'ai fait.
Je n'ai pas réfléchi plus longtemps, j'étais dans une colère sourde et aveugle. Je me suis jeté sur elle, en bloquant son corps à terre. Puis mon bras a fait des allers et retours incessants. Ma voix me revenait par échos, je savais que je lui criais dessus mais j'étais incapable de savoir quoi.
La quantité de sang était burlesque, tout autant que la sensation que c'était d'enfoncer et de sortir la lame de sa peau. Comme si elle était une plaque de beurre mou.
J'ai fini par reprendre brutalement mes esprits. J'étais assis sur son corps, inerte, immobile. Son visage n'était plus reconnaissable. Sa forme même humaine n'était plus reconnaissable. J'ai cru entrevoir ses organes et j'ai été pris d'une violente nausée. Mon ventre était vide, j'ai vomis de la bile sur le corps devant moi.
J'ai trébuché à travers la pièce, ridicule mais c'était le dernier de mes soucis. Je me suis pendu au téléphone fixe, j'ai appelé le sien. Personne n'a décroché. J'ai appelé à nouveau.
Sa voix a emplit le combiné et ça a marqué un tel contraste entre la scène de la cuisine avec ce corps amoché, dont le sang refroidissait et sa voix chaude et douce que j'ai eu envie de traverser le champ en courant pour le rejoindre.
—Thomas ?
J'ai éclaté en larmes.
—Viens...je t'en supplie, viens...
Il n'a rien répondu pendant un moment puis il a déclaré.
—J'arrive dans cinq minutes.
Je me suis laissé glisser le long du mur, le téléphone pendait au bout du fil en tire-bouchon. Je devais rassembler mes idées, je devais trouver une solution mais mon esprit restait vide et sans aucune pensée. Je savais que ce moment marquait un autre après. Ce n'était plus avant et après la mort de papa ou encore avant et après Charles. C'était avant et après que je l'ai tuée.
J'ai entendu qu'on sonnait à la porte, je me suis précipité sur la poignée.
—Charles !
Il se tenait sur le porche avec un sachet dans la main. Ses yeux sont tombés sur mes vêtements.
—Tu vas bien ? Tu t'es blessé ?
Je me suis remis à pleurer sans pouvoir me contrôler et j'ai vu dans son regard qu'il avait deviné, qu'il savait.
—Thomas...
Il est rentré dans le hall, il a fermé derrière lui.
—Elle est où ?
J'ai montré la cuisine du doigt.
—J'ai pas fait...je voulais pas mais elle a mal parlé de toi puis de mon père, elle avait pas le droit de faire ça...
Ma voix était devenue un murmure, j'avais peur qu'elle m'entende, qu'elle ne se réveille d'entre les morts pour me poignarder à mon tour. Charles s'est approché doucement du corps, quand il l'a vu, j'ai vu ses épaules tressauter très légèrement puis il s'est accroupi.
—Là, c'est sûr, elle est morte.
Je me suis senti défaillir, j'ai eu une nouvelle montée d'acide et l'odeur âcre et métallique du sang a rampé jusqu'à mes narines. Il s'est relevé, il s'est retourné vers moi et il a attrapé mes épaules.
—Maintenant, écoute moi. Tu vas aller prendre une douche brûlante, enlève le sang et plonge tes habits dans de la javel. On les brûlera plus tard. Mais sois sûr de ne laisser aucune trace, O.K. ?
Ma tête a dodeliné de haut en bas, au bord de l'évanouissement. Son regard s'est fixé dans le mien. Et il m'a embrassé avec fougue, il a caressé mes cheveux, je me suis appuyé contre le plan de travail, en arrière.
—Ça va aller, a-t-il dit en reculant.
Son comportement n'était pas normal mais ça me permettait de me calmer. Je lui en était reconnaissant.
C'est seulement en sortant de la douche et en m'enveloppant dans une serviette que mes battements de cœur se sont totalement ralentis, revenant à un rythme normal. L'image continuait de s'imposer de force, imprimée sur ma rétine, mais au moins, je n'avais plus de sang sur moi.
Je suis descendu, le sol aussi était impeccable mais elle était encore là, sa silhouette se formait sous une bâche, son nez pointait comme un aileron de requin.
—On va l'enterrer. J'ai creusé un trou.
Il pleuvait. C'était idéal, ça nous rendait presque invisible et ça nettoyait le sang qui tombait, l'emmenant bien loin sous terre. J'ai pensé au fait que ça irait dans les nappes phréatiques, qu'un jour, peu importe les traitements qu'on ferait subir à l'eau, quelqu'un aura ces particules à elle dans ses tuyaux. Encore maintenant, j'ignore comment nous avons réussi à soulever son cadavre jusqu'au jardin mais nous l'avons fait et nous avons aussi rebouché le trou. La terre devenait de la boue sous nos pieds, j'ai dû glisser une bonne dizaine de fois mais Charles m'a aidé à me relever à chaque chute.
On s'est effondré sur le sol de la cuisine, il y avait encore de l'eau savonneuse légèrement coloré d'un rouge dilué mais Charles a posé sa tête sur mon genou, pour signifier que c'était bon, qu'on attendrait pour s'en débarrasser.
—Tu vas bien ?
—Je ne pense pas que je pourrais une nouvelle fois dans ma vie me sentir bien après avoir fait ça. Mais merci.
Il m'a regardé.
—On fait toujours ça après avoir tué les cochons.
—Tu t'es occupé d'elle comme si c'était un cochon...
Il s'est mis à rire et j'ai été rapidement contaminé moi aussi. Mais c'était un rire nerveux, un rire coupable et entaché de sang. Il s'est effondré une deuxième fois, sur mon épaule cette fois et il s'est mis à pleurer silencieusement, les yeux grand ouverts. On pouvait voir notre reflet dans la porte en verre du four. Nos mines défaites, nos mains entrelacées, mains qui avait fait quelque chose de criminel.
—Thomas, qu'est ce qu'on a fait ?
Je n'ai rien dit mais j'ai remarqué à la manière dont il se tenait qu'il portait ce fardeau avec moi désormais.
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