Le jour où il est mort.
Mon père est mort.
Un matin d'août. L'ironie de la vie a voulu que ce soit lors de son dernier jour de travail, le dernier chantier avant qu'on ne parte en vacances. Ses protections ont lâché, il est tombé de plusieurs étages et puis il s'est écrasé sur le béton. Il n'est pas mort sur le coup. Seulement trois heures plus tard, à l'hôpital. Je crois que c'était à cause de son cœur, son cœur n'a pas tenu la chute. Parfois je me demande si la dernière chose qu'il a vu, c'était le ciel. Si il se rendait compte de ce qu'il se passait, qu'il allait mourir. En fin de compte, on a annulé le voyage.
On a déménagé et moi je pensais au fait que j'étais orphelin maintenant. Ma belle-mère m'a emmené dans une nouvelle ville, et notre nouvelle maison était plutôt isolée des autres. Quand elle s'est garée devant la demeure et qu'elle m'a balancé sur un ton froid de décharger les affaires, j'ai su que mon calvaire avait commencé.
Elle ne m'aimait pas, elle me haïssait même. Et c'est plutôt pas mal si on considérait le fait que je la haïssais aussi mais pas aussi fort qu'elle ne le faisait, je pense. Quand mon père était là, elle me tolérait, elle montrait les dents comme un chien, elle battait de la queue et allait grogner plus loin. Mais maintenant que le maître des lieux n'était plus là, j'avais peur un peu qu'elle sorte les crocs.
J'ai sorti les cartons un par un, en les faisant traîner dans la poussière tant ils étaient lourds. Quand j'ai eu fini, la voiture baignait déjà dans la lumière du crépuscule alors que je fermais le coffre. Le bruit familier des portières qui se refermaient ressemblait étrangement au verrouillage d'une cellule de prison. Mon sort était scellé. Dans la maison, elle ronflait dans sa niche et, profitant de ce moment de tranquillité, j'ai préparé mes affaires pour le lendemain et je me suis plongé dans la lecture d'un roman poussiéreux.
Elle m'avait dégoté un lycée pour que j'entame ma première, le plus pourri qu'il soit, un lycée réservé aux garçons. Non seulement il était croulant et vieux mais l'uniforme était en vigueur, avec une cravate ridicule. Il y avait des cours de chorale obligatoire, une chapelle au sous-sol et il possédait une chambre noire pour développer des photos. À croire que l'imprimante n'existait pas. On aurait dit les territoires d'un vieux fanatiques d'antiquités.
À peine ai-je mis un pied dans ce trou à rats, que j'ai eu envie de m'enfuir loin, de retrouver mes amis de l'autre côté du pays. Même les professeurs les plus soporifiques me manquaient. Mais j'étais régis par la "marâtre". Elle contrôlait ma vie et je ne faisais que la haïr encore plus.
Le premier jour, j'ai fait connaissance de ma classe. Je me suis trompé de salle et j'ai dû tourner une bonne centaine de fois avant de trouver la bonne porte. Quand on m'a ouvert, j'ai lorgné ce qui me servait de nouveaux camarades. Des rangées de garçons, coiffés, vêtus de la même manière qui fixait ma dégaine d'étranger. C'était le pire truc qu'elle pouvait me faire.
Je me suis enfoncé dans la pièce, je me suis assis à la place que l'enseignant m'avait désigné et j'ai découvert ce qui devait me servir de pupitre : des bouts de bois assemblés par une physique miraculeuse, branlants et je jurais qu'ils étaient tous moisis jusqu'à la moelle. J'ai sorti mes affaires pendant que le professeur poursuivait son monologue de rentrée. On y était, la grande monotonie de mon quotidien commençait là, exactement, avec toute l'humidité du monde collée au mur. J'ai pris une grande inspiration.
Et un papier a heurté la manche brunâtre de mon habit. Je l'ai ramassé en regardant autour de moi. Je ne voyais pas qui pouvait en être l'auteur. J'ai déplié la missive et j'ai regardé le message.
On s'ennuie, le nouveau ?
J'ai levé à nouveau les yeux et j'ai tourné ma tête vers la gauche. C'est là que, pour la première fois depuis un mois entier, j'ai croisé quelque chose qui sortait de l'ordinaire sans que cela me déplaise. Le garçon a souri, j'ai pu apercevoir qu'il avait un léger espace entre ses deux dents de devant. Des dents du bonheur.
J'ai regardé de nouveau le papier et je lui ai rendu son sourire.
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