Le jour où elle l'a dit.
(TW//sang)
Au début de novembre, alors que le froid commençait à s'installer bien confortablement, les gens ont commencé à s'habiller plus chaudement, les vieux radiateurs poussiéreux se sont péniblement mis en route et j'ai sorti l'épaisse écharpe de mon père de mon armoire, en fourrant mon nez dedans pour réussir à percevoir les dernières bribes de son odeur. Une odeur de terre, de givre, de pluie et de déodorant artificiel. Le premier matin où je l'ai mise a été le premier matin où je me suis rendu compte qu'il me manquait atrocement.
La bibliothèque était plus remplie lors des heures creuses, plus aucun élève ne voulait jouer au ballon à cause du vent glacial et de la pluie. Ne supportant plus le bruit, Charles et moi avions fini par nous réfugier dans les escaliers du dernier étage. Le carrelage y était froid mais au moins personne ne venait nous déranger. Charles essayait tant bien que mal de rester éveillé, lire les livres que je lui prêtais ou en apprendre plus sur l'astronomie qui le passionnait, rien y faisait. Il était tellement épuisé par les travaux de la ferme qu'il tombait de fatigue sur mon épaule. Il avait l'air plus fragile, plus maigre aussi et j'étais content qu'il se repose sur moi, pendant que je lui caressait les cheveux d'un geste presque maternel.
Quand on rentrait, notre jeu s'épuisait plus rapidement, il fixait le sol à ses pieds, le froid mordait nos doigts et je serrais sa main plus fort pour la réchauffer.
—Il fait froid, disait-il à chaque fois, je déteste l'hiver.
—Je déteste ma belle-mère, je répondais alors.
—Je déteste la ferme, les vaches à traire, le bois à couper. Je déteste tout ça.
—Je déteste tout ça avec toi.
—Je la déteste avec toi aussi.
Il avait dû vendre le télescope à contre-coeur, je lui avais promis de l'aider à en acheter un autre le printemps venu. Un plus grand et plus beau.
Ce jour-là, nous avions fait le chemin du retour ensemble comme d'habitude. J'avais observé la campagne avec désormais une immense lassitude.
—On se voit demain, j'ai dit.
—Oui, à demain.
J'ai hésité à le prendre dans mes bras mais quand j'ai réussi à me décider, il était déjà sur son porche. Il m'a souri et j'ai vu ses dents du bonheur.
Il ne tarderait pas à avoir les premières neiges, les chocolats chauds qui se refroidissent vite et la période des fêtes qui sera vide et inexistante avec ma belle-mère. Mon premier Noël sans mon père.
Une fois rentré, j'ai retiré mes chaussures dans l'entrée et les ai mises à leur place. Le soleil se couchait déjà et, en me versant un verre d'eau, j'ai presque failli ne pas voir son ombre, courbée et effrayante dans un recoin de la cuisine.
—Encore en retard pour préparer le dîner, à ce que je vois, Thomas.
Elle avait une drôle de manière de prononcer mon prénom, comme si elle faisait claquer sa langue sur son palet avec dégoût. Je n'ai pas répondu et j'ai simplement allumé la lumière et rabattu les volets grinçants.
—Fait moi une soupe, tiens. Y'a que ça que tu sais faire de bon.
Elle a marché jusqu'au salon où elle s'est affalée et s'est assoupie au bout de quelques minutes seulement. J'ai sorti la planche à découper, plusieurs légumes du frigo et j'ai sorti du tiroir un large couteau. Puis me rendant compte de l'heure qu'il était, beaucoup trop tôt pour commencer à cuisiner, je suis allé dans ma chambre pour me changer. Mon pull d'uniforme me démangeait terriblement les épaules, c'était insupportable.
Je me suis mis à penser à Charles, sûrement en train de travailler à cette heure. J'ai pensé à ses yeux qui pétillaient quand il voyait les étoiles, j'ai pensé à son sourire et j'ai pensé à son air fatigué de ces dernières semaines. La vie était horriblement injuste. J'étais coincé là, à servir de femme de ménage à cette femme horripilante et lui était là bas, à tuer son cerveau, ses capacités, sa mémoire et son intélligence à un métier dont il ne voulait pas.
Il faisait à présent totalement noir, je suis redescendu. Elle dormait toujours, à poings fermés. J'ai commencé à hacher les légumes.
Le canapé a grincé, elle s'est redressée avec lourdeur et m'a fixé dans la cuisine. Puis elle a pestiféré comme d'habitude :
—Mais quel flemmard ! On s'active !
Puis en marmonnant, plus bas, pour elle même surtout :
—Je sais pas comment il l'a éduqué mais ce gamin est un sale garnement.
J'ai eu un coup de chaud. Je la détestais du plus profond de mon être et savoir que je cuisinais pour elle m'a mis davantage en colère. Elle a refermé les pans de son gilet jaunâtre sur sa poitrine maigrichonne. J'ai continué à couper les ingrédients en essayant de ne pas y prêter attention.
—On m'a dit que tu traînais avec le gamin des planteurs de patates d'à coté, c'est vrai ça ?
—Il s'appelle Charles, j'ai répondu en serrant les dents.
Je détestais l'idée qu'elle puisse ne serait que penser son nom et le formuler des sa bouche fétide mais elle l'a fait tout de même.
—Ce Charles, c'est aussi un sale garnement, je me doute. Vous les gosses, vous êtes irrécupérable.
La lame du couteau sur la planche faisait un bruit fort et sec, claquant à chacun de mes mouvements.
—Je ne veux plus que tu traînes avec ce bouseux, d'accord ? C'est un vaurien, il va t'influencer.
J'ai senti une rage pure, une haine d'une ampleur énorme. Je ne la supportais plus.
—Ton père était un vaurien aussi, tu tiens sûrement de lui.
C'était les mots qu'elle n'aurait pas dû prononcer. J'ai serré le manche du couteau dans ma main et je le lui ai enfoncé dans l'abdomen.
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