Suite chapitre 7

Mes parents n'ont pas eu la chance d'apprendre à lire et à écrire. L'école la plus proche se trouvait à deux heures de marche de chez eux. Et de toute façon, leurs parents avaient besoin d'eux à la ferme.

Comme Simon est l'aîné, il a eu le droit de se rendre à l'école de ses sept à ses treize ans. Mon frère est le garçon le plus intelligent que je connaisse. Il est curieux, réfléchi et inventif. Des qualités que je suis loin de posséder. Pour ma part, j'ai pu me rendre à l'école de mes sept à mes neuf ans. Cela m'a permis d'apprendre à lire et écrire ainsi qu'à compter. Même si je n'ai jamais été doué dans ces différents domaines.

Je détestais me rendre à l'école. Il fallait marcher longtemps, rentrer de nuit quand l'hiver tombait. Et comme j'étais stupide, le maître ne m'aimait pas. Peut-être aurais-je pu être plus doué si je n'avais pas passé toutes ces heures au coin à pleurer.

Un garçon ne doit pas pleurer. Cela ne faisait qu'exacerber l'ennui que monsieur Poulard me vouait.

Les moments de récréation étaient ma délivrance. J'adorais jouer au foot. Parce que j'étais au moins bon à ça. Et une fois à l'extérieur, il n'y avait plus aucune importance à savoir faire des multiplications ou non.

J'étais donc habitué à rentrer les genoux écorchés et les fesses rouges. Ce que n'appréciait pas du tout maman. C'est pour cela que j'ai rapidement arrêté l'école. J'étais bien plus utile à la ferme qu'à faire le cancre.

C'est ce que tout le monde répétait. Mais je n'ai jamais voulu être un cancre. Juste un bon garçon. Un gentil garçon. Comme Simon.

Pauline a pu aller à l'école également. Elle a eu la chance de finir sa scolarité avant le début de la guerre. Je pensais donc que c'était elle qui lisait mes lettres. Je l'imaginais répéter à ma mère que j'écrivais très bien. Guillaume m'aidait à penser à de jolis mots et à corriger mes nombreuses fautes.

Je n'ai pas pu le remercier, il faudrait que je lui écrive pour lui dire aurevoir. Avant que cela ne soit trop tard.

Mais maman avait certainement peur que mes dires soient trop durs. C'est sans doute pour cela qu'elle demandait à Frantz de lire mes lettres. Pour ne pas effrayer ma sœur. Pour la laisser imaginer que ce que nous vivions n'était pas si terrible. Que sait-elle dans ce cas ? Est-elle encore plus ignorante que maman sur la réalité de ce que j'ai vécu ?

- Tu n'avais pas le droit de les lire. Elles ne t'étaient pas destinées.

- Arrête d'être aussi buté. Au fond, je suis certain que tu comprends. C'était simplement pour protéger Pauline.

- Et comment faisaient-elles avant ton arrivée ? J'imagine qu'elles allaient voir le curé. Cela aurait dû rester ainsi.

Le jeune homme soupire et redresse davantage la tête vers moi. Ses yeux verts ne se bloquent pas sur mes yeux, ils sillonnent l'ensemble de mon visage sans jamais se poser. Que cherche-t-il ? Un rictus ? Une hésitation ?

Je me demande ce qu'il peut penser de moi et de ma barbe sale alors que ses joues sont si propres. Soudain, je me sens misérable face à sa beauté. À la propreté et la simplicité qu'il semble dégager.

Nous avons le même âge, pourtant je crains de paraître dix ans de plus. Pourquoi des stries sont-elles apparues sur mon front et non sur le sien ? J'ai envie de me raser, mais que pensera-t-on de mes joues si creuses... Est-il possible de lire dans mes prunelles la folie qui me hante ?

- Elles allaient voir le curé, oui. Mais j'étais déjà sur place. C'était bien plus simple et rapide ainsi. Et puis savoir que j'avais vécu la même chose les rassurait. Parce que je suis revenu.

- Nous n'avons pas connu la même guerre.

Le brun soupire et se passe une main sur le visage. Ma résistance face à ses tentatives de m'adoucir semble le frustrer. Pourtant, il devra s'y faire. Je ne compte pas tomber dans ses filets.

- Bien sûr que si. Ce n'est pas parce que nous étions les assaillants que cela rendait les choses plus simples. Au contraire. Je ne me battais pas pour défendre ma famille, mais simplement l'ego de mes dirigeants. Les batailles n'avaient pour moi pas le moindre sens.

- Mais si nous gagnons, que crois-tu qu'il va arriver à ta famille ?

J'essaie de garder un ton dur, mais le fait que le sien soit si doux et plein de patience me déstabilise. Ne pourrait-il pas être plus facile à détester ?

- Mon père est médecin. Quoi qu'il se passe, il ne risque pas de perdre son travail. Et vous n'envahirez jamais l'Allemagne.

- Qu'en sais-tu ? Si vous n'avez plus d'armée, nous ne ferons qu'une bouchée de vous.

- Non Antoine. Parce que vous n'aurez ni les hommes ni les ressources pour qu'une invasion d'une telle ampleur puisse se produire. Ma famille ne risque rien de vous. C'est davantage les privations mises en place par notre régime, pour soutenir l'effort de guerre, qui sont à craindre.

Je reste muet un instant face à sa réponse. J'aimerais le contredire à nouveau, mais je n'ai aucune idée du coût d'une telle guerre. Que ce soit en or, en vivre ou en homme. Bien que j'imagine que le résultat de ces additions doit être exorbitant.

- Tu devrais travailler au lieu de parler.

Un sourire ravi que je rêverais de lui arracher se dessine sur ses lèvres. Frantz penche la tête sur le côté et ses yeux semblent briller de surprise autant que de contentement.

- Vraiment ? Qu'est-ce qui te fait changer d'avis ?

- Je vais me rendre au bourg avec Pauline. J'ai besoin de me réconcilier avec elle.

Ce n'est pas la vérité. Je n'ai pas envie de me rendre au bourg. Et j'ai peur de décevoir davantage Pauline. Cependant, cette explication me permet d'éviter pour un temps la réalité.

Je me demande si Pauline peut encore pleurer pour la dispute que nous avons eue plus tôt. Est-il possible qu'elle regrette que je sois rentré à la place de Simon ?

- C'est une bonne idée. Pauline est très émotive depuis qu'elle a appris que tu allais rentrer. C'est comme si elle avait retenu toutes ses émotions avant cette nouvelle. Et qu'à présent, elles devaient toutes s'écouler au plus vite.

Je prête attention à ce que le brun peut me dire. Je me surprends même à vouloir lui demander conseil. Mais après tout c'est ma famille, je dois mettre toutes les chances de mon côté pour que nos relations redeviennent aussi aimantes qu'auparavant.

- Il lui arrivait de parler de moi ?

- Évidemment que oui Antoine. Ton nom était au centre de toutes les conversations. A chaque évènement, ta mère et ta sœur aimaient imaginer qu'elles auraient été tes réactions. Elles aimaient me parler de toi. Me raconter comment tu avais grandi. Les bêtises que tu faisais à l'école, les jeux avec tes amis, Pauline m'a également parlé d'Eglantine.

Je baisse les yeux au sol et glisse distraitement ma main sur le pelage de Lucie. Je me demande ce qu'elles ont pu raconter exactement. Et à quel point je suis à l'opposé du jeune homme qu'elles ont pu décrire. Personne ne me connaît à présent.

- Et mon père et Simon ?

- Elles en parlaient de temps en temps. Quand elles rentraient du cimetière le plus souvent. Tu voudrais me parler d'eux ?

Mes sourcils se froncent et je me redresse prestement. Cela doit faire bien trop de temps que nous sommes ensemble s'il pense que je peux me confier à lui.

- Tu n'as rien besoin de savoir. Ma mère et Pauline semblent s'être attachées à toi. Notre entente sera donc cordiale en leur présence. Mais tu vas continuer de dormir par terre. Et tu vas surtout arrêter de t'imaginer que nous puissions devenir amis. Compris ?

L'allemand se redresse à son tour et un sourire en coin vient prendre place sur son visage.

- Entendu. Nous ne serons pas amis.

Mes paroles semblent loin de l'avoir déstabilisé et son ton est toujours aussi posé qu'avant. Cela ne le dérange pas ? Alors il est certainement bien le manipulateur que j'avais imaginé. Ne trouvant rien à redire, je quitte la grange après avoir jeté un dernier coup d'œil par-dessus mon épaule.

Le brun s'assoit sur le tabouret sans se retourner. Pour donner une caresse à Lucie à l'endroit sur lequel ma main avait glissé quelques instants plus tôt.

Il est temps d'oublier ces boches. Je suis en France. Je dois retrouver le semblant de vie qu'il me reste. Il est temps pour moi de renouer avec mon passé.



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Coucou ! Bon je ne suis pas revenue aussi rapidement que je l'aurais voulu mais je pense que c'est le chapitre le plus long que j'ai écrit depuis le début. Je suis pardonnée ?

J'ai envi de savoir ! Quels sont vos avis sur les comportements de nos différents personnages ? :)

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