Chapitre 9
Le courant de la Garonne vient caresser mes pieds et refroidir la température bien trop importante de mon corps. Les rayons du soleil viennent cogner le haut de mon crâne à m'en donner mal à la tête.
A l'aide de mes mains, je forme une coupole afin de me rincer le visage. Le calme du fleuve et de la forêt m'avait terriblement manqué. Depuis combien de temps ne suis-je pas venu ici ? J'aimerais y passer chacune de mes journées pour le reste de ma vie.
- Mon neveu est tellement mignon. Il faut que tu viennes le voir. Je suis sûre que tu es adorable avec les enfants.
Comment un sourire peut-il être aussi beau ? J'ai l'impression de lui découvrir de magnifiques subtilités chaque jour. Cette fossette qui creuse sa joue droite était-elle si adorable hier ? Et ses yeux qui deviennent deux petites fentes parce que la joie tente de manger toute la place sur son visage, est-ce qu'ils lui permettent de voir à quel point je l'admire ?
Je glisse ma main sur une de ses mèches rousses, pour la replacer derrière son oreille. Celle-ci est rouge à cause de la chaleur. J'aimerais pouvoir lui offrir les plus beaux bijoux afin de les ravir davantage.
- Je ne sais pas, il doit être tellement petit. Je ne crois pas être très doux.
Je recule ma main et l'observe un instant. Je déteste mes mains, mes doigts sont énormes et abîmés par le travail de la ferme. J'ai la peau sèche, rêche. Rien à voir avec les doigts de fée et le toucher si doux d'Eglantine.
Soudain, je m'en veux presque d'avoir pu effleurer sa peau si délicate. Je suis tellement maladroit, presque une brute.
- Ne dis pas n'importe quoi Antoine. Tu es le garçon le plus gentil que je connaisse. Tu n'as qu'un seul défaut. Mais je sais que tu le connais déjà.
La jeune femme penche doucement la tête sur le côté et m'offre un sourire doux alors que je sens la gêne venir teindre mes joues. Je sais ce qu'elle va me dire. Que je devrais avoir davantage confiance en moi. Et surtout, que je devrais arrêter d'avoir ce besoin de me dévaloriser par peur de rater ce que je m'apprête à entreprendre.
- Tu n'as qu'un bras. Ce qui te rend complètement inutile. Il y a des gens qui peuvent s'en sortir quand ils sont handicapés. Mais ce sont ceux qui sont intelligents. Malheureusement ce n'est pas ton cas. Tu serais bien incapable d'avoir un poste dans les bureaux. C'est bien dommage pour toi. Que vas-tu faire quand ta sœur trouvera un mari ? Mourir seul dans ta ferme, incapable de t'en occuper ? Ou alors tu finiras à la rue ? Tu ne mérites rien de plus puisque tu ne vaux rien.
Ce n'est plus Eglantine que j'ai en face de moi. C'est une multitude de voix qui viennent m'agresser pour me dépeindre ce sombre destin. J'y reconnais la sienne, celle de ma mère, de mes professeurs, de plusieurs personnes du village...
Je me redresse pour reculer rapidement de l'ombre noire assise près de moi celle-ci arbore une forme dérangeante à présent, comme celle d'un monstre. Le ciel est devenu sombre et mes pieds glissent sur la terre trempée, me faisant tomber à la renverse. Mon corps s'étale dans la boue glacée et je me retourne précipitamment sur le ventre, pour essayer de fuir le danger qui me guette.
Mais je ne parviens pas à avancer, le sol semble chercher à retenir mon corps. Pire, j'ai à présent l'impression de m'y enfoncer. Comme si la nature avait soudainement choisi de creuser ma tombe.
Sous mes yeux, une grosse paire de bottes noires me fait à présent face. Au milieu de la pluie tombant sur le sol, une goutte couleur vermeille vient s'écraser sur son cuir.
Redressant la tête, je découvre cet homme d'une trentaine d'années. Une tâche de sang s'étend péniblement sur sa vareuse. Au milieu de son torse. Un cri de souffrance s'échappe de sa bouche alors qu'il porte ses mains tremblantes à sa blessure. Son regard quitte un instant le mien pour la regarder avant de venir y replonger à nouveau. Il va mourir, nous le savons tous les deux.
Ses yeux noirs me crient sa détresse alors qu'il tombe à genoux. Son corps se replie sur lui-même de douleur et son casque vient tomber dans la boue. Découvrant son crâne à moitié chauve.
- Je suis désolé...
Mon murmure cassé n'a certainement pas atteint ses oreilles alors que son corps finit de tomber sur le sol. De nombreux rats ont dû courir à cet endroit. Est-ce qu'ils recouvriront son cadavre quand je partirais ?
- Je suis désolé !
J'ai tué un homme. Volontairement, à l'aide de mon fusil. Je n'ai pas pris le temps d'analyser qui il était avant de tirer. Cela aurait pu être n'importe qui. Même un français. Je n'ai pas réfléchi, j'ai agi. C'était lui ou moi.
C'était n'importe qui. Simplement un homme, sur mon chemin. Juste cet homme. J'ai déchiré sa poitrine, transpercé son cœur, je lui ai ôté la vie. Avec une rapidité et une facilité que je ne pensais pas possible. J'ai simplement appuyé sur la détente. Je n'ai pas pris le temps de viser. Un simple mouvement de doigts. Sa vie c'est arrêtée alors que je battais des cils.
Je hurle longuement à m'en déchirer les cordes vocales, tandis que mon corps est secoué violemment par mes pleurs et par ces mains étrangères qui enserrent mon torse.
- Antoine ! Antoine réveille-toi !
- Gifle le ! Pauline va chercher de l'eau !
- Non, ce n'est pas la peine. Il est en train de se réveiller.
Soudain, un monde que je ne reconnais pas apparaît sous mes yeux. Un homme qui me semble des plus menaçants est penché aux dessus de moi, mais je suis incapable de bouger pour m'éloigner. Mon corps est figé sur le matelas alors que ma respiration siffle étrangement entre mes lèvres.
- Il a du mal à respirer. Ouvrez les fenêtres, on va lui mettre la tête dehors.
- J'ai de l'eau !
Je ne sais pas ce qu'il passe, autour de moi ça court, ça crie. De mon côté, je me sens vidé. Vide d'énergie, vide d'oxygène, vide d'envie.
Des mains me soulèvent et viennent me guider contre l'embrasure de la fenêtre. Les voix continuent de parler dans mon dos. Je crois que c'est à moi qu'elles s'adressent, mais je suis incapable de les comprendre.
Des milliers d'étoiles surplombent nos têtes. Elles ne bougent pas, elles sont calmes, comme à leur habitude. Le temps semble être figé pour elles. J'aimerais qu'il n'en soit pas de même pour moi.
Pourtant, depuis ce battement de cil, tout semble s'être arrêté. Je suis incapable de sortir de ce cauchemar. Je ne le pourrai jamais.
Les mains me maintiennent toujours sous les aisselles. Est-ce que sans elles je me laisserais tomber en contre-bas ?
- Antoine ? J'ai demandé à ta mère et Pauline de sortir. J'imagine que tu ne préfères pas qu'elles te voient ainsi. C'était simplement un cauchemar. Tu es chez toi. Loin de la guerre. Rien de mal ne peut t'arriver ici. Tu vas te rasseoir sur le lit.
Les mains me font reculer jusqu'à ce que mes mollets butent contre un matelas. Je me laisse faire, n'ayant plus l'impression d'avoir de volonté propre. Mes fesses viennent sur reposer sur le lit alors que mon dos s'appuie contre le mur.
- Tu veux me parler ? De ce dont tu as rêvé ?
Ses yeux ne sont ni bleus, ni noirs. Ils sont verts. Celui-là, je ne lui ai encore fait aucun mal.
- Je suis désolé...
- Non, tu n'as pas à être désolé Antoine. Ce que tu as vécu est très dur. C'est normal que cela continue à te hanter. Mais tu iras mieux.
Il ne comprend pas. Est-il important qu'il puisse comprendre ? Sûrement pas. Pourtant, en cet instant, cela me semble primordial.
Il faut que je lui parle, que je me livre. Juste pour cette nuit. A l'aube, cette discussion sera derrière nous. Je ne devrais pas avoir besoin d'un confident...
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Est ce que je suis capable d'écrire des chapitres qui ne soient pas déprimants ? Oui promis !🤞💕
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