Chapitre 6

- Antoine ?

Une main secoue de plus en plus fort mon épaule jusqu'à ce que j'ouvre péniblement les yeux. Je suis allongé dans l'herbe face contre terre. Mon lit m'avait tellement manqué, et maintenant que je suis rentré je n'en profite pas ? Je dois vraiment être le dernier des imbéciles.

La bouteille est également allongée près de moi, vide. C'est certainement de sa faute si je n'ai pas su profiter du confort de ma chambre. A moins qu'une autre raison ait joué son rôle afin que j'en reste éloigné.

Je me tourne en soupirant sur le dos pour découvrir Pauline qui est accroupie à mes côtés. L'incompréhension et la peur brillent dans son regard. Moi, c'est la honte vient brûler mes joues. Que va-t-elle penser de moi à présent ?

- Tu as dû avoir froid...

- Non, non ne t'inquiète pas. J'étais fatigué et j'ai l'habitude maintenant.

Ses lèvres se pincent et elle s'assoit davantage avant de me prendre la main entre les siennes. Ses pouces la caressent doucement et je souris un peu en la regardant faire. J'avais l'habitude de la tenir ainsi lorsqu'elle avait un chagrin.

- Mais cette habitude n'a plus lieu d'être à présent Antoine. Tu es chez toi, avec nous. Il faut que tu dormes dans ton lit. Et ce n'est pas bon de boire.

- Qu'est-ce que tu en sais ? Tu n'as jamais bu.

- Avant, tu te moquais toujours du vieux Georges et de son nez rouge. C'est toi qui m'as appris que c'était mal.

Je sais qu'elle a raison. Que dormir dehors parce que j'ai bu une bouteille de pinard est ridicule. Et que je ne veux certainement pas finir comme notre vieux voisin qui ne semblait plus connaître la sensation d'être sobre.

Mais en même temps, je ne peux m'empêcher de penser que je comprends George à présent. Lui aussi avait combattu les allemands en 70. Peut-être qu'il était comme moi, qu'il avait besoin d'oublier. Penser à nos possibles points communs me fait frissonner d'effroi. Je ne veux pas mourir seul et ivre au bord d'une route.

- Je vais arrêter Pauline. Ne t'en fais pas. C'est juste le temps de me remettre sur pieds. D'oublier un peu ces derniers mois.

- Peut-être que cela te ferait du bien d'en parler avec Frantz ? Je veux dire... Lui aussi il a connu la guerre. Frantz sait écouter. Il veut devenir médecin.

- Je ne compte pas faire ami ami avec notre ennemi, Pauline.

Je sens ses mains se tendre autour des miennes et une grimace vient déformer ses lèvres fines. Quand elle recommence à parler, sa voix semble chargée de colère.

- Ne dis pas ça avant d'apprendre à le connaître. Frantz est quelqu'un de bien, et il nous aide.

- Bien sûr qu'il vous aide, il en est obligé. Mais si le pouvoir était de son côté, il n'hésiterait pas à me loger une balle dans la tête. Et il pourrait en faire de même avec toi.

La petite blonde a un hoquet d'horreur et lâche précipitamment mes mains avant de se relever. Ses deux nattes s'affolent autour de sa tête à cause de ses mouvements précipités. Je me lève à mon tour et sens mon estomac peser dans mon ventre et mon cerveau tenter de percer ma boite crânienne. L'alcool n'est pas une bonne chose.

- Ce n'est pas vrai ! Tu dis n'importe quoi ! Frantz dit que je suis comme sa sœur !

- Mais il vous manipule ! Et pour toi alors ? Il est comme ton frère aussi ? Arrête un peu. Tu n'as pas besoin d'un faux frère allemand. Tu as déjà Simon et moi ! Tu n'as pas le droit de nous remplacer ! Nous on t'aime ! On est allé au front pour vous protéger ! Il est mort pour toi, et toi tu laisses ce salaud dormir dans son lit !

Mes émotions prennent le dessus sur le calme que je devrais préserver. Ma fréquence cardiaque augmente alors que mes paroles deviennent des cris. De son côté, ses yeux se remplissent de larmes et sa bouche se met à trembler. Je devrais me sentir coupable, mais ma rage est trop intense.

- Tais-toi ! Arrête ça ! Ce n'est pas de notre faute si Simon est mort !

- Non, c'est celle de Frantz ! De lui et de tous ces merdeux d'allemand ! Il devrait dormir dehors, comme un chien.

De loin, je vois la porte de la maison s'ouvrir et l'homme en question se tenir sur le porche puis s'approcher de nous. Certainement attiré par nos cris. Est-ce qu'il va vraiment venir se mêler de nos conversations ? Il ne peut pas sincèrement croire qu'il a une place à prendre au sein de ma famille à présent.

- Pourquoi est-ce que ça se passe comme ça ? Tu es méchant ! Tu as changé...

Sa voix se brise alors qu'elle fond à présent en sanglot. J'hésite un instant à venir la prendre dans mes bras mais n'arrive plus à bouger.

Bien-sûr qu'elle a raison. La guerre m'a changé. Elle m'a rendu enragé, impatient, angoissé. Et malheureusement, à la suite de maman c'est à présent à Pauline d'en faire les frais. Ses mains viennent cacher son visage sur lequel de trop nombreuses larmes doivent rouler à présent.

- Pauline ? Tout va bien ?

Le brun s'approche bien trop près d'elle et finit par poser sa main sur son épaule. Je me dépêche de me mettre entre eux et de repousser sa main. Qu'est-ce qu'il n'a pas compris ? Il n'a rien à faire près de nous. Ses sourcils se froncent mais il recule tout de même sagement d'un pas.

- Ne l'approche pas ! Je ne veux pas que tu la touches, que tu lui parles, que tu la regardes. Tu oublies ma sœur !

La main de Pauline vient heurter mon dos mais je ne me tourne pas vers elle. Trop occupé à soutenir le regard glacial de l'allemand.

- Simon aurait compris lui !

Ses paroles me glacent le sang. Mes épaules s'affaissent et je ferme un instant les yeux avant de me tourner vers elle.

- C'est faux. Il n'aurait pas plus accepté que moi votre trahison.

- Mais ce n'est pas une trahison, Antoine. Ce n'est pas contre vous ou pour vous remplacer. C'est juste un garçon, comme toi. Lui non plus ne mérite pas ce qui lui est arrivé. Nous sommes tous des enfants de Dieu. Tu ne peux pas complètement fermer les yeux sur la douleur des autres. Tu es égoïste.

- Non. Seulement patriote.

Je serre le poing puis fuis la conversation. Partant à grands pas loin d'eux. Même si l'idée de les laisser seuls me hérisse les poils, je ne peux plus rester à leurs côtés.

Mes poumons acceptent difficilement l'air que j'essaie d'inhaler. Le monde tourne autour de moi et c'est avec difficulté que je rejoins finalement notre grange. Je m'assois dans un coin, sur de la paille et regarde nos vaches en essayant de reprendre ma respiration. Noiraude manque à l'appelle. Elle aussi aura été sacrifiée.

Mon cœur se serre et je me retiens de crier de rage. Il est grand temps de se remettre au travail.

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