Chapitre 5

Le temps continue de s'écouler autour de moi alors que je ne semble plus être présent. Tout paraît très lointain alors que je suis actuellement assis sur le porche de notre maison. Le regard perdu dans le vide. Ce n'est qu'à présent que je remarque qu'il fait nuit et que je commence à avoir froid. Mais mes vêtements ne sont pas mouillés, la peur ne glace pas mon sang, alors je peux me permettre d'affronter ce froid qui me semble presque doux. La lune est pleine ce soir, je me demande combien de mes anciens camarades l'admirent à présent. Guillaume n'aimait pas ces soirs-là, il disait qu'elle l'empêchait de trouver le sommeil. Nous ne dormions jamais.

Je me souviens à peine du repas, les aliments ont rempli mon ventre sans que je puisse les apprécier. On aurait pu me servir de la terre, ma bouche est tellement sèche que je n'aurais certainement pas fait la différence.

Maman a continué de tenter de me persuader qu'elle avait raison. Que ce Frantz était une victime, comme moi. Mais je ne suis pas une victime, je suis un homme, un français, un combattant. Et lui non plus n'en est pas une, c'est un chien, un allemand, un lâche.

Elle m'a raconté qu'il s'est fait capturer dès septembre 1914 lors de la bataille de la Marne qui a sauvé Paris. L'allemand se serait cassé une jambe et aurait donc été laissé derrière à Vitry, lorsque nos ennemis se sont repliés. Nous sommes actuellement en septembre 1916, cela fait deux ans. Deux ans qu'il est planqué à l'arrière planqué à l'arrière, des mois qu'il profite de ma famille.

Maman m'a également parlé de Simon et de papa, elle l'avait déjà un peu fait dans ses lettres. Mais je ne lisais jamais ces parties, elles me faisaient trop de peine. Et elles me renvoyaient bien trop au destin qui pouvait m'être réservé. Ils sont morts ensemble le premier juillet 1916, lors de la bataille de la Somme. Je crois qu'elle m'en a dit plus mais je n'ai pas su l'écouter. Devant mes yeux se déroulaient des visions bien trop réelles. J'avais soudain l'impression de les voir, de ressentir la douleur des balles traversants leurs chairs, d'entendre leurs cris et de goûter leurs larmes. Je suis sorti dehors pour vomir.

Il me semble que c'est Pauline qui m'a ramené un pull il y a une dizaine de minutes, ou bien était-ce il y a plus longtemps que cela ?

Le boche dort dans le lit de mon frère. C'est la seule chose dont je suis certain à présent. Même si je n'arrive toujours pas à comprendre. Je ne pourrais jamais l'accepter. Comment ont-elles pu nous faire ça ? A présent, j'ai l'impression que c'est moi l'intrus. Que je ne les connais plus. A quel point a-t-il su se créer une place dans le cœur de ma famille ?

Mes angoisses me forcent à me lever pour rentrer. Il faudrait que j'agisse. Que je tue le mal à sa racine. La maison est vide du moindre bruit. Maman et Pauline sont certainement couchées.

Je me dirige vers l'escalier en serrant le poing. Me retrouver ici me rappelle tant de souvenirs. J'ai adoré mon enfance dans cette maison. Nous étions tellement heureux avant la guerre, tellement unis. Pourquoi nous a-t-on enlevés ces moments de bonheurs ?

Je monte les marches puis longe le couloir pour venir me retrouver face à la porte de ma chambre, notre chambre à Simon et moi. Nos noms y sont gravés au couteau. C'est Simon qui avait marqué ses traces quand il avait dix ans. Cela avait rendu nos parents fous. Je glisse mes doigts sur les traces de son nom et ferme un instant les yeux. Il sera toujours là. Toujours avec moi, je ne l'oublierai pas. Même si je suis le dernier de la famille à pleurer sa perte. Un long souffle m'échappe et je tente de retenir les tremblements de ma main qui vient abaisser la poignée.

Je n'ai pas peur de lui, c'est à lui de me craindre. Il doit comprendre qu'il est inférieur à moi. Et que je ne laisserais pas cette situation honteuse se prolonger.

La porte s'ouvre dans un grincement et j'entre dans la pièce pour le découvrir assis sur le lit de Simon. Sa tête qui se trouvait cachée entre ses mains se redresse pour m'observer. J'avance d'un nouveau pas et le dévisage en serrant la mâchoire.

Il souille les draps et la mémoire de mon frère.

- Antoine...

Je lève la main pour le couper et déglutis péniblement. Entendre mon prénom dans sa bouche avec son putain d'accent m'est insupportable. Il n'a pas le droit de le prononcer.

- Pour toi, ce sera monsieur. Lève-toi.

Je m'approche de mon propre lit, tire la couette et la jette par terre. Là où est sa place. Le brun s'est levé et me regarde faire en fronçant de plus en plus les sourcils. Il ne peut pas me dire que dormir sur le sol avec une couette lui déplaît. Ses frères d'armes n'ont certainement pas le droit à ce confort. Moi, je n'en avais pas le droit durant les deux longues années où il était prisonnier.

- Je vais dormir dans le lit de mon frère. Et toi tu resteras par terre. T'as de la chance que je te laisse la couverture.

Il essaie de me répondre mais je m'avance vers lui et le fusille du regard. Nous faisons exactement la même taille mais ses épaules larges et ses bras musclés me rappellent à quel point je suis inférieur à lui à présent.

- Ma mère a complètement déraillé depuis que vous avez tué mon frère et mon père. Mais la situation va changer le boche. Maintenant que je suis là, tes vacances sont terminées. Tu dois payer pour ce que ton putain de peuple nous a fait. Ta pute de mère n'aurait jamais dû baiser un allemand.

Son corps se tend de plus en plus au fil de mon discours et le brun semble se retenir de cracher à mes pieds ou de m'en coller une.

Je soutiens encore un instant son regard avant de me diriger vers mon armoire pour en sortir mon pyjama. Lui faire dos me hérisse les poils et fait accélérer les battements de mon cœur, mais j'essaie de ne rien lui en montrer. C'est impossible qu'il m'attaque. Il est certainement bien trop lâche pour venger l'honneur de sa mère. Il aurait trop peur de se faire fusiller.

J'ouvre les portes du meuble et observe mes anciennes chemises et pantalons en me pinçant les lèvres. C'est tellement étrange de revenir dans cette vie. Mes yeux se baissent sur les boutons de ma chemise actuelle et mes doigts viennent tenter de défaire les boutons de mon col. Mais ma main ne cesse de trembler. Pourquoi suis-je si maladroit ?

- Je peux t'aider ?

Je tourne la tête pour observer l'allemand qui n'a pas bougé. Lui porte un t-shirt et un caleçon alors que ma combinaison, et ses trop nombreux boutons, me fait de l'œil dans mon armoire. Je ne pourrais jamais réussir à la mettre.

- Tu te moques de moi ?

- Non... Je suis désolé pour ton bras.

Ma mâchoire se serre alors que je me tourne complètement vers lui près a envoyer le poing qu'il me reste au milieu de sa fausse gueule d'ange.

- Ferme ta grande gueule. T'étais pas assez désolé pour mon frère pour dormir comme un bébé dans ses draps. Je voudrais te crever.

Ses yeux verts me regardent avec chocs alors qu'il n'ose plus l'ouvrir. Sale hypocrite.


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Mon historique google c'est que des trucs styles "pyjama année 1900" mdrr. Mais je galère à trouver des infos !

J'éspère que le chapitre était sympa ! N'hésite pas à me notifier ta présence par un vote ou un commentaire, bonne nuit ;) 


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