Chapitre 4
- Oh mon Dieu Antoine !
Pauline se précipite à notre rencontre. Je n'ai pas le souvenir qu'elle courait si vite. J'oublie un instant ce qui peut bien se passer autour de nous pour descendre de la charrette et la serrer dans contre moi. Enfin.
- Tu m'as tant manqué Pauline. Regarde-toi ! Tu as tellement changé, tu es magnifique.
J'embrasse sa joue avant de la serrer fort contre moi à nouveau. Comme lorsque nous étions petits et que l'orage grondait à l'extérieur, ou bien quand papa la grondait à cause de son comportement rebelle à l'école.
Ses mains tâtent longuement mon dos et s'accrochent à mes omoplates. Comme pour se persuader que je suis bien réel, bien présent face à elle après ces mois d'éloignement.
- Je suis tellement heureuse que tu sois rentrée ! Tu es... Tellement maigre et...
Elle se recule pour pouvoir me regarder de haut en bas et sa main se porte devant sa bouche alors que son attention se porte sur mon bras droit. Ou plutôt sur son absence. Elle détourne rapidement le regard pour le reporter sur son visage alors qu'un sourire faux étire à présent ses lèvres fines.
- Ce soir, nous allons manger des pommes de terre, et du mouton, maman a réussi à avoir une bouteille de vin. Nous allons fêter ton retour en famille et demain nous irons au village. Tout le monde sera si content de te voir.
Elle n'en parle pas. Elle ne veut pas le voir.
- Merci Pauline... Je ne suis pas certain de vouloir fêter mon retour avec le village demain. Je suis encore fatigué.
J'ai peur de me confronter aux villageois. Ou plutôt aux villageoises. Les hommes sont tous partis, mes amis et leurs pères sont au front. D'autres sont-ils rentrés mutilés comme moi ? Combien d'avis de décès le courrier a-t-il pu amener ? Je ne veux pas le savoir. Cela m'effraie bien trop. J'ai déjà perdu papa et Simon, je ne veux pas découvrir d'autres pertes.
- D'accord... D'accord, comme tu veux. Viens rentre, il faut que tu te mettes à l'aise.
Pauline attrape ma main et me guide vers la maison. Est-ce simplement la chaleur ou également son malaise qui a rendu sa main si moite ? J'ai l'impression que nos gestes sont incertains, maladroits, comme si nous ne nous connaissions plus.
Nous avançons de la maison et chaque pas me rapproche également de cet intrus, cet allemand. Je me retiens de m'arrêter et essaie de me tenir le plus droit possible alors que je plante mes yeux dans les siens. Je ne détournerai pas le regard, je ne m'abaisserai jamais face à lui, et il doit le comprendre. Ce type est chez moi. Maman et Pauline semblent avoir été tendres avec lui, il n'en sera pas de même avec moi.
Il n'est pas sale, il n'est pas maigre, ses yeux ne sont pas vides ou torturés. Il n'a rien à voir avec moi. Et je le déteste encore plus pour cela. Le garçon semble avoir mon âge, j'imagine que nous devons faire environ la même taille, mais plus j'avance et plus il me semble grand. Ou est-ce moi qui ne fait que perdre de l'envergure ? Son corps est musclé par le travail de la ferme, ses joues sont lisses, ses cheveux bruns bouclés bataillent avec le vent. Son bermuda et les manches retroussées de sa chemise ne dévoilent aucune cicatrice, aucune brûlure. Comme s'il n'avait jamais vu la guerre. Est ce qu'on oublie si rapidement le front ?
Ses yeux verts ne restent pas longtemps dans les miens. Rapidement il se met à m'analyser et je peux le voir pâlir alors qu'il regarde mon bras à son tour. Avant de baisser son regard au sol.
Ma mâchoire se crispe alors qu'un tourbillon d'émotions m'assiège. Il fuit la réalité de la guerre que lui et son peuple ont engendré. Il n'assume pas le mal qu'il m'a fait. Je veux qu'il me regarde, je veux qu'il ait honte, qu'il me demande pardon. Je ne le lui offrirai jamais.
Nous nous arrêtons à un mètre de lui et Pauline me lâche pour se mettre entre nous. Ma mère est également descendue de la charrette et vient à présent nous rejoindre à son tour. Entre nous quatre, la tension est soudainement palpable. Pourquoi ne se placent-elles pas de mon côté mais devant lui ? Comme si elles voulaient le protéger. Ce chien n'avait pas besoin de cette protection lorsqu'il tirait sur mes frères.
Maman tend la main vers moi avant de la faire retomber à ses côtés devant le regard noir que je lui offre. Elle semble chercher ses mots un instant avant de se décider à parler.
- Je t'ai rapidement parlé de Frantz... Cela va faire cinq mois qu'il vit avec nous, avant de ça il travaillait dans une usine de voitures à Bordeaux. C'est monsieur le maire qui a fait jouer de ses relations pour qu'il puisse venir nous aider à la ferme. Nous n'y arrivions plus toute seule. Sans Frantz, nous aurions pu dire à Dieu à notre récolte tu sais ?
Le boche a relevé la tête, maintenant que les femmes sont devant lui ce lâche ose me regarder à nouveau.
- Je comprends pour la récolte. Mais cela ne m'explique pas pourquoi il mange avec nous ? Je doute que nous soyons obligés de traiter aussi bien nos prisonniers. Les allemands n'en font certainement pas de même de leur côté. Ces salauds laissent certainement nos soldats crever de faim !
Une légère flamme de patriotisme s'allume dans les yeux de l'allemand qui secoue négativement la tête.
- C'est faux ! Nous respectons les soldats !
Sa voix grave porte un fort accent qui ne m'écorche pas autant les oreilles que je l'aurais souhaité. Depuis combien de temps est-il prisonnier pour parler et comprendre si facilement le français ?
- Calmez-vous ! Antoine, tu dois comprendre que... Que Frantz est quelqu'un de bien.
Je recule d'un pas en entendant cette insulte à notre patrie sortir de la bouche de ma mère. Ma main se porte sur mon épaule droite alors qu'une douleur lancinante me traverse soudain. Ce n'est pas possible, elle n'a pas le droit de croire ça. Encore moins de le dire.
- Il est pacifiste, comme Simon. Il ne voulait pas aller à la guerre, il n'a jamais tiré sur personne, c'est...
- Arrête de mentir ! Tu ne peux pas croire ce qu'il te dit ! Qu'est-ce que tu veux me faire avaler ? Il ne mangera plus avec nous, il n'a pas le droit d'entrer dans la maison !
Des larmes silencieuses roulent sur les joues de Pauline, ses épaules sursautent à chacun de mes cris. Comme lorsqu'elle était petite, elle a toujours détesté quand les adultes haussaient le ton.
- Mais où est ce qu'il va dormir dans ce cas ?
- Non, ce n'est pas négociable ! Rien ne va changer, ce n'est pas ta maison mais la mienne ! Il va rester ici, manger à notre table et dormir dans la maison.
Mon corps se fige alors que mon cerveau s'imagine soudain un scénario qui me glace le sang. Je n'ai même plus la force de crier et mon souffle se précipite contre ma lèvre alors que je me mets à bégayer ma demande.
- Où... Où est ce que. Il dort ? Où ?
Un long silence suit ma question alors que ma famille se met soudainement à pâlir. Me faisant comprendre que j'ai raison, que j'ai compris ce qu'il se passait depuis cinq mois.
- C'est simplement un garçon, un jeune homme... Comme toi, comme Simon. Si vous aviez été fait prisonnier, j'aurais aimé qu'on vous traite ainsi. Qu'on prenne soin de vous. Parce que rien de tout cela n'est votre faute c'est...
- Où, maman ?
Ses yeux s'embuent de larmes alors que son menton se met à trembler.
- Dans le lit de Simon, dans votre chambre... Tu dois comprendre Antoine... S'il te plaît...
Elles nous ont remplacés.
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Hey ! la rencontre entre Frantz et Antoine approche ! Qui va étouffer l'autre dans son sommeil ? J'ai ma petite idée !
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