Chapitre 3
Maman ne veut pas m'en dire plus sur ce Frantz. Quand elle prononce son nom, elle ose à peine me regarder. Comme si elle avait honte. Honte de quoi ? D'avoir laissé un de ces assassins fouler nos terres ? J'espère qu'il dort dans la boue, au fond de la grange, au milieu des souris que les chats n'ont pas encore attrapées.
Au fond de moi je sais que j'ai tort. Maman et Pauline se sont soudainement retrouvées seules. Bien sûr qu'elles avaient besoin de mains pour les aider. D'ailleurs, même avec cet allemand, elles doivent certainement continuer de travailler jusqu'à l'épuisement.
Mais en même temps je ne peux pas admettre que je vais devoir recroiser un de ces boches. Comment vais-je pouvoir oublier le front si ces restes se trouvent encore devant moi ? Je n'y arriverais pas, ce cauchemar continuera de me hanter tant qu'il sera chez nous.
- Tu n'as pas chaud ?
Ce sont les premiers mots que prononce maman depuis que nous sommes montés dans cette charrette. Tirée par un vieux cheval, elle nous emmène lentement à destination. C'est notre vieux voisin George qui a accepté de nous la céder pour la journée.
Je reporte donc mon attention sur elle et sur les longes qu'elle tient dans ses mains. Si j'étais revenu en héros, nous ne serions pas rentrés si vite à la maison. J'ai l'impression que nous avions fui la ville et les regards que les gens nous lançaient. Ce n'est pas ce que je voulais. Je voulais rentrer en compagnie de mes camarades, être accueilli pas la marseillaise. Une fête aurait été organisée, j'aurais dansé jusqu'au bout de la nuit. Peut-être qu'Eglantine m'aurait offert son premier baiser, tout comme je lui aurais cédé le mien.
- Si, j'ai chaud.
J'essaie d'arrêter de rêver, de fantasmer sur des moments qui n'auront jamais lieu. Il faut que je m'ancre dans le présent. Je ne sais pas si le plus dur sera de ne pas pleurer sur le futur ou bien de ne pas céder à la folie que tente de m'insuffler le passé.
- Pourquoi tu ne retires pas ta veste ?
Sa voix tremble. C'est un murmure qui traverse à peine le bruit du vent. Et pourtant je sais qu'il lui a brûlé la gorge comme si elle l'avait hurlé. Parce qu'elle connaît d'avance la raison, et qu'elle a peur de la réponse. Dans ce cas, pourquoi poser la question ? Pourquoi vouloir se faire tant de mal ?
- Je n'aime pas voir la manche de ma chemise vide. Avec le vent, elle risque de voler dans toutes les directions. C'est agaçant. Avec Pauline, vous allez devoir les couper et les recoudre.
Une réponse rapide, concise, qui semble si simple à dire alors que chaque mot semble me déchirer le cœur. On va couper les manches de mes chemises, ce sera irréversible. Elles ne vaudront plus rien.
Un silence plane un instant, maman semble chercher une réponse juste. Seulement, je ne crois pas qu'il y en ait d'adéquate.
- Je suis heureuse que tu sois revenu.
Perdu.
- Tu sais pourquoi je suis revenu ?
- Antoine, ne fais pas ça...
- Je suis revenu parce qu'un des petits copains de Frantz a envoyé un obus qui m'a arraché le bras. Je suis revenu parce qu'après près de deux ans à crever de faim et de fatigue dans les tranchées, le bon Dieu m'a remercié en détruisant ma vie !
Sans que je m'y attende sa main vole pour venir gifler ma joue.
- Tu n'as pas le droit ! Je ne veux plus jamais t'entendre dire ça ! Tu es sauvé à présent, alors que ton père et Simon sont morts !
- Et bien peut-être que finalement c'était pour leurs biens ! Parce que Simon ne serait de toute façon jamais rentré !
Je ne sais pas pourquoi je fais ça. Je viens de la retrouver, je ne devrais pas être aussi horrible avec elle. Mais je refuse l'idée qu'elle soit heureuse de mon sort. Qu'elle le trouve préférable à celui de ceux qui ne rentreront pas. Parce qu'elle ne sait rien de mes souffrances. Elle ne pourrait même pas les imaginer.
Maman me fusille du regard, mes mots l'ont déçue. Elle a certainement idéalisé nos retrouvailles. Seulement je ne suis plus le garçon de dix-huit ans qui l'a quitté. Pour que je puisse survivre, cette partie de moi a dû mourir sur le front. A présent, je ne ressens que cette immense colère qui bout en moi, pour tenter de cacher les peurs et angoisses qui voudraient me faire plonger sous la surface.
- Ne dis jamais ça devant Pauline. Elle a tellement souffert de votre absence. Ne lui fais pas encore plus de mal par ta présence.
- Je ne veux que le bonheur de Pauline.
- Mais tu ne souhaites pas le mien ?
Si. Mais j'ai besoin de quelqu'un pour décharger ma colère. J'ai besoin d'un coupable sur lequel épancher toute ma rage.
Maman cherche à me cacher sa tristesse, elle garde la tête bien droite et regarde loin devant nous. Là bas, je peux déjà apercevoir notre village et notre maison qui en est excentrée. Nous arrivons bientôt. Il serait certainement mieux que toute cette tension redescende avant que nous ne retrouvions ma sœur.
- Je suis désolé maman. Je ne pouvais pas dormir convenablement à l'hôpital. J'ai besoin de me reposer. Je ne redirais plus ce genre de chose. Moi aussi je suis heureux de vous revoir. Vous m'avez manqué.
Je baisse la tête et enlève avec difficulté ma photo de ma chemise pour la lui montrer. Ses yeux s'embuent doucement de larmes alors qu'elle me sourit doucement. Nous l'avons fait juste avant de partir en guerre, pour être certains d'avoir une photo de notre famille. C'est la seule que nous avons. Un grand format doit trôner dans le salon dans un cadre la protégeant. Nous les hommes en avons eu une petite version pour nous accompagner sur le front.
- Même si je vous ai toujours eu près de moi. Je sais que tu veillais sur moi de loin maman. Merci d'avoir tenté de me protéger.
Sa main revient caresser avec douceur ma joue meurtrie et je ne peux m'empêcher de fermer les yeux en accueillant son contact. Combien de temps cela fait il que je n'ai pas connu l'amour ?
- Nous avons prié pour toi chaque soir. Et... Frantz a prié avec nous tu sais ?
Mes sourcils se froncent alors que je m'éloigne doucement de son toucher pour pouvoir l'observer.
- Comment ça avec vous ?
- Avant le repas, nous prions toujours tous les trois avant le repas pour que...
Je lui coupe la parole et me redresse davantage alors qu'il me semble que tout mon corps se met à trembler. Je ne peux retenir mon effroi et ma colère en me mettant à crier.
- Un boche mange à notre table ?
Je peux maintenant apercevoir deux silhouettes devant notre maison. L'une que je devine être celle de Pauline semble sautiller sur place avant de courir vers nous. L'autre se tenait, quelques instants auparavant, bien trop proche d'elle.
- Ne parle pas de lui comme ça... Sa mère est née à Strasbourg avant de partir à Berlin. Il a simplement un an de plus que toi. Il est né le même jour que Simon. Frantz est...
Ma mère continue de déblatérer des informations sur lui alors que je ne ressens soudainement plus rien. L'ennemi s'est infiltré dans ma famille.
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Hey ! Troisième Chapitre ! Est-ce que vous avez un petit avis à me donner sur le début de cette histoire ? J'espère que le début vous plaît ! A très vite ;)
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