Chapitre 1
Quand je me suis réveillé il y a de cela une semaine, j'ai d'abord pensé que la mort aurait été préférable. Elle m'aurait apporté la sérénité dont j'avais plus que tout besoin, je me serais laissé bercer dans ses bras, je serais tout simplement parti. Je n'aurais pas eu à affronter ma soudaine impuissance, tout ce que je n'étais plus, tout ce que j'avais perdu. J'allais être un poids à porter pour ma famille à présent, un être inutile, un fardeau.
J'avais pleuré comme un enfant, hurlé comme un condamné à mort en suppliant le bon Dieu de ne pas m'infliger cela. De me rendre le peu de dignité qu'il me restait. Mais il n'y a plus à espérer à présent. Remonter le temps est impossible.
Ils m'ont pris mon bras droit.
Et puis j'avais reçu une lettre de maman. L'armée l'avait informée de mon malheur. A présent, elle est soulagée, parce qu'elle pense ne pas m'avoir perdu. Elle s'imagine que son Antoine va revenir, qu'elle pourra à nouveau me bercer contre elle alors que ce n'est plus son étreinte que je recherche. Sa joie m'enrage, le sourire que j'imagine sur son visage me donne envie de briser tout ce qui se trouve près de moi. Parce qu'elle est heureuse de ne pas être plus endeuillée. Elle est heureuse de ne pas souffrir alors que j'ai l'impression que je ne pourrais pas être plus douloureux qu'à présent.
Je souffre dans mon corps et dans mon âme. Je voulais rentrer en héros. Bientôt, je ne serai plus personne.
Ils m'ont pris mon futur
Je regarde par la fenêtre du train le paysage qui défile sous mes yeux. J'ai quitté l'hôpital ce matin après une semaine de coma et une autre de larmes. Il est temps de rentrer chez moi à présent.
Je suis un enfant de la ferme. J'ai grandi en m'occupant des vaches, en labourant nos champs... A présent, je devrais faire cela avec le bras qu'il me reste. Un bras gauche dont je suis incapable de me servir. Je suis devenu maladroit, perdu, incapable de boutonner ma chemise seul.
Pourtant j'allais devoir apprendre à me débrouiller ainsi, parce que j'étais le seul homme de la famille à présent. Maman et Clothilde ont besoin de moi. Je devais les protéger, les sauver de la détresse et de la misère.
J'ai eu vingt et un ans il y a peu. Simon aura cet âge pour toujours. Parfois je me remémore son rire et les larmes me montent aux yeux. Je devrais pouvoir l'entendre encore, ce n'est pas juste. Nous aurions dû nous retrouver, j'aurais couru dans ses bras, l'aurais serré de toutes mes forces. Nous aurions pleuré et crié de bonheur. Tout serait redevenu comme avant. Le lendemain, nous nous serions battus dans la paille abîmant nos vêtements, oubliant de nous occuper de traire les vaches. Et nous aurions ri. Est-ce que je lui ai dit que je voulais le retrouver avant de partir ? Est-ce que je lui ai dit à quel point je l'aimais. Qu'il devait me revenir. Parce que j'avais tant besoin de lui, tant besoin de mon grand frère.
Ils me l'ont enlevé.
Tout devient noir autour de moi alors que des cris se mettent soudain à m'entourer, l'odeur des tranchées me revient et je me retrouve alors incapable de respirer. Comme propulsé dans le passé, l'angoisse m'étrangle et m'étouffe. Je ne veux pas qu'ils me tuent, je ne les laisserai pas faire.
- Monsieur ? Monsieur calmez-vous !
D'autres voix me parviennent avant que je ne me retrouve soudainement projeté au sol. Je tombe lourdement et une douleur aveuglante se propage dans mon côté droit, me faisant hurler à pleins poumons.
- Il est fou ! Maintenez-le au sol !
- Non ! Il est blessé !
- C'est comme ça qu'on traite les combattants revenus du front ?
- Cet homme fait une crise de démence, il fallait bien qu'on l'arrête ! Ce n'est quand même pas une femme qui va me dire comment préserver le calme dans mon train !
- Je suis infirmière !
Le brouhaha ne cesse de s'accentuer autour de moi, venant peu à peu remplacer les cris de peur et de souffrance qui m'entouraient. La pression qui me retenait contre le sol se fait moins oppressante avant que je ne reçoive de l'eau en pleine figure.
Mon corps se redresse de lui-même alors que je crache le peu d'eau qui est entrée dans ma bouche.
-Chut... Tout va bien mon petit. Le front est loin derrière toi. Nous sommes dans un train en direction de Bordeaux. Tu rentres enfin chez toi ?
La femme qui me parle doit avoir le même âge que maman. Elle me tient la main et m'offre un sourire empreint de douceur. Derrière elle, des personnes me regardent d'une drôle de façon je vois de la gêne, de la peur, de la tristesse, de la pitié. Je ne veux pas de leurs émotions. Je suis un soldat français. J'aurais donné ma vie pour ma patrie, pourquoi ne vois-je pas sur le visage la reconnaissance que je mérite ? "Mon petit", cela fait bien longtemps que je ne suis plus un enfant. Si cela avait été le cas jamais on ne m'aurait envoyé sur le front. Ils étaient bien heureux que je sois un homme, à présent ils veulent faire de moi un gamin ?
Je me détache de sa main et me relève en m'appuyant sur le mur. Adoptant une posture droite et fière comme on me l'a appris dans les rangs.
- Oui, je rentre du front après avoir passé deux ans dans les tranchées. Et vous ?
Je lance un regard plein de mépris à l'homme d'une trentaine d'années qui m'a mis à terre.
- Vous, vous êtes un planqué.
- Non je... Je n'ai pas la nationalité française, alors...
- Alors vous ne devez rien à la France ? Dans ce cas, quittez là.
Je me détourne et retourne dans ma cabine pour cesser de m'offrir en si triste spectacle. Ils n'ont rien vu, rien connu. Papa et Simon me comprendraient eux. Je pourrais leur partager toutes les horreurs que j'ai vues, que j'ai vécu. Mais ni l'un ni l'autre ne me reviendra à présent. Je suis le survivant, celui qui doit rester fort.
Ils m'ont offert la solitude.
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Premier Chapitre !
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