Chapitre 9 : Premiers pas vers l'inattendu

Après une bonne heure d'aller-retour incessants, Ahmés acheva enfin d'acheminer l'expédition jusqu'à l'abri d'un bosquet. Ayant fait parti du premier groupe pour sa connexion à la nature qui faisait d'elle une excellent vigile, Lorelya avait examiné avec une minutie intense les arbres et autres plantes qui l'entouraient.

Comme dans sa forêt natale, les arbres possédaient des propriétés luminescentes, mais alors que ceux qu'elle connaissait ne diffusaient de la lumière que de l'intérieur, ici, les écorces sombres étaient veinées d'une pâle lueur. La particularité de cette végétation faisait que, malgré la faible lueur des lunes, ce sous-bois restait parfaitement éclairé, une particularité qui amena bien des personnes à penser que ce monde comptait sur plus de sources de lumière naturelle que les astres.

De son côté, Farca concentra son attention sur le sol qu'ils foulaient, constatant que comme dans la caverne, la terre dégageait une chaleur inhabituelle, sauf que la flore locale ne semblait pas importunée par elle.

Quand le groupe fut enfin réuni, la verdoyante avait fini de rassembler des informations et fit son rapport à son chef. Elle avait repéré un village à une heure de marche où elle n'avait relevé la présence que de peu de soldats, sûrement la garde locale. Après ce qu'ils avaient appris sur ce monde, ils avaient décidé d'éviter les endroits où de nombreuses troupes étaient rassemblées, de peur d'être impliqués dans une chasse aux Âmessombres ou la rébellion.

- Une poignée d'entre nous y irons pour rassembler des provisions pendant que les autres resteront à distance, déclara Sieg avec autorité. Si, comme nous le supposons, les Cendressangs se sont placés dans des positions importantes dans ce royaume, qui sait ce que penseront les locaux en voyant une trentaine d'entre eux vagabonder en pleine nature.

Le reste de l'équipe acquiesça. Utiliser les dons de Lorelya pour faire pousser des fruits et des légumes pour nourrir l'expédition avait été abordée auparavant, mais même si l'idée était logique, elle restait risquée en cas de séparation du groupe. S'ils devaient à un moment prendre des directions différentes, ceux qui ne voyageraient pas avec la verdoyante se retrouveraient démunis, les incitant donc à toujours avoir des vivres et ne pas dépendre des capacités de l'archère.

- Heureusement qu'elle a repéré ce village, il n'est même pas sur la carte, commenta Farca en scrutant le document. Sinon, le plus proche aurait été trois fois plus loin. Après ça, il faut que nous décidions où nous allons.

- Nous devrions éviter la capitale pour le moment, suggéra Anoro. Certes, nous pouvons y trouver plus d'information, mais inversement, si nous y arrivions en sachant si peu sur ce monde, nous risquons d'attirer l'attention.

- Alors nous allons d'abord aller là, annonça l'écarlate en désignant une bourgade plus au nord. Tios. Ça a l'air d'être une ville assez importante. Avec un peu de chance, nous pourrions y trouver une bibliothèque. Personne ne s'étonnera si nous y passons notre temps avec le nez plongé dans des livres.

- Je me porte volontaire pour l'équipe lecture, se présenta Udia en levant la main. J'imagine que de toute façon, vous avez d'autres idées pour réunir des informations.

- Exactement, acquiesça Sieg. Il ne faut jamais sous-estimer les informations que l'on peut recueillir dans des tavernes, il suffit de garder les oreilles ouvertes. Et nombreux comme nous sommes, nous pouvons sans mal investir plus d'un établissement en même temps.

- Je Propose Que Nous Entrions Dans La Ville En Plusieurs Groupe. Arriver Tous En Même Temps Avant De Nous Séparer Risque D'Attirer L'Attention. Même Chose Si Nous Nous Réunissons Au Même Endroit.

- Je suis d'accord, admit Ahmés avec un air songeur. Mieux vaut former quatre ou cinq équipes qui devront chacune investir une partie de la ville.

- Alors nous sommes d'accord ! s'exclama Sieg en frappant dans ses mains. Nous procéderons ainsi et... Tiens ? Où est Bélial ?

Le bretteur suivit la direction indiquée par Lorelya et trouva sa partenaire en train de fixer le ciel étoilé à travers les branches des arbres. Comprenant pourquoi la jeune femme n'avait pas suivi un traître mot de la conversation, le bretteur s'approcha de la barbare qui ne pouvait décrocher son regard de sa contemplation. Il se tint à ses côtés, fixant à son tour la lune aussi rouge que ses atours qui nuançait le monde de son éclat écarlate.

- Alors c'est ça, le ciel que voyaient mes ancêtres... souffla la démone.

- Oui... Je dois admettre que c'est magnifique...

- Mais même si ce monde est si beau, j'ai l'impression que ses habitants en ont rien à foutre... grommela Bélial. Ils préfèrent se mépriser pour des conneries et se faire souffrir sans raison...

- Peut-être que ce n'est qu'ici, tenta de la réconforter Sieg en lui prenant la main. C'est ce qu'on va essayer de découvrir. Si on découvre que les autres pays ne s'adonnent pas à la chasse aux Âmessombres, nous irons là-bas. Même si nous sommes ici pour sauver le monde, notre sécurité à tous reste notre priorité. Les morts ne peuvent plus rien accomplir, après tout. Enfin, à part Ahmés...

Bélial se mit à rire et plongea son regard dans celui de son bien aimé, le tirant à elle.

- Avec ces conneries entre les Cendressangs et les Rochechairs, on risque pas de pouvoir s'embrasser souvent...

- Alors autant en profiter quand on le peut... répondit Sieg en approchant ses lèvres de celles de la jeune femme.

- Ouais, bah ça va attendre... les interrompit Farca en séparant le couple. Je vous rappelle que nous avons de la route à faire, et vu nos réserves actuelles, nous avons vraiment besoin de faire des courses ! Alors on arrête de roucouler et on se met en mouvement !

- Pas tout de suite ! intervint Ahmés en récupérant les talismans des mains des soldats. Il se trouve que les démons ici ne sont pas aussi bronzés que notre chère Bélial, alors je dois revoir toutes les illusions. Si je veux faire ça proprement, ça me prendra une bonne demi-heure.

- Et de toute façon, nous devons nous changer... déclara Anoro en faisant signe à ses troupes. Nous devrions porter des vêtements de civils pour ne pas attirer l'attention. Si les gens pensent que nous faisons partie de l'armée, ils vont nous demander quelles forces nous représentons, alors sans réponse crédible à leur donner...

- Une demi-heure... répéta Sieg en jetant un regard en coin à sa partenaire.

- Un tas de trucs peuvent arriver en attendant... murmura Bélial en imitant le bretteur.

Farca regarda tour à tour les deux amants avant de soupirer en levant les bras.

- Bon, ça va, j'ai compris... Éloignez vous juste assez pour qu'on ne soit pas obligés de vous entendre...

- Et encore, vous avez tous de la chance... grommela Lorelya. Comme nous sommes en pleine nature, je suis obligée de les regarder faire à travers les plantes...

***

Deux heures plus tard, après une excursion à travers une flore luxuriante aux arbres majestueux, aux fleurs sublimes de milles teintes et une herbe chatoyante sous la lueur de la lune rouge, le groupe arriva en vue du village repéré par Lorelya. Il restèrent à distance, ne voulant pas attirer l'attention. Une longue et houleuse discussion suivit afin de déterminer qui irait le visiter pour faire des provisions.

La barbare eut beau faire des pieds et des mains, on lui refusa la mission. Ils ignoraient encore s'il existait un moyen de débusquer les Âmessombre par un procédé magique, alors tant que l'ignorance dominerait, ils ne se risqueraient pas à laisser la jeune femme explorer n'importe quelle ville sans précaution.

Adam fut immédiatement recalé, son démoniaque restant approximatif vu qu'il devait l'apprendre lui même, ne pouvant pas boire de philtre de vers comme les autres pour apprendre une nouvelle langue. Et si les gardes venaient à lui demander de retirer son casque pour révéler son apparence, les choses se compliqueraient plus encore.

Avant de savoir s'il existait une race de petite taille qu'elle pourrait imiter, Farca se refusa à entrer dans un lieu peuplé où son seul déguisement serait celui d'une enfant, idée qu'elle trouvait dégradante. Personne ne voulut relancer ce débat.

Après avoir médité sur la question, Ahmés opta pour rester avec les troupes, son don pour l'illusion leur permettant ainsi de se dissimuler en cas de besoin.

Parmi les Déicides, seuls restaient Sieg et Lorelya capables ou désireux d'explorer le village en compagnie de quatre soldats désignés par Anoro. Udia se joignit elle aussi à l'équipe, désireuse d'explorer un environnement aussi mystérieux. La lueur dans ses yeux indiqua aux Déicides que même les combats qui leur avaient valu ce titre seraient moins ardus que toute tentative de la dissuader de venir.

La délégation s'aventura prudemment vers une route localisée par la verdoyante et arrivèrent au village en l'empruntant, prétendant ainsi n'être que de simples voyageurs. Les gardes en poste sourcillèrent à peine en les voyant arriver. Sieg réalisa que les Rochechairs en armure étaient étonnés de voir sept Cendressangs arpenter les routes à pieds malgré leur équipement et vêtements de voyage. De cette simple réaction, l'écarlate put tirer plusieurs théories qui furent affinées à mesure qu'ils s'enfonçaient dans le village.

Toutes les personnes qu'ils croisèrent les dépassaient d'au moins une tête, laissant supposer que la population était exclusivement composée de Rochechair. Même si seul un démon sur dix naissait Cendressang, n'en voir aucun dans le village ne laissait supposer qu'une chose : les démons de petite taille ne vivaient pas dans des endroits aussi reculés, probablement parce que la société en général les incitait à rejoindre de plus grandes bourgades.

L'épéiste crut un instant avoir tort en voyant enfin un Cendressang les approcher alors que les Rochechairs gardaient leurs distances en arborant un air de méfiance teinté de crainte, mais des détails attira son attention. Alors que le reste du village était habillé de guenilles et de vêtements mornes, le Cendressang donnait l'impression d'être un riche marchand aux atours luxurieux. Ce dernier s'approchait rapidement d'eux avec une mine inquiète.

- Mais que vous est-il arrivé ? Voyager à pied tels de simples Rochechairs... Avez-vous été détroussés sur la route ? Une attaque de la rébellion, peut-être ?

Les soldats restèrent muets, ne s'étant pas attendus à un tel accueil. Sieg, Lorelya et Udia échangèrent rapidement un regard, se mettant presque instinctivement d'accord quant à la marche à suivre.

- Ah si vous saviez, mon bon ami ! sanglota presque la chercheuse en faisant mine de perdre l'équilibre, rattrapée de justesse par l'écarlate. Nous avons été attaqués en plein voyage par une bande de brigands, c'est à peine si nous avons réussi à leur échapper ! Mais dans notre fuite, nous n'avons presque rien pu prendre avec nous !

- Tant d'entre nous n'ont pas eu notre chance... enchaîna Sieg en serrant le poing. Nous étions si nombreux au début de notre périple, mais maintenant ? C'est une vraie catastrophe !

- Nous n'avons plus d'argent, nous avons été obligés de le laisser derrière... continua Lorelya. Mais... Si vous pouviez avoir la bonté de...

- N'en dîtes pas plus ! la coupa le Cendressang. Vous êtes ici chez vous ! Copir, allez dire au tavernier de faire préparer ses meilleurs chambres et des repas chauds ! Et dîtes leur que je me chargerais de la note !

- Oui Monsieur le Maire ! répondit un villageois avant de détaler.

Continuant de jouer la comédie, Sieg dut se retenir de sourire en entendant cette réponse. Comme il commençait à le suspectait, Ce n'était pas que l'armée qui était structurée en fonction de la nature démoniaque de chacun, mais possiblement la société dans son ensemble. Sur la trentaine de personnes qu'il voyait ici, le Cendressang occupait la plus haute position possible.

- Vous êtes trop bon... dit-il à haute voix.

- Quoi de plus normal ! Entre Cendressangs, nous devons nous serrer les coudes ! Mais venez ! Allons à la taverne pour discuter ! Je vous inviterai bien chez moi, mais mon cuisinier se repose pendant le cycle rouge, je n'aurais donc pas de repas à vous servir.

- Vous en faîtes déjà tant pour nous... continua Lorelya en faisant discrètement les gros yeux aux soldats pour qu'ils se prêtent eux aussi au jeu.

- Nous aimerions pouvoir profiter de votre hospitalité le plus longtemps possible, mais j'ai bien peur que nous devrons vite reprendre la route, annonça Sieg. Malgré nos récentes épreuves, nous nous devons toujours d'arriver à Tios aussi vite que possible pour...

L'épéiste manqua de se mordre la langue en voyant un individu s'approcher timidement. De la même taille que le Maire, il était cependant habillé de la même façon que le reste des villageois. Cependant, ce fut un détail en particulier qui le sidéra, tout comme ses compagnons qui manquèrent de hoqueter de surprise.

- Ah te voilà, toi ! s'exclama le Maire en repérant la source de l'émoi des voyageurs. Va donc aider les cuisines de la taverne, nos invités ont besoin de manger ! Ne me regarde pas comme ça, je sais que tu n'es pas en service, mais ils ont besoin d'aide !

Sieg se composa rapidement un masque de calme juste avant que le Maire ne se tourne vers lui avec un sourire agacé.

- Que voulez-vous, les esclaves humains sont peut-être rares, ils restent diablement efficaces... Vous n'imaginez pas la fortune que celui-là m'a coûté !

- Oh, je suis impressionné, croyez-moi... susurra Sieg en posant sa main sur son épaule avec un air conspirateur. J'ai hâte que vous m'en disiez plus sur comment vous vous l'êtes procuré...

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