Chapitre 7 : Nouveau monde, nouvelles mœurs
Ahmés s'avança dans le long tunnel qui devait le guider jusqu'à la sortie. Contrairement à ses compagnons, l'obscurité ne lui posait aucune difficulté, sa nature sombre lui permettant de voir comme s'il était en plein jour. Il s'avança jusqu'à atteindre une porte en fer qui barrait le passage. Un sourcil haussé, le taouyen scruta la structure, le voyant aucune ouverture qui lui permettrait de passer sans ouvrir l'obstacle et se faire remarquer malgré son invisibilité. Du moins, pour un humain.
Le musicien ferma les yeux pour se concentrer et imagina son corps se désagréger. Il se décomposa en un nuage de sable qui se faufila entre les interstices de la porte qui flotta de l'autre côté. Une fois le dernier grain passé, le nuage se rassembla pour reformer Ahmés qui s'étira en grommelant, détestant l'expérience qui lui donnait l'impression d'imploser avant de revivre l'expérience en sens inverse.
Toujours dissimulé par son illusion, Ahmés regarda autour de lui et vit que Sieg avait eu raison de se montrer méfiant. À flanc de montagne, plusieurs centaines de mètres en altitude, une forteresse surplombait le paysage. Le musicien vit qu'il venait de débouler sur une des plus hautes murailles de l'édifice de pierre et leva les yeux au ciel et fut stupéfié.
Bien que le ciel était aussi noir que s'il faisait nuit, le monde était éclairé d'une lueur douce dorée. Une immense lune jaune qui commençait déjà à disparaître derrière les montagnes, plusieurs fois plus large que celle qu'Ahmés connaissait, dominait les astres resplendissants. Au-delà de l'horizon, une seconde lune, rouge cette fois-ci, commençait à se profiler, baignant le paysage de son éclat qui changea les teintes des plaines.
Ahmés n'avait jamais été féru de science, mais il avait entendu dire que si la lune du monde de la lumière pouvait éclairer la nuit, ce n'était que parce que les rayons du soleil s'y reflétaient. Mais dans ce monde sans astre diurne, les lunes étaient elles-même source de lumière, toujours pleines et jamais en croissant. À mesure que la lune rouge s'élevait dans le ciel, Ahmés vit les couleurs du monde changer, les deux teintes dorées et écarlates se mélangeant pour sublimer le paysage d'une nouvelle façon.
Le musicien se perdit dans la contemplation de ce spectacle époustouflant avant de secouer la tête et se souvenir qu'il n'était pas là pour faire du tourisme. Se mordant la lèvre pour ne pas chantonner l'un des airs que venait de lui inspirer cette vue, le défunt se concentra sur son objectif actuel. Avec prudence, il s'avança vers une porte et sursauta quand elle s'ouvrit.
Figé, le musicien fixa le soldat qui s'approchait de lui, lance en main. Il était équipé d'une armure simple de cuire avec quelques pièces de métal dont un casque qui ne masquait pas son expression fatiguée ou ses cornes. Le défunt força son corps à bouger quand il réalisa que le colosse de deux mètres allait lui rentrer dedans et le laissa le dépasser, voyant au passage sa queue dépasser de son dos. Ahmés hésita, tenté d'immédiatement rejoindre ses compagnons pour partager avec eux ce qu'il venait d'apprendre, mais il résista à la tentation. S'il voulait que sa mission d'éclaireur porte des fruits, il se devait de rassembler plus d'information.
Se mouvant souplement, Ahmés suivit le soldat dans l'espoir de l'entendre converser avec quelqu'un. Idéalement, il pourrait comprendre ce qu'ils diraient et glaner de précieuses informations. Mais même s'ils se mettraient à parler dans un dialecte qui lui serait inconnu, l'information lui resterait utile. Il lui suffirait de trouver une personne isolée, de préférence endormie, pour lui prélever discrètement du sang afin que leur équipe confectionne des philtres de vers.
Suivant comme son ombre le garde à travers les couloirs mornes de la forteresse, Ahmés arriva dans une salle à manger remplie de tables et bancs en bois où de nombreux soldats vidaient déjà leurs assiettes en conversant. Soulagé de constater qu'il comprenait tout ce qui était dis, le musicien ne put s'empêcher de relever un détail qui lui avait échappé avant.Il avait d'abord cru que le premier soldat qu'il avait croisé avait un teint plus pale que la moyenne, mais maintenant qu'il voyait autant de démons en même temps, le taouyen constata que leur race avait un teint à peine plus sombre que celui d'un humain, alors que ceux que le défunt avait rencontré dans le monde de la lumière avaient une peau foncée assez prononcée. Il devrait revoir ce détail s'il voulait que les illusions de ses talismans leur permettent de se fondre dans la foule.
– Bordel, vivement la fin de ce cycle que la relève arrive... J'ai l'impression que ça fait des jours que je suis debout...
Intrigué par ce qu'il venait d'entendre, Ahmés s'approcha doucement de deux gardes affalés sur leurs tables qui ronchonnaient.
– Je ne te le fais pas dire, répondait le second garde. Je ne sais pas pourquoi, mais le cycle doré me semble toujours plus long que le rouge ou le bleu. Tout le monde a beau me répéter que chaque cycle est aussi long que les autres, rien à faire, quand c'est l'un des deux autres, j'ai l'impression que le temps vole à toute vitesse, mais pas avec le doré!
– Oui, mais toi, tu as toujours été bizarre... ricana une femme en armure en lui mettant un coup de coude en s'installant à ses côtés. Moi, j'ai toujours aimé le cycle doré, la lune d'or est si belle à regarder.
– Et c'est pour ça que le sergent te hurle tout le temps d'arrêter de fixer le ciel au lieu de faire tes rondes... soupira le troisième garde en réprimant un bâillement. Enfin, la lune dorée commence enfin à s'éclipser et la rouge pointe enfin le bout de son nez, alors notre service va enfin se terminer.
– Tu oublies que le lieutenant à décrété que tout le poste doré doit se réunir dans la salle d'entraînement à la fin de leur service pour une séance forcée de deux heures... grommela la démone. Moi qui voulait me replonger dans mon livre...
– Et moi, c'est ma partie de cartes avec les autres qui part en fumée... Foutu Cendressangs, toujours à...
– Chut ! le coupa son comparse. Un gradé arrive !
Ahmés se retourna et vit un démon bien plus petit que les autres entrer dans la pièce, n'accordant aucun regard aux soldats qui se levèrent tous pour le saluer. De taille humaine et avec un air hautin dessiné sur le visage, le Cendressang ignora la file d'attente et se présenta devant le cuisinier qui n'osait pas croiser son regard. Le petit démon toisa le cuisinier avant de se racler la gorge. Le soldat qui allait être servi recula autant que possible, poussant ses collègues derrière lui pour laisse plus de place à l'officier qui fit un pas de plus vers le cuisinier de l'autre côté de sa table couverts de plats.
– Une large portion de xiopa.
La demande sonna comme un ordre, aucune politesse dans sa voix. Le cuisinier s'attela à la tache et rempli une assiette de nourriture que ne reconnaissait pas le musicien, une sorte de bouillie verte accompagnée de légumes bleus. Le Cendressang fixa l'assiette garnie avant de lever la tête vers le Rochechair qui venait de le servir.
– Vous vous payez ma tête ? J'ai dis une large portion. Vous voulez finir en salle de redressement pour vous apprendre le respect ?
Le cuisinier balbutia des excuses avant de doubler la ration sur l'assiette. Le Cendressang examina de nouveau sa nourriture avant de claquer des doigts sous le nez du soldat qu'il venait de dépasser.
– Vous, prenez mon assiette et suivez moi. Mes bottes auront aussi besoin d'être cirées pendant que je mange.
Le soldat se crispa, Ahmés voyait qu'il se retenait de rétorquer. Il prit néanmoins l'assiette et suivit son supérieur vers une porte devant laquelle le Cendressang s'arrêta. Le Rochechair s'empressa de le rejoindre et lui ouvrit la porte, ne recevant comme remerciement un commentaire acerbe sur la fainéantise du soldat qui avait failli le faire attendre.
Ahmés fixa la porte qui se refermait, ne sachant pas comment réagir face à ce qui venait de se passer. Autour de lui, les soldats soupirèrent de soulagement en se détendant.
– Il a eut de la chance, cracha un des soldats qu'espionnait Ahmés. De tout les officiers, le lieutenant Gorbaz est le plus tendre avec nous...
Le musicien fixa le démon en espérant qu'il plaisantait, mais son expression sérieuse attestait qu'il pensait ce qu'il venait de dire. Si ce grossier personnage était sympathique, le défunt n'avait aucune envie de rencontrer un Cendressang sans éducation.
Ahmés décida de quitter le réfectoire et s'aventura plus profondément dans la forteresse. Il croisa la route d'un autre Cendressang accompagné d'un Rochechair qui portait une énorme pile de livres. qu'il décida de talonner. Si le musicien émit l'hypothèse que les démons les plus petits formaient le gratin de l'armée alors que les plus grands se trouvaient en bas de l'échelle. S'il suivait un de ces officiers, le défunt espérait être guidé jusqu'à une salle importante où il pourrait trouver des documents utiles.
Ahmés se retint de lâcher un cri de victoire en voyant qu'il avait vu juste quand son escorte l'amena dans une pièce qui semblait servir de centre de commandement. Une dizaine de Cendressangs étudiaient des dossiers ou rédigeaient des rapports, assis confortablement sur des fauteuils rembourrés, alors que des Rochechairs se tenaient au garde à vous ou effectuaient des tâches plus physiques. Au fond de la pièce, trônant comme un roi sur son trône, un officier installé à un bureau surélevé se leva de son siège et héla un de ses subordonnés.
– Je lis ici que nous suspectons la présence d'une Âmessombre au village de Fopi, à cinq kilomètres à l'ouest. Je veux que vous preniez une escouade et alliez sur place pour vérifier ça. Si un de ces sales Rochechairs a plus de pouvoir qu'il devrait avoir, neutralisez le avant qu'il ne devienne une menace.
– À vos ordres ! répondit le subordonné avant de quitter la pièce.
L'échange inquiéta Ahmés qui ne put s'empêcher de penser à Bélial. Quand ils avaient appris que la jeune femme appartenait à une caste rare de démons au grand potentiel, les déicides avaient cru qu'elle serait bien vu des autres démons. Mais maintenant, le musicien redoutait que le potentiel de son amie finirait au contraire par lui attirer plus de soucis. Si les Cendressang traquaient les Âmessombres pour les éliminer, la barbare devra se faire passer pour une Rochechair pour sa propre sécurité.
Le taouyen s'empressa de fouiller les piles de documents délaissés à la recherche d'information intéressante avant de rebrousser chemin et rejoindre ses compagnons. Une pile de papier sous le bras, Ahmés s'apprêtait à partir quand une lettre jetée dans une corbeille à cet instant attira son attention. Avec prudence, il s'approcha de l'objet qui avait attiré son attention et la parcourut du regard.
Mes respects Lieutenant Quamar,
Je vous annonce avoir localisé et éliminé l'Âmessombre qui se réfugiait à Rusi. Plusieurs Rochechairs ont tenté de s'opposer à la purge, ils ont tous étés exécutés pour trahison comme le prévoit la loi.
Mes troupes et moi même allons rester plus longtemps sur place pour mener des recherches car je suspecte que des membres de la rébellion ont trouvé refuge dans cette ville. Certains de mes hommes m'ont rapporté avoir entendu des civils critiquer l'ordre établi. Après interrogations, un d'entre eux aurait fini par clamer que la noblesse et la royauté ne devraient pas s'accorder le droit de compter dans leurs rangs des Âmessombres alors que celles nées dans le bas peuple sont éliminées.
À n'en pas douter, Rusi est devenu un foyer de contestataires qui crachent sur les principes les plus basiques de notre royaume. Les Âmessombres sont la forme la plus parfaite de notre race, il est donc inconcevable que des familles non méritantes en conçoivent alors que la noblesse et la famille royale ne comptent que peu d'Âmessombres parmi eu. Je pense que si mes craintes s'avèrent justifiées, Rusi devra être mis au pas et servir d'exemple aux autres villes pour les dissuader de suivre la rébellion.
Je vous ferais un rapport plus détaillé une fois que j'en saurais plus.
Avec tous mes respects,
Major Gram.
Ahmés lut la lettre avec consternation, apprenant plus d'informations qu'il ne l'aurait cru avec ce seul document que quelqu'un avait jeté comme s'il n'était pas important. La tête noyée sous un flot d'information dans lequel il craignait de se noyer, Ahmés se replia, se devant de prévenir les autres de la situation.
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