Chapitre 61 : La vraie force d'un Déicide

Avec un sourire crispé sur le visage, Sieg fit quelques pas en arrière, l'immensité de Tarkar dominant l'arène qui était dévasté au moindre de ses mouvements. L'écarlate ne parvenait pas à déterminer où et si la monstruosité avait un point faible, il ne pouvait pas distinguer de faille à exploiter.

L'homme-dragon avait-il complètement altéré son apparence, ou est-ce que son corps d'origine se trouvait au centre de cette masse colossale qui aurait poussé de lui ? Dans le second cas, comment atteindre le véritable Tarkar ? Et dans le premier, comment comprendre son anatomie pour espérer l'occire ?

Maintes questions noyaient l'esprit de Sieg qui était à peine assez concentré sur ce qui se passait à l'instant pour remarquer que trois des innombrables têtes fondaient sur lui. Alors qu'il esquivait leurs attaques grâce à sa magie de la foudre, le bretteur releva cependant un détail qui pourrait faire toute la différence. Contrairement à avant, les mouvements de Tarkar étaient plus lents, rendant ses tentatives de l'atteindre aisément esquivable. Mais était-ce parce que l'augmentation de sa taille rendait ses déplacement plus difficiles ? Qu'il avait du mal à coordonner autant de membres en même temps ? Ou faisait-il semblant d'être lent pour tendre un piège à l'épéiste ?

Bien que tourmenté par ces interrogations, Sieg se concentra sur les actions de son adversaires qui ne devenaient pas pour le moment plus vifs. Têtes, pattes et queues provenant d'un vaste bestiaire déferlaient sans relâche, assaillant l'écarlate qui continuait d'analyser son adversaire dans l'espoir de trouver une parade. La tâche était ardue, de nouveaux appendices poussant de ceux qu'il arrivait à esquiver et lui limitant d'avantage sa liberté de mouvement.

Arrivé en bout d'arène en tentant de mettre de la distance entre lui et Tarkar, Sieg risqua un regard derrière lui et vit la terre ferme plus de cent mètres plus bas. Il devint clair que le bâtiment était devenu un cratère où continuait de croître le colosse, réduisant l'édifice en ruines.

– J'espère que tu avais fait évacué tes femmes avant de lancer le combat... commenta Sieg. Parce que là...

– Oh, ne t'en fais pas, j'ai l'habitude de les faire quitter le palais pour l'épreuve, rassura une tête féline. Une fois, un participant avait tenté d'en prendre une en otage, alors depuis, je fais vider le palais à chaque défis.

– Après, ce n'est pas comme si ce serait une perte insurmontable, siffla un serpent. Il me suffit de claquer des doigts pour que l'on me livre des dizaines de beautés...

– Mais je ne devrais pas les gâcher, certaines que j'ai maintenant sont de telles beautés...

– Sauf qu'il y en a encore des milliers de par le monde, alors que des guerriers comme toi...

– Je ne devrais pas abuser pourtant, sinon je risque de trop déstabiliser la démographie du monde des ténèbres et le mener à sa perte...

– Je... Nous... Je...

Sieg fronça le sourcil, voyant la masse bestiale en proie au trouble et s'arrêter de s'avancer. Le bretteur émit alors l'hypothèse que Tarkar ne pouvait pas contrôler un corps si large et complexe avec un seul cerveau, le forçant à en créer d'autres pour coordonner ses pensées et mouvements. Cependant, ci c'était bel et bien le cas, l'homme-dragon semblait avoir du mal à accorder ses pensées qui pouvaient s'avérer contradictoires. Tant qu'il se concentrait sur quelque chose d'aussi simple et directe qu'un combat, il ne rencontrait pas de problèmes, mais dès qu'il était confronté à une situation qui le forçait à raisonner, les différents cerveaux entraient en conflit.

– Et sinon, à part moi, qui était le meilleur adversaire que tu as affronté ? demanda Sieg en scrutant la monstruosité. Il doit quand même y avoir des perles dans le lot, non ?

– Hum... Je dirais Judion, il savait manier une hache comme...

– Non, Bolin était meilleur, sa technique à la lance était...

– N'importe quoi, c'était ce mage de glace qui m'avait donné le plus de fil à retordre ! Il s'appelait... Euh...

– Il ne devait pas être si bon si je ne me souviens même pas de son nom...

– Ne raconte pas n'importe quoi, il ne s'était pas présenté du tout ! Plusieurs participants ont préféré garder l'anonymat !

Les têtes cessèrent de fixer Sieg, semblant s'assoupir ou perdre leur but. Il se demandait comment au mieux exploiter cette faiblesse, car elle dévoilait un tout autre problème. Si Tarkar pouvait se créer des cerveaux, cela pouvait signifier que tant qu'il en possédait en réserve, détruire le principal, s'il existait, n'aurait pas raison de lui. Ou au contraire, si une telle pensée centrale existait, était-elle vitale pour sa survie ?

En un instant, toutes les têtes semblèrent secouées par une seule et même pensée et fixèrent le bretteur avec toute leur attention.

– Bien essayé, dirent elles toutes dans un parfait unisson.

L'écarlate se mordit la lèvre en voyant plus de la moitié des têtes, bras et tentacules fondre et se détacher du corps principal. Des flaques qui s'étendaient sur le peu d'arène qui restait, des créatures difformes émergeaient toutes aussi grotesques que différentes mes unes des autres, comme un assemblage hasardeux.

– Décidément, tu es le meilleur rival que je pouvais espérer avoir... déclarèrent les têtes restantes. Même les plus brillants généraux qui ont lancé leurs armées contre moi n'avaient pas identifié cette faille. Plus je m'étends, plus j'ai besoin de créer des cerveaux secondaires pour contrôler mon corps, mais mes copies sont loin d'être parfaites. Causer la discorde avec de si simples questions était brillant, mais je ne me laisserais pas avoir. Je vais être plus limité dans ce que je pourrais faire, mais au moins, en prenant le plein contrôle, je suis sûr de rester concentré sur toi. Sans oublier ma petite armée. Mes soldats ne sont que de simples bêtes moins intelligentes que de vrais animaux, mais ils me reconnaissent comme leur alpha alors suivront mes instructions à la lettre.

Les têtes grognèrent chacune à leur façon et les créatures foncèrent sur Sieg qui se teint prêt à réagir. Bien que les bêtes ne possédaient pas d'âme à lire, l'écarlate n'eut aucun mal à se jouer des bêtes. Avec des mouvements agiles et précis, il sectionna les membres de ses adversaires, ne pouvant pas être certains que des horreurs créées à la va-vite aurait une anatomie fiable. En gardant ses distances avec les créatures, l'épéiste vit qu'aucune de leurs blessures ne guérissaient, dévoilant que Tarkar ne partageait pas son énergie divine avec elle. Cependant, dès qu'une entité devenait incapable de se battre, une des têtes la gobait avant que le corps principal ne donne naissance à une autre monstruosité, les nouveaux arrivants semblant plus aboutis et stables que les précédents.

– Vas-y, montre moi ! Je veux voir jusqu'où je dois aller pour te battre ! J'ai envie de découvrir tes limites !

Alors qu'il faisait déjà face à des pions de plus en plus redoutables, Sieg réalisa que la masse centrale se mettait en mouvement et préparait son assaut contre lui. Une créature cracha une toile d'araignée sur le sol pour entraver ses mouvements, mais le bretteur matérialisa des lames au-dessus d'elles pour éviter de se faire prendre dans elles. Tout en continuant à se créer de nouveaux appuis, Sieg planta des lames dans le corps de Tarkar et se nimbèrent de magie des ténèbres pour lui dérober sa mana. Tant qu'il pouvait ainsi lui voler son énergie divine, l'écarlate ne manquerait pas d'endurance, mais si le champion pouvait se permettre des erreurs, le bretteur savait qu'un seul mauvais jugement pourrait lui coûter la victoire. Et malheureusement, malgré les découvertes qu'il venait de faire concernant son adversaire, l'humain ne savait toujours pas comment gagner.

Trois têtes se jetèrent dans l'affrontement, mais un éclat de lumière les traversa et les réduisit en miettes. Le rayon bifurqua et se dirigea vers le sol où il ralentit, une lance plantée dans le sol l'aidant à ralentir sa course. Tarkar et Sieg réalisaient à peine ce qui se passait quand Raya se redressa en grognant, retirant sa lance du sol et décrochant de son dos un vaste tonneau.

– Désolée du retard, mais la mise en place n'a pas été évidente, s'excusa la déesse en s'étirant.

– Mais... Qu'est-ce que tu fais là ? Tu sais que c'est un duel ! Si on brise les règles, on risque...

– Oui, je sais, mais tu ne crois pas que la situation a changé ? soupira la lancière en désignant Tarkar. Il l'a dis lui même, cette forme, c'est pour battre des armées, mais tu es tout seul. S'il est obligé de tout donner, tu as le droit de te reposer sur ta vraie force aussi, non ?

– Sa vraie force ? demandèrent en cœur les têtes. Parce que je ne l'ai pas encore vue ?

– Bien sûr que non, répondit Raya en poussant le tonneau avec son pied pour le renverser. C'est bien pour ça que je suis là.

L'eau contenue dans le tonneau se déversa sur le sol et s'étala sur plusieurs mètres. D'un coup, le liquide cessa de se répandre et commença à se concentrer en une zone plus limitée. Des voluptes d'eau s'élevèrent et tournoyèrent pour former une sphère aqueuse.

– Tu croyais quoi, Tarkar ? s'exclama Raya. Que Sieg était arrivé jusqu'ici seul ? Qu'il est capable de trouver une solution à toutes les situations sans compter sur l'aide de quiconque ? Navrée de briser tes illusions, mais si notre chef est arrivé aussi loin...

Le tournoiement de l'eau ralentit, dévoilant des figures au centre de la sphère qui s'étiolait. Sieg et Tarkar écarquillèrent les yeux en voyant le reste de Déicides se tenir devant eux, armes en main quand ils en possédaient.

– C'est clair que sans nous pour le tirer du merdier tous les deux jours, il n'aurait pas fait long feu ! conclut Farca en jonglant avec une bombe.

– Et que dire du reste de notre joyeux petit groupe ? ajouta Ahmés qui cessa de jouer son luth. Je doute qu'un seul d'entre nous serait bien loti s'il ou elle n'avait pas rencontré les autres...

– Affirmatif ! Notre Plein Potentiel Ne Peut Pas Être Atteint Si Nous Sommes Séparés !

– Malheureusement, ça, notre boulet de meneur a tendance à l'oublier et fonce souvent seul dans les ennuis en pensant pouvoir tout régler tout seul...se lamenta Lorelya. Et au final, qui doit le sauver ?

– Pour être honnête, je n'ai vraiment pas envie d'être ici... avoua Basile qui tremblait comme une feuille. Jamais je n'aurais cru que je défierais un jour le légendaire Tarkar, j'ai l'impression de briser le plus grand des tabous. Mais sans Sieg, jamais je n'aurais trouvé le courage de montrer au monde ce dont je suis capable et je serais resté le même échec inutile, alors s'il a besoin d'aide, je peux prendre le peu de courage que j'ai et au moins essayer...

Resserrant la dernière sangle de son armure de combat, Bélial s'avança avec confiance pour prendre place à côté de son partenaire.

– Si t'as besoin qu'on te résume tout ça, tu veux un d'entre nous, tu dois te taper tout le monde ! Tu chiales parce que t'a pas de vrais guerriers à te mettre sous la dent ? Alors si te fritter avec Sieg te plaît, imagine un peu ce que ça donnera contre l'équipe la plus balèze dans n'importe quel monde !

Les créatures s'agitèrent, s'avançant vers les Déicides. Soren bondit de l'ombre de Bélial et grandit. Du haut de ses dix mètres, trois fois plus que n'importe lequel des monstres lui faisant face, le loup arcanique grogna de façon menaçante, puisant à la fois dans sa magie et son sang vampirique. Mues par leurs instincts sans la moindre trace de raison, les créatures furent transies d'effroi face à ce prédateur qui les dépassaient et s'enfuirent sous les regards choqués des têtes de Tarkar.

Remis de ses émotions, Sieg tenta de prendre la parole, mais la Ténèbraile colla son doigt sur sa bouche et le fixa sévèrement.

– Et toi, tu as intérêt de nous sortir tes meilleures excuses quand on aura gagné, parce que je commence à en avoir bien marre de te voir te sacrifier sans moi ! Accroches bien toi, parce que quand on sera rentré, tu vas passer le reste de la nuit à me montrer à quel point t'es désolé, et n'oublies pas qu'ici, y a pas de jour...

Le ton de la démone fut moins colérique et plus sulfureux sur la fin, ne laissant aucun doute aux Déicides quant à ce qu'elle avait en tête. Alors que les autres soupiraient d'exaspération, l'écarlate hocha la tête, se sachant vaincu.

Tarkar se mit à rire, mettant les Déicides en garde.

– Putain, j'aurais dû y penser avant... Une éternité à me farcir des guerriers solitaires qui n'arrivent pas à me satisfaire, et pas une seule fois, je me suis dis que les affronter en masse serait plus marrant ! Je croyais que Sieg était unique, mais on dirait que je me trompais ! Vous êtes tous aussi cinglés que lui, alors j'ai hâte de voir si votre folie est égalée par votre force !

– J'espère que t'as un plan pour le battre, parce que nous, de là où on était, on n'a rien trouvé... souffla Farca en donnat un coup de coude dans la hanche de Sieg. Si tu veux te racheter pour nous avoir largués de nouveau, c'est le moment.

Songeur, l'écarlate fixa son épée. Entre la nouvelle capacité de Venwë Fëa et le soutien de ses compagnons, existait-il une stratégie à jouer ? Une carte à abattre qui leur permettrait de terrasser une menace qui éclipsait de loin toutes celles qu'ils avaient affronté jusqu'à ce jour ? Au cours de ces quatre milles ans passés dans le domaine divin, il avait réfléchi à tant de techniques, mais la majorité d'entre elles avaient été abandonnées, soit pour leur complexité, soit pour leur réalisme.

Et parmi ces plans rejetés, un trônait en maître incontesté. Une attaque à l'idée si simple, mais tout les facteurs impliqués dans sa réalisation en faisant une farce absurde et absolument inutilisable.

Mais maintenant, il avait en main toutes les clés requises pour forcer l'ouverture de la cage qui enfermait la technique la plus redoutable qu'il ai jamais imaginé.

Des sourires malsains étirèrent les traits de la majorité des Déicides quand ils virent la lueur dans le regard de Sieg.

– Oh, j'ai bien une petite idée sur la question... se réjouit l'écarlate en rengainant son arme. Mais pour ça, je vais avoir besoin de temps. Vous pensez que vous pouvez le garder occupé quelques minutes ?

– Donc, tu veux qu'on fasse mumuse avec le plus grand guerrier du monde des ténèbres pendant que toi, tu nous mijotes quelque chose juste sous son nez, c'est ça ? résuma Raya avec un air agacé.

– Est-ce que ça posera un problème ? l'interrogea l'écarlate avec amusement.

La déesse ricana et raffermit sa prise sur sa lance en prenant une posture de combat. Les Déicides l'imitèrent, faisant échos à sa réponse.

– Tu veux rire ? Avec une équipe comme la notre, tu as surtout intérêt de ne pas traîner si tu ne veux pas qu'on le tue nous même !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top