Chapitre 6 : Un pas vers l'inconnu
Guidé par la lumière des braseros allumés, Sieg peignait. Il maugréait à chaque fois qu'un stalagmite se dressait sur son chemin, le forçant à le briser. Il commençait à regretter d'avoir réclamer à être seul pour travailler, ne voulant pas être perturbé dans son travail qui demandait de la minutie. Même si Bélial pouvait être intenable quand elle n'avait rien à faire, elle aurait été assez forte pour déblayer le terrain sans difficulté. Au lieu de ça, il devait s'en charger lui même, fragilisant les obstacles avec sa faible magie de la terre pour les briser plus facilement.
L'écarlate poussa un soupir de soulagement en terminant son œuvre et se redressa, son regard balayant les environs de nouveau. La salle des cérémonies du clan Sombresang donnait plus l'impression d'une arène surélevée, entourée de gradins de pierre où des spectateurs pouvaient admirer des combats. Les braseros aux quatre coin de l'estrade centrale étiraient des ombres sinistres dans toute la salle, mais leur lueur permettaient tout de même d'admirer la décoration du lieu.
En baissant le regard, l'épéiste discerna le symbole qu'il venait de recouvrir un sigle. Il reconnaissait la représentation qui indiquait qu'il se tenait sur un portail vers le monde des ténèbres, passage qu'il s'apprêtait à rouvrir.
En levant la tête, entre les stalactites menaçant ceux qui osaient se dresser sous eux, le bretteur reconnut des fresques représentant des batailles de la guerre du Crépuscule, ravivant de sombres souvenirs à Sieg.
À cette époque époque éloignée, l'écarlate s'était battu telle une arme de guerre, refoulant ses émotions et éliminant sans hésitation ceux qui se dressaient face à lui. Sa fureur au combat incitait de la peur chez ses ennemis qui avaient pris l'habitude de lui donner le nom d'un monstre de leurs légendes qui dévorait les innocents. Ses ennemis avaient beau être des démons, le jeune héros avait été parfois bien plus cruel qu'eux pour gagner.
Un frisson parcourut Sieg en se remémorant son passé, ayant honte de la chose qu'il devenait afin de survivre. La bile lui remontait aussi la gorge en repensant au mépris dont il avait été victime. Bien qu'il avait fait parti du groupe le plus puissant du côté de la lumière, personne se privait de lui rappeler qu'il était le plus faible des Neuf Sauveurs. Quoi qu'il accomplissait, il était en permanence rabaissé, comparé aux autres membres de son groupe dressés sur un piédestal où seules huit places étaient disponibles. Lui, il n'était que la blague de l'histoire, même s'il réalisait des exploits que des personnes ordinaires n'arrivaient pas à égaler.
L'écarlate secoua la tête en se dirigeant vers la sortie. Il n'avait plus de raison de ressasser ces terribles origines. Aujourd'hui, plus personne ne crachait sur ce qu'il faisait. Ses faits d'arme étaient connus et admirés, personne ne le regardait avec condescendance.
Quand il atteignit le bout du passage le ramenant à la lumière du jour, Sieg fut ébloui une seconde, plus habitué à la pénombre de la grotte. Avant même de pleinement retrouvé la vue, le bretteur fut comprimé dans une embrassade bien douce.
– Alors ça y est ? lui demanda Bélial en le serrant dans ses bras. Tu as fini ?
– Oui, c'est bon. Mais que me vaut autant de tendresse ? Ça ne fait même pas une heure que je...
La démone caressa la tête de son amant avant de lui souffler dans l'oreille.
– T'as repensé au passé, non ? J'ai eu l'impression que t'allais te mettre à chialer...
Sieg déglutit, ayant cru qu'il avait masqué son trouble avant de sortir. En y repensant, il se rappela à qui il avait affaire et se sentit sot d'avoir pensé pouvoir la tromper. Ses bras glissèrent dans le dos de sa partenaire alors qu'il se blottissait contre elle, la laissant le réconforter.
– Oui, mais ça va mieux... Je sais que je ne suis plus enchaîné par mon passé...
– Sérieusement, tu nous faisais encore une déprime ? Tu ne devrais pas nous encourager plutôt, chef ?
Lassé, Sieg se sépara de la barbare et dévisagea Farca qui lui adressait un sourire mesquin, les mains sur les hanches.
– Bon, vous venez ? continua l'alchimiste. Le déjeuner est presque prêt, nous devrions prendre des forces avant de voyager entre les dimensions. Et je n'arrive pas à croire que je dis ça comme si c'était devenu normal pour nous...
Sieg ricana en suivant la naine, main dans la main avec Bélial. Ils rejoignirent le reste du campement où soldats et chercheurs attaquaient déjà leurs écuelles en conversant. Le trio de retardataires rejoignit le reste des Déicides, assis en compagnie d'Anoro, Udia et d'autres chercheurs qui suppliaient leur collègue de changer d'avis.
– Mais enfin, vous rendez-vous compte des risques que vous prenez ? S'ils ne nous mentent pas, ils comptent explorer un monde dont nous ne savons presque rien !
– C'est précisément parce que nous ne savons pas ce que nous pouvons y découvrir que nous devrions y aller ! répondit Udia en agitant sa cuiller sous le nez de son interlocuteur. Notre métier est d'éclairer les ténèbres de l'inconnu pour y découvrir ce qui s'y cache ! C'est une chance inespérée d'en savoir plus sur un monde entier !
– Mais c'est terriblement risqué ! insista quelqu'un. Leur plan repose sur l'idée de trouver des démons, mais en quatre mille ans, qui sait ce qui s'est passé ! Et si l'endroit où ils arriveront est sous la domination des elfes noirs ou des hommes-dragons ? Vous y avez pensé, à ça ?
Alors qu'elle n'avait pas prêté à l'échange jusque-là, Lorely fronça les sourcils et fixa les chercheurs.
– Qu'est ce que c'est que cette histoire d'elfes noirs ? Je n'ai jamais entendu parlé de ça, moi...
– Nous admettons n'en savoir que très peu... déclara Udia, ravie d'avoir une bonne excuses pour ignorer les craintes de ses collègues. Nous savons juste que c'est l'une des trois races majeures du monde des ténèbres. À part qu'ils ont la même espérance de vie que les elfes d'ici mais préfèrent les endroits sombres aux forets, nous n'avons pas pu en apprendre plus dans nos recherches.
– Et je ne vais pas pouvoir plus t'éclairer qu'eux, ajouta Sieg en recevant son écuelle. Je n'ai affronté que des démons il y a quatre mille ans. Aussi, je t'avoues quand quand je les interrogeais, j'étais plus intéressé par leurs plans ici que par leur histoire et culture chez eux...
– On 'ou'as 'eur 'oser 'a 'es'ion 'i on en 'ou'e !
– Ce n'est pas parce que tu es rentrée chez toi que tu dois oublier les manières les plus basiques ! gronda Farca en essuyant la bouche de Bélial.
– Mais pour en revenir à vos craintes, intervint Ahmés en regardant le chercheur qui avait lancé ce débat, nous sommes bien conscients que des choses ont pu changer en autant de temps. C'est pourquoi quand nous arriverons, je partirais en reconnaissance pour déterminer la situation sur place. Et si au final, nous ne sommes pas chez des démons, je pourrais toujours altérer mes talismans de dissimulation pour nous donner une autre apparence.
– Et la langue ? critiqua un énième raleur. Et je ne parle pas juste du langage des elfes et hommes-dragons ! En quatre mille ans, il est possible que le dialecte démoniaque ait évolué !
– On verra sur place.. soupira Farca. Au pire, avant de partir, j'ai demandé à un alchimiste de m'apprendre à faire des filtres de vers, alors tant que Sieg et Ahmés s'occupent de la partie magique des mixtures, on aura juste besoin de chopper un local pour lui prendre un peu de sang et mettre à jour notre langage.
– Ah, j'imagine donc que vous en avez tous pris pour apprendre le griganien ! s'exclama Udia en joignant ses mains. Je me disais bien que, pour des étrangers, vous vous exprimiez bien dans notre langue.
– Pour eux, oui, expliqua Sieg. Moi, j'ai appris toutes les langues que je maîtrise moi même. Ce qui est pratique, vu que mon sang peut donc servir à faire des philtres pour apprendre bien des langages.
– Vous voyez ? s'exclama Udia à l'attention de son équipe. Ils ont pensé à ce genre de détails ! Certes, ils ignorent bien des choses sur le monde des ténèbres, mais avec notre savoir et un peu de recherche sur le terrain, ils pourront combler leurs lacunes ! Ne me dîtes pas que vous préférez rester dans des ruines où il ne se passe rien plutôt que de vous aventurer dans l'inconnu !
Les visages blêmes qui la fixèrent lui rappelèrent que le reste de sa profession préférait de base les bibliothèques à la nature. Il était rare pour eux de s'aventurer hors d'une ville, elle avait même eut du mal à trouver des volontaires pour cette expédition où personne ne voyait aucun danger, alors l'exploration d'un monde rempli de démons ne les intéressait pas particulièrement.
– Bon, c'est bon, j'ai compris, je serais la seule à les accompagner... grommela Udia. Mais vous ne savez pas ce que vous manquez !
Les chercheurs tentèrent encore de dissuader Udia, mais ses refus catégoriques les firent abandonner. Quand cette elfe trouvait un sujet d'étude qui la fascinait, même un intervention divine ne pouvait pas l'en faire démordre.
Une fois le repas terminé, les Déicides et les soldats de Danatal se dirigèrent vers la salle de cérémonie. Udia fit ses adieux à ses collègues qui étaient persuadés de ne plus jamais la revoir avant de se presser à rejoindre le groupe d'exploration.
Une fois de retour dans la salle où se trouvait le portail, Sieg passa devant le groupe et tendit les bras vers l'estrade. Il ferma les yeux et se concentra avant d'énoncer une formule d'un e voix forte est sûre. Aucun de ses compagnons ne comprenaient ce qu'il disait, mais bien vite, ils purent constater qu'il obtenait des résultats. L'air se mit à frémir alors qu'un vent peu naturel tournoyait autour d'eux. Un crépitement grandissant agressa leurs oreilles, suivi d'un son strident. Sous leurs yeux ébahis, ils virent une fente déchirer l'espace au dessus du symbole sur la scène, comme si on déchirait un vêtement. Une fois la fente longue de trois mètres, elle s'écarta pour se transformer un cercle au travers duquel ils purent voir une autre grotte, celle-ci non aménagée.
– Serait-ce... balbutia Udia en tendant la main vers le passage formé.
– En route ! ordonna Sieg en ouvrant la marche d'un pas décidé.
L'équipe le suivit mais hésita quand ils furent à moins de trois mètres du portail. Ils virent Sieg en franchir le seuil comme s'il passait simplement d'une pièce à une autre avant de se retourner vers eux et les héler.
– Dîtes vous que c'est juste une porte ! Vous n'avez pas peur d'une porte, quand même ?
– Tout dépend de la distance parcourue quand on la franchit... maugréa Farca en rassemblant tout de même assez de courage pour avancer.
L'alchimiste s'arrêta juste devant le portail, fixant ses bords avec minutie. La mana tourbillonnait autours du passage, attestant de la nature magique et primale de l'ouverture entre les mondes. La naine inspira, ferma les yeux et fit un pas en avant. Après deux secondes d'attente où elle ne fut pas déchirée en mille morceaux et éparpillée entre les dimensions, elle entrouvrit un œil. Elle venait de faire son premier pas dans le monde des ténèbres. L'alchimiste ressentit une étrange chaleur lui parcourir les pieds et s'accroupit pour toucher le sol et retirer sa main vivement en réalisant qu'il était chaud. Elle réitéra l'expérience, constatant que la surface était loi d'être brûlante, mais d'une température anormalement élevée quand même.
Bélial fut la prochaine à franchir le portail, plus confiante que la sang-mêlée. Elle se tint pas en place, scrutant chaque recoin de la sombre caverne, uniquement éclairée par la lueur des braseros qui s'infiltrait à travers le passage. Sieg dégaina son épée et l'insuffla de magie de lumière avant de s'adresser aux soldats.
– Sortez vos torches ! Je vois un large couloir qui doit mener à la sortie, mais ça veut dire que nous ne trouverons pas de lumière avant d'en être sortis.
La troupe obéit, se servant des braseros pour allumer les torches. Armés de lumière, les forces de Danatal quittèrent leur monde natal pour un plus sombre et inconnu. Une fois la dernière passée, Sieg se dressa devant le portail et chanta une nouvelle incantation, inversant le processus précédant et fermant le passage.
– Voilà ! Je n'allais quand même pas laisser un passage entre les mondes ouvert sans savoir qui pourrait tomber dessus, si ?
Personne ne l'écoutait. Tous admiraient l'immense caverne où ils se trouvaient, leur donnant une impressions de cathédrale à leur pieds, le même symbole que dans le monde de la lumière sous leurs pieds.
– C'est marrant, mais je me suis toujours imaginé que les portails seraient dans des endroits facilement accessibles, commenta Farca. Après tout, les démons s'en servaient pour déployer leurs troupes...
– D'après les recherches de mon frère, les portails exploitent des failles entre les mondes, des endroits où la frontière entre les dimensions est la plus mince, exposa Sieg. Il n'est donc pas garanti d'en trouver dans des lieux faciles d'accès.
– Fascinant... souffla Udia. Nous passons d'une caverne à une autre... Se pourrait-il que...
– Que quoi ? l'interrogea Anoro.
– Je ne suis pas sûre, mais... Non, je n'ai pas assez de preuves. Il me faut plus d'indices pour savoir si j'ai raison.
– Ouais, ben on risque pas d'en trouver des masses en traînant dans le coin... prévint Bélial qui s'avançait déjà vers la sortie. Bon, vous...
– Minute ! s'écria Sieg en attrapant le bras de la démone. Nous ne savons pas ce qu'il y a à la sortie ! S'il y a une ville ou un village, ils vont se demander d'où on sort. Lorelya ?
– Je ne sens rien, la plante la plus proche doit être à des kilomètres. Et comme nous n'avons aucune idée de ce qui pourrait se trouver plus loin...
– Entendu. Ahmés, c'est à toi de jouer !
– Je m'y atèle ! déclara le musicien en se rendant invisible. On se voit bientôt !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top