Chapitre 56 : Aucun choix
Alors que les Déicides se remettaient à peine de ce qu'ils venaient d'apprendre, Tyrian se racla la gorge, ramenant plusieurs d'entre eux à la réalité.
– Bon, maintenant que j'ai démonté que je ne suis pas inutile, commençons nos négociations...
– Quelles négociations, tocard ? grinça Farca avec humeur. Tu viens de tout balancer ! Alors à moins qu'il te reste d'autres révélations du même niveau, ce qui semble peu probable, même avec Saga impliqué...
Avec un rire suffisant, Tyrian roula les yeux vers le ciel, irritant l'alchimiste.
– Je croyais que tu étais une des têtes pensantes du groupe... Pour le moment, je ne vous ai donné que les détails les plus étincelants, mais tu ne crois pas que ça manque de détails ? Oui, vous savez maintenant pour les clés et vous commencez à comprendre pourquoi Saga veut son frère, mais ça ne veut pas dire que vous êtes tellement plus avancés.
– Il a raison... souffla Sieg qui sortait enfin de son état second. À moins qu'il lui reste un atout, je ne pense pas que Saga va rester à Eclispia s'il perd son seul bouclier contre l'autorité démoniaque, ce qui veut dire que nous allons devoir le traquer. Nous aurons alors besoin de savoir où il pourrait fuir à part Plasmia, quelles forces il a à sa disposition, la forme de la chaîne de commandement de son armée, sa logistique... Pour le moment, Tyrian ne nous a seulement donné les titres de quelques chapitres des plans de Saga, mais non seulement il nous en reste à découvrir, si nous voulons vraiment les comprendre, nous allons devoir les lire en détail. Et c'est ce genre d'informations qui nous aidera à gagner la guerre, pas des révélations générales.
Détestant avoir à reconnaître cette vérité, Bélial fixa son congénère d'un regard assassin qui fit le fit ricaner. À ses côtés, Cinder ne semblait pas aussi confiant que le potentiel Ténèbraile et triturait nerveusement ses mains.
– Bien, s'exclama Tyrian en croisant ses doigts sous son menton. Maintenant que j'ai démontré ma valeur, voici mes termes. Je vais vous aider à nous débarrasser de Saga. Je ne prendrais pas part directement au combat parce que je ne suis pas suicidaire, mais tout mon savoir sera à votre disposition.Tant que notre ennemi commun sera en vie, nous formerons un front uni aux yeux de la cour d'Eclipisa, mais une fois qu'il sera mort, un 'entre nous devra partir, vu qu'on ne va clairement pas pouvoir cohabiter. Te connaissant, tu n'as pas particulièrement envie de régner, je sens que tu veux juste empêcher Saga de contrôler notre peuple par mon intermédiaire. Mais s'il n'est plus là, tu perdrais ta seule raison de m'empêcher de prendre le trône, pas vrai ? Enfin, à part le fait que nous n'arrivons pas à nous supporter, mais ce n'est qu'un détail si nous choisissons chacun un monde et que nous y restons.
– Alors c'est ça, le coût de ton aide ? commença à résumer Lorelya. Non seulement le trône suprême des démons, mais aussi la liberté de faire ce que tu veux dans le monde des ténèbres sans nous laisser le droit d'intervenir. Tu es bien arrogant...
– Je le peux, si mes informations nous permettent de mettre un point final aux manigances d'une menace pour deux mondes. Vous pourrez faire ce que vous voudrez de celui de la lumière, je me garde celui-ci.
– Jusqu'à ce que tu décides d'imiter tes ancêtres et que tu décides de conquérir notre monde, analysa Ahmés.
– Oui, et je ne suis pas sûr de vouloir de toi comme voisin... déclara Basile. Je vous rappelle qu'une fois cette affaire réglée, je n'ai pas l'intention d'abandonner mon pays, surtout avec une telle menace à la tête des démons...
– Dans ce cas, que dirais-tu d'une alliance ? suggéra Tyrian en se tournant vers l'invocateur. En passant du temps avec Saga, je n'ai pas juste élargi mon vocabulaire, j'ai aussi compris l'importance de négocier et trouver des compromis. Oui, j'ai bien l'intention de conquérir le monde des ténèbres, mais je ne suis pas obligé d'asservir chaque nation. Si un pays acceptait certaines conditions, je serait disposé à même leurs laisser leur autonomie. Assez généreux, si on considère que je suis à deux doigt d'obtenir la puissance militaire d'un peuple entier.
– Mais pas plus que ça, nous sommes bien d'accord ?
L'expression du démon se fit plus sombre en se tournant vers Sieg qui se remettait enfin de ses émotions et était fin prêt à mener les négociations.
– Si tu arrives à convaincre Bélial de te laisser faire à ta guise, car oui, ici, c'est elle qui aura le dernier mot, il est clair que nous ne pourrons pas te laisser plus que le trône. Non seulement Saga est venu ici avec une armée, il ne faut pas oublier la situation des Déchus, que ce soit leurs essences divines ou leurs corps physiques. Il est hors de question que tu te les appropries une fois mon frère vaincu.
– Que suggères-tu alors ? Que vous en preniez possession ? Même si je sais que vous serez récalcitrants à les utiliser, j'imagine que vous pourriez faire une exception pour vous débarrasser de votre dernier adversaire potentiel.
– Je suis bien d'accord, aucun arrangement pourra être trouvé tant qu'un des partis se retrouvera avec le contrôle d'un tel pouvoir, reconnut l'écarlate. Dans ce cas, une fois que nous aurons vaincu Saga, nous devrons maintenir notre alliance le temps de trouver le moyen de nous débarrasser des Déchus pour de bon.
– Quelle excellente idée ! se moqua Tyrian en écartant les bras. Nous débarrasser des Déchus, si seulement quelqu'un y avait pensé ! Je te rappelle que s'ils ont été scellés, c'est bien parce qu'il n'existait aucun moyen de les détruire complètement ! Alors oui, nous pouvons tuer leurs corps dépossédés de leurs pouvoirs, mais justement, le vrai problème est leur puissance divine. Si on ne compte pas Cupidor si on arrive à le laisser enfermé derrière sa porte, ça nous en laissera six sur les bras.
– Pas exactement, intervint Raya en devenant songeuse. Quand les Déchus ont été vaincus pour la première fois, il n'existait pas mondes mais un seul. Le domaine divin et les mondes de la lumière et des ténèbres ne se sont séparés qu'après la guerre du Chaos, ce qui nous donne une opportunité non négligeable. S'il faut passer par des portails pour passer d'un monde à l'autre, c'est bien parce que sans, une téléportation dimensionnelle serait risquée par ce que nous risquons de tomber... à côté...
– Comment ça, à côté ? s'inquiéta Lorelya. Comment on pourrait louper un univers entier ?
– C'est assez compliqué à expliquer parce que je ne connais pas tout moi même, avoua la déesse. Ce que je sais, c'est qu'en se divisant ainsi, il existe des... espaces entre les mondes... des endroits où il n'existe rien. Je pense que deux d'enre nous peuvent comprendre ce que j'essaye de dire...
Comme par instinct, plusieurs regards se posèrent sur Ahmés et Basile qui comprirent le sens des mots de la lancière.
– Je crois que je comprends... souffla le défunt. Nous servons tous les deux de ponts vers d'autres dimensions très différentes de celles que nous connaissons. Moi vers celui des morts, et Basile vers celui des esprits. Je ne sais pas pour lui, mais moi, j'admets que quand je puise dans la source de mon pouvoir, c'est comme si je dois aller le chercher à un endroit particulier, je ne peux pas y aller à l'aveugle.
– Oui, il me semble même avoir lu quelque chose à ce sujet, exposa l'invocateur. Certains ouvrages parlent d'un néant, d'un gouffre entre les mondes, que les esprits doivent traverser pour venir ici. Sans quelqu'un de ce côté ci pour les guider, un esprit qui chercherait à venir par ses propres moyens a de fortes chances de se perdre et disparaître sans la chance de pouvoir revenir.
– Alors nous avons une solution, conclut Sieg. Une fois Saga vaincu, nous trouverons un moyen d'expédier les Déchus dans le néant où ils ne pourront plus faire de mal. De toute façon, de ce que j'ai compris de vos explications, il est plus dur d'éviter de tomber dedans que l'inverse quand on voyage entre les mondes.
– Ouais, ben vu notre chance, on serait capable de briser toutes les lois de la probabilité, alors si tu veux bien, on va essayer de faire ça bien, hein ? suggéra Farca sans une once d'humour.
– Déjà, voyons si nous allons bel et bien travailler avec Tyrian, suggéra la verdoyante en fixant la barbare. Sieg l'a bien dit, c'est à toi de décider, on parle de ton héritage et de ton droit de régner. Je sais que ça ne t'intéresse pas de base, mais ça ne veut pas dire qu'on peut décider tout ça sans te demander ton avis.
En passant ses bras autours du torse de son partenaire assis devant elle, la barbare posa son menton sur l'épaule du bretteur et réfléchit. Bélial détestait l'idée de laisser Tyrian avec autant de pouvoir, mais elle savait aussi que sans son aide, vaincre Saga, un bien plus grand mal, serait compliqué. Si elle savait exactement à quoi s'attendre avec le démon qui avait grandi à ses côtés, elle ne pouvait pas commencer à comprendre les machinations de l'arcaniste qui échappaient à son propre frère. Entre un mal prévisible et un autre plus nébuleux, le choix était aisé, mais réclamait des conditions.
– Franchement, j'ai pas envie de te donner quoi que ce soit... finit par lâcher la jeune femme. Après tout ce que t'as fait, les personnes qui sont mortes à cause de toi... T'as tué ton père et massacré notre clan, c'est pas un truc que je te pardonnerais, même dans milles ans. J'ai qu'une envie, te faire bouffer tes couilles avant de t'achever, mais dans la vie, on fait pas toujours ce qu'on veut. Alors si je devais choisir entre te buter et avoir la peau de Saga, quelqu'un de pire, c'est vite vu, mais pas sans conditions.
– Tu veux dire en plus de celle qu'ont déjà...
Un regard noir de Bélial dissuada Tyrian d'ajouter un seul mot tant qu'elle n'aurait pas terminé. Lentement, la barbare fit le tour de la table pour s'approcher du démon qui se sentait de plus en plus mal à l'aise.
– Je sais pas si tu l'as remarqué, mais le monde des ténèbres est pas vraiment un paradis. Je dis pas que celui de la lumière est parfait, mais là-bas, les gens se battent pas pour du ténèbrium comme ici. Il y a des pays qui n'en ont pas assez et vont aller jusqu'à déclarer des guerres ou pire pour prendre celui des autres. Et pendant ce temps là, il y a Eclipsia qui en a tellement qu'ils ont rien trouvé de mieux à faire avec que faire voler des putains de quartiers la taille de petites villes ! Alors si je te laisse prendre le pouvoir, Tu devras arrêter ces conneries et envoyer toute cette énergie là où elle sera vraiment utile. Tu veux être un chef ? Un roi ? Prouves que tu comprends ce que ça veut dire et prends soin de ton peuple au lieu de l'exploiter ?
Ses yeux plissés, Tyrian dévisagea Bélial en se levant, la toisant sans dire un mot avant d'enfin répondre.
– Je garderais le château dans les airs. Il faut bien que j'assois ma supériorité pour garder mon autorité. Mais sinon, tu as raison, ça ne sert à rien de faire voler autant de quartiers, et je pourrais utiliser l'énergie économiser pour aider notre peuple à prospérer. Après tout, plus ils sont satisfaits, plus mes sujets me seront utiles, alors c'est du donnant-donnant. Et Avant que tu en rajoutes, ça veut aussi dire que je veillerais à ce que leurs autres besoins soient aussi comblés. Ça te convient ?
Dans un silence pesant, les deux Ténèbraile se jugèrent, incapables de masquer leurs animosités mutuelles. Enfin, Bélial tendit la main vers Tyrian qui la serra, donnant enfin le droit à leur entourage le droit de respirer.
– Bon, maintenant que cette crise-ci a enfin été résolue, peut-être qu nous devrions redescendre pour rassurer tout le monde... soupira Farca. Ça fait un moment que nous sommes là-haut, ils doivent se demander ce que nous sommes en train de foutre.
– Nous sommes bien d'accord que pour le moment... commença à dire Lorelya en faisant descendre l'arbre.
– Oui, je sais, maugréa Tyrian. Tant que Saga sera encore un problème, pas un mot sur notre arrangement à qui que ce soit. Pour le moment, nous nous partageons le pouvoir, mais sans plus. Ce ne sera qu'une fois cette affaire réglée que nous en parlerons publiquement.
– Tant que nous nous comprenons... marmonna Sieg.
Après une lente descente, le groupe arriva enfin au niveau du jardin. Autours de l'arbre, plusieurs démons conversaient gaiement, leur joie se lisant aisément sur leurs visages, chose qui intrigua les Déicides et leurs alliés temporaires. Avant même qu'ils ne puissent demander ce qui se passait, ils furent assaillis de toute part par une foule impatiente de partager une grande nouvelle avec eux.
– Il n'est plus nécessaire de se demander qui va prendre le pouvoir, une solution a été trouvée ! s'extasia un premier interlocuteur.
– Oui, les choses vont enfin redevenir normaux ! commenta un second. Car deux successeurs, quelle idée !
– Mais de quoi vous parlez ? intervint Tyrian en levant les mains. Vous avez décidé qui vous voulez ? Alors qu'on parlait de partager le pouvoir il y a moins d'une heure ?
– C'est vrai, la décision nous a été retirée...
La foule s'écarta afin de laisser passer Sirocion. Contrairement aux membres de sa cour, le Ténèbraile affichait une mine grave qui trahissait sa déception.
– Nous venons de recevoir un message de Tarkar. Avec ses yeux perçants et ses oreilles affûtées, il n'a pas manqué une miette de ce qui se passait ici et a formulé une requête. Ce n'est pas rare, il a tendance à demander ce qu'il veut, et même moi, je n'ai pas les moyens de lui refuser quoi que ce soit. Alors j'ai bien peur que nous n'avons pas d'autre choix que d'obtempérer.
L'ancien présenta à Bélial une lettre qu'elle prit et commença à lire, imitée par Tyrian par dessus son épaule. La jeune femme devint blême et même son rival pour le pouvoir écarquilla les yeux.
– C'est pas possible ! explosa la barbare. Il a pas le droit de faire ça ! Je suis pas obligée de...
– J'ai bien peur que si... soupira Sirocion en baissant les yeux. N'oublies pas que nous ne parlons pas juste de toi ici. Si nous refusons sa requête, ce ne sera pas juste toi ou Eclipisa qui en fera les frais, mais notre peuple entier, aux quatre coins du monde. Pour faire pression, Tarkar serait prêt à raser des pays un à un sans que nous puissions lui résister. Peut-être que nous pourrions faire quelque chose si nous savions où il frapperait en y concentrant toutes nos forces, mais nous savons d'expérience qu'ils frappera au hasard. Par deux fois par le passé, des peuples ont te nté de lui dire non, et chaque fois, les représailles de Tarkar ont fait des millions de morts jusqu'à ce qu'il obtienne ce qu'il veut. De nos jours, ses demandes sont moins considérées comme un choix et plus comme un fait accompli car personne ne veut subir sa colère.
– Putain, mais il a demandé quoi ? réclama de savoir Farca qui vit le visage anéanti de Bélial qui serait tombée à genoux si Tyrian ne l'avait pas aidée à rester debout.
La lettre échappa des mains de la démone et fut récupérée par Sieg qui balaya son contenu avant de serrer les dents. Le papier commença à brûler à son toucher, une réaction qui donna des sueurs froides à ses compagnons.
– Comment ose-t-il... Je vais l'étriper ce sale...
– Hors de question ! le coupa le Ténèbraile avec un regard sévère. Trop de choses sont en jeu pour que nous nous permettions ce genre de folie. Nous n'avons qu'une seule option ouverte à nous, et je ne parle pas de sacrifier mon peuple !
Lorelya prit doucement la lettre des mains de son ancêtre et en lit le contenu avant de poser sa main sur sa bouche face au choc de ce qu'elle découvrit.
– Il veut Bélial ? s'étrangla l'archère. Elle doit l'épouser juste après le défi de cette année et vivre à ses côtés avec ses... Combien de femmes ?
– Oui, une de ses requêtes les plus fréquentes, avoua Sirocion. Il n'avait encore jamais demandé pour une Ténèbraile, mais comme deux se sont déclarés en même temps, il a dû décider que nous pourrions... nous passer d'un d'entre eux...
Dévastés, les Déicides regardèrent autours d'eux et virent qu'ils ne trouveraient aucun renfort. L'autorité de Tarkar, plus grande encore que celle du Ténèbraile, ne pouvait pas être opposée, alors les démons étaient déjà passés à autre chose, préférant se concentrer sur le positif de la situation en voyant le nombre de prétendant au trône suprême revenir à un. Face au risque de l'extinction de leur race en cas de refus, les désirs et la détresse de même une Ténèbraile devenaient vides de sens à leurs yeux.
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