Chapitre 49 : Un retournement désastreux
– Vouloir devenir une de ces vermines... Non mais franchement, je ne comprendrais jamais ça... Et toi, Kinon ?
– Bien d'accord, Moktar... Se transformer en parasite comme ça ? Sans façon...
Ignorant autant que possible les palabres des deux gardes qui l'escortaient, Cinder arpenta les couloirs du palais en réfléchissant. Les décorations luxueuses et les magnifiques tapis qu'elle foulait ne lui faisait rien, tant elle était prise par ses plans pour la suite. Elle qui avait espéré se forger de solides relations avec la royauté d'autres nations, pensant même pouvoir trouver des personnes qui partageraient sa vision du monde et de la mortalité, voilà qu'elle devenait une paria. Maintenant, s'il y avait dans la cour d'Eclipsia qui étaient attirés par la force et les dons des vampires, ils ne le clameraient plus à personne après toute cette scène.
Qui avait-il de mal à vouloir fuir la finalité de la mort ? À désirer plus de puissance ? Les vampires se nourrissaient du sang des mortels, et alors ? N'était-ce pas leur droit en tant qu'espèce trônant au sommet de la chaîne alimentaire ? Sommet qu'elle mérite de gouverner.
Sa dernière chance de retourner la situation à son avantage était de s'éveiller en tant que Ténèbraile, mais quelles étaient ses chances ? Elle n'était qu'une candidate parmi plus d'une centaine et la sélection semblait aléatoire, il était impossible de deviner qui s'éveillerait.
La princesse en était à ce stade de ses réflexions quand son escorte vit approcher trois individus, dont deux encapuchonnés. Celui sans capuche revêtait une armure complète masquant son corps et se mouvait avec une raideur étrange. Le premier encapuchonné était grand et robuste, soit un Rochechair, soit une Âmessombre. L'autre aurait pu passer pour un Cendressang de par sa stature, mais cette théorie s'écroula quand il retira sa capuche pour dévoiler un visage humain aux cheveux blonds et aux yeux bleus qui épiait le monde derrière ses lunettes. Alors que les gardes allaient l'interpeller pour lui demander comment un humain comme lui avait pu entrer dans le palais, ce dernier les ignora royalement et s'inclina devant Cinder.
– Ah, c'est un plaisir de vous rencontrer, princesse ! Franchement, qu'elle honte, de vous traiter comme une vulgaire criminelle ! Tout ça pour quoi ? Parce que vous vouliez le pouvoir ? Transcender une condition qui vous déplaît ? Atteindre des sommets que l'on vous refuse sans vous donner de vraies raisons ? Je ne peux que comprendre votre désarroi d'être ainsi entourée de bouffons qui ne comprennent pas un désir aussi pur que le votre...
Interdite, Cinder dévisagea l'humain qui semblait lire son âme avec une aisance déconcertante. C'était comme si la moindre de ses pensées, chacun de ses désirs, tout ses rêves lui paraissaient avec une netteté déconcertante. La démone regarda l'humain avec fascination, n'ayant jamais rencontré quelqu'un qui savait la mettre à nue aussi aisément.
– Hé ! intervint enfin Moktar. Qui êtes vous ? Personne n'a le droit de parler à...
Sans un regard pour eux, l'humain claqua des doigts et des chaînes explosèrent du sol pour s'enrouler autour des gardes et restreindre leurs mouvements.
– Cependant, je ne peux que penser que la condition de vampire ne vous conviendrait pas... continua l'intrus avec une assurance qui continua d'hypnotiser la princesse. Certes, ils ont leurs qualités, mais je trouve que leurs défauts ne font d'eux que des échecs, une espèce tout juste bonne à ramper dans les ténèbres... Saviez-vous que dans le monde de la lumière, il n'existe qu'une lune, partageant le ciel avec un astre nommé soleil ? Celui-ci brille d'un éclat qui éclipserait même vos trois lunes combinées, et ça, les vampires ne le supportent pas. À quoi bon devenir immortelle si une simple promenade au grand jour pourrait causer votre perte ?
Voyant que l'inconnu attendait une réponse, Cinder devint songeuse avant de fournir une réponse.
– Honnêtement, je ne vois pas en quoi une telle faiblesse m'accablerait, nous ne sommes pas dans le monde de la Lumière. De toute façon, les portails entre les mondes ont été scellés, il n'y a aucun moyen de...
– Ah, oui, ces fameux portails... ricana l'humain en tournant autour de la princesse, les mains dans le dos. Certes, sans savoir comment les rouvrir, il est impossible de voyager entre les mondes... Si seulement nous avions quelqu'un avec un don, non, un savoir bien particulier... Comme par exemple...
Derrière Cinder, l'humain se pencha vers elle, ses lèvres éraflant l'oreille de la démone qui frissonna à se rapprochement si singulier. D'ordinaire, elle aurait chassé toute personne qui se permettrait de l'approcher d'une telle façon, mais son instinct lui susurrait qu'elle ne devait en aucun cas le rejeter. Non pas par peur, bien qu'elle sentait combien cet humain était dangereux, mais par désir de puissance. Quelque chose dans cet intrus semblait lui promettre l'accomplissement de tous ses rêves et plus encore, une chance inespérée quelle ne pouvait pas se permettre de perdre.
– ... comment les portails ont été scellés en premier lieu... souffla l'humain.
Une idée quand à l'identité de l'inconnu germa dans l'esprit de la princesse qui remit immédiatement en doute cette hypothèse. Si elle avait raison, la personne qui la tenait avec tant d'habilité serait en vie depuis quatre millénaires, aussi longtemps que les plus anciens vampires, et pourtant, il n'en était clairement pas un. Existait-il un autre moyen d'atteindre l'éternité ? Après tout, si quelqu'un pouvait trouver une telle solution, ce serait bien le créateur de cette race maudite par tous.
– Je pense que vous commencez à comprendre d'où nous venons... continua l'humain en rejoignant ses deux compagnons. Et il se trouve que les sots qui ont causé votre déchéance il y a peu viennent eux aussi du monde de la Lumière. Je dois dire que mon frère continue à m'agacer en prolongeant ainsi sa crise d'adolescence, mais au final, rien ne changera. Maintenant qu'il est ici avec ses compagnons, je vais pouvoir passer à la suite de mes projets et me débarrasser de la seule peste capable de les ruiner. Et c'est là que vous avez une dernière chance d'atteindre vos rêves princesse... Car voyez vous, aussi doué que je sois en politique, je n'ai pas l'habitude des cours du monde des Ténèbres. De plus, je vais être bien occupé avec des sujets plus importants que ces petits jeux auxquels aiment s'adonner les politiciens, alors je ne serais pas contre me reposer sur les services d'une demoiselle qui connaît toutes les règles sur le bout des doigts...
– Vous voulez mon aide pour naviguer les eaux tumultueuses de la cour d'Eclipisa ? répondit Cinder avec un rire aigri. Je l'avoue, je suis sûre que vous pourrez me donner tout ce que je désire, mais je suis au regret de vous annoncer que je ne peux plus rien vous apporter. Comme vous venez de le souligner, je viens de perdre la face devant toutes les royautés démoniaques du monde, je suis une paria non désirée. J'ai bien peur de ne plus être qu'un poids, pas un atout...
– Oh, je ne dirais pas cela... ricana l'humain en désignant avec révérence son compagnon encore encapuchonné. Dans la vie, il est important d'être vu avec les bonnes personnes...
L'individu présenté retira sa capuche, arrachant un hoquet de surprise à la princesse qui manqua de tomber en arrière. La réaction plut à l'humain qui remarqua les expressions choquées des gardes. D'un geste de la main, il les libéra. Les gardes titubèrent, regardant brièvement l'humain avec énervement avant de se tourner de nouveau vers son allié. Après une seconde d'hésitation, ils s'agenouillèrent en baissant la tête le plus bas possible. Cinder détailla le visage de la personne qui avait su obtenir le respect des gardes et se fendit d'un large sourire calculateur. Avec une révérence empreinte de noblesse, elle s'inclina face à son ultime chance de se venger d'une cour qui l'avait rabaissée.
– Vos désirs sont mes ordres, votre Suprême Majesté...
***
– Sommes-nous vraiment supposés croire en de tels contes sans queue ni tête ? Les déchus ne sont qu'une légende !
Dans la salle du trône, un brouhaha incessant résonna après l'exposé qui venait d'être fait. Bien que Sieg et ses compagnons avaient tout fait pour être convaincants, ils n'avaient pas réussi à obtenir la confiance de l'assemblée en leur parlant de leur quête d'empêcher le retour des Déchus dont même l'existence était remise en question. Bélial sentit sa colère grimper en voyant que personne ne les prenait au sérieux et ne se retint d'exploser que parce que son partenaire l'avait implorée de se tenir tranquille.
Assis sur son trône, Sirocion ignorait les commentaires de sa cour et continuait de fixer ses inviter avec intérêt. Il finit par lever une main, obtenant presque le silence. Deux personnes qui ne le regardaient pas continuaient de converser avec véhémence jusqu'à-ce que leurs voisins leur donnent des coups de coudes pour leur faire remarquer le changement d'ambiance qui s'était opéré. Les deux concernés se tournèrent vers le Ténèbraile qui leur faisait les gros yeux et ils se confondirent en excuse avant de décider de ne plus l'ouvrir pour le reste de l'audience.
– Bien, maintenant que j'ai enfin le calme que je demande... grommela Sirocion. Je comprends que vous soyez méfiants, aucun texte prouvant même que les Déchus aient jamais existé. Cependant, légende ou pas, si un fonds de vérité existe vraiment dans les paroles de ces personnes que vous dénigrez avec tant d'aisance, cela impliquerait qu'un dangereux mage s'amuse à massacrer des innocents par milliers. Que son objectif soit concret ou non, si cette menace existe, elle arpenterait notre monde au moment où nous parlons, ourdissant des plans qui pourraient causer la perte d'une nation. Pouvons-nous vraiment ignorer cette possibilité juste parce que nous ne croyons pas en l'existence des Déchus ?
Pas une âme osa répondre. Personne n'avait le droit de critiquer les paroles du Ténèbraile, et la seule qui s'en donnait la permission était ravie de l'entendre donner ainsi du crédit aux mises en garde de son équipe.
– Mais d'une certaine façon, vous avez raison, nous manquons encore d'information... reconnut Sirocion en se levant. Nous devons enquêter sur ce Saga, surtout s'il a vraiment un lien avec Plasmia. Ces satanés vampires nous causent déjà bien assez de soucis comme ça, alors si un fou se décide à les pousser à faire des folies, nous ne pouvons pas simplement nous tourner les pouces, nous devons agir. C'est pourquoi...
Les portes de la salle du trône s'ouvrirent, interrompant le Ténèbraile qui fronça les sourcils. Tous les regards se tournèrent vers l'ouverture qui dévoila Cinder, avançant avec confiance et la tête haute. Plusieurs remarques fusèrent sur son audace de revenir ainsi, mais elle n'en prit pas note. Qu'ils disent ce qu'ils voulaient, elle savait qu'elle n'avait plus rien à craindre d'aucun d'entre eux, pas même le Ténèbraile.
– Navrée de vous interrompre... déclara-t-elle avec une voix dégoulinante de sarcasme. Cependant, un sujet autrement plus important que les mensonges que ces criminels réclame toute votre attention...
– Elle n'a vraiment peur de rien, à se repointer comme ça comme si elle ne venait pas de se taper la honte de sa vie... admira Raya.
– Nous avons assez entendu de votre part ! s'écria un monarque qui profitait de l'occasion pour bien se faire voir du Ténèbraile. Vous vous êtes déjà assez couverte de...
L'intervenant se mit à tousser, une brume sombre sortant de sa bouche. Incapable de respirer, il tomba à genoux, vite rejoint par les membres de sa famille et leur escorte qui tentèrent de l'aider.
– Décidément, où que j'aille, je rencontre des rustres qui ne savent pas écouter sans faire leur intéressant...
Les poils de chaque Déicide se hérissèrent à l'entente de cette brève phrase. Sur leurs gardes, ils fixèrent le mage qui apparut dans l'encadrement de la porte et entra dans la salle du trône comme s'il la possédait, souriant narquoisement aux regards noirs qui lui étaient adressés.
– Je savais que tu comptais nous rencontrer à Eclipisa, mais je ne pensais pas que tu te risquerais à te présenter à nous avec autant d'audace, Saga ! hurla Sieg en dégainant son épée.
L'évocation du nom du mage contre lequel ils avaient mis en garde insuffla un vent de panique dans l'assemblée, menant certains à reculer tandis que d'autres imitaient les intentions belliqueuses de l'écarlate face à ce potentiel danger. L'arcaniste prit une expression faussement outrée en levant les mains et s'adressa directement au Ténèbraile.
– Allons, est-ce là une façon de traiter quelqu'un qui a décidé de braver tous les dangers pour vous mettre en garde face au péril que représente la bande de criminels connu sous le titre de Déicides ? J'avoue que j'aurais dû me présenter plus tôt, ils ont déjà commencé à vous empoisonner les esprits avec leurs mensonges.
– C'est toi qui arrête pas de mentir, enfoiré ! rugit Bélial en se ruant vers le mage. Finalement, on a pas besoin que ces tocards nous croient, on a juste à te buter pour...
La barbare n'était qu'à trois pas de Saga quand ce dernier se téléporta. Sur le qui-vive, la démone tourna sur elle même, cherchant par où son adversaire l'attaquerait, mais rien en vint. Elle finit par l'apercevoir agenouillé en bas des marches menant au trône de Sirocion, le regard rivé vers le sol.
– Votre Absolue Majesté, ces brigands n'ont fait que vous mentir. Ils prétendent venir aider, mais, comme partout ailleurs où ils sont allés, ils ne font qu'amadouer leurs cibles pour qu'ils baissent leur garde et profitent de l'ouverture pour leur sauter à la gorge. Je ne compte plus le nombre de villes qui ont fait les frais de leurs méfaits dans le monde de la Lumière... Cette Bélial a même été jusqu'à exterminer son propre clan pour mettre la main sur leurs trésors et s'enrichir...
– Négatif ! Saga Est La Source De Tous Ces Désastres !
– Exactement ! renchérit Lorelya en arquant son arc dans la direction du mage. Ses mots ne sont que venin, il manipule les gens avec des promesses creuses et les utilise jusqu'à les briser ! Ne vous laissez pas avoir par ses belles paroles !
– Tu dis que les Déicides sont ceux dont je dois me méfier, mais tes actes viennent de donner du crédit à leurs accusations... reprocha Sirocion qui focalisa toute son attention sur l'arcaniste. Ils disent que tu t'es lié aux vampires, et tu te présentes à nous en compagnie d'une criminelle qui leur a vendu sa propre famille pour les rejoindre. Je doute que tu es un seul argument pour me convaincre du contraire...
La répartie calma les doutes de la cour, mais les Déicides furent saisis par une crainte colossale. Ils connaissaient Saga, se présenter ainsi à la vue de tous ne lui ressemblait absolument pas. Lui qui avait l'habitude de se terrer dans l'ombre et ne se présentait que quand il avait tous les atouts, il se pavanait sans la moindre hésitation en se mettant dans une situation qui ne lui donnait aucun avantage. Face à cette réalisation, même Bélial hésita à l'attaquer encore, car tout dans cette situation indiquait qu'ils n'avaient pas la moindre idée du jeu que jouait l'arcaniste, et donc le moindre de leurs gestes pouvait causer leur perte à eux.
– Comme je vous l'ai dis, ils vous bernent, Majesté. Moi, me lier à ces vermines ? Jamais ! Et concernant la présence de la princesse, ce n'est que parce que mon maître a décidé de lui laisser une chance de prouver sa loyauté au nouvel ordre qui va naître.
– Un nouvel ordre ? s'étonna le Ténèbraile en haussant un sourcil. Et qui est ce maître dont tu parles ?
– Je penses que c'est assez évident, vieux chnoque !
Le peu de calme qui restait à Bélial se désintégra en reconnaissant le ton impudent employé. La voix qui venait de secouer la pièce appartenait à un vil être qui considérait avoir le droit de régner sur tout ce qui existait, que nul ne pouvait se permettre de le critiquer. La jeune femme ne pouvait pas l'oublier tant elle l'avait entendue durant sa vie.
– T'es enfin là, Tyrian ! s'égosilla la barbare en se tournant vers l'entrée de la salle du trône. Tu vas payer pour...
Bélial posa ses yeux sur Tyrian et son regard insolent et se figea. Les Déicides se tournèrent à leur tour et furent transis d'effroi en réalisant qu'ils étaient déjà tombés dans le piège de leur ennemi. Saga avait absolument tout prévu, et plus rien ne pouvait l'arrêter.
Avec un ricanement orgueilleux, Tyrian retira sa cape et s'étira. La foule admira ses deux ailes qui se déplièrent et s'agenouilla face à cette vision. Se délectant de la vision d'autant de monarques et leurs suites se prosternant devant lui, Tyrian passa sa main dans se cheveux, passant entre les deux cornes allongées qui étaient le symbole du Ténèbraile.
– Enfin, un peu de respect ! Ça faisait un moment que j'attendais ça !
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