Chapitre 48 : Le respect de la cour

Telle une souris réalisant qu'elle venait de sauter dans un repaire de félins affamés, Cinder s'écarta d'avantage de Junio, regardant autour d'elle à la recherche d'une sortie. Sa réaction n'échappa à personne, amenant bien des membres de la cour à la regarder avec suspicion.

– Mais... s'étouffa la princesse en cherchant ses mots. Vous ne pouvez pas... Je suis la princesse de Dredia, bon sang ! Vous allez vraiment donner du crédit aux accusations d'étrangers dont nous ne savons rien ?

– Franchement, je vous connais à peine plus qu'eux, et le peu que je sais ne m'encourage pas à me ranger de votre côté... soupira Sirocion qui s'accouda sur son trône et posa son menton sur sa paume ouverte. Alors voyez là le meilleur moyen de prouver de façon irréfutable que vous êtes honnête avec nous...

Cinder se crispa, regardant le Ténèbraile avec du venin dans les yeux. Elle avait toujours détesté son attitude de vieillard gâteux et la façon qu'il parlait aux gens avec son sourire d'idiot bienheureux, comme s'il se moquait ouvertement de son entourage dans lequel il lisait comme des livres ouverts. Rien semblait jamais lui échapper et il s'en servait à merveille pour se jouer de ses sujets, qu'ils soient eux même de sang royal ou non. La princesse comprenait enfin pourquoi son père affirmait toujours son soulagement que le Ténèbraile ne soit pas intéressé par la gestion du monde démoniaque, ses incessantes interventions auraient complètement ruiné plus d'un gouvernement.

– Si vous aviez des doutes, vous auriez dû les vérifier dès le début... tenta-elle encore de se défendre. C'est insensé qu'il vous faille entendre de telles accusations pour...

– Nous préférons garder mon pouvoir en dernier recourt... exposa Junio. Voyez vous, mon pouvoir vient avec des limites assez contraignantes. Une fois que je commence à l'utiliser, je peux invoquer autant d'esprits que je le souhaite pendant cinq minutes, mais après ce délais passé, mon pouvoir deviens inutilisable pendant trois jours. C'est pourquoi nous évitons de l'employer sans une excellente raison.

– Regardez la petite princesse se chercher une sortie... se moqua Raya en croisant les bras. Vous pensez qu'elle va essayer de tourner autour du pot longtemps ou se résigner ?

– Elle est vraiment tout le temps comme ça ? demanda Farca en tirant la manche de Bélial pour l'inviter à se pencher vers elle.

– Je sais, ça m'avait trop manqué... répondit la barbare avec un large sourire.

Résignée, Cinder cessa de chercher une solution du regard et tendit la main vers Junio qui la prit délicatement dans la sienne. Le démon ferma les yeux, un courant de mana tourbillonnant autour de lui et faisant flotter ses cheveux. Il entrouvrit les yeux qui s'étaient vitrés et sembla regarder à travers Cinder sans la voir.

– Prince Lardzar, si vous m'entendez, je vous somme de vous présenter à nous... ordonna Junio d'une voix d'outre-tombe.

La cour regarda autour du duo avec appréhension, guettant l'arrivée d'un esprit, mais rien ne se passa.

– Je ne vais pas faire semblant d'être surpris... soupira Sirocion d'un ton moqueur qui irrita la princesse. Autant en profiter pour invoquer son père à la place, nous verrons bien ce qu'il aura à dire...

Junio hocha la tête sans se départir de son air détaché.

– Roi Xerec, je vous somme de vous présenter à nous...

Un tourbillon de mana déchira l'air à côté de Junio et Cinder qui ne put s'empêcher de montrer sa peur face à cette scène. Horrifiée, la démone vit la silhouette de son père se dessiner dans le tumulte, un démon bedonnant à l'air sévère et la chevelure qui se raréfiait. L'esprit translucide cligna des yeux et scruta ses alentours. Quand il vit sa fille, une expression de rage viscérale déforma ses traits et l'esprit se jeta sur elle, la traversant sans lui faire de mal, mais la princesse fut si choquée qu'elle en tomba tout de même en arrière, s'étant empêtrée dans sa robe.

– Espèce de sale petite ingrate ! hurla le spectre. Après tout ce que j'ai fait pour toi, tu as osé me trahir ? Ces satanés vampires m'ont tout avoué pendant qu'ils me vidaient de mon sang ! Tu as passé un pacte avec eux pour qu'ils te transforment et te laisse gouverner mon royaume en leur nom !

– Mais c'est que ça devient croustillant tout ça dites moi... s'amusa Raya alors que les membres de la cour poussaient des cris d'indignation.

Se sachant vaincue, Cinder baissa le regard, n'osant braver le regard de personne. Pour les démons, peu de choses était plus déshonorant que de devenir un vampire. Son secret dévoilé au grand publique, elle savait qu'elle allait perdre jusqu'à son rang.

– Voila déjà une question de résolue... déclara Sirocion en se penchant en avant dans son trône. Et sinon, Xerec, n'aurais-tu pas quelque chose à nous avouer ? Comme par exemple, tes propres liens avec les vampires ?

Bien qu'il n'avait plus de corps, Xerec se raidit et se tourna lentement vers le Ténèbraile qu'il n'avait pas remarqué en tremblant comme une feuille s'accrochant désespérément à son arbre en pleine tempête. L'esprit aurait sué à grosse goutte s'il en avait été capable.

– Votre Souveraineté absolue... Je ne pensais pas...

– Je vous ai posé une question, Seigneur Xerec... répéta Sirocion avec plus de froideur.

Le spectre déglutit par habitude avant de détourner le regard en balbutiant ses prochains mots. Il voulait mentir, mais une force qu'il ne pouvait pas résister le forçait à dire la vérité.

– J'ai... J'ai passé... un marché avec Plasmia... finit par avouer le fantôme qui tentait toujours de contenir ses paroles sans succès. Ils devaient... massacrer la famille royale de Fangia... et tous leurs chefs de guerre... pour que nous nous partagions ensuite le pays... Les vampires gagneraient un nouveau troupeau... Et nous réglerions notre problème de Ténèbrium...

– Problème ? répéta Sirocion en fronçant les sourcils.

– Oui... Dredia ne produit pas assez d'énergie pour subvenir à tous nos besoins... Nous devons l'importer à prix faramineux, et il ne cesse de grandir... Nous sommes à la merci de nos voisins qui peuvent appliquer les prix qu'ils désirent, ils savent que nous n'avons pas d'autre alternative... Il viendra un jour où ma nation sera ruinée, pas même capable d'entretenir son armée, et deviendra une proie de choix pour ses ennemis... Je voulais remédier à ce problème avant...

Furieuse, Bélial fit les cinq pas qui la séparait de l'esprit et lui attrapa son col fantomatique avec une main qu'elle nimbait de son pouvoir obscure. La cour fixa la jeune femme avec étonnement, moins pour son acte déplacé mais plus par sa capacité d'entrer en contact physique avec une entité incorporelle. Sirocion releva l'exploit de la barbare avec un sourire et fit signe à ses soldats de ne pas intervenir.

– T'es sérieux, connard ? enragea Bélial en tirant les spectre vers elle pour qu'il puisse voir toute l'étendue de sa colère. Ta seule solution pour éviter que ton peuple souffre, c'est de sacrifier un autre peule ? Je comprends que t'as le devoir de protéger ton peuple, mais tu croyais qu'il allait se passer quoi après ? Que les autres pays allaient juste te regarder partager Fangia avec les vampires et juste se dire que c'était normal ? Oh, et de toute façon, tu vas faire croire qui, exactement, en disant que tu en as quelque chose à foutre de ton peuple ? Je te rappelle que t'as donné l'ordre d'exterminer les Âmesombres comme moi, juste parce que t'es encore jaloux de ton frangin ? Mais t'as quel âge bordel ? Si t'étais encore en vie, roi ou pas, je t'en collerais une pour te réveiller gros naze !

N'ayant pas osé bouger en voyant sa partenaire hurler sur le spectre qui devenait de plus en plus livide, Sieg regarda du coin de l'œil le Ténèbraile qui ne perdait pas une miette des réactions de sa cour. L'assemblée était partagée entre l'ahurissement, l'agacement et le respect. Personne n'avait jamais osé se comporter de façon aussi irrespectueuse en présence du Ténèbraile, le démon intimidant tellement son peuple que l'idée même ne leur traverserait pas l'esprit. Et pourtant, cette jeune femme se moquait éperdument des convenances et n'hésitait pas à confronter un roi devant une pleine assemblée de monarques, le traitant comme un simple gamin insolant.

Toujours furibonde, Bélial jeta le spectre au sol dans lequel il s'enfonça légèrement avant de flotter vers la surface avant de pointer un doigt accusateur vers Sirocion, sidérant d'avantage la cour.

– Tu vois, c'est de ça que je parlais, merde ! s'énerva la barbare. Pendant que ta petite ville gaspille assez de Ténèbrium pour carrément faire voler des quartiers entiers, t'as des pays qui sont assez dans la merde pour se dire que faire des conneries pareilles est une bonne idée ! Il te faut quoi de plus pour capter que si tu veux t'occuper de ton peuple...

– Silence ! rugit un démon dans l'assemblée en s'approchant de la jeune femme. Qui es-tu pour oser ainsi défier l'autorité du Ténèbraile ? Tu n'es rien ici ! Même les souverains de nations se plient à sa volonté, alors une gueuse comme toi qui ne devrait même pas fouler le sol de ce palais n'a aucun...

– Il suffit, Seigneur Palados...

Les quelques mots du Ténèbraile suffirent à mettre un terme à l'élan du démon qui posa un genoux à terre face à Sirocion.

– Votre Révérée Majesté, personne ne peut rester de marbre face à un tel affront ! Elle ose cracher sur toutes nos traditions, nous ne pouvons pas la laisser continuer !

– D'une certaine façon, il a raison... souffla Sieg à Bélial en lui attrapant le bras. Ne me regarde pas comme ça, je suis d'accord avec ce que tu dis, mais tu dois te souvenir qu'à leurs yeux, nous ne sommes que des étrangers qui doivent encore prouver leur valeur. Quand tu te comportes comme ça, tu nous mets tous en danger, alors je t'en supplie, prends sur toi pour le moment.

Voyant la logique de son partenaire, la jeune femme baissa la tête et rejoignit ses compagnons. Plusieurs regards courroucés continuèrent de la suivre, accompagnés de plusieurs murmures qui n'auguraient rien de bon.

– J'ai encore une dernière question à poser à Xerec avant qu'il ne disparaisse, intervint Raya qui ignora divinement les expressions désapprobatrices qui cherchaient à la dissuader de prendre la parole. Devant tous les monarques démoniaques de ce monde, dites nous donc quel rôle votre fils, prince Lardzar, a joué dans toute cette sordide affaire.

Les esprits se calmèrent quelque peu, la demande de la lancière étant justifiée. Avec deux prétendants pour le trône de Dredia encore en vie, il convenait de savoir si le prince était aussi corrompu que sa sœur.

– Ah oui, Lardzar... lâcha Xerec avec mépris. Il n'a jamais accepté ma façon de régner... Ce n'est que par chance qu'il a appris que je voulait m'allier aux vampires, j'avais voulu le tenir à l'écart parce que je savais ce qu'il dirait. Il a tenté de me dissuader d'aller plus loin, mais je l'ai ignoré. Maintenant que je vois où j'en suis arrivé, je regrette de ne pas l'avoir plus écouté... Si je l'ai envoyé à Fangia, c'était pour qu'ils soit assassiné avec les homme-dragons, mais au final, je lui ai sauvé la vie on dirait... Le destin a un sacré sens de l'humour...

Raya hocha la tête et s'adressa aux souverains qui lui prêtèrent une oreille attentive et curieuse.

– Vous l'avez entendu et vous savez qu'ils ne peut pas mentir, mes Seigneurs. Prince Lardzar n'était pas seulement hors de ce complot, il a tenté d'y mettre un terme avant que le pire arrive. Face à de telles circonstances, êtes-vous d'accord avec moi sur le fait qu'il est plus digne de gouverner sur Dredia que sa sœur ? Plutôt que de laisser cette nation sombrer dans l'oubli avant d'être déchiré par ses voisins, il serait sage de laisser à ce jeune prince la chance de prouver ce qu'il vaut et tenter de rétablir son pays ?

La déesse se tourna vers le Ténèbraile qui la détailla en se lissant la barbe, cherchant son approbation.

– Bah, ce n'est pas comme s'il pouvait faire pire que sa sœur... déclara Sirocion en se levant. Il n'est peut-être pas présent pour l'entendre directement, mais je proclame que Lardzar succédera à son père sur le trône de Dredia. Quelqu'un ici présent est-il contre ?

Personne n'osa prendre la parole. Sirocion se rassit en ricanant.

– Tant mieux, parce que de toute façon, vous n'avez pas votre mot à dire. Quand à elle... décréta le Ténèbraile en désignant Cinder. Qu'on l'emmène en prison, je m'occuperais de son cas plus tard.

Résignée, Cinder se laissa traîner hors de la salle du trône par des gardes, accablée par des regards méprisants qui agressèrent son ego.

– Bon ! proclama Sirocion en frappant dans ses mains. Maintenant que ce sujet est réglé, je propose que nous discutions de ce qui amène nos turbulents invités ici...

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