Chapitre 47 : Au sommet du monde

Après une ascension de cinq minutes, les Déicides arrivèrent au sommet du pilier et furent accueillis par une vision époustouflante. Le sommet du pilier débouchait au centre d'un immense jardin aux fleurs fascinantes et colorées ponctuées de haies taillées avec précision. La fragrance d'autant de fleur créa un bouquet enivrant qui apaisa les esprits tendus.

Dans une direction, le groupe distingua le palais lui même, un édifice majestueux en pierres blanches et noirs. Des sculptures de Ténèbrailes ponctuaient l'allée reliant le pilier à la porte principale du palais, faite en bois noble incrustée de pierres précieuses. Une centaine de fenêtres laissaient filtrer la lumière de la lune, éclairant les salles d'un éclat dépendant de quel astre dominait dans le ciel.

À gauche du palais, le jardin s'étendait jusqu'à une arène, large et imposante qui attira l'attention de Bélial immédiatement. Sieg sentit sa partenaire dériver naturellement vers l'endroit et la retint en attrapant sa main.

En face, un bâtiment plus modeste que le palais mais toujours aussi majestueux que n'importe quel château du monde de la lumière se dressait, interpellant plusieurs Déicides qui se demandaient quelle pourrait être la fonction de la battisse. Zania remarqua les regards intrigués des invités et décida de leur expliquer.

– Vous avez là la bibliothèque royale. Vous ne trouverez pas une seule collection de livres plus vaste et complète que celle-ci dans le monde. Des centaines, que dis-je, des milliers de chercheurs et de mages rêveraient de pouvoir y accéder, mais seuls les meilleurs triés sur le volet sont jamais admis.

– Oooooh... ne put s'empêcher de lâcher Farca avec envie et désir avant de se souvenir de la compagnie présente. Enfin, je veux dire, je peux comprendre que la chance de mener des recherches ici puisse passionner autant de collègues...

– Ah, une chercheuse ? s'étonna Zania en haussant un sourcil. Et quel est votre sujet de prédilection ?

La naine hésita avant de décider à se lancer. Après tout, ce qu'elle s'apprêtait à dire serait la moins bouleversante des révélations que l'équipe s'apprêtait à faire.

– Je suis alchimiste, mais mon sujet d'étude principal est le laboratoire des Origines. Je ne sais pas si...

Avec des yeux aussi ronds que des billes, Zania s'accroupit devant la sang-mêlée qui eut un mouvement de recul. Surprise, Farca fixa l'expression soudainement fascinée de la capitaine de la garde.

– Vraiment ? C'est rare de rencontrer quelqu'un qui partage ma passion pour cette légende ! Le centre du savoir du monde, où toutes les réponses peuvent être trouvées ! Que quelqu'un de si jeune s'intéresse à...

– Houla, minute, je ne suis pas une gamine ! se défendit Farca avec humeur. J'ai trente-quatre ans.

La capitaine fronça les sourcils en scrutant l'alchimiste avant qu'une idée folle lui traverse l'esprit.

– Attendez... J'ai entendu parler d'un peuple de petite taille dans les livres d'histoire... C'était les... nains, je pense... Mais si je me souviens bien, ils sont originaires du...

Zania se tut instantanément, dévisageant plusieurs des Déicides avec minutie. Si elle oubliait l'homme-dragon clairement originaire de ce monde et le colosse en armure qui en laissait rien transparaître, les autres possédaient des traits étranges. Pour des démons et des humains, les invités avaient des teintes de peau plus sombres que la normal, sans oublier l'elfe noire qui était verte. Pouvait-on même parler d'elfe noire dans ce contexte ? Les seuls autres elfes dont elle avait jamais eut vent provenaient de...

– Je crois que ma petite-fille commence enfin à arriver à la même conclusion que moi... ricana Sirocion. Vous nous venez de bien loin, n'est-ce pas ? Un autre monde, peut-on dire ?

– Nous n'aurons pas gardé le secret bien longtemps... soupira Raya en se détournant du Ténèbraile.

Sieg grimaça, sachant pertinemment qu'il avait été l'indice principal ayant guidé le Ténèbraile à percer ce secret. Zania se redressa et détailla les Déicides avec une expression ahurie.

– Des visiteurs... du monde de la Lumière ? Mais... les portails entre les mondes ont été scellés depuis des millénaires ! Comment est-ce possible ?

– Plus que la façon qu'ils ont pu venir ici, c'est la raison de leur visite qui me trouble... la coupa son grand-père. Mais avant ça, nous devons régler le problème de Dredia. Zania, je veux que tu fasses venir la petite Cinder dans la salle d'audience. Si je ne me trompe pas, elle doit encore être en train de se pavaner devant ses courtisans. Dire qu'elle était déjà populaire avant qu'elle devienne l'unique héritière de sa nation... Et je n'ai jamais vu quelqu'un faire le deuil de sa famille avec un tel sourire... Oh, et si tu vois Jusio, dis lui que je veux qu'ils soit là aussi, je vais avoir besoin de lui !

– Traduction, vous avez de bonnes raisons de porter du crédit à notre version des faits... déclara Sieg en regardant Zania s'éloigner en hâte. Jusqu'à présent, je n'avais pas réellement envisagé quelle pouvait être impliquée et qu'elle avait simplement eu de la chance, mais maintenant...

– Oui, mais ce n'est pas assez pour vraiment la suspecter...grommela Sirocion en agitant la main. La princesse Cinder a toujours été... Bon, soyons honnêtes, elle a un cœur de pierre, elle ne se soucie de personne d'autre qu'elle même. Toujours à conspirer et chercher les meilleurs angles. Elle joue bien le rôle de la jeune ingénue pour charmer son entourage, mais nous ne sommes pas dupes. Cette petite est une vipère prête à tout pour obtenir plus de pouvoir, alors j'ai toujours gardé un œil sur elle. J'espère vraiment qu'elle ne sera pas mon successeur...

– Sans vouloir vous commander votre altesse, je pense que nous devrions utiliser une cloche de la vérité pour déterminer le plus vite possible qui ment dans cette histoire... suggéra humblement l'écarlate. Ainsi, nous...

Sirocion dévisagea Sieg en grognant d'exaspération l'invitant à se taire dans la seconde.

– Me crois-tu vraiment si sénile que je n'aurais pas pensé à le faire dès qu'elle a commencé à déclarer qu'elle avait senti la mort de toute sa famille ? Le problème...

Interpellé par le froncement de sourcil de l'ancien et du ton qu'il avait employé, le bretteur patienta, sachant que toute insistance de sa part ne ferait qu'agacer le monarque. Le Ténèbraile finit par soupirer et reprendre.

– Il y a une semaine, toutes les cloches se sont volatilisées sans explications. Et pas juste dans le palais, ça concerne tout Eclipsia. Et quand quelqu'un entre dans la cité avec une cloche, celle-ci se met à fondre de façon inexpliquée. Nous avons aussi tenté d'envoyer des gens à travers la fontaine pour aller en chercher, mais dès que quelqu'un qui a au moins été récemment ici s'approche de moins d'un kilomètre d'une cloche, elle subit le même sort que les autres. Comme si une force tenait absolument à ce que le voile du doute plane sur la ville...

Un seul et même nom se forma dans les pensées de Déicides qui se dévisagèrent avec appréhension. Nul doute ne pouvait être permis quand on affrontait qui manie la tromperie aussi bien que la magie. Sirocion releva la réaction de ses convives et se lissa la barbe, gardant pour lui ses suppositions.

Comme pour chercher Saga qui les épierait depuis un arbre, Bélial regarda autours d'elle frénétiquement. Ce fut ainsi que ses yeux se posèrent sur l'autre bout du jardin et qu'ils ne purent pas quitter ce qu'elle y découvrit. Au centre d'une petite place entourée de végétation, un miroir au cadre de pierre gravé de symboles que la barbare ne reconnaissait pas. Comme hypnotisée par la glace reflétant son image de loin, la jeune femme s'approcha de l'objet avant que Zania lui attrape le bras en la secouant pour la réveiller.

– Attention, ce n'est pas le genre d'objet avec lequel on joue sans préparation... prévint la capitaine. Ce que tu vois là-bas, c'est le miroir des ancêtres, un puissant et dangereux artefact. Si tu le touches, tu seras confrontée à chacun de tes ancêtres et jugée. S'ils te reconnaissent comme leur digne héritière, tu auras la vie sauve. Sinon, ton âme sera aspirée dans le miroir et y sera éternellement retenue prisonnière, laissant derrière toi une coquille sans vie. Réussir cette épreuve peut te valoir le respect de tout Eclipisa, mais soyons honnêtes, moins d'un démon sur cent revient jamais. C'est une solution que n'envisagent que les plus désespérés, ceux dont le nom a été terni à jamais.

Mise en garde, Bélial adressa un dernier regard au miroir qui semblait l'appeler et se força à s'en détourner. Par prudence, Adam se plaça entre l'artefact et la démone pour lui bloquer la vue et la priver ainsi de la tentation. Sieg s'approcha de sa partenaire et posa sa main sur son épaule.

– Tout va bien ? s'inquiéta le bretteur. On dirait que tu viens de voir un spectre... Enfin, un plus effrayant que Lainabe...

– Ouais... bafouilla Bélial. Enfin, je sais pas trop... Quand j'ai vu ce truc... C'est bizarre, mais c'était comme si quelque chose m'appelait, me demandait de le toucher...

– Peut-être que tes ancêtres veulent te dire quelque chose, qui sait... suggéra Sirocion en partant dans la direction opposée. Allez, venez, nous devons encore parler avec Cinder et tirer votre histoire au clair.

En dépliant ses ailes avec plaisir, le Ténèbraile s'avança, talonné de près par ses ministres, passant devant plusieurs gardes qui se mirent au garde-à-vous à son passage. Les Déicides suivirent l'ancien, recevant par la même occasion les regards emprunts de méfiance des personnes qu'ils croisaient. S'ils avaient pu apercevoir quelques humains dans le quartier le plus bas de la cité, quelque chose leur disait qu'ils n'en rencontreraient pas dans le palais où seule l'élite des démons était acceptée.

Les portes du palais furent ouvertes pour le Ténèbraile qui toisa les nobles et royaux qui convergèrent vers lui pour le flatter sans vergogne, ne prêtant que peu attention à l'équipe qui observa la scène sans oser émettre de commentaire. Voir autant de démons se rassembler ainsi autour d'un vieillard pour obtenir ses faveurs alors que ce dernier se moquait totalement de l'attention reçue était un tableau aussi fascinant que dangereux. Sieg put presque voir les rouages de la politique tourner das les regards discrets que se lançaient certaines personnes, dévoilant des alliances qui se formaient dans l'ombre. Tout le monde savait qu'un nouveau Ténèbraile serait révélé, un nouvel ordre naîtrait, et il ne ferait pas bon de se trouver dans le mauvais camp.

La foule se dirigea vers la salle des audiences, grandissant à mesure que les nantis s'accumulaient comme de la rouille sur une arme mal entretenue. Après avoir grimpé des marches et franchi une nouvelle porte, les Déicides pénétrèrent dans une salle du trône plus sobre qu ce qu'ils avaient imaginé, mais baignée dans une ambiance solennelle. Des arches ponctuaient les bords de la pièce au sol de marbre, créant des alcôves où s'étaient déjà regroupés plusieurs groupes qui se retournèrent et s'inclinèrent en voyant le Ténèbraile. Plus de monde se trouvait installé à des balcons jusqu'à deux étages au-dessus, atteignables grâce aux escaliers installés des deux côtés de la pièce. Des pierres d'énergies pendant du haut plafond baigna l'endroit d'une lumière douce et serein, dévoilant au fonds de la salle un large trône en pierre noire bordée de coussins sur un piédestal surélevé par quelques marches.

Sous les regards de dizaines de démons attentifs de ses moindres faits et gestes, Sirocion atteignit son trône et s'installa dessus, prenant ses aises en dévisageant sa cour. Il scruta les regards dévorés par l'envie et l'avarice, chaque démon s'imaginant digne de lui succéder et prendre sa place prochainement. Voir autant de vautours ne guettant plus que son déclin pour débuter une nouvelle ère déprima le Ténèbraile. Toutes les personnes présentes n'avaient d'yeux que pour leur gloire personnelle, qu'importe les pions qu'ils auraient à sacrifier pour l'atteindre. S'il pouvait choisir son successeur, aucun des nobles présents n'auraient jamais la moindre chance d'attirer son attention. Malheureusement, comme son prédécesseur, il était contraint de se plier aux aléas du destin, qu'il soit d'accord avec lui ou non.

Les portes de la salle d'audience s'ouvrirent de nouveau, laissant passer Zania, en compagnie d'une Cendressang à l'attitude hautaine et noble dans une robe indigo et d'un Rochechair dans la force de l'âge dans un costume gris et usé. La foule s'écarta pour les laisser passer et s'incliner devant leur souverain absolu.

– Votre Majesté, comme vous me l'avez demandé, je vous présente Princesse Cinder de Dredia et le Seigneur Junio.

– Ah, parfait... ricana Sirocion en désignant les Déicides qui se raidirent en sentant l'attention de la cour se concentrer sur eux comme des lames aiguisées. Prince Basil du royaume de Fangia ci-présent affirme avoir une missive du prince Lardzar qui, selon ses dires, serait encore en vie. Puis-je avoir cette fameuse missive ?

Aussi vive qu'un serpent, Cinder tourna la tête vers Basile qui déglutit en sentant la haine dans le regard de la princesse. Ses yeux turquoises acérés semblaient sonder son âme à la recherche de la moindre faille à exploiter chez l'homme-dragon. Intimidé, Basile trouva la force d'approcher le trône et tendre une lettre au Ténébraile qui s'en saisit et ouvrit.

– Vous n'allez tout de même pas croire les paroles d'un sale reptile ? explosa la princesse en pointant un doigt accusateur au prince qui trembla comme une feuille. Leur peuple n'est qu'un ramassis de barbares avec un honneur factice, ils n'hésitent pas à trahir leur parole et poignarder dans le dos ceux qui font l'erreur de leur faire confiance ! Mon père ne s'est pas montré assez méfiant et ces vermines en ont profité pour massacrer ma famille ! Ils ont assassiné mon frère et osent clamer parler en son...

Sans un mot, Sirocion fixa Cinder qui sentit sa gorge se serrer. Le regard froid et distant du Ténèbraile, comme si rien ne pouvait jamais l'atteindre, la dissuada d'aller plus loin et le déranger dans sa lecture. La princesse baissa la tête, la mâchoire serrée, laissant l'ancien parcourir la lettre avant de grogner.

– De ce que je peux lire ici, c'est la stupide confiance que votre père a accordé à Plasmia qui a causé sa perte... Il pensait que les vampires ne s'en prendraient qu'à Fangia, mais ses machinations se seraient retournées contre lui...

– Ai-je besoin de démentir d'aussi absurdes accusations ? grinça Cinder alors qu'un murmure désapprobateur remplissait la salle. Les vampires sont les ennemis jurés de toutes les races, s'allier à eux ne serait que folie. Tout ce que nous avons ici, ce n'est qu'un bout de papier dont l'origine serait discutable. Et même si le sceau de mon frère était apposé dessus, qui nous dis que ses meurtriers ne l'ont pas juste trouvé parmi ses effets personnels ?

– C'est en effet une possibilité... reconnut Sirocion en laissant de côté la lettre. Et sans cloche de la vérité pour démêler le vrai du faux, nous n'avons aucun moyen de dire qui ici ment ou non...

– Alors nous ne devrions pas prendre le risque de nous fier à ces intrus, conclut Cinder en désignant les Déicides. Avons-nous même une preuve qu'il s'agit vraiment d'un membre de la faille royale de Fangia ? Il est escorté d'humains, d'une elfe et d'une traîtresse ! Pensez-vous vraiment qu'un prince daignerait visiter Eclipsia avec une escorte aussi suspecte ?

Frustrée par le discours de la princesse, Bélial posa sur elle un regard noir et s'apprêta à prendre la parole, mais Sieg l'en empêcha d'un geste du bras. Le bretteur se doutait que Sirocion avait une idée derrière la tête, alors ne pas intervenir et laisser la situation suivre son cours était l'option la plus sage pour régler ce problème.

– Oui, je reconnais que leur groupe est singulier, mais là n'est pas la question... reprit l'ancien. Ce que je souhaite savoir, c'est si le contenu de cette lettre est avéré...

– Que voulez-vous que je fasse pour vous convaincre qu'ils nous font perdre notre temps ? soupira Cinder avec un soupir suffisant. Que j'aille moi même chercher le cadavre de mon frère pour vous le présenter ?

Un sourire mauvais étira les lèvres du Ténèbraile, effaçant immédiatement celui de la princesse.

– Pas exactement. Connaissez-vous Junio ? Il s'agit d'un de mes plus proches confidents, une Âmesombre au don assez unique. En touchant quelqu'un, il est capable d'invoquer l'âme d'un membre de sa famille décédé. Il peut remonter jusqu'à cinq générations, et l'entité invoquée est incapable de mentir, devant répondre à chaque question en toute honnêteté.

Le visage de Cinder se décomposa alors qu'elle s'éloignait de Junio qui fit quelques pas vers Sirocion avant de poser un genoux à terre.

– Votre Majesté, mon talent est comme toujours à votre service, ordonnez et j'obéirais.

– Ce que j'aime chez vous, c'est que ce que vous dîtes n'est pas terni par l'hypocrisie... répondit l'ancien en inclinant la tête. Je veux que vous invoquiez le frère de la princesse. Et si, pour une obscure raison, votre pouvoir qui n'a pourtant jamais failli par le passé n'arrive pas à l'invoquer, peut-être que nous trouverons plus de réponses avec son père à la place...

– Oh, j'en connais une qui va vite regretter de s'être levée ce matin... ricana Raya en danatalien.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top